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Comptes rendus

Les Pavie. Une famille angevine au temps du Romantisme

Pascal Burguin
p. 152-154
Référence(s) :

Dufief, Anne-Simone (dir.), Les Pavie. Une famille angevine au temps du Romantisme, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2010 (ISBN 978-2-915751-36-9).

Texte intégral

1Louis-Joseph Pavie (1782-1859), ses fils Victor (1808-1886) et Théodore (1811-1896) forment un trio emblématique de l’élite intellectuelle angevine du xixe siècle. Issus d’une lignée de graveurs, libraires et imprimeurs, rochelais ou bordelais, installée à Angers en 1779, Louis-Joseph et Victor ont développé l’imprimerie familiale fondée par le grand-père tout en animant la vie culturelle locale comme éditeurs, auteurs ou fondateurs de sociétés savantes. Théodore fut, lui, voyageur et linguiste, indianiste et tibétologue reconnu. Tous les trois ont tissé un vaste réseau de relations et d’amitiés, bien au-delà du cadre angevin, côtoyant Hugo, Sainte-Beuve ou Nodier, à proximité du romantisme naissant.

2L’ouvrage intitulé Les Pavie. Une famille angevine au temps du Romantisme et paru en 2010, leur est consacré. Il rassemble les actes du colloque international organisé les 24 et 25 avril 2009 aux archives départementales du Maine-et-Loire sous l’égide de l’université d’Angers. Ces deux journées d’études s’inséraient dans le cadre des manifestations commémoratives du bicentenaire des frères Pavie qui ont fédéré autour d’événements nombreux – expositions, lecture publique, concert, promenade historique – plusieurs institutions publiques et privées angevines : outre les deux organisatrices du colloque, la bibliothèque et les archives municipales, le musée des Beaux-Arts, le conservatoire, l’Académie des Belles Lettres Sciences et Arts et l’Association des Amis de Victor et Théodore Pavie.

3Cette diversité de concours se reflète dans les dix-sept contributions de ces actes réunissant universitaires français et étrangers, doctorants, conservateurs, érudits ou descendants de la famille, spécialistes d’histoire moderne et contemporaine, d’histoire de l’art, de littérature française ou de musicologie. Une telle pluralité de points de vue était nécessaire pour rendre compte de l’éclectisme des Pavie, de Victor en particulier car dans la constellation familiale c’est l’étoile du fils aîné qui brille le plus : plus de la moitié des communications lui sont dédiées contre cinq à son frère et une à son père. L’ouvrage aborde ainsi successivement le contexte local, professionnel et sociabilitaire dans lequel baigne la famille, la riche personnalité de Victor et enfin celle, plus effacée et centrée sur les voyages et les études, de Théodore.

4Le contexte angevin du début du xixe siècle décrit par Jean-Luc Marais est celui d’une « ville rentière, aristocratique et bourgeoise » (p. 16), étonnamment proche en cela de beaucoup de villes de l’Ouest comme Rennes ou Vannes. Une ville où, exceptées les ardoisières, l’industrie est sans envergure et dévolue à la transformation des matières premières agricoles comme le chanvre. Une ville dominée sous la Restauration par une grosse élite nobiliaire qui fond après 1830 pour laisser place à une élite bourgeoise plus étroite, modérément tenaillée par la question sociale avant 1848. Une ville bleue à forte présence blanche, encore très clivée entre « fédérés » et « chouans » au point de rendre impossible la fusion des élites et la moindre sociabilité commune sauf peut-être au théâtre inauguré en 1825 et au lycée impérial devenu collège royal après 1815, unique établissement secondaire de la ville.

5Véronique Sarrazin nous rappelle que les Pavie sont imprimeurs de pères en fils depuis plusieurs générations. Louis-Joseph ressuscite l’imprimerie familiale en 1810 après les difficultés de la période révolutionnaire. Son fils Victor lui succède en 1835 jusqu’en 1844. L’entreprise est de taille moyenne. C’est une « maison classique et religieuse » (p. 32) car le métier est risqué financièrement et politiquement. Jusqu’en 1824, leur production est dominée par les rééditions de classiques et d’ouvrages pieux, le reste consiste en livres scolaires et pratiques. Après 1824, la ligne éditoriale évolue, les productions savantes dominent. Les Pavie éditent les œuvres des membres des sociétés savantes qu’ils ont contribué à créer ou recréer comme l’Académie des Rangeardières, « cercle lettré réuni dans leur propriété » (p. 38), ou la Société d’Agriculture Sciences et Arts d’Angers, héritière de l’ancienne académie royale comme le signale Monique Catta. Leur activité professionnelle reflète ainsi leur vie culturelle et intellectuelle. Les risques pris restent calculés, l’édition de textes originaux comme celle des œuvres de leur ami Sainte-Beuve ou du Gaspard de la Nuit d’Aloysus Bertrand, la première en France, se fait à des tirages limités. Cependant, ce sont toujours les ouvrages religieux et utilitaires et plus encore les périodiques – Les Affiches d’Angers, l’Almanach de Maine et Loire, Le Feuilleton – qui assurent les plus gros revenus de la maison. La prudence professionnelle permet de couvrir les audaces artistiques.

6Mais c’est le fils aîné qui fait l’objet des communications les plus nombreuses : Victor, le provincial fréquentant la capitale, le poète éditeur, le « notable charitable » (p. 57), le légitimiste libéral. Étudiant à Paris en 1824, il entre dans les cénacles littéraires des premiers romantiques, celui de Nodier à l’Arsenal, celui de Hugo rue Notre-Dame-des-Champs. Par cette fréquentation, mais aussi par ses propres œuvres et ses initiatives d’éditeur, comme le supplément littéraire des Affiches d’Angers, il est l’un des introducteurs du romantisme en Anjou. Il éclaire ainsi le rôle joué dans les relations culturelles Paris-province par ces relais du rayonnement parisien que furent les fils de famille partagés par leurs études ou leur emploi entre leur ville et la capitale. Victor s’initie aussi à l’art poétique. Son œuvre, décrite par Guy Trigalot comme « confidentielle » (p. 125) – une trentaine de textes - révèle une personnalité sensible et l’influence de ses aînés, Lamartine puis Hugo.

7Serge Grandais brosse le portrait du « notable charitable ». Victor est un bourgeois, électeur censitaire, fils d’élu municipal. C’est aussi un catholique fervent qui dans « Angers la charitable » (p. 62), est l’un des fondateurs en 1839 de la Conférence Saint-Vincent-de-Paul qu’il préside à partir de 1848. Alain Nery, citant la thèse sur Les Royalistes de la Mayenne et le monde moderne de Michel Denis (qu’il prénomme malheureusement et avec insistance Maurice) croit déceler chez l’aîné des Pavie « un discours qui revêt tous les traits d’une profession de foi légitimiste, instillée, diluée, masquée par prudence » (p. 81). Son anti-progressisme, son christianisme teinté de mennaisianisme et son primo-romantisme même, « réaction spiritualiste au sensualisme des Lumières » (p. 72), paraissent le rapprocher du légitimisme libéral et social d’un Falloux qui fut son condisciple au collège d’Angers. Un royalisme suffisamment modéré et retenu pour ne pas nuire à l’amitié durable entretenue avec le très républicain David d’Angers.

8Car l’amitié est une vertu cardinale chez les Pavie, comme le montre l’album et la correspondance de Victor qui font l’objet des interventions de Anne-Simone Dufief, Nicolas Dufetel, Marc-Edouard Gautier, Yves Pavie, Jacques de Caso et Claire Girault-Labalte. L’album est un mixte de livre d’or et de journal intime où l’auteur collationne des œuvres et réflexions personnelles mais aussi les autographes laissés par ses amis. L’album devient ainsi une œuvre collective et un liber amicorum. Celui de Victor couvre une période allant principalement de 1836 à 1848. Il comporte une grande diversité de documents – texte en vers ou en prose, dessins, portées musicales – qui illustre la variété de ses goût et l’étendue de son réseau amical où figurent tous les grands romantiques rencontrés à Paris et d’autres plus obscurs. Son abondante correspondance permet d’ajouter d’autres noms à cette liste comme ceux d’Adèle Hugo, d’Evariste Boulay-Paty ou du peintre Dagnan.

9Les cinq communications destinées à Théodore, dues à Felipe Angulo Jaramillo, Amina Okada, Samuel Thévoz, Alex Lascar et Catherine Pavie, n’ont pas cette pluralité d’approche, elles ramènent le cadet à ses deux passions les voyages et l’orientalisme. Théodore a entrepris son premier voyage en 1829, à 18 ans, en Amérique du Nord, l’année suivante il part pour l’Amérique du Sud. En 1839-1840, il est en Inde. Cette substitution d’un exotisme à l’autre est dans l’air du temps. Le nouveau monde laisse la place à l’orientalisme dans l’engouement national pour les terres lointaines. Sans doute Théodore a-t-il d’abord voulu suivre l’exemple de prestigieux devanciers comme Volney ou Chateaubriand puis il y a trouvé un double attrait : partager sa connaissance désintéressée du monde – « j’aime mieux être oublié que de faire oublier mes voisins » (p. 146) – et parfaire sa maîtrise des langues orientales. Ses travaux obtiennent la reconnaissance de ses pairs mais il échoue aux portes de l’Institut et n’est pendant cinq ans que le suppléant de son maître Eugène Burnouf au Collège de France sans obtenir sa titularisation. Théodore à sa façon est aussi un romantique, moins préoccupé par la carrière que par l’érudition et mélangeant parfois les genres entre le « voyage d’artiste » et l’ethnographie moderne.

10L’ouvrage n’est pas une somme, selon l’aveu même des auteurs – et en effet les relations père-fils par exemple ne sont pas étudiées en tant que telles ni la place des femmes dans cet univers trop masculin – et il lui manque un index, il n’en reste pas moins agréable à manier grâce à un riche cahier iconographique et son intérêt excède largement la dimension apparemment locale du sujet. Il ressuscite trois belles figures « d’artisans du livre » et de lettrés dans « l’Athènes de l’Ouest » du xixe siècle et il éclaire le rôle joué par les éditeurs et la sociabilité cénaculaire dans la promotion et la diffusion du romantisme en province.

11Pascal Burguin

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Pour citer cet article

Référence papier

Pascal Burguin, « Les Pavie. Une famille angevine au temps du Romantisme »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 118-4 | 2011, 152-154.

Référence électronique

Pascal Burguin, « Les Pavie. Une famille angevine au temps du Romantisme »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 118-4 | 2011, mis en ligne le 30 décembre 2011, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/2214 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/abpo.2214

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