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Comptes rendus

Jean-Michel Cauneau et Dominique Philippe (dir.), préface de Marc-Édouard Gautier, Le Roman de monsieur Sylvestre (1378), la Geste des Bretons en Italie par Guillaume de la Penne, suivie de la Membrance du Pape Clément VII, Rennes, Presses universitaires de Rennes/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, coll. « Sources médiévales de l’histoire de Bretagne », 11, 2023, 370 p.

Denis Hüe
p. 225-227
Référence(s) :

Jean-Michel Cauneau et Dominique Philippe (dir.), préface de Marc-Édouard Gautier, Le Roman de monsieur Sylvestre (1378), la Geste des Bretons en Italie par Guillaume de la Penne, suivie de la Membrance du Pape Clément VII, Rennes, Presses universitaires de Rennes/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, coll. « Sources médiévales de l’histoire de Bretagne », 11, 2023, 370 p.

Texte intégral

1 Parmi les sources historiques de l’histoire de Bretagne, rares sont les textes qui visent ostensiblement à une grande littérarité ; même si les chroniques des moines de Redon sont nourries de clausules virgiliennes, leur ambition n’est pas immédiatement rhétorique ; il peut en aller différemment des textes de la fin du Moyen Âge, et l’on a en tête la chronique de Cuvelier consacrée à Bertrand du Guesclin, qui emprunte le modèle de la chanson de geste – tout en utilisant l’alexandrin à la place du traditionnel décasyllabe. Mais on sait combien le modèle épique est associé aux récits fondateurs d’une nation, et combien la Guerre de Cent Ans a pu susciter ce genre d’approche. Le texte que nous proposent J.-M. Cauneau et D. Philippe est un roman, adoptant la forme de l’octosyllabe à rimes plates, dans la lignée créée par les premiers chroniqueurs (Wace et Benoît de Sainte-Maure) et surtout des premiers romanciers. Emmanuèle Baumgartner a montré comment, à la coupée du xiiie siècle, le passage à la prose avait visé à donner une plus grande historicité aux récits rapportés, les distinguant radicalement de la fiction qui caractérisait les romans arthuriens à la suite de Chrétien de Troyes. C’est donc un paradoxe de voir une œuvre historique suivre très consciemment des modèles romanesques. La raison s’en trouve sans doute dans le nom des compagnies italiennes qui font l’objet de ce roman, les Compagnias di ventura : derrière la réalité de bandes de mercenaires, le lexique renvoie à la tradition chevaleresque des héros arthuriens partant chercher des aventures, combattre des adversaires redoutables et abolir les mauvaises coutumes. On sait combien la matière de Bretagne est présente dans l’imaginaire chevaleresque de la fin du Moyen Âge, et la fréquence des prénoms arthuriens (Galeazzo, ce prénom si fréquent au trecento n’est autre que Galaad), les fresques de Frugarolo, l’abondance des manuscrits italiens du cycle arthurien (Lancelot, Guiron…) montrent assez la prégnance de l’imaginaire chevaleresque en Italie au xive siècle. (Cf. pour plus de détails Le Stanze di Artù. Gli affreschi di Frugarolo e l'immaginario cavalleresco nell'autunno del Medioevo., a cura de Enricho Castelnuovo, Mondadori Electa, 1999).

2 Le propos de Guillaume de la Penne est donc de rapporter les péripéties d’une bande mercenaire dirigée par Monsieur Silvestre, en leur donnant la couleur d’une aventure, et surtout en donnant à Sylvestre Bude les valeurs exemplaires des héros romanesques. L’entreprise n’est pas aisée et même si la plupart des procédés littéraires sont présents, (adresses au lecteur ou à l’auditoire, manifestation du narrateur comme témoin des faits, discours direct, exclamations…), on a du mal à percevoir les personnages et les événements comme des éléments romanesques, sauf peut-être dans l’évocation de ce multiple combat singulier, un combat des dix qui fait écho à la tradition guerrière du Combat des Trente (v. 807 sq.) : l’énumération des héros combattants s’inscrit dans la tradition narrative de la guerre comme combat singulier, mais les joutes sont expédiées en quelques vers et avec des formules parentes : « moult fist bien ce qu’il devoit » (v. 983) « tant bien le fist » (v. 995)…

3 Le Roman de monsieur Silvestre n’est donc pas une œuvre littéraire de premier plan. Mais son intérêt est autre, en ce qu’il rapporte de façon très détaillée quelques épisodes de la campagne d’une bande de routiers au travers de l’Italie à la fin du xive siècle. Le volume s’ouvre sur une riche introduction qui reprend et met à plat la question de l’attribution, faisant définitivement justice des attributions à Guillaume Corr (le copiste) et Guillaume de la Perene, mauvaise lecture pour Guillaume de la Penne. L’enquête méticuleuse sur les sources manuscrites remet définitivement les choses en place, avant de s’attaquer avec le même succès aux éléments concernant l’auteur, de la région de Sablé. Même s’il n’est pas breton, c’est au cousin de Bertrand du Guesclin, Sylvestre Bude, qu’il s’attache comme guerrier, et dont il retrace les aventures. Un chapitre détaillé explore les archives et permet de dessiner la silhouette d’un petit chef de guerre qui fait ses classes pendant de nombreuses années, écuyer puis capitaine avant d’accéder à un statut plus notable, avec une solide expérience non seulement du combat, mais des négociations avec les grands qui l’emploient.

4 Le cadre entier des aventures rapportées se situe en Italie entre mai 1376 et septembre 1377, dans les terres pontificales pour l’essentiel, mais aussi à Bologne et Césène. Il commence par l’adoubement de Sylvestre Bude, qui après des années d’apprentissage voit reconnaître sa compétence guerrière, et rapporte la campagne, qui consiste pour l’essentiel en pillage de villes hostiles ou terrifiées, avec quelques combats plus formels. En regard du volet historique du texte, une solide étude littéraire montre comment, au-delà des faits, se manifestent une mentalité et une vision du monde où la guerre et ce qu’elle entraîne sont choses normales. Les éditeurs le soulignent, nous sommes dans la lignée d’un Bertrand de Born, et si sa formulation par écrit est chose rare malgré tout, elle est d’autant plus précieuse qu’elle était bien plus prégnante dans la population.

5 Les auteurs de cette édition ont effectué un remarquable travail d’édition et de mise en perspective du texte, l’accompagnant d’une riche introduction historique qui permet de prendre la mesure des événements rapportés dans le Roman. La dimension historique est évidemment particulièrement documentée, et toutes les allusions à tel ou tel personnage sont attentivement étudiées et éclairées par des notes judicieuses, renforçant au fil du texte l’approche plus générale de l’introduction. Les lieux – à la graphie très variable comme de juste – sont clairement identifiés et localisés sur une carte en fin d’ouvrage. Un riche dossier iconographique donne pour chaque endroit une illustration de la ville mentionnée ; le choix de cartes postales anciennes, s’il déroute un peu dans un premier temps, est en même temps très efficace en ce qu’il montre les cités telles qu’elles étaient au siècle dernier, souvent proches de ce qu’elles étaient quelques siècles plus tôt ; d’une certaine façon, la cartophilie sert à l’histoire.

6 La précision du travail historique sur le texte s’appuie évidemment sur une édition particulièrement attentive : un relevé méticuleux des variantes, souvent simplement graphiques, accompagne le texte transcrit avec un grand soin. Il n’est plus d’usage dans les éditions de textes littéraires de marquer la résolution des abréviations par des italiques ; mais ce léger inconvénient est largement racheté par les mentions, très précises, de pieds de mouche, de lettrines ou de hastes. Une traduction enfin accompagne le texte, fine, précise et élégante, et qui ne dissimule jamais les éventuelles difficultés de sens.

7 Un glossaire très nourri qui clôt l’édition est utile si le lecteur est dérouté par des graphies inhabituelles ou des mots hors d’usage. On soulignera l’intérêt des notes qui, outre les éclaircissements historiques déjà mentionnés, relèvent les proverbes et locutions dont Guillaume de la Penne parsème son ouvrage, comme par exemple au vers 1088 : « Selon seignour maingniee redoute », traduit par les auteurs « selon le seigneur, redoute la suite ». À ce propos, il n’est peut-être pas nécessaire de corriger le Felon du ms en Selon : d’après le DMF, le mot felon en ancien français renvoie plus à la violence et à la cruauté qu’à la traîtrise à laquelle on l’associe à présent. Le sens ne change pas sensiblement : « à dur seigneur, serviteurs redoutables », ou plutôt, en conservant la construction « redoute les serviteurs d’un seigneur cruel ». Dans la traduction de ce vers qui a posé problème aux éditeurs, peut-être faut-il choisir de traduire maingniee – la maisonnée d’un seigneur, comme plus tard la maison du roi – par entourage plutôt que suite, qu’un lecteur moderne peut comprendre comme conséquence. Le côté anecdotique de cette remarque montre a contrario la qualité de cette traduction.

8 Le seul regret que l’on pourrait formuler à l’égard de ce volume remarquable à tous égards est l’absence d’une enquête nourrie sur la langue du grand 0uest à laquelle participe Guillaume de la Penne : nous sommes dans une période où, si le Moyen Français s’impose progressivement comme langue véhiculaire dans tout le royaume, de nombreux traits dialectaux subsistent, d’autant plus intéressants à relever qu’ils auraient pu éclairer quelques tendances du gallo parlé dans l’est de la Bretagne. L’étude des rimes – pauvres et parfois proches de l’assonance – aurait pu donner des indications de prononciation, non seulement sur pais qui semble se prononcer selon les besoins [pey] ou [pε] comme l’ont relevé les auteurs mais aussi sur une rime fermir (fm : frémir) / voir (v. 895-896).

9 Il n’empêche : l’objet de ce volume n’est pas de philologie mais d’histoire ; remercions les auteurs de nous offrir un texte complexe très solidement établi, présenté, annoté et accompagné d’indications historiques et littéraires qui le rendent accessibles ; souhaitons que cette édition suscite un nouvel intérêt pour les deux figures de Sylvestre Budes et de Guillaume de la Penne.

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Pour citer cet article

Référence papier

Denis Hüe, « Jean-Michel Cauneau et Dominique Philippe (dir.), préface de Marc-Édouard Gautier, Le Roman de monsieur Sylvestre (1378), la Geste des Bretons en Italie par Guillaume de la Penne, suivie de la Membrance du Pape Clément VII, Rennes, Presses universitaires de Rennes/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, coll. « Sources médiévales de l’histoire de Bretagne », 11, 2023, 370 p. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 131-3 | 2024, 225-227.

Référence électronique

Denis Hüe, « Jean-Michel Cauneau et Dominique Philippe (dir.), préface de Marc-Édouard Gautier, Le Roman de monsieur Sylvestre (1378), la Geste des Bretons en Italie par Guillaume de la Penne, suivie de la Membrance du Pape Clément VII, Rennes, Presses universitaires de Rennes/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, coll. « Sources médiévales de l’histoire de Bretagne », 11, 2023, 370 p. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 131-3 | 2024, mis en ligne le 30 octobre 2024, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/9595 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12lkw

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