Et vous ? Êtes-vous crêpe ou galette ?
Segalen, Martine (préf.), Et vous ? Êtes-vous crêpe ou galette ?, Spézet, Coop Breizh, 2020, 119 p.
Texte intégral
1Et si pour une fois nous commencions un compte rendu d’ouvrage par une devinette ? Qu’est ce qui est rond, breton et apprécié des gourmets ? C’est la crêpe bien entendu ! Le musée de l’abbaye de Landévennec, l’écomusée des Monts d’Arrée, le musée de Pont-L’Abbé, le musée de Dinan et le musée breton de Quimper ont présenté en 2020 une quintuple exposition autour de la crêpe, plat emblématique de la Bretagne, expositions qui ont donné lieu à la publication de ce catalogue d’exposition. Archéologues, historiens et ethnologues ont été convoqués pour mener une véritable enquête sur la crêpe et la galette. Chaque musée s’est saisi de l’occasion pour mettre en valeur ses collections afin de présenter un large panel d’objets liés à la crêpe (galettière, rozell et spanell) ainsi que de nombreuses représentations (peinture, affiches, cartes postales, photos) de Bretonnes occupées à la réalisation des crêpes ou de consommateurs. Treize courts chapitres éclairent les différentes facettes de ce plat si commun en Bretagne et cela depuis plusieurs siècles. Des archéologues ont découvert sur le site de l’abbaye de Landévennec des fragments de grands plats en céramique à fond plat et aux rebords peu élevés des xiiie et xive siècles pouvant être identifiés à des galettières. Les analyses physicochimiques ont révélé la présence de beurre et de cuissons répétées à haute température ce qui incline à penser que ces plats servaient à préparer des crêpes qui n’étaient probablement pas de sarrasin. En effet, le Catholicon de Jehan Lagadeuc, premier dictionnaire breton (édité en 1499) réserve une entrée au mot crampoezenn traduit par crêpe et mentionne l’existence de spanell ou vire-galette ce qui atteste une tradition culinaire bien établie. Or, ce dictionnaire ne contient aucune allusion au sarrasin, polygonacée introduite au cours du xvie siècle en Bretagne. Le sarrasin se prêtant mal à la panification, Alain-Gilles Chaussat souligne que la crêpe constitue la principale forme de consommation et serait un aliment de substitution au pain d’autant qu’elle est souvent consommée de la même manière que le pain c’est-à-dire trempée dans du lait, du cidre. Parfois beurrée, la crêpe peut même recevoir un œuf. Les définitions données par les dictionnaires bretons du xviiie siècle permettent d’établir la différence entre la crêpe et la galette. Cette dernière, plus épaisse est majoritairement composée de sarrasin alors que la crêpe est préparée avec du froment. À la fin du xixe siècle, du lard, de la saucisse sont venus garnir la crêpe notamment en Haute-Bretagne. Désormais, à l’instar de la pizza, la crêpe accueille toutes les fantaisies gastronomiques.
2 Depuis l’introduction du sarrasin, la galette de blé noir a formé la base de l’alimentation des classes populaires aux côtés des bouillies (avoine ou sarrasin) et cela jusqu’au début du xxe siècle. Analysant les textes des élites citadines ou de voyageurs parcourant la Bretagne au xixe siècle, Patrick Harismendy revient sur l’identité négative dont était chargée la crêpe. « La crêpe semble associée à l’archaïsme et l’obscurantisme » (p. 73). La Bretagne appauvrie et surpeuplée du xixe siècle a contraint de nombreux Bretons à l’exil en direction de Nantes ou Paris par exemple. Dans ces villes, l’isolement et le mal du pays les conduisaient à fréquenter d’autres Bretons et à reproduire les pratiques qui avaient cours dans leur région d’origine et à consommer des crêpes. Les changements culturels induits par l’arrivée du chemin de fer en Bretagne, les premiers congés payés et donc les touristes contribuèrent à modifier l’image de la crêpe favorisant l’implantation des premières crêperies.
3Tâche réservée aux femmes, la fabrication des crêpes s’est longtemps déroulée sur le foyer de la cheminée avant qu’un artisan de Pouldreuzic mette au point en 1949 les premières galettières à gaz. Or, selon Jean-François Simon, la cheminée doit être envisagée à travers « les charges sociales et symboliques dont elle était porteuse » (p. 35). Selon la générosité du propriétaire, les maçons peuvent favoriser ou pas un bon tirage. Les éléments mobiliers fixés au manteau de la cheminée révélaient l’aisance de la famille. Enfin, l’âtre n’avait pas seulement une fonction utilitaire (cuisson des aliments et chauffage) puisqu’il avait aussi une fonction purificatrice et protectrice. Les villageois s’y débarrassaient du buis bénit des Rameaux de l’année achevée et y mettaient une grosse bûche à brûler la nuit de Noël.
4 Patrick Hervé revient sur la success story de la crêpe qui est devenue à la fois emblème culturel de la Bretagne et économie génératrice d’emplois. 1500 crêperies sont actuellement recensées sur le territoire de la Bretagne historique et plus de 250 à Paris. Pour devenir crêpier, des formations ont été mises en place par le Conseil régional mais, le plus souvent, c’est encore dans le cadre familial que la technique s’acquiert en observant les gestes d’une grand-mère ou d’une mère. À côté des crêperies installées dans chaque ville ou village, des entreprises se sont lancées dans la crêpe industrielle vendue en sachet dans les supermarchés et exportée parfois bien loin de la Bretagne. Enfin, il n’est quasiment pas de fêtes bretonnes sans crêpes : kermesses des écoles, pardons autour des chapelles, animations festives des associations pour récolter des fonds.
5Abordant des thématiques variées et abondamment illustré, ce catalogue donne à comprendre l’essentiel sur la crêpe ou la galette, qu’elle soit de sarrasin ou de froment. Toutefois, les auteurs des 13 chapitres ont tendance à se répéter les uns les autres et un effort méritoire de synthèse aurait été le bienvenu.
Pour citer cet article
Référence papier
Isabelle Guégan, « Et vous ? Êtes-vous crêpe ou galette ? », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 127-4 | 2020, 212-214.
Référence électronique
Isabelle Guégan, « Et vous ? Êtes-vous crêpe ou galette ? », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 127-4 | 2020, mis en ligne le 10 décembre 2020, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/6556 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/abpo.6556
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