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Comptes rendus de lecture

Histoire d’une famille de Basse-Bretagne

Cédric Choplin
p. 159-162
Référence(s) :

Blanchard, Nelly et Burel, Hervé, Histor eur famill eus Breïs-Izel, Histoire d’une famille de Basse-Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh/CRBC, 2011, 615 p.

Texte intégral

1Dans ce livre, Nelly Banchard, maître de conférences en breton et celtique à l’université de Bretagne occidentale (Brest) et membre du Centre de Recherche Bretonne et Celtique, présente et édite les manuscrits d’Hervé Burel (1858-1943), accompagnés d’une traduction en français. Grâce à elle, le lecteur, bretonnant ou non, peut découvrir et suivre l’histoire de la famille d’un paysan breton quelque peu atypique. En effet, comme il est expliqué sur la quatrième de couverture, il s’agit de l’« histoire inédite d’une famille de Basse-Bretagne, souvenirs de quatre générations de paysans illustrant les joies, mais surtout les souffrances du peuple, et ouvrant sur une dénonciation acerbe de l’injustice sociale. Histoire surprenante sous la plume d’Hervé Burel, paysan de culture syndicaliste, anticléricale et protestante, né en 1858 dans un Léon catholique ».

2La découverte d’un tel manuscrit est évidemment le rêve de tous les historiens et Nelly Blanchard a eu la chance inouïe que les descendants d’Hervé Burel retrouvent ces deux cahiers de comptes dans une vieille malle du grenier familial. Elle qui, justement, recherchait « d’hypothétiques textes écrits en breton par des gens des classes les plus « basses » de la société, paysans, ouvriers, artisans » (p. 10). Sa chance est d’autant plus grande que le texte d’Hervé Burel est vraiment des plus intéressants, pour sa valeur tant historique que linguistique et littéraire, comme le montre la présentation qui ouvre le livre. Mais avant d’aller plus loin, il convient de féliciter les éditions Skol Vreizh pour la qualité de l’ouvrage. La reliure cousue est, en effet, de bonne facture et la couverture quadricartonnée agréable à l’œil avec sa composition aérée, sa calligraphie soignée, ses couleurs douces et un portrait d’Hervé Burel qui attire la sympathie de l’amateur d’autobiographies. En ouvrant l’ouvrage, on apprécie la qualité du papier et la mise en page claire.

3La structure de l’ouvrage est classique et bien pensée. Il débute par une présentation, brève par rapport à la taille du livre puisqu’elle ne comporte que 18 pages. D’aucuns pourraient s’étonner de la brièveté de la présentation. C’est la raison pour laquelle le lecteur averti aura soin de lire : Nelly Blanchard, « Le manuscrit autobiographique d’Hervé Burel : le peuple dit par lui-même », La Bretagne Linguistique, n° 14, Brest, CRBC-UBO, 2009, p. 93-105. Disponible sur http://hal.univ-brest.fr/​docs/​00/​48/​00/​48/​PDF/​Blanchard_BL_14_. pdf. Cet article est en effet complémentaire de la présentation de l’ouvrage puisqu’il prolonge certaines réflexions qui y sont ébauchées et ouvre d’autres pistes. L’ouvrage se poursuit par la transcription du manuscrit ainsi que par sa traduction en vis-à-vis (texte en breton à gauche, traduction en français à droite). Les dernières pages de l’ouvrage sont constituées de l’ascendance d’Hervé Burel, d’un sommaire et de photographies en noir et blanc de certains des lieux mentionnés par ce dernier. Le texte d’Hervé Burel est lui-même structuré en huit parties précédées d’un « avis dal lenner / avis au lecteur ». Nelly Blanchard nous en donne les grandes lignes : « Il fait démarrer son texte sous la Révolution en consacrant le premier chapitre à ses arrière-grands-parents, Gertrude et Karlow Burel, et leurs enfants. » Les deuxième et troisième chapitres racontent la vie de ses grands-parents, Marguerite Kervaon et Yves Burel. Ses parents, Marie-Anna Manson et Jean-François Burel, sont convoqués dans le quatrième chapitre. Sa sœur Marguerite et sa famille occupent le cinquième chapitre. Enfin, les trois derniers chapitres sont consacrés à la vie de l’auteur lui-même, du moins à sa jeunesse et à son adolescence, puisque l’auteur interrompt la narration au moment où il s’apprête à faire sa demande en mariage : il n’écrit donc rien sur sa femme et ses enfants, ni sur sa vie à la poudrerie du Moulin blanc, alors qu’il évoque, à propos de sa sœur Marguerite, des périodes postérieures à son mariage et à la naissance de ses enfants (p. 13-14). On peut s’interroger sur cette interruption brutale du récit au moment où prennent fin la jeunesse et la condition paysanne d’Hervé Burel. Nelly Blanchard ouvre ici quelques pistes qui, d’une manière ou d’une autre, nous ramènent au projet littéraire de l’auteur.

4On peut en effet parler de projet littéraire eu égard à la composition même de l’œuvre qui n’est pas une simple narration chronologique d’événements familiaux depuis la Révolution française jusqu’au début du xxe siècle. Dès les premières lignes de son « avis dal lenneur / avis au lecteur », Burel nous explique qu’il entend dérouler l’histoire de sa famille et la sienne propre sur une longue période, comme le fit la famille Brenn de Carnac. La référence indirecte aux Mystères du peuple d’Eugène Sue pose ici question puisque, comme le note Nelly Blanchard (p. 13), Burel semble les avoir lus comme une autobiographie familiale et, ignorant ou faisant fi de la nature fictionnelle de l’œuvre d’Eugène Sue, il trouve dans l’histoire de sa propre famille, comme dans celle de la famille Brenn, matière à développer et illustrer un discours contestataire de l’ordre social et anticlérical. Dans la suite de son avis au lecteur, Hervé Burel donne les raisons qui l’ont poussé à écrire l’autobiographie de sa famille. Il insiste en particulier sur les bienfaits des progrès de l’instruction qui permettent à des gens comme lui de pouvoir écrire malgré l’obstination des nobles et des prêtres à les maintenir dans l’ignorance. L’instruction semble être une priorité dans cette famille d’origine protestante, autrefois apparemment aisée mais dont les biens avaient été confisqués sous l’Ancien Régime, et qui, malgré les difficultés matérielles, avait toujours essayé de donner à sa descendance une certaine instruction par la lecture et une certaine connaissance du français. Dans son livre, Hervé Burel remercie à plusieurs reprises ses parents de l’avoir envoyé, ainsi que ses sœurs, à l’école jusqu’à l’âge de 16 ans, malgré les railleries des autres adolescents et de leurs familles qui ne voyaient pas l’intérêt d’instruire leurs enfants et préféraient l’aide qu’ils pouvaient apporter aux champs.

5L’analyse de la structure de l’œuvre d’Hervé Burel menée par Nelly Blanchard est des plus intéressantes : le récit est chronologique et s’articule, comme dans les romans-feuilletons français de cette époque, autour de personnages, les aïeux et parents d’Hervé Burel, dont les descriptions psychologiques fines, en interaction avec les autres personnages non sans une certaine exagération mélodramatique, permettent de susciter l’émotion chez le lecteur et de le faire réfléchir. Pour l’y aider, le récit est régulièrement interrompu par des pauses argumentaires, au cours desquelles l’auteur dénonce la vilenie des nobles et des prêtres et l’injustice sociale. Se pose donc maintenant la question du pacte autobiographique dont Nelly Blanchard montre bien l’importance et les limites. La confrontation entre le récit de Burel et les archives civiles et militaires montre qu’en ce qui concerne Burel et sa génération, ce dernier se montre d’une précision remarquable, alors qu’il y a des erreurs, parfois importantes, en ce qui concerne les générations précédentes. Or, comme le montre Nelly Blanchard, l’étude de ces erreurs soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

6Nous en revenons donc à la question de savoir pourquoi Hervé Burel clôt son récit à la veille de sa demande en mariage et ne nous raconte pas le reste de sa vie. Nelly Blanchard apporte plusieurs éléments de réponse mais l’un d’entre eux attire l’attention de l’historien. Commencée le 1er janvier 1905, l’œuvre s’inscrit dans un climat d’extrême tension entre l’Église catholique et la iiie République, notamment dans un Léon très clérical. Ayant le sentiment que la République est en danger, Hervé Burel cherche probablement à travers son récit à en dresser le bilan social positif, s’attachant à démontrer qu’il n’est point besoin de la religion pour avoir une morale et illustre la morale républicaine (liberté, égalité, fraternité) en opposant les vices des nobles et des prêtres à la vertu des siens.

7Il est évidemment impossible de conclure sans dire un mot de l’intérêt linguistique de l’ouvrage. Si le texte original n’est pas d’un abord aisé en raison de l’orthographe et de la ponctuation très personnelles de Burel, la traduction est agréable à lire mais elle masque nécessairement bon nombre des particularités linguistiques et stylistiques du texte. Ainsi, même si la référence à un « breton mondain », surtout appliquée à la langue de Burel, peut susciter quelques réserves, chacun trouvera grand intérêt à lire l’analyse linguistique et stylistique de Nelly Blanchard qui permet à tous de comprendre les particularités du breton de Burel, étudié dans son contexte sociolinguistique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Cédric Choplin, « Histoire d’une famille de Basse-Bretagne  »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 119-4 | 2012, 159-162.

Référence électronique

Cédric Choplin, « Histoire d’une famille de Basse-Bretagne  »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 119-4 | 2012, mis en ligne le 31 décembre 2012, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/2541 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/abpo.2541

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