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Comptes rendus

André Vauchez (dir.), Laurent Héry, Jean-Paul Le Guillou, Armelle Le Huërou, Le Procès de canonisation de Charles de Blois, duc de Bretagne (1319-1364), Édition critique et traduction, T.1 : Le procès d’Angers (1371), Herent, Académie des Inscriptions et Belles Lettres et Presses universitaires de Rennes, coll. « Sources médiévales d’histoire de Bretagne » et « Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres », 2023, 955 p., 69 €.

Daniel Pichot
p. 223-225
Référence(s) :

André Vauchez (dir.), Laurent Héry, Jean-Paul Le Guillou, Armelle Le Huërou, Le Procès de canonisation de Charles de Blois, duc de Bretagne (1319-1364), Édition critique et traduction, T.1 : Le procès d’Angers (1371), Herent, Académie des Inscriptions et Belles Lettres et Presses universitaires de Rennes, coll. « Sources médiévales d’histoire de Bretagne » et « Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres », 2023, 955 p., 69 €.

Texte intégral

1 Un gros livre de presque 1 000 pages vient enrichir la collection des Sources médiévales d’histoire de Bretagne. En association avec l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, sous la direction d’A. Vauchez, spécialiste incontesté de la sainteté, paraît le premier volume du procès de canonisation de Charles de Blois. A priori, on pourrait s’interroger sur la pertinence de rééditer ce texte publié dès 1921 par le père Antoine de Sérent. À lire l’introduction précise et très intéressante mais un peu succincte, on comprend pourquoi et l’on ne peut qu’approuver, surtout si l’on se plonge dans l’immensité du texte. A. Vauchez explique qu’il existe un manuscrit bien connu à la Bibliothèque vaticane (ms latin 4024) et surtout qu’il y a retrouvé, naguère, deux manuscrits mal classés et demeurés pratiquement inconnus (Collectorie ms A434 et 434A). Or ces manuscrits sont de bien meilleure qualité que celui des archives de Pau qui avait servi au père de Sérent et surtout livrent quantité de documents qu’il ignorait, en particulier sur le parcours du dossier dans l’administration de l’Église.

2 Après la mort de Charles de Blois à la bataille d’Auray (1364) et son inhumation dans l’église des frères Mineurs à Guingamp, un culte ne tarda pas à se développer autour de sa tombe. Une fama sanctitatis sans doute favorisée par la piété du défunt mais aussi par les Penthièvre, en particulier Louis Ier d’Anjou, frère du roi Charles V et époux de Marie de Bretagne, fille du défunt, ne tarda pas à se faire jour, largement relayée par les Franciscains. Outre les vertus du duc Charles, il est bien évident qu’entrait en ligne de compte le but de nuire au duc Montfort Jean IV. Malgré les manœuvres multiples de ce dernier, les papes Urbain V et Grégoire XI acceptèrent d’ouvrir une procédure de canonisation. Ne pouvant se tenir en Bretagne, le procès se déplaça à Angers où l’on n’interrogea pas moins de 168 témoins dont les dépositions sont conservées. Ceci constitue l’essentiel de ce volume avec le recueil des miracles attribués à Charles de Blois.

3 Comme l’a montré A. Vauchez dans sa thèse, la papauté avait pris le contrôle de la reconnaissance de la sainteté et la procédure était soigneusement codifiée. Nous percevons dans l’ensemble des documents regroupés dans les manuscrits de la Vaticane le processus complexe suivi par la curie d’Avignon dont le contrôle fut confié à deux cardinaux tandis que la réunion des témoignages et la direction de l’enquête reposait sur un frère mineur de Guingamp, Raoul de Kerguiniou qui s’y consacra avec un grand zèle. Les textes permettent de comprendre comment s’effectue le montage du dossier. Si les témoignages sont pris dans le cadre de questionnaires très précis suivant un même schéma déjà très orienté, des chapelains retravaillent les témoignages en rédigeant rapports et résumés et en établissant dans les dépositions des renvois, à l’aide de lettres, aux différentes vertus du duc. C’est ainsi à une véritable réécriture que se livrent les chapelains sous la houlette de Raoul de Kerguiniou afin de proposer un portrait conforme à ce qui est attendu, tel apparaît bien en particulier la biographie spirituelle de Charles ou le classement très spécifique de ses miracles ainsi que la recherche auprès des témoins de la fameuse fama sanctitatis. Finalement, et de manière ici un peu exceptionnelle, nous avons une très grande partie d’un dossier de la « fabrique des saints ». Comme on le sait, la procédure n’aboutit pas en raison du départ précipité du pape pour Rome. Il fallut attendre le xixe siècle et le travail acharné du bénédictin Dom Plaine qui consacra une grande partie de ses recherches à la canonisation de Charles de Blois et retrouva une partie de l’enquête de la Curie. Puis, Le Père de Sérent et des aristocrates bretons relancèrent l’action qui aboutit à la béatification en 1904.

4 Outre l’intérêt du texte publié, sa qualité et son étendue plus grande que l’édition ancienne, il faut reconnaître le très grand travail des participants à cette œuvre majeure. Ils ajoutent à l’édition primitive, quantité de notes qui éclairent nos textes et, en particulier, identifient systématiquement gens et lieux, travail considérable qui éclaire largement la compréhension des témoignages. Tableaux et chronologie et surtout index des noms de personnes et de lieux, aident à se retrouver dans cette immensité et quelques cartes, en particulier des témoins et des miracles, apportent aussi un éclairage complémentaire et fort utile.

5 Enfin, le choix a été fait de traduire le texte. L’entreprise pouvait s’appuyer sur une traduction déjà établie pour les témoignages par J.-P. Le Guillou †. Bien plus, alors que les interrogations des témoins sont relatées en style indirect assez indigeste, la traduction en style direct donne beaucoup plus de vivacité aux mots. Sans doute, faut-il demeurer prudent. Cette qualité du texte qui le rend agréable à lire et le met à la disposition d’un plus large public, ne doit pas masquer le caractère contraint des déclarations encadrées par un dispositif juridique et une orientation des questionnements. La traduction fort exacte, n’échappe pas à quelques rares erreurs comme ce litteratus p. 59 traduit par lettré, mais qui indique sans doute que le répétiteur en cause connaît le latin, ce qui lui permet d’aider son élève à lire les prières en latin. D’ailleurs plus loin, une note pour illiteratus précise le sens avec justesse. Cela demeure, il faut le dire exceptionnel et quelques petites erreurs ne remettent pas en cause un choix largement positif.

6 Ainsi édité, le procès de canonisation de Charles de Blois se présente comme un document très riche offert aux historiens aussi bien du domaine religieux que de l’histoire de Bretagne et plus largement de l’histoire sociale et culturelle de la fin du Moyen Âge. Les témoins, largement recrutés dans l’entourage du duc, clercs aumôniers, ou confesseurs, notaires, serviteurs, officiers divers décrivent un duc dès son jeune âge, maître de lui, bon chrétien, assistant les pauvres, puis embellissant les églises, modéré dans les plaisirs de la table, chaste et, en tant que prince, attaché à la justice. Derrière pareil tableau, se profile la vision du saint idéal.

7 Les miracles permettent de repérer la naissance du culte envers Charles et les pratiques mises en œuvre. Les frères Mineurs sont à la pointe de l’entreprise et l’on constate la présence très fréquente dans leurs églises de l’Ouest d’images du duc devant lesquelles on vient prier. Sinon, la pratique est classique, le fidèle se voue ou voue une victime à Charles et obtient un miracle. Ensuite le bénéficiaire va soit prier devant l’image du duc et faire une offrande, soit, et c’est le plus fréquent, il part pour Guingamp où il effectue ces gestes sur son tombeau et laisse un ex voto de cire représentant le membre guéri ou un cierge de la taille du miraculé. À noter et ce n’est aucunement le fruit du hasard, les résurrections opérées par le duc, les guérisons d’aveugles ou de possédés qui délivrent une image très christique de Charles.

8 Au-delà du domaine religieux, le document offre une grande richesse d’informations sur la société de l’époque. Les problèmes politiques apparaissent, bien sûr. Jean IV fait badigeonner dans l’église de Dinan l’image ducale, laquelle se met à saigner. La guerre occupe largement l’arrière-plan à travers les batailles du duc mais aussi dans la réalité vécue : à côté de condamnés à mort pour trahison, nombre de miraculés évoquent les soldats pillards, les bandes de soudards qui rançonnent des prisonniers. Plus prosaïquement, les détails de la vie quotidienne abondent, la vie dans les modestes maisons avec les nourrices au coin du feu qui surveillent une marmite de bouillie, les accidents : incendies, noyades surtout d’enfants, la crainte du loup pour les bestiaux mais aussi chevaux malades ou boiteux. La liste des ressources possibles pour l’historien pourrait être allongée sans effort mais ces quelques lignes ne veulent que suggérer l’énorme potentiel de ce texte.

9 L’apport d’un tel ouvrage dépasse donc largement le domaine religieux qu’il contribue puissamment à éclairer et ouvre des perspectives très riches pour l’histoire sociale ou culturelle. La qualité de l’édition démultiplie d’ailleurs les possibilités, nombre de chercheurs pourront y faire de multiples découvertes, ce qui nous fait souhaiter avec impatience la publication du tome 2.

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Pour citer cet article

Référence papier

Daniel Pichot, « André Vauchez (dir.), Laurent Héry, Jean-Paul Le Guillou, Armelle Le Huërou, Le Procès de canonisation de Charles de Blois, duc de Bretagne (1319-1364), Édition critique et traduction, T.1 : Le procès d’Angers (1371), Herent, Académie des Inscriptions et Belles Lettres et Presses universitaires de Rennes, coll. « Sources médiévales d’histoire de Bretagne » et « Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres », 2023, 955 p., 69 €. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 131-3 | 2024, 223-225.

Référence électronique

Daniel Pichot, « André Vauchez (dir.), Laurent Héry, Jean-Paul Le Guillou, Armelle Le Huërou, Le Procès de canonisation de Charles de Blois, duc de Bretagne (1319-1364), Édition critique et traduction, T.1 : Le procès d’Angers (1371), Herent, Académie des Inscriptions et Belles Lettres et Presses universitaires de Rennes, coll. « Sources médiévales d’histoire de Bretagne » et « Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres », 2023, 955 p., 69 €. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 131-3 | 2024, mis en ligne le 30 octobre 2024, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/9592 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12lkv

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Auteur

Daniel Pichot

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