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Comptes rendus

Arnaud Ibert (dir.), Saint-Mathieu de Fine-Terre (xie-xviiie siècles) I, Histoire d’une abbaye à la proue de la Bretagne, bilan de 25 ans de recherches (1994-2019), Brest, Éditions du CRBC, coll. « Ecclesia », 2023, 316 p.

Daniel Pichot
p. 227-230
Référence(s) :

Arnaud Ibert (dir.), Saint-Mathieu de Fine-Terre (xie-xviiie siècles) I, Histoire d’une abbaye à la proue de la Bretagne, bilan de 25 ans de recherches (1994-2019), Brest, Éditions du CRBC, coll. « Ecclesia », 2023, 316 p.

Texte intégral

1 Un colloque s’est tenu en 2019 sur Saint-Mathieu de Fine Terre sous les auspices du CRBC et les Amis de Saint-Mathieu et les actes en sont parus dès 2023 sous la direction de A. Ibert. Ce volume de 315 pages s’inscrit dans une démarche générale en faisant suite à un premier colloque de 1994 et ne constitue que le premier tome d’une publication qui en comprendra un deuxième consacré à l’archéologie. Ainsi on comprend mieux les choix retenus, il fallait prendre en compte et approfondir les études antérieures et fournir des éléments pour aider à interpréter les découvertes archéologiques.

2 A. Ybert et J.-Y. Eveillard introduisent ces actes en posant une question lourde de sens « Saint-Mathieu de Fine-Terre, solitude désertique ou centre atlantique ? », ce qui leur permet aussi de rappeler le premier colloque consacré à l’histoire de l’abbaye et à l’hagiographie et d’évoquer les nouvelles recherches, surtout archéologiques. Ensuite se déroulent les 10 communications classées plutôt par ordre chronologique mais sans que cela ne guide vraiment le lecteur, aussi pour ce compte-rendu avons-nous choisi de regrouper celles-ci par thèmes, ce qui permet de rapprocher les textes portant sur le même objet qui se complètent ou divergent et de mieux mettre en lumière les acquis de ces travaux.

3 Les premières études mettent en valeur le site. T. Simon nous offre une approche géographique de ce haut-lieu particulièrement impressionnant avant que J.-Y. Eveillard n’examine « les voies de communication et l’habitat aux époques antique et alto médiévale ». Une voie romaine venue de Kérilien, sans doute antérieure, arrivait à Saint-Mathieu, non loin de Castel Bihan mais un réseau secondaire desservait le secteur dont on ignore tout de l’habitat comme des activités. Pour le haut Moyen Âge, seuls quelques toponymes semblent indiquer la présence d’établissements monastiques modestes.

4 Ensuite, on peut répartir les contributions autour de deux thèmes : l’abbaye et la ville. Pour le premier, C. Henry s’intéresse aux archives de l’abbaye particulièrement indigentes mais l’histoire de ces fonds montre que les archives médiévales antérieures à 1400 sont demeurées rares, l’abbaye, tout comme le Léon, n’accordant que peu d’intérêt à l’écrit. Il faut attendre 1400 pour que celui-ci se développe. Ensuite, les inventaires de la fin du xviie siècle, comme de la Révolution, font connaître d’importantes disparitions dues aux guerres et pillages et… au tri, sans parler de l’indifférence des premières décennies du xixe siècle. Donc, la faiblesse de ce qui subsiste ne peut être uniquement le résultat de destructions. Ce texte, bien que très court, éclaire fortement la question des archives de basse-Bretagne et se complète par un catalogue des actes antérieurs à 1450 (26 seulement avant 1300 sur 102 répertoriés), fort utile.

5 Cela prélude à l’étude des bâtiments ou de ce qui en reste. P.-F. Broucke enquête sur l’étude des armoiries conservées dans l’abbaye. Le corpus d’origine, certainement important, s’est en grande partie évanoui et les sculptures, pas toujours en place et souvent peu lisibles, suscitent de grosses difficultés, mais l’élargissement de la recherche aux alentours et aux archives enrichit notablement les possibilités. À côté des armoiries des abbés et de quelques familles locales, s’impose surtout l’écrasante présence de la famille Du Chastel, non fondatrice mais bienfaitrice majeure. Elle affiche ses prééminences, grâce à une grande pierre sculptée à ses armes, bien mise en évidence sur la tour à feu, et surtout par une présence massive dans les vitraux disparus mais connus par des dessins conservés dans les archives.

6P.-M. Sallé révèle les travaux accomplis sur l’abbaye par les Mauristes en étudiant surtout une série de plans de la seconde moitié du xviie siècle auxquels, il faut ajouter quelques vues dessinées à peu près au même moment. Pillée en 1558 lors d’une descente anglaise, l’abbaye a eu bien du mal à se relever et, au xviie siècle, elle s’est certes rétablie, sans pour autant s’avérer florissante comme le montre le bilan dressé par les moines réformateurs à leur arrivée en 1656. Selon leur habitude bien établie, les Mauristes établissent un état de ce qu’ils prennent en main pour ensuite entreprendre de restaurer les bâtiments, voire d’en construire de nouveaux, si nécessaire, pour rétablir la vie conventuelle dans les meilleures conditions, c’est-à-dire avoir le souci de la clôture mais aussi des conditions d’une vie digne et conforme à la Règle. Les religieux vivent d’abord dans le logis abbatial, le plus en état, avant que les travaux n’interviennent. Ceux-ci affichent une modestie certaine en raison de la faiblesse de la communauté et de ses revenus. L’action la plus évidente réside dans le glissement vers l’est des bâtiments conventuels, en fait regroupés dans un unique édifice, plus sain et plus commode, et surtout à l’écart des effets des tempêtes redoutables. Néanmoins, les moines ne tardent pas à envisager un transfert à Brest et ce, dès la fin du xviie siècle. Ils se heurteront toujours à un refus en partie motivé par les nécessités d’une veille sur le site pour la défense des côtes. Un autre article, séparé mais du même auteur, et consacré à l’abbatiale à l’aide des mêmes documents. Ce vaste bâtiment médiéval paraît alors en assez bon état et les plans autorisent une assez bonne reconstitution de son organisation, en particulier le chœur monastique. Quelques travaux seront réalisés mais assez peu. Par contre, l’édifice exposé aux intempéries souffre beaucoup et, à la fin du xviiie siècle, les moines demandent à un ingénieur de la marine de Brest de projeter une réduction drastique de cette église trop difficile à entretenir et qui menace ruine.

7 Le deuxième grand thème mis en lumière, et sans aucun doute plus novateur, tourne autour de la mystérieuse ville de Saint-Mathieu. On y rattache sans problème l’étude du Trade (chenal) de Saint-Mathieu au Moyen Âge. On le découvre grâce à K. Jaouen et J. Bachelier qui ont eu l’excellente idée de consulter les riches sources anglaises, contournant ainsi la faiblesse des archives locales. Les hommes qui fréquentent le passage ne sont pas des pèlerins, les reliques de Saint-Mathieu les attirent peu, ce sont essentiellement des soldats et des marchands. Des havres mal identifiés font de Saint-Mathieu une étape, pour avitailler, obtenir un bref ou tout simplement pour commercer, voire pour des rencontres politiques et diplomatiques. Cependant, les lieux sont marqués par la violence et la dangerosité : les sources privilégient sans doute cet aspect mais le fait s’impose. Si des tensions se font jour entre marins ou marchands, sévit surtout une piraterie endémique, d’occasion souvent, tout autant qu’organisée. Pour les pirates, qu’ils viennent de loin ou de la région, les navires marchands représentent des proies faciles. Bien plus, mais aussi en partie en lien avec ce fléau, les alentours de Saint-Mathieu constituent une zone de guerre, les flottes y croisent souvent et l’endroit devient le lieu de ralliement des convois. En temps de guerre, surtout à la fin du Moyen Âge, les affrontements, batailles et aussi descentes systématiques de pillage perturbent profondément le trafic et la vie sur le littoral, en particulier pour l’abbaye et la ville. Le voisinage de Brest qui s’organise de plus en plus en port de guerre accroît l’insécurité, en particulier quand les garnisons anglaises pratiquent en grand la piraterie. Une telle situation est favorisée par des pratiques de navigation encore très limitées techniquement qui obligent à serrer la côte et donc à passer par le Trade. À l’Époque moderne des améliorations autorisent les navires à passer au large ce qui leur offre un peu de sécurité.

8 Ensuite J. Bachelier s’attaque directement à l’étude de la « villa Sancti-Mathei » qui apparaît brillamment, au xiie siècle, dans l’œuvre du géographe arabe al-Idrïssï, mais était-ce bien une ville un peu importante ? L’auteur entame alors une enquête fouillée et brillante sur un sujet difficile tant manquent les sources. Les critères classiques ne fonctionnent que médiocrement. Si les textes parlent bien de ville, l’abbaye qui a sans doute provoqué sa naissance n’occupe pas une place centrale, le château semble n’avoir qu’une faible influence, et on a du mal à l’identifier. Il aurait quitté l’abbaye pour se déplacer ailleurs ? Difficile de parler de ville castrale. Un port ou plusieurs existent sûrement mais ils ont laissé peu de traces. Les critères d’urbanité se dessinent un peu. À partir du xive siècle, les agents ducaux sont présents et il semble s’esquisser une prise de conscience de la communauté d’habitants mais si cette « ville » a une enceinte, marque majeure d’urbanité, son existence n’est pas assurée et, au mieux, elle était bien modeste. La « ville » devient aussi un lieu d’échange, mais tout cela ne révèle qu’un petit centre au rayonnement bien local. Le paysage urbain le confirme : une agglomération minime, un bâti assez limité et une église paroissiale réduite à une modeste chapelle, un peu à l’écart. In fine, une analyse morphologique interroge les différents espaces identifiés et la voirie, mais les conclusions auraient besoin d’enquêtes archéologiques pour s’affirmer. Si l’on peut parler d’une ville à la fin du Moyen Âge, au moins dès 1500, une nette rétraction se fait sentir, à la suite des crises et de la concurrence du Conquet et de Brest.

9 P. Kernevez développe le thème des fortifications et de la guerre. Il commence par rappeler les nombreux conflits qui remplissent l’histoire de Saint-Mathieu entre Anglais, duc de Bretagne… ce qui entraîne combats mais aussi pillages et destructions comme en 1296 et 1558. Tant pendant la guerre de Succession de Bretagne qu’après, le contrôle des ports devient un enjeu majeur pour les forces en présence, si bien que, sous Jean V, les moines obtiennent de pouvoir fortifier l’abbaye et la ville. L’analyse des fortifications suscite bien des interrogations. Doit-on considérer qu’à Saint-Mathieu on est en présence d’une abbaye-château ou d’une abbaye fortifiée et d’un château. La tour incluse dans l’abbaye semble un ouvrage militaire et l’abbaye fut fortifiée comme bien d’autres. Par contre, cela est moins sûr pour la ville. Le Coz Castel, plutôt que l’œuvre des vicomtes de Léon, serait une fortification anglaise du milieu du xive siècle, assez rapidement démantelée. Le Castel Bihan, lui n’a rien de médiéval et pourrait être un retranchement d’époque moderne. Les deux communications sur le sujet proposent donc des hypothèses divergentes mais les deux auteurs s’accordent pour penser qu’il est difficile de trancher sans disposer d’une enquête archéologique.

10 Enfin, le thème se clôt sur la modeste paroisse Notre-Dame de Saint-Mahé aux xviie et xviiie siècles, centrée sur la chapelle de Notre-Dame des Grâces. G. Provost et R. Le Martret se livrent à une enquête serrée sur cette très modeste paroisse (200 paroissiens à la fin du xviiie siècle). Le dépouillement des registres paroissiaux permet de découvrir des évolutions sans surprise : une natalité forte mais un taux d’illégitimité réduit à peu de choses, (effet peut-être du charisme de certains curés demeurés longtemps en poste) et des crises de mortalité provoquées par des épidémies. Pourtant l’église demeure très modeste, dépendant étroitement de l’abbaye, mais les curés, devenus recteurs sur le tard, s’affirment comme la fabrique qui reçoit des dons et fondations de messes assez nombreux. Néanmoins, l’évêque de Léon songe très vite à retirer le titre paroissial, ce qui sera accompli lors du Concordat, Notre-Dame devenant chapelle de Plougonvelin. Cette dernière, menaçant ruine, sera restaurée en 1861 mais au moindre coût.

11 Le colloque a bien rempli son objectif, et le volume d’actes éclaire un haut-lieu du Léon. Le livre bien mis en page et illustré avec à propos nous invite à mieux connaître un site majeur de la pointe bretonne en tentant de remédier à la faiblesse des archives que l’on constate au fil des pages. Il faut donc louer les organisateurs et les auteurs des communications qui se sont ingéniés à utiliser au mieux ce qui est conservé, en mettant en œuvre de nouveaux documents et en ayant recours à l’archéologie aujourd’hui indispensable. Si les apports sont incontestables, bien des questions demeurent, on le perçoit par exemple dans les analyses divergentes sur les fortifications et dans bien d’autres cas. Le deuxième tome consacré à l’archéologie pourra, en partie au moins, élucider certaines zones d’ombre.

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Pour citer cet article

Référence papier

Daniel Pichot, « Arnaud Ibert (dir.), Saint-Mathieu de Fine-Terre (xie-xviiie siècles) I, Histoire d’une abbaye à la proue de la Bretagne, bilan de 25 ans de recherches (1994-2019), Brest, Éditions du CRBC, coll. « Ecclesia », 2023, 316 p. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 131-3 | 2024, 227-230.

Référence électronique

Daniel Pichot, « Arnaud Ibert (dir.), Saint-Mathieu de Fine-Terre (xie-xviiie siècles) I, Histoire d’une abbaye à la proue de la Bretagne, bilan de 25 ans de recherches (1994-2019), Brest, Éditions du CRBC, coll. « Ecclesia », 2023, 316 p. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 131-3 | 2024, mis en ligne le 30 octobre 2024, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/9602 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12lkx

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Auteur

Daniel Pichot

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