Schnakenbourg Éric, Entre la guerre et la paix. Neutralité et relations internationales xviie-xviiie siècles
Schnakenbourg Éric, Entre la guerre et la paix. Neutralité et relations internationales xviie-xviiie siècles, Rennes, PUR, 2013.
Texte intégral
1L’ouvrage d’Éric Schnakenbourg, maître de conférences à l’université de Nantes et spécialiste d’histoire diplomatique, traite de la neutralité et des activités maritimes des neutres en temps de guerre, question d’importance tant au niveau du droit, de la diplomatie où de l’économie.
2Au xviiie siècle, en raison des nombreux conflits impliquant la France, les questions relatives à la neutralité occupent une place de premier ordre dans les négociations menées par les diplomates français auprès des principaux pays neutres que sont les Provinces-Unies, le Danemark et la Suède. Il s’agit de défendre le droit à la navigation de ces puissances maritimes face aux agissements britanniques pour assurer le ravitaillement du royaume en produits stratégiques du Nord. La question de la neutralité et de ses pratiques débouche sur le concept de droit des gens et de l’instauration de règles juridiques pour policer les relations internationales. Au-delà des échanges commerciaux, la réflexion des diplomates et des juristes porte sur les limites de la guerre et sur la possibilité « d’entretenir une activité pacifique au cœur d’un conflit. »
3Dans une première partie, l’auteur présente la genèse de la neutralité et sa pratique dans différents pays européens (Suisse, Provinces-Unies, Malte…). Au xvie siècle, pour de nombreux penseurs comme Machiavel, le refus de participer à un conflit est synonyme d’irrésolution, de faiblesse et est donc un choix politique erroné. Ceci n’empêche pas certaines puissances de faire le choix de la neutralité, à l’exemple de Venise ou de l’Angleterre d’Henri VIII, mais il faut dès lors avoir les moyens de la faire respecter. Le développement des échanges commerciaux pose rapidement le problème des navires arraisonnés et de leur jugement à l’issue duquel le bâtiment recouvre sa liberté ou est déclaré bonne prise. La situation devient complexe dans le cas des neutres et il est nécessaire de déterminer le commerce licite et celui qui ne l’est pas. Le droit régissant la saisie des bâtiments des pays non belligérants se développe mais la détermination de la nationalité des navires et de la propriété des marchandises donne lieu à de multiples interprétations. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, une tendance à reconnaître la franchise des cargaisons sous pavillon neutre semble l’emporter dans les traités internationaux. La question des marchandises utiles pour la guerre mais qualifiées de contrebande reste cependant très sensible et fait l’objet de nombreux commentaires à l’exemple du juriste Grotius dans son Droit de la guerre et de la paix.
4Naturellement, lors des conflits, le monde du commerce cherche à profiter de la protection qu’offrent les pavillons neutres : « Le recours au masque des neutres est une réalité ordinaire des temps de guerre. » Les négociants veulent profiter de l’aubaine pour faire de bonnes affaires et savent utiliser de multiples pratiques pour faire passer un navire ou sa cargaison pour neutres alors qu’ils ne le sont pas. L’utilisation de prête-noms, la vente fictive des bâtiments et des cargaisons, l’emploi de plusieurs pavillons, la possession de faux papiers de bord, les destinations mensongères… sont d’usage courant en temps de guerre. Les réseaux du commerce international, les clientèles, les liens de parenté dans tous les grands ports européens renforcent la solidité des stratagèmes mis en place pour détourner les règles du commerce international. Les belligérants ont une suspicion très forte envers la navigation neutre et, bien qu’ils adoptent des mesures très strictes pour déjouer leurs tours de passe-passe, il est souvent bien difficile de les prendre en faute d’autant que tout le monde profite de leurs services. Le commerce en temps de guerre est une activité où s’imbriquent de manière très complexe tous les acteurs économiques internationaux. Certaines places commerciales et quelques flottes neutres profitent des événements pour devenir des acteurs incontournables des échanges européens comme les ports d’Ostende et de Livourne ou les navires des armateurs scandinaves.
5La seconde partie de l’ouvrage traite plus précisément des relations entre la France et les pays du Nord sur les questions de neutralité entre la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688) et la guerre d’Indépendance américaine (1783). Au cours de cette période, l’affrontement entre la France et l’Angleterre modifie les stratégies de guerre et d’alliance. Pour la France, il s’agit de défendre la navigation neutre pour assurer l’approvisionnement du royaume alors que les Britanniques cherchent, au contraire, à priver l’ennemi de toute ressource extérieure. Face à la supériorité de la marine anglo-hollandaise, la diplomatie louis-quatorzienne encourage le développement de la navigation scandinave tout en restant très méfiante car les puissances du Nord sont soupçonnées de servir les intérêts ennemis. La liberté du commerce neutre résulte d’un équilibre précaire entre la chasse au commerce ennemi, le développement de l’activité corsaire, « palliatif à la misère » pour les flottes commerciales des pays impliqués dans les conflits, et la volonté du monde négociant de continuer ses affaires. À partir de la guerre de Sept Ans, l’accroissement des échanges internationaux et l’importance de la guerre maritime crée un nouveau contexte où tous les acteurs organisent leurs actions les uns par rapport aux autres. La faiblesse de la Marine française face à la Royal Navy oblige Versailles a avoir systématiquement recours aux neutres qui, pour les Britanniques, deviennent les alliés du commerce ennemi. Dans le but de renforcer la navigation des puissances non belligérantes, la diplomatie française encourage la formation de l’union maritime scandinave de 1756 et de la Ligue de la Neutralité armée de 1780. Cependant les intérêts des différents protagonistes sous pavillon neutre sont bien souvent divergents et leurs revendications sans grande efficacité. La France peut proclamer haut et fort la liberté du commerce neutre mais elle n’a aucun moyen d’imposer ses idées.
6La troisième partie de l’étude d’Eric Schnakenbourg traite des modalités de la neutralité au xviiie siècle. Tout d’abord l’auteur étudie l’influence des Lumières sur la pratique de la neutralité en l’intégrant dans une réflexion globale sur les relations internationales qui vise à contenir la guerre et promouvoir la paix. L’époque est aussi marquée par la promotion des transactions commerciales qui portent des valeurs de sociabilité dans une perspective de progrès et de prospérité. Pour illustrer son propos, l’auteur choisit le nouveau théâtre de guerre que constituent les Antilles au xviiie siècle. La zone caraïbe est un lieu de souverainetés diverses où les pays neutres possèdent des îles qui sont utilisées pour développer le commerce interlope. Les flottes hollandaises et scandinaves assurent la pérennisation des échanges transatlantiques et, passant outre les divisions politiques et les différentes souverainetés, s’intègrent dans la grande dynamique de la mondialisation des échanges au xviiie siècle.
7Eric Schnakenbourg présente un ouvrage passionnant, d’une lecture très agréable et dont les grandes idées sont remarquablement bien illustrées par de multiples exemples, fruits de longues recherches dans les archives diplomatiques françaises mais aussi étrangères, notamment scandinaves. Un ouvrage indispensable pour la connaissance des relations diplomatiques et du commerce européen au xviiie siècle.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierrick Pourchasse, « Schnakenbourg Éric, Entre la guerre et la paix. Neutralité et relations internationales xviie-xviiie siècles », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 122-2 | 2015, 167-169.
Référence électronique
Pierrick Pourchasse, « Schnakenbourg Éric, Entre la guerre et la paix. Neutralité et relations internationales xviie-xviiie siècles », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 122-2 | 2015, mis en ligne le 30 juin 2015, consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/3094 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/abpo.3094
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