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Comptes rendus

Yves Coativy, La monnaie des ducs de Bretagne de l’an Mil à 1499

Jean-Luc Sarrazin
p. 196-199
Référence(s) :

préface de Jean Kerhervé, Rennes, PUR, 2006

Notes de la rédaction

Cet ouvrage sur le site des Presses universitaires de Rennes : notice, documents et commande en ligne : http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=1338

Texte intégral

1L’histoire monétaire du duché de Bretagne au Moyen Âge n’est pas un champ inexploré de la recherche. De savants travaux de numismatique, quelques articles fondamentaux, les thèses d’Henri Touchard, de Jean-Pierre Leguay, de Jean Kerhervé, de Dominique Le Page en ont éclairé différents aspects mais, si l’on veut bien classer en numismatique le vieil Essai sur les monnaies du royaume et duché de Bretagne d’Alexis Bigot et le récent et fort précieux Monnaies des comtes et ducs de Bretagne de Yannick Jézéquel, aucune synthèse de caractère historique n’avait été jusqu’à présent tentée. Le livre d’Yves Coativy entend combler cette lacune. L’initiative est d’autant plus intéressante que les historiens ne sont pas toujours suffisamment attentifs aux apports de l’histoire monétaire tant à l’étude du politique qu’à celle de l’économique ou du social.

2En elle-même, l’entreprise ne manque pas de courage. L’auteur a dû en effet relever un défi majeur, la rareté des sources écrites. Au regard de l’abondante documentation d’une autre principauté comme la Bourgogne, les sources écrites, financières et comptables, du duché de Bretagne font bien pâle figure. Dans leur quasi-totalité, les registres de la Chambre des comptes ont disparu à l’occasion des triages révolutionnaires. Les comptabilités particulières sont d’une insigne pauvreté. Comparé par exemple à la belle série des registres du collège de Périgord de l’université de Toulouse, si riches de données sur la crise de 1417-1422, le compte de Jean Mauléon (juin 1414-mars 1421) résumé par Dom Morice ne fournit que de piètres informations. Avant les premiers registres de la Chancellerie au tournant des années 1460, les conditions, les dates d’émission, le cours officiel des monnaies sont bien difficiles à établir. Le corpus documentaire ne s’étoffe véritablement que dans la seconde moitié du xve siècle. Bref, pour une grande partie de la période étudiée, les documents habituels de l’histoire monétaire, ordonnances, textes réglementaires, comptes font défaut. Confronté à une telle déficience, l’auteur, en bon spécialiste, s’est tourné vers le matériel numismatique, les pièces elles-mêmes. À cet effet, il a consigné près de 260 trésors bretons, 190 trésors non-bretons, 140 trouvailles isolées, dans le cadre d’une démarche critique parfaitement consciente des déformations et des limites induites par les aléas des découvertes ou simplement par l’inégal intérêt porté aux monnaies par les sociétés savantes aux xixe et xxe siècles. En outre, il a fait réaliser des analyses de la composition de certaines pièces grâce à la technique d’activation avec des neutrons rapides de cyclotron (ANRC). De science auxiliaire, la numismatique se trouve ainsi promue science complémentaire de l’histoire.

3Des environs de l’an mil où, pour la première fois, un duc ose faire inscrire son titre DVX BRITANNIE sur une pièce, jusqu’aux années 1498-1499, où la duchesse-reine Anne peut renouer momentanément, au temps de son veuvage, avec la frappe d’une monnaie autonome en Bretagne « comme principaulté séparée » pour reprendre l’expression d’un mandement de 1503, l’ouvrage envisage le monnayage des comtes et ducs de Bretagne dans toute sa durée. Au sein de ce cadre chronologique qui s’imposait de lui-même, la guerre de Succession (1341-1364) marque une flexure majeure : à partir du conflit et sous la dynastie des Montforts, la monnaie ducale devient pleinement un élément de la souveraineté. Dans son organisation générale, l’étude pivote à juste titre autour de cette période-charnière.

4Suivre sur cinq siècles le développement de la monnaie ducale a permis à l’auteur de bien dégager les caractères originaux de chaque période. De l’an mil à la fin du xiie siècle, la monétarisation de la Bretagne est bien lente. Cependant, même si l’économie bretonne demeure quelque peu fermée sur elle-même, les deniers bretons connaissent une évolution au fond assez comparable à celle de nombreux autres deniers européens : ils s’affaiblissent. Leur titre en particulier s’avilit notablement. Aux temps carolingiens, les deniers frappés à Rennes contenaient 93,1 % de fin. Sous Conan II (1047-1066), l’aloi se situe encore au-dessus des 50 % pour se stabiliser vers 35 % au début du xiiie siècle. Corollaire d’une certaine croissance économique et d’une demande accrue en moyens de paiement, le mouvement n’a pas été, semble-t-il, linéaire mais entrecoupé d’émissions de deniers à la valeur intrinsèque plus élevée. Sur ce phénomène de renforcement intermittent, dont Philip Grierson a naguère souligné l’importance, les sources bretonnes n’apportent guère de précisions. L’autre grand trait de la période est le petit nombre des monnayages dissidents. Il existe cependant, à partir de la fin du xie siècle, une monnaie seigneuriale puissante, les deniers de Guingamp, frappés par une branche cadette de la Maison de Bretagne, les Eudonites, qui tenaient le Penthièvre. Ces deniers sont bien représentés dans les trésors de la fin des années 1140 jusqu’au milieu du xiiie siècle et circulent jusque dans les États latins d’Orient, puisqu’ils représentent 29,6 % des pièces d’un trésor des xiie et xiiie siècles découvert à Tripoli.

5L’insertion dans le monde plantagenêt puis la tutelle de Philippe Auguste (1206-1213) marquent indiscutablement un premier tournant. Avec la mainmise de Pierre Mauclerc sur l’atelier de Guingamp, prend fin le seul véritable monnayage seigneurial. À partir des années 1220, le duc est le seul à monnayer en son duché. C’est là une originalité remarquable de la Bretagne au sein du royaume de France. Sous les Dreux, ce monopole fait de la monnaie un instrument de l’affirmation du pouvoir ducal. S’inspirant tant bien que mal des innovations monétaires des villes italiennes puis de celles du roi de France, le duc complète son système monétaire en faisant frapper des multiples (doubles) et des divisions (pites, oboles) du denier, s’attirant les reproches de saint Louis. Mais jusqu’à la guerre de Succession, il n’émet ni gros d’argent ni pièce d’or. À ce propos, l’auteur a beau jeu d’opposer les hardiesses et les innovations de Pierre et de Jean Ier à la politique timorée de Jean II, Arthur II et surtout Jean III.

6La grande rupture intervient au temps de la guerre de Succession. Dans la lutte qu’ils se livrent, les compétiteurs usent de la monnaie comme d’une arme politique. Au début, ils copient les pièces d’argent du roi de France, tandis qu’à la fin des années 1350, dans un contexte de débâcle du monnayage royal, Charles de Blois se met à frapper une monnaie d’or et engage résolument la Bretagne dans une voie nouvelle. De grande portée, la frappe de l’or répond au souci d’accroître le prestige de la principauté mais aussi aux besoins de stipendier les gens de guerre ainsi qu’à payer la rançon de Charles de Blois. Le rapprochement esquissé avec la rançon de Jean le Bon et la frappe du franc à cheval (1360) éclaire ici avec pertinence la dimension fiscale du monnayage dans le processus de genèse de l’État moderne.

7Les chapitres consacrés à la période des Montforts sont clairement présentés comme une étude de la place de la monnaie dans la construction d’une principauté étatique à la fin du Moyen Âge. Dans la masse d’informations qu’ils apportent, l’on peut relever entre autres que les choix monétaires reflètent d’assez près les vicissitudes politiques : pendant le demi-siècle qui suit la bataille d’Auray (1364), le monnayage ducal connaît ainsi des variations tantôt marquées par une volonté d’originalité, tantôt fondées sur les imitations des espèces royales. Avant son exil en Angleterre (1373), Jean IV multiplie les types nouveaux pour affirmer son pouvoir ; à son retour (1379), il adopte une politique plus pragmatique : hormis le blanc au champ d’hermines, ses monnaies imitent celles du roi. C’est seulement à partir de 1421 que Jean V rompt avec la tradition des imitations et fait émettre des types spécifiquement bretons, inaugurant ainsi une phase de stabilité du système. Dans la seconde moitié du xve siècle, sous le règne de François II (1458-1488), la monnaie ducale atteint son apogée. C’est tout un système cohérent de pièces d’or, d’argent, de billon qui est frappé et les types sont alors ouvertement détachés des modèles royaux. Aux pièces d’argent habituelles depuis la fin du règne de Jean V, targes, doubles et deniers, François II ajoute un gros. Lors de la guerre d’Indépendance (1487-1491), le système se dégrade rapidement, avec une multiplicité d’émissions de monnaie dévaluée. Certes l’année 1491 ne marque pas la fin définitive de la monnaie bretonne mais le monnayage d’Anne, pendant son veuvage, (en particulier la frappe de la fameuse cadière d’or) n’est qu’un « chant du cygne ». Le remplacement de la monnaie bretonne par celle du roi est rapide et décisif.

8On l’aura compris ; l’auteur a privilégié la dimension politique de la monnaie. La partie centrale de l’ouvrage est, au demeurant, spécifiquement dédiée à la théorie et à l’administration monétaires. L’affirmation du droit de battre monnaie donne lieu à de solides développements, en particulier sur les tensions avec le pouvoir royal entre 1392 et 1396 et naturellement sous Louis XI. En ce domaine, l’auteur ne se borne pas à l’idéologie ; il s’attache également à évaluer les implications pratiques de l’utilisation des espèces comme vecteurs de propagande. Symbolique des pièces et symbolique des sceaux sont judicieusement mises en correspondance. La concomitance est frappante entre la systématisation de l’emploi par la Chancellerie de la formule « duc par la grâce de Dieu » et la frappe de l’or à son effigie par Jean V indépendamment d’une quelconque imitation d’un type royal à partir de 1420-1421. Graduellement perfectionnée, hiérarchisée, l’administration monétaire bretonne est semblable à ses homologues et si une cour des monnaies n’a pas été instituée, c’est que la Chambre des comptes, dans un processus de centralisation aboutie, encadrait sans grande difficulté les opérations de frappe. Quant aux ateliers monétaires, outre la mise au point attendue sur leur organisation, ils font l’objet d’une cartographie très parlante sur la production de pièces par atelier.

9En se fondant sur les enseignements que procurent les trésors volontairement enfouis et les trouvailles isolées, révélatrices de l’usage des pièces au quotidien, l’auteur a écrit de belles pages sur la circulation monétaire aux différentes périodes. Ses perspectives sont d’abord, là aussi, politiques. De grand intérêt sont les statistiques qu’ils proposent sur la part respective de la monnaie bretonne et de la monnaie royale dans l’ensemble des pièces trouvées. Entre 1213 et les années 1270, la première domine, alors qu’entre les années 1270 et les années 1310 la seconde devient largement majoritaire. Initiée par saint Louis, la politique royale, visant à limiter aux territoires des principautés la circulation de leurs monnaies et à imposer les pièces du roi partout dans le royaume, est donc à terme une réussite. Après la guerre de Succession, les espèces bretonnes occupent le terrain (53,3 % des trouvailles isolées et des monnaies de fouille entre 1364 et 1442) mais la place des monnaies royales reste importante dans les trésors.

10Étudier les relations entre la circulation monétaire et les flux économiques était beaucoup plus malaisé, sinon hors de portée. En Bretagne comme ailleurs, il faut regretter l’absence d’une banque de données sur les pièces mentionnées dans les sources écrites. Un tel instrument aurait permis à l’auteur de rectifier les déformations que fait apparaître la cartographie. À l’évidence, l’essor de la monétarisation au xiiie siècle traduit une ouverture plus grande de la Bretagne aux échanges. Cartes et tableaux à l’appui, l’analyse fait ressortir le rôle de la mer dans la diffusion de la monnaie ainsi que l’importance de certains axes, Rennes-Vannes, Rennes-Saint-Brieuc ou de certaines places comme Nantes et Rennes, au reste dès les temps féodaux. Au xve siècle, la présence de plus en plus fréquente d’espèces aux hermines dans les trésors d’Europe du Nord et l’utilisation de pièces en provenance de cet espace sont bien notées et clairement mises en rapport avec l’essor du commerce maritime breton. Uniquement fondées sur le matériel numismatique, les cartes réservent néanmoins quelques surprises. L’une des zones où circulent le plus de monnaies et où pénètrent des monnaies étrangères, les marais salants de la Baie, reste désespérément en blanc. Est-ce là un simple effet du caractère aléatoire des découvertes ou bien un témoignage, parmi d’autres, de la dilution des profits de la saliculture dans un vaste arrière-pays ?

11La dimension sociale de l’emploi des pièces, l’utilisation au jour le jour de la monnaie ne sont pas laissées de côté. Y. Coativy confirme, en l’espèce, ce que Marc Bompaire et Alain Guerreau ont observé pour d’autres régions : la circulation quotidienne n’était pas uniquement composée de pièces noires, deniers et doubles. Diverses sources écrites lui donnent raison. Aux années 1470 par exemple, de pauvres bougres comme les sauniers d’une famille d’officiers de justice de Nantes, les Blanchet, recevaient en prêt de leur maître non seulement de la « monnaie » ou des gros mais aussi des pièces d’or, en particulier des écus et des florins. Bref, de petites gens manipulaient aussi bien du billon que des espèces à forte valeur libératoire.

12Prenant solidement appui sur les apports de la numismatique, l’ouvrage offre abondance de données non seulement sur l’histoire monétaire proprement dite mais aussi sur l’histoire du duché de Bretagne dans sa globalité. Il n’est pas douteux que de nouvelles découvertes, des études très fines de telle période (l’on peut penser à la crise de 1417-1422), la multiplication des analyses de la composition des pièces apporteront des éclaircissements supplémentaires ou modifieront quelques perspectives. La recherche n’est, on le sait, jamais terminée. Mais la synthèse présentée constitue assurément un livre de référence.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Luc Sarrazin, « Yves Coativy, La monnaie des ducs de Bretagne de l’an Mil à 1499 »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 115-3 | 2008, 196-199.

Référence électronique

Jean-Luc Sarrazin, « Yves Coativy, La monnaie des ducs de Bretagne de l’an Mil à 1499 »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 115-3 | 2008, mis en ligne le 30 septembre 2008, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/290 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/abpo.290

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Auteur

Jean-Luc Sarrazin

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