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Comptes rendus

Pierre-Yves Quémener, préface de Christine Klapisch-Zuber, Le nom de baptême aux xve et xvie siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2023, 316 p.

Dominique Le Page
p. 233-235
Référence(s) :

Pierre-Yves Quémener, préface de Christine Klapisch-Zuber, Le nom de baptême aux xve et xvie siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2023, 316 p.

Texte intégral

1 Tiré d’une thèse d’histoire moderne soutenue à l’université d’Angers sous la direction de Michel Nassiet – ce qui n’est indiqué nulle part –, cet ouvrage étudie les noms de baptême pour une période allant de 1450 jusqu’à la mise en application des décrets du concile de Trente et des décisions du nouveau catéchisme publié en 1566, qui préconise pour la première fois de donner des noms de saints aux baptisés et de rejeter les noms profanes. Cette période, qui correspond à un âge d’or du compérage, permet de voir l’évolution entre un temps où il n’y avait pas d’ingérence de l’Église dans le choix des noms et un temps où elle joue un rôle déterminant. Les données statistiques présentées tout au long de l’ouvrage sont établies à partir de sources bretonnes puis confrontées aux pratiques observées dans d’autres régions – Franche-Comté, Savoie, Suisse, Normandie, Auvergne – afin de dégager des perspectives communes à l’ensemble du territoire français. Après une solide introduction méthodologique, le propos est divisé en six chapitres qui s’apparentent davantage à des dossiers successivement étudiés plutôt qu’à des étapes dans un raisonnement, ce qui entraîne quelques répétitions de l’un à l’autre. Le premier chapitre expose la conception du nom au Moyen Âge et à l’époque moderne et montre qu’au fil du temps s’est imposée l’idée que le nom possédait des réminiscences sociales, familiales voire dévotionnelles mais qu’il n’était pas constitutif de la nature du porteur ni de son destin et qu’il n’était que l’expression d’une convention sociale, sans présenter de lien avéré avec l’individu dénommé comme on l’avait longtemps cru au Moyen Âge.

2 Le deuxième chapitre qui s’intéresse à l’évolution des répertoires onomastiques à la fin du Moyen Âge met en évidence une christianisation des noms tant pour les hommes que pour les femmes ; elle s’est faite en faveur des noms d’apôtres (Jean et Pierre pour les hommes avec leurs équivalents féminins Jeanne et Pétronille) et de disciples au xiiie siècle aux dépens des noms vétérotestamentaires qui dominaient les références religieuses jusqu’à la fin du siècle précédent. Cette évolution s’est opérée aussi au détriment des noms ethniques francs ou bretons (à l’exception des noms Yvon, Alain et Hervé) et a provoqué une concentration des attributions sur un stock restreint de noms. Le répertoire des noms féminins se distingue par une caractéristique, la diffusion de dérivés féminins de noms masculins (Jeanne puis Françoise et Louise). En Bretagne, ces dérivés s’imposent majoritairement dans la partie orientale alors qu’en pays bretonnant ils cohabitent avec des noms de saintes femmes.

3 Le troisième chapitre qui s’interroge sur l’influence de la littérature en nomination en prenant notamment pour objets d’étude les romans arthuriens, les farces des xve et xvie siècles et les ouvrages de Rabelais conclut que l’influence de la littérature et du théâtre sur le choix des noms de baptême est insignifiante avant le xve siècle à l’exception des noms de trois personnages des anciennes chansons de geste, Guillaume, Roland et Olivier. Si elle est plus importante par la suite, dans le cadre d’un mouvement général de renouvellement du répertoire onomastique à la fin du Moyen Âge, particulièrement au sein de la noblesse qui adopte certains noms arthuriens, elle demeure cependant limitée du fait de l’obligation morale pour les parents d’honorer les parrains qui ont porté l’enfant sur les fonts baptismaux en les laissant choisir son nom, ce qui restreint leur marge de manœuvre.

4 Le quatrième chapitre étudie les références religieuses dans le choix des noms. Il montre d’abord que les protestants se sont préoccupés très tôt du choix des noms à l’instar de Calvin qui a promulgué une ordonnance dès le 22 novembre 1546 proscrivant certains noms (de saints, de rois mages…) sans imposer de faire un choix dans un répertoire précis comme celui des noms bibliques, ce que font par la suite les synodes français dans la seconde moitié du xvie siècle. Malgré les succès qu’ils ont obtenus comme l’illustrent les registres de l’église protestante de Caen pour les années 1560-1572, ils se sont heurtés toutefois à une résistance de certains disciples attachés à la visualisation des réseaux de parrainages et des liens filiatifs. Dans le développement consacré ensuite aux pratiques catholiques dont le raisonnement est difficile à suivre du fait d’une présentation mal hiérarchisée des titres et sous-titres des parties, P.Y Quémener présente des répertoires onomastiques dans lesquels pouvaient être choisis les noms (livres d’heures…) et procède à une analyse fine de la connotation religieuse des noms de baptême ; il arrive notamment à la conclusion, qui remet en cause une idée reçue, que le choix d‘un nom de baptême ne vise pas expressément à placer un enfant sous la protection d’un saint déterminé et qu’il ne constitue pas forcément la marque d’une dévotion. Le nom est surtout destiné à favoriser la survie de l’enfant et s’apparenterait, aux xve et xvie siècles, aux amulettes ou aux tatouages antiques.

5 Le chapitre V porte sur les traditions familiales et le compérage. À partir d’une analyse sérielle des registres de baptêmes de Roz-Landrieux (1451-1528) et de Bignan (1530-1591), il est démontré que la transmission du nom du père à l’enfant est très faible et que l’influence qui prime est celle du parrain (cette tendance a pris son essor au xie siècle au moment de la généralisation du baptême des nouveaux-nés), choisi le plus souvent en dehors de la famille, ce qui permet à P.-Y. Quémener de conclure que la dation du nom de l’enfant aux parrains et marraines scellait publiquement l’alliance contractée avec eux et que « le nom est au parrainage ce que l’anneau est au mariage ». Il n’aurait pas existé de système familial d’attribution des noms aux xve et xvie siècles en Bretagne. Les parents disposaient pourtant d’une certaine liberté de manœuvre en s’arrangeant notamment au préalable avec le parrain sur le nom à donner au nouveau-né ou en le choisissant en fonction du nom qu’il portait pour qu’il soit attribué à leur enfant. Le souci du nom de la lignée était en revanche très fort dans les familles de la grande aristocratie, à la différence de celles de la petite noblesse, qui ressentaient toujours le besoin d’étendre leur réseau d’assistance et de solidarité.

6 Dans le dernier chapitre, intitulé « L’anthroponymie féminine, révélatrice des structures familiales », où est menée une comparaison entre la Bretagne et la Franche-Comté pour les xve et xvie siècles, P.-Y. Quémener démontre comment l’anthroponymie féminine permet de mettre en évidence les structures familiales et les réseaux de solidarité existants dans une communauté. Quand ces structures sont ouvertes, la nomination des filles est déléguée aux parrains recrutés généralement en dehors du cercle de la famille, ce qui se traduit par l’attribution majoritaire de noms masculins féminisés. À l’inverse, quand ces structures sont fermées sur le milieu familial, les filles sont nommées par les marraines, ce qui favorise le choix de noms de saintes femmes. Ce dernier modèle révélerait à la Renaissance une sédentarité autour des lieux où se construisent l’histoire et l’identité familiale alors que l’autre serait le signe d’une plus grande mobilité sociale.

7 Pierre-Yves Quémener a consulté de nombreuses sources riches et variées, il sait faire preuve d’esprit critique et discuter avec pertinence les conclusions de certains de ses devanciers (Monique Bourin, Michel Pastoureau...) avec lesquels il dialogue constamment. Son ouvrage présente nombre de conclusions utiles aux chercheurs énoncées avec clarté en fin de chaque chapitre et aussi d’observations intéressantes (ainsi le choix de pauvres comme parrains peut être vu, en dehors d’un signe de piété, comme la marque d’une volonté des parents de choisir le nom de leur enfant tout comme l’est au xviiie siècle la dation de plusieurs noms qui pose tant de problèmes aux amateurs actuels de généalogie) ; il donne des clés pour étudier d’autres groupes de la société comme les magistrats et les officiers par exemple pour lesquels il existe de nombreux catalogues prosopographiques (cf. Le Dictionnaire des magistrats du parlement de Rennes de Frédéric Saulnier). Le propos aurait gagné en clarté en se limitant peut-être au cas de la Bretagne, qui fournit la matière principale des investigations menées, ce qui n’empêchait pas de faire des comparaisons avec d’autres régions ni d’accompagner le propos de considérations plus générales.

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Pour citer cet article

Référence papier

Dominique Le Page, « Pierre-Yves Quémener, préface de Christine Klapisch-Zuber, Le nom de baptême aux xve et xvie siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2023, 316 p.  »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 131-3 | 2024, 233-235.

Référence électronique

Dominique Le Page, « Pierre-Yves Quémener, préface de Christine Klapisch-Zuber, Le nom de baptême aux xve et xvie siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2023, 316 p.  »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 131-3 | 2024, mis en ligne le 30 octobre 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/9617 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12lkz

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Auteur

Dominique Le Page

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