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Comptes rendus

Christian Kermoal, Notre-Dame de Kerfons. Essai d’histoire monumentale, Pabu, À l’ombre des mots, 2023, 412 p.

Isabelle Guégan
p. 235-238
Référence(s) :

Christian Kermoal, Notre-Dame de Kerfons. Essai d’histoire monumentale, Pabu, À l’ombre des mots, 2023, 412 p.

Texte intégral

1 Les campagnes bretonnes sont riches de milliers de chapelles, les unes modestes, les autres plus somptueuses. Son architecture et son jubé polychrome font de Notre-Dame de Kerfons à Ploubezre dans le Trégor l’une des plus belles chapelles de Bretagne. Kerfons a aussi la chance de disposer de nombreuses archives qui permettent de documenter son histoire depuis le xve siècle. Sa bonne fortune lui vaut également d’avoir trouvé son historien en la personne de Christian Kermoal. Docteur en histoire moderne, celui-ci s’est intéressé dès ses premiers pas de chercheur à cette paroisse trégorroise et au fonctionnement de son corps politique. Puis, il a élargi son étude aux notables du Trégor dans une thèse soutenue à l’université de Rennes en 2000 et publié aux Presses universitaires de Rennes en 2002 sous le titre « Les notables du Trégor. Éveil à la culture paroissiale et évolution dans les paroisses rurales (1770-1850) ». En s’intéressant de nouveau à la chapelle de Kerfons, il tente un « essai d’histoire environnementale ». En puisant dans les archives de la fabrique et notamment les comptes, il s’attache à présenter les artisans et artistes qui ont fait de la chapelle un joyau d’architecture en Trégor. Enfin, en véritable historien détective, il met à mal quelques idées reçues sur la chapelle dont les noms de ses commanditaires et celui de l’auteur du vol/achat de la croix du jubé à la fin du xixe siècle. Ainsi que le souligne Philippe Hamon dans la préface, « sa connaissance incomparable de la société rurale trégoroise, qu’il s’agisse des élites ou du monde des seigneurs, lui permet de démêler des énigmes que peu de gens pourraient résoudre » (p. 9).

2 Une chapelle, si belle soit-elle, ne serait rien sans les hommes qui l’ont fait édifier, qui s’en occupaient au quotidien, sans les pèlerins qui affluaient lors des fêtes religieuses et qui, parfois, octroyaient des dons importants pour le salut de leur âme. Kerfons jouit d’une notoriété établie de longue date puisque son exceptionnel jubé a été classé dès 1899 et la chapelle en 1910 alors même que l’édifice et le jubé avaient attisé les convoitises de certains acquéreurs peu soucieux de leur préservation in situ. Nous ne présenterons pas en détail les aspects artistiques de cette chapelle mais en donnerons simplement les points les plus significatifs et invitons les lecteurs à se reporter à l’ouvrage. Notre-Dame-de-Kerfons a été construite à proximité d’une voie de passage secondaire de la paroisse, aux limites des frairies de Kerguiniou et du Ruguirec. Alors que le bâtiment médiéval ne porte aucune marque héraldique ou blason extérieur permettant d’identifier le fondateur de la chapelle, nombre d’érudits ont longtemps attribué son érection aux seigneurs de Coatfrec dont elle aurait constitué la nécropole. Or, c’est seulement en 1714, dans un aveu, que les seigneurs de Coatfrec revendiquent Kerfons comme leur chapelle prohibitive. En effet, a contrario de la notion de chapelle prohibitive, Kerfons était ouverte tous les jours et fréquentée par les paroissiens de Ploubezre. En réalité, cette chapelle serait selon toute vraisemblance une fondation des seigneurs de Kerguiniou, avant que l’union de Guillemette Péan et Jean de Penhoët n’apporte ce bien aux seigneurs de Coatfrec. L’édifice médiéval a souffert lors de la Guerre de succession de Bretagne (1341-1364) et, en 1389, la chapelle bénéficia d’une bulle en faveur de sa reconstruction. Selon C. Kermoal, il s’agissait de faire appel à la charité publique des pèlerins appelés à se substituer à une éventuelle manne seigneuriale. Si aucune comptabilité du xve siècle n’a été conservée, en 1784, le sieur Gilbert eut l’heureuse idée de dresser un inventaire des actes de la paroisse. Sur un total de 31 rentes accordées à Ploubezre, 9 concernaient la chapelle de Kerfons et leur existence était encore attestée à la veille de la Révolution. Ces rentes provenant essentiellement de nobles consistaient en boisseaux de froment, parcelles de terre et permettaient au gouverneur de Kerfons de payer plusieurs centaines de journées de travail à des ouvriers chargés d’embellir la chapelle. S’il est bien difficile de dater avec précision les différentes étapes de la reconstruction de la chapelle, on peut observer que le plan en tau qui est celui adopté à Kerfons s’est répandu en Bretagne dans la seconde moitié du xve siècle. L’édifice présente bien des analogies avec les chapelles ou églises réalisées par les membres de la famille Beaumanoir. Les vitraux s’inspirent de gravures figurant dans des livres d’heures et C. Kermoal peut ainsi avancer que la grande verrière aurait été réalisée vers 1497. À proximité de la chapelle s’élève un calvaire dont les écots rappellent les bubons de la peste et permettent de relier son érection aux épisodes pesteux locaux de 1481, 1486 et 1517. Sur le fût de la croix figure le blason des sires de Coatfrec.

3 La chapelle de Kerfons doit sa notoriété à son jubé. Ces séparations en pierre ou en bois étaient très communes dans les édifices religieux bretons et servaient à faire les lectures de l’office. En décidant d’associer plus étroitement les fidèles aux célébrations religieuses, le concile de Trente contribua au démontage ou à la destruction de nombreux jubés. Composé de trois éléments superposés, le jubé présente une clôture, une tribune et une crucifixion qui surmonte le tout. La clôture permet de séparer le monde des clercs auxquels était réservé le chœur et celui des laïcs debout dans la nef. Au-dessus du chancel, la tribune est le lieu de transition entre les clercs et les fidèles : le lecteur y accède à Kerfons par un escalier en colimaçon d’où il lit les homélies, les prônes ou les prières. Les jours à messes de notes (chantées), les choristes y prenaient place. Une scène de crucifixion surmontait le tout, le Christ était entouré de Marie à sa droite et de saint Jean à sa gauche. À destination du public, la tribune porte une galerie de quinze personnages que l’on reconnaît à leurs attributs. On y aperçoit ainsi les 12 disciples, le Christ ainsi que les saintes Barbe et Marie-Madeleine. Selon C. Kermoal, l’artiste s’est inspiré du Compost ou kalendrier des bergiers dont on connaît différentes versions depuis 1457. Le Christ surmontant la tribune eut le malheur de choir en 1884 et si le curé de Lannion pensait qu’il pouvait être réparé, l’épave gisant à terre attira les convoitises des antiquaires. Or, un acheteur, Paul Léderlin, un industriel puissant des Vosges, se présenta et offrit pour quelques vieilles boiseries (dont ce Christ) la somme de 200 francs ; la vente fut approuvée par l’administration des Domaines en octobre 1907. Sans détailler toutes les ornementations du jubé, notons cependant que le décor s’inspire souvent de la nature : feuillages, grappes de raison, glands de chêne, des animaux ainsi que des anges dont certains portaient des blasons malheureusement grattés à la Révolution. L’auteur conclut cependant que « le message héraldique est tout à la gloire des seigneurs de Coatfrec » (p. 139) et ajoute « il est raisonnable de penser que le jubé de Kerfons aurait été mis en place vers 1495-1500 » (p. 153) Hélas, l’auteur de ce chef d’œuvre reste inconnu mais il s’agit vraisemblablement d’un artiste du Trégor.

4 Étrange paradoxe, à la fin de l’Ancien Régime, la chapelle de Kerfons était plus riche que la fabrique paroissiale elle-même. Le temporel de la paroisse de Ploubezre comptait 321 rentes dont 56 au profit de Kerfons et 57 pour l’église paroissiale. En 1784, ces rentes produisaient un revenu de 1680 livres dont 328 livres revenaient à la chapelle de Kerfons. Toutefois, des fragments de comptes prouvent que certaines rentes se sont perdues au fil du temps notamment au cours des Guerres de la Ligue. Un procès en recouvrement mené par Jean Goasdoué en 1604 au nom des paroissiens a permis de récupérer 42 rentes ce qui semble un minimum. Le document de 1784 permet de reconstituer une chronologie de la constitution du temporel de Kerfons dont le rythme était différent de celui de la paroisse. Dès les années 1490 les rentes ont afflué vers Kerfons et ont connu un apogée au cours de la décennie 1560-1569 mais se sont effondrées ensuite, même si quelques périodes ont encore été fastes (1590, 1630-1640 ou 1670. Au xviiie siècle, à l’exception de la décennie 1770, Kerfons n’a perçu aucune rente nouvelle. Nommés par le général de la paroisse, les fabriciens de Kerfons ont soin de gérer les rentes et dépenses de la chapelle. Au cours du xviiie siècle, les revenus sont quasiment fixes (valeurs en argent comme nombre de boisseaux de blé qui ne varient qu’en fonction des apprécis). Au cours de la période allant de 1675 à 1790, une seule année a été déficitaire et a correspondu à une période de remise en ordre des comptes de la chapelle qui a fait apparaître un manque de 6 livres 15 sols. Bien souvent les comptes portaient même un reliquat d’environ 300 livres. La prospérité de Kerfons lui a permis à plusieurs reprises de venir au secours de l’église paroissiale au début du xviiie siècle lors de la construction de deux retables, d’un maître-autel et lors de l’achat d’une bannière. Ce sont là quelques-uns des faits les plus saillants mis en exergue par Christian Kermoal dans cet Essai d’histoire monumentale qui incontestablement est un essai gagnant car, loin de se consacrer uniquement à la présentation architecturale de Kerfons, l’auteur est allé puiser dans des comptes d’une incontestable richesse et nous narre sur le temps long l’histoire d’une chapelle et des hommes qui l’ont fait vivre.

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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Guégan, « Christian Kermoal, Notre-Dame de Kerfons. Essai d’histoire monumentale, Pabu, À l’ombre des mots, 2023, 412 p. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 131-3 | 2024, 235-238.

Référence électronique

Isabelle Guégan, « Christian Kermoal, Notre-Dame de Kerfons. Essai d’histoire monumentale, Pabu, À l’ombre des mots, 2023, 412 p. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 131-3 | 2024, mis en ligne le 30 octobre 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/9618 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ll0

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Auteur

Isabelle Guégan

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