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Comptes rendus

Les Corsaires nantais pendant la Révolution

André Lespagnol
p. 205-207
Référence(s) :

Pichevin, Hervé, Plouviez, David, Les Corsaires nantais pendant la Révolution, Rennes, Presses universitaires de Rennes, collection « Histoire », 2016, 258 p.

Texte intégral

1On connaît la page de Michelet opposant Nantes « ville de négriers » à Saint-Malo « ville de corsaires »… Nul doute que ce cliché ne soit à réviser sérieusement : la cité malouine, on le sait depuis les travaux d’Alain Roman, a eu ses négriers, mais Nantes n’a pas toujours boudé l’activité corsaire ! Au-delà de la réputation de grands capitaines nantais du temps de Louis xiv comme Jean Vié et Cassard, contraints cependant de commander hors de leur cité d’origine, ce livre nous révèle que Nantes a pu se hisser pour un temps, sous la Révolution, aux tout premiers rangs des pôles corsaires français. Ce solide travail, qui complète utilement le panorama d’ensemble de la course atlantique à la fin du xviiie siècle, s’appuie sur le dépouillement systématique d’une large gamme de sources (en premier lieu les fonds de l’Inscription Maritime, ainsi que ceux des tribunaux de paix et de commerce), et sur une méthodologie rigoureuse d’analyse des flux financiers générés par la course, des « mise-hors » à la liquidation des prises, bien explicitée dans une annexe spécifique.

2Le premier mérite de ce travail est de mettre en évidence l’importance de l’effort d’armement en course réalisé par le port ligérien de février 1793 à la Paix d’Amiens. En termes absolus tout d’abord, avec une centaine d’armements, représentant 20 000 tonneaux de jauge et portant 1 500 canons, avec un effectif total embarqué de 10 885 hommes, pour un investissement global dépassant les 10 millions de francs. Mais surtout, en termes relatifs, cette étude confirme la place éminente du pôle nantais qui se situait au quatrième rang des pôles corsaires français durant cette séquence, derrière Dunkerque, Bordeaux et Saint-Malo, et peut-être devant celui-ci en termes de tonnage armé, compte tenu du tonnage moyen élevé – 200 tonneaux – des corsaires nantais. Et le pôle nantais occupa sans doute la première place durant le paroxysme de cet engagement en l’an v et vi. Si l’on rappelle que Nantes n’avait guère armé qu’une soixantaine de corsaires en tout durant les trois guerres précédentes, cela ne manque pas d’interroger quant aux facteurs qui peuvent rendre compte de cette « fièvre » corsaire. Au-delà de la stimulation apportée par l’État révolutionnaire, souvent ambiguë et à éclipses, le double choc de la révolte de Saint-Domingue en août 1791 et de l’entrée en guerre en février 1793 contre l’Angleterre, puissance maritime dominante, en constituent, comme ailleurs, les causes premières. En sapant pour une décennie les bases du commerce atlantique – traite et « droiture » – qui avaient fait depuis un siècle la fortune du port ligérien, ces ruptures poussaient ses entrepreneurs à chercher des activités de substitution adaptées à cette conjoncture spécifique. La course n’était cependant que l’une des options possibles, à côté de la fourniture aux armées ou du refuge dans la terre et la rente. Restait à savoir qui fit le choix de cette opportunité qu’offrait la conjoncture de guerre. L’un des apports majeurs de ce travail est de démontrer, à travers une analyse fine du groupe des armateurs (une cinquantaine environ), que ce ne fut pas le choix des gros bataillons du négoce traditionnel, mais surtout l’initiative d’hommes nouveaux, jeunes, issus des couches moyennes du commerce, souvent venus récemment de l’extérieur, prêts à prendre des risques dans la perspective des profits juteux que pouvait laisser espérer la « loterie corsaire », afin d’accélérer leur promotion sociale.

3Ces promoteurs de la course ont pu s’appuyer sur le potentiel que leur offrait la Basse Loire en matière de constructions navales (avec plus de 25 corsaires construits spécifiquement), ainsi que de « naval stores » et d’approvisionnements, avec l’appui des forges d’Indret pour l’artillerie et de la manufacture de cordages de Nantes. De même la place nantaise constituait-elle un réservoir de capitaux mobilisables pour l’investissement corsaire (avec des « mise-hors » pouvant aller jusqu’à 280 000 Fr. pour les plus gros), grâce à des sociétés par actions de valeur modique (1 000 voire 500 fr.), permettant un drainage des capitaux au sein de couches sociales variées et des stratégies de morcellement des risques, même si l’absence d’actes de sociétés dans les archives rend impossible une vision globale du milieu des actionnaires. Plus difficile cependant devait se révéler le recrutement des équipages, malgré l’attrait des « avances » et la perspective des parts de prise, en raison de la préemption d’une large part des « vrais » marins classés par l’État, imposant le recours à des étrangers, à des novices inexpérimentés et à des « volontaires » terriens non amarinés, situation structurelle de pénurie que devait aggraver la multiplication des captures de corsaires par l’ennemi.

4Les auteurs démontrent, au prix d’un travail systématique de dépouillement des liquidations de prises, que cet effort corsaire bref mais intense obtint des résultats significatifs, d’abord en termes physiques : avec 179 prises recensées, réalisées pour la plupart au large des pointes bretonnes et de l’Irlande comme le montre une cartographie précise, et un ratio de 1,6 prise par croisière, les résultats nantais dépassent largement ceux de Saint-Malo pour cette période. Surtout, l’analyse des flux financiers montre que les 10 millions de francs d’investissement engagés dans la course sous le Directoire ont dégagé, grâce notamment à quelques « riches prises » de plus d’un million, un produit brut de 34,7 millions, s’ajoutant aux 13 millions de prises réalisées en 1793, soit un produit total approchant les 50 millions pour la période 1793-1802. Il conviendrait d’ailleurs d’y ajouter les 25 millions de francs de vente des 30 prises ramenées par des navires de l’État, si l’on veut apprécier l’impact global de la course sur l’activité marchande de la place nantaise.

5Peut-on conclure pour autant à un bilan « globalement positif » ? L’analyse des auteurs est assurément plus nuancée, selon les échelles d’observation et les types d’acteurs. Ils soulignent certes que la course, par ses armements comme par ses produits, a contribué de manière significative à animer l’activité de la place et à fournir de l’emploi à de multiples catégories d’acteurs, comme elle a contribué à atténuer des pénuries d’approvisionnements, notamment alimentaires, en une période particulièrement difficile.

6Mais, par ailleurs, leur analyse fouillée du cas nantais confirme pleinement le caractère aléatoire et très sélectif des résultats de l’activité corsaire : avec une moitié de corsaires perdus (capturés ou naufragés) et seulement un corsaire sur trois ayant réalisé une prise, il y a eu à l’évidence une majorité de perdants parmi les armateurs et les actionnaires, et a fortiori pour les équipages, avec au moins 750 morts recensés et plus de 5 000 marins capturés, voués pour des mois voire des années aux pontons anglais.

7D’un autre côté cependant, comme partout, la « loterie corsaire » a eu aussi – et c’est ce qui explique son attractivité – ses « heureux gagnants », les parties prenantes des 25 courses bénéficiaires, et des 30 millions de produit net réalisé entre l’an iv et l’an vii, actionnaires, capitaines et même équipages qui se partagèrent près de 9 millions. Les principaux gagnants furent cependant une poignée d’armateurs audacieux, hommes nouveaux ayant osé parier sur la course, où ils purent trouver une « rampe de lancement » pour une brillante carrière, tels François Dessaulx, ou Louis Lévêque qui deviendra maire de Nantes. Avec comme figure de proue Félix Cossin, né en 1762, venu de Touraine en 1789 avec des moyens modestes, responsable d’une vingtaine d’armements qui réalisèrent 30 % du produit de la course nantaise : on le retrouve dès 1799 au premier rang des fortunes (millionnaires) de la ville et pleinement inséré dans l’élite négociante nantaise, à l’instar de son homologue malouin Robert Surcouf, dont il arma et finança – pour son plus grand profit – la campagne fructueuse en « guerre et marchandises » que mena celui-ci sur la Clarisse dans l’Océan Indien en 1798…

8Mais ces quelques réussites fulgurantes ne doivent pas masquer la trajectoire d’ensemble du pôle corsaire nantais, dont les auteurs soulignent la singularité, avec la brièveté de son « âge d’or » : deux années à peine sous le Directoire, suivies d’une brutale interruption des armements dès vendémiaire an vi, sans véritable reprise ultérieure. Au-delà de la cause immédiate de ce coup d’arrêt – une série d’embargos imposés par l’État bloquant au port les corsaires – ils mettent en évidence la multiplication consécutive de faillites en cascade d’armateurs et d’actionnaires, qui révélaient la fragilité d’un « modèle économique » corsaire qui n’avait rien de durable. Nantes « cité corsaire » ? Oui sans doute, mais pendant un bref moment, qui n’a été qu’une parenthèse dans l’histoire séculaire de la grande cité portuaire ligérienne.

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Pour citer cet article

Référence papier

André Lespagnol, « Les Corsaires nantais pendant la Révolution »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 124-4 | 2017, 205-207.

Référence électronique

André Lespagnol, « Les Corsaires nantais pendant la Révolution »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 124-4 | 2017, mis en ligne le 20 décembre 2017, consulté le 03 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/3752 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/abpo.3752

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André Lespagnol

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