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AccueilNuméros118-4Comptes rendusL’enseignement mutuel en Bretagne

Comptes rendus

L’enseignement mutuel en Bretagne

Thierry Arnal
p. 156-158
Référence(s) :

Chalopin, Michel, L’enseignement mutuel en Bretagne, Rennes, PUR, 2011, 263 p. (ISBN 978-2-7535-1280-1).

Texte intégral

1C’est à l’initiative de quelques personnalités, réunies dès 1815 au sein de la toute nouvelle Société pour l’Instruction élémentaire de Paris, que l’on doit les premières mises en œuvre de la méthode mutuelle d’éducation sur le sol français. Importé d’Angleterre, ce procédé pédagogique qui repose sur l’utilisation des élèves les plus avancés ou les plus âgés pour suppléer le maître offre alors des perspectives de scolarisation massive pour les élèves pauvres et vient concurrencer le mode d’enseignement simultané. Mais surtout, reposant sur l’implantation d’instituteurs laïques, l’enseignement mutuel s’affirme comme une menace pour le clergé, soucieux de voir les Frères conserver leur monopole sur l’enseignement populaire. Malgré les résistances, l’action des premiers promoteurs de la méthode mutuelle, majoritairement favorables aux idées libérales, s’étend rapidement de Paris vers la Province. Dès 1816, l’académie de Rennes s’ouvre à ce type d’enseignement à partir de la naissance des premières sociétés locales, comme celles de Nantes ou de Saint-Brieuc. C’est précisément de l’implantation des premières écoles mutuelles en Bretagne, de leur organisation quotidienne depuis les premières années de la Restauration jusqu’à leur disparition progressive sous le Second Empire, que traite l’ouvrage de Michel Chalopin. De cette histoire, l’auteur offre une vision claire et toujours détaillée, à la fois précise et contrastée. Vision qui, issue d’un dépouillement d’archives nombreuses et originales, restitue avec clarté les espoirs, les démarches, et surtout les difficultés rencontrées par les nouveaux maîtres mutuels, pionniers d’une méthode dénoncée, souvent à tort, comme antireligieuse et combattue avec acharnement par les membres du clergé local.

2En outre, au-delà de l’esprit philanthropique et de l’engagement politique qui animent les premières réalisations, l’une des qualités de l’ouvrage est de montrer le caractère particulier de chacune de ces entreprises visant à instruire un grand nombre d’élèves. À Nantes, la société, fondée sur la base de l’actionnariat, scolarise des enfants d’origine sociale et de confession différentes, inaugurant le principe d’une mixité religieuse exceptionnelle à l’époque. À Saint-Brieuc, ville où les prêtres sont particulièrement hostiles à l’implantation d’une école mutuelle, c’est grâce à la générosité d’une cinquantaine de souscripteurs, appartenant à l’élite sociale locale, qu’une école réunissant des enfants de notables et des élèves pauvres est ouverte. Spécificités qui, en outre, tiennent à l’action plus ou moins favorable des différentes municipalités, à la qualité des locaux souvent trop exigus, ou encore à l’engagement politique des maîtres. À ce titre, les biographies de plusieurs d’entre eux sont toujours éclairantes. Le parcours de ces pionniers, souvent formés à Paris, révèle toujours des situations contrastées.

3Dans l’ensemble toutefois, tous rencontrent des problèmes, à partir de 1822, lorsque les écoles mutuelles ne bénéficient plus du soutien de l’État et connaissent des difficultés financières qui amènent nombre d’entre elles à disparaître. La situation est alors particulièrement délicate à Nantes, Rennes ou Saint-Brieuc, villes dans lesquelles les vicaires généraux mènent une guerre sans relâche contre la nouvelle méthode d’enseignement à laquelle il est reproché de négliger, voire de mépriser, l’enseignement religieux. À Saint-Brieuc, par exemple, le vicaire général La Mennais oblige Rémond, l’instituteur mutuel qui pourtant bénéficie du soutien des parents d’élèves, à quitter la ville dès 1823. La compétence de ce dernier, dont l’action est décrite comme exemplaire, n’est pourtant jamais remise en cause. À Rennes, malgré une opposition du clergé également forte, conjuguée à un manque de soutien du conseil municipal, l’école dirigée par Walravens, qui compte encore 165 élèves en 1827, connaitra un meilleur sort. À Brest, la municipalité soutient davantage les maîtres mutuels. Toutefois, il faudra attendre les premières années de la monarchie de Juillet et le retour en grâce des libéraux pour assister à un renouveau de ce mode d’enseignement peu onéreux. L’école normale de Rennes, fondée en 1831, constituera alors le vivier de la plupart des maîtres mutuels bretons. Perron, l’un d’entre eux, fondera la société de secours mutuels des instituteurs du Finistère en 1852 et exercera jusqu’en 1861.

4Avec la monarchie de Juillet, apparaissent aussi les premières véritables écoles mutuelles de filles. Moins nombreuses que celles de garçons, elles s’en démarquent surtout par une pédagogie différente, plus proche de l’enseignement traditionnel. Là encore, les difficultés récurrentes pour trouver des locaux appropriés constituent un obstacle majeur à leur développement. Les exemples de Brest et de Saint-Brieuc, rapportés avec précision par l’auteur, permettent de prendre la mesure des problèmes rencontrés.

5L’enquête précise et minutieuse à laquelle s’astreint Michel Chalopin révèle encore combien peuvent être différentes les conditions de l’enseignement et les supports pédagogiques d’une école à une autre. Ainsi, le traitement des maîtres varie considérablement selon les communes. Souvent les revenus des enseignants dépendent du nombre d’élèves payants qu’ils accueillent. Quant aux maigres rétributions allouées aux moniteurs, elles-mêmes sont très fluctuantes. En outre, si partout, selon les principes d’économie prônés par Lancaster, on utilise les ardoises pour l’écriture et les tableaux pour la lecture, ces outils pédagogiques sont plus ou moins nombreux selon les écoles. Le nombre de livres, généralement faible, fluctue lui aussi d’un lieu à un autre. S’ils sont en grande majorité de nature religieuse, certaines écoles, telles celles de Nantes et d’Ulliac, disposent de quelques ouvrages profanes. Quant à celle de Lambézellec, elle est la seule à posséder un ouvrage en langue bretonne. De même, bien que chaque école soit pourvue d’une pendule, outil pédagogique indispensable pour baliser le temps dévolu à chaque exercice, il reste que le temps scolaire varie d’une ville à l’autre ; comme le temps consacré à chaque matière. L’auteur relève encore, et cela est important, la part prise par le catéchisme dans l’emploi du temps quotidien des élèves. Un temps consacré à la religion bien plus important en Bretagne que celui qui lui est concédé dans les manuels de Nyon ou Bally qui font alors référence au niveau national. M. Chalopin voit dans cette disposition particulière une adaptation nécessaire, voulue par les maîtres, afin de se mettre à l’abri des accusations d’irréligion proférées par le clergé breton. Au-delà de cette particularité surprenante au regard des modèles parisiens, la simultanéité des apprentissages de la lecture, de l’écriture et de l’arithmétique, puis l’apport du dessin linéaire et enfin, sous la monarchie de Juillet, de la géographie, complètent ce tableau détaillé de la pédagogie mutuelle qui nous est proposé.

6Parmi les autres innovations qui seront apportées à l’enseignement mutuel après la Révolution de Juillet, retenons celle incitant le maître à donner des leçons à ses moniteurs en dehors des heures de classe et qui vise à faire de ces derniers des auxiliaires plus efficaces. Il est vrai que les moniteurs, sans cesse renouvelés, car généralement choisis parmi les élèves les plus âgés de la classe, n’apportent au maître qu’un secours pédagogique d’appoint. Toutefois, cette école des moniteurs, imposant au maître un surcroît de travail non négligeable, fut le plus souvent rapidement abandonnée. C’est notamment le cas à Landerneau et à Lorient.

7Appliquées ou non, les dispositions souhaitées par la Société pour l’Instruction élémentaire de Paris n’empêcheront pas la lente disparition des écoles mutuelles sous le Second Empire. Jugée trop mécanique, la méthode mutuelle ne donne plus satisfaction. La concurrence des Frères, mais surtout ses insuffisances pédagogiques dénoncées avec insistance, sont autant d’atouts pour le mode d’enseignement simultané qui apparait désormais comme plus efficace et plus facile à mettre en œuvre. Même les aspects novateurs de la méthode lancastérienne seront délaissés, entraînant dans l’oubli une partie importante de l’enseignement populaire du premier xixe siècle.

8Au final, parce qu’il fait ressurgir d’un passé méconnu tout un ensemble de pratiques pédagogiques, parce qu’il relate avec précision la vie et les projets des maîtres mutuels, leurs difficultés aussi, et notamment les attaques qu’ils ont eu à subir de la part du clergé, l’ouvrage de M. Chalopin est une contribution importante à l’histoire de l’enseignement en France au xixe siècle. Il est également une contribution passionnante à l’enrichissement de l’histoire d’une région riche en particularismes. Utilement illustré, remarquablement documenté, il éclaire les historiens de l’éducation tout en proposant au lecteur un voyage agréable et instructif dans le passé breton.

9Thierry Arnal

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Pour citer cet article

Référence papier

Thierry Arnal, « L’enseignement mutuel en Bretagne »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 118-4 | 2011, 156-158.

Référence électronique

Thierry Arnal, « L’enseignement mutuel en Bretagne »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 118-4 | 2011, mis en ligne le 30 décembre 2011, consulté le 14 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/2220 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/abpo.2220

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