L’impact d’une ville nouvelle dans la Bretagne du XVIIIe siècle. Lorient et la Compagnie des Indes
Guillevic, Catherine, L’impact d’une ville nouvelle dans la Bretagne du XVIIIe siècle. Lorient et la Compagnie des Indes, Rennes, PUR, coll. « Histoire », préface de Gérard Le Bouëdec, 2015, 396 p.
Texte intégral
1L’interrogation est particulièrement judicieuse : quel a pu être l’impact de la création d’une ville nouvelle sur son environnement immédiat ou plus lointain ? L’historiographie a déjà amplement documenté la question des relations villes-campagnes ou encore celle de la création de villes neuves à l’époque moderne, mais le croisement de ces deux problématiques a la vertu de mettre au jour comment prend forme la symbiose qui s’établit entre une ville et son environnement et de mesurer les logiques d’emboîtement des espaces à des échelles variées. Quel meilleur observatoire de ces phénomènes qu’une ville naissante, fût-elle de création exogène ? Dans cette perspective, le choix de Lorient, ville portuaire animée par une forte croissance démographique et économique au cours du xviiie siècle, était donc particulièrement pertinent.
2L’auteur distingue en effet intelligemment les différentes échelles auxquelles opèrent les processus socio-économiques, depuis la localisation précise des presses à sardines dans le bâti de la ville de Port-Louis jusqu’à la géographie macroéconomique des trafics de cabotage sur la façade atlantique. Au prix de dépouillements considérables et d’une exploitation statistique très fine, elle donne d’abord à voir comment la population urbaine s’accroît par une immigration qui vient d’une première couronne de paroisses (à moins de 15 km), lesquelles alimentent la ville de manière continue, tandis qu’une seconde couronne (de 15 à 50 km) fournit une immigration plus sensible à la conjoncture économique. Elle montre aussi les effets de l’essor du trafic maritime lorientais sur l’activité des chantiers de construction navale de la région, de Quimperlé jusqu’à Redon. C’est toutefois dans l’espace le plus proche de la ville, celui de la rade et de ses rivages, que les effets du développement urbain sont les plus marquants et les plus précisément décrits. De manière très convaincante, l’auteur montre comment l’essor du port de la compagnie des Indes façonne un nouveau complexe portuaire à l’échelle de la rade, en assignant de nouveaux rôles aux localités voisines. Tandis que Riantec se spécialise dans la pêche sardinière, Port-Louis perd sa fonction halieutique pour se faire pôle de cabotage, puis exportateur de sardines pressées, à l’instar de Ploemeur, paroisse rurale qui s’ouvre dès lors largement sur les activités maritimes. En retrait de la rade, Pont-Scorff s’efface tandis que, sur le Blavet, le port céréalier d’Hennebont, encore très actif dans la première moitié du xviiie siècle, perd de l’importance lorsque la demande urbaine lorientaise se met à absorber les grains de la région pour nourrir 25 000 bouches à la Révolution. Quant à la ville de Lorient, grande vedette de l’étude, elle est très logiquement la plus elliptiquement évoquée mais, malheureusement, trop souvent essentialisée
3Au fil des dépouillements, réalisés tous azimuts, depuis les registres paroissiaux jusqu’aux rôles d’armement à la pêche ou au cabotage, la moisson de données statistiques s’étoffe pour devenir impressionnante. Elle témoigne d’une longue et fastidieuse collecte que l’auteur a réalisée malgré des sources souvent très fragmentaires. Le plan de travail était ambitieux ; il est mené à bien avec profit, offrant là une étude quantitative d’une grande richesse. Cependant, la variété des méthodes développées dans le champ de l’histoire sociale depuis une quarantaine d’années fait regretter que d’autres approches n’aient pas été croisées avec l’étude quantitative. L’analyse reste trop souvent fondée sur des résultats statistiques, qui n’épuisent pas la réalité sociale. De même que l’auteur joue avec les échelles géographiques, il aurait été souhaitable que certains processus soient aussi abordés différemment, par le biais d’études prosopographiques ciblées, ou encore à un niveau « micro » en s’intéressant à la trajectoire de certains individus. Certes, de telles approches sont mises en œuvre çà et là, comme à partir des dossiers de faillite du consulat de Vannes (p. 310-317) ou à propos de la proto-industrie sardinière (p. 280-288), mais ces exemples restent trop isolés. La trajectoire des Billette, notables de Quimperlé intéressés aux activités lorientaises (p. 320), montre tout le profit qu’il y aurait eu à multiplier les approches. En définitive, les passages qui combinent études quantitative et qualitative sont sans doute, de l’ouvrage, les plus réussis. L’une des conséquences de cette faiblesse méthodologique est l’invocation fréquente de causes globales, telles que la guerre de Sept Ans (1756-1763) ou la présence de la Compagnie des Indes, sans qu’on puisse toujours en préciser concrètement les effets sur les dynamiques sociales et économiques observées. Cela impliquait, certes, des dépouillements plus qualitatifs, mais le livre aurait gagné en profondeur d’analyse. Le lecteur pourra enfin regretter quelques faiblesses formelles – conclusions partielles surtout récapitulatives et absence d’annexes compilant les sources citées – mais des faiblesses qui n’obèrent en rien la richesse des résultats statistiques proposés.
Pour citer cet article
Référence papier
Stéphane Durand, « L’impact d’une ville nouvelle dans la Bretagne du XVIIIe siècle. Lorient et la Compagnie des Indes », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-1 | 2016, 211-212.
Référence électronique
Stéphane Durand, « L’impact d’une ville nouvelle dans la Bretagne du XVIIIe siècle. Lorient et la Compagnie des Indes », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 123-1 | 2016, mis en ligne le 22 avril 2016, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/3236 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/abpo.3236
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