Navigation – Plan du site

AccueilNuméros116-1Comptes rendusVincent Porhel, Ouvriers bretons....

Comptes rendus

Vincent Porhel, Ouvriers bretons. Conflits d’usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968

Rennes, PUR, 2008, 238 p.
Floriane Gillette
p. 211-213
Référence(s) :

Rennes, PUR, 2008, 238 p.

Notes de la rédaction

Cet ouvrage sur le site des Presses universitaires de Rennes : notice, documents et commande en ligne : http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=1768

Texte intégral

1Choisir un sujet de recherches tel que les ouvriers bretons dans les années 1968 ne se présente pas comme une entreprise facile puisque la Bretagne est loin d’être considérée alors comme une région industrielle. Malgré ces premières difficultés Vincent Porhel, maître de conférences à l’université de Lyon I – IUFM et membre de l’UMR-LARHA, fournit une étude très intéressante. Comme le souligne la structure du livre sa réflexion se concentre autour de cinq conflits se déroulant entre le Finistère, les Côtes d’Armor et le Morbihan. Chaque chapitre relate le déroulement du conflit mais aussi ses origines et, finalement, analyse la manière dont les témoins ont géré et gèrent encore le souvenir de ces luttes ouvrières. La chronologie choisie par l’auteur est intéressante, Vincent Porhel ne restreint pas son analyse à l’année 1968 mais inscrit ses recherches dans une temporalité plus longue appelée communément les années 68 ou le moment 68. Cette extension permet de prendre conscience en profondeur des mutations subies par la société et, plus spécifiquement, des transformations de la Bretagne. Ainsi nous pouvons mesurer le fait qu’il y a eu un avant et un après mai-juin 1968.

2Les sources utilisées sont à l’image de la diversité des luttes ouvrières : variées, issues d’archives publiques et privées. Prédominent les archives provenant des autorités administratives, particulièrement les correspondances et les rapports de préfets concernant la situation économique et politique de la région ; ils permettent d’expliquer la situation dans laquelle se développent les conflits. L’auteur s’appuie également beaucoup sur les rapports de police et les archives de différents services comme les CRS, les RG et la police nationale. Ceci met en lumière la généralisation de la surveillance des évènements mais aussi des associations (sections syndicales en particulier) et des acteurs des mouvements. L’utilisation des archives syndicales permet une vision très complète des conflits ; cette pluralité des points de vue témoigne d’un réel souci de neutralité. Dans ce contexte éminemment politique, l’auteur se focalise sur des documents en lien avec les différentes tendances politiques en action pendant cette période, comme les numéros des Cahiers de mai, les archives du Parti Communiste Marxiste Léniniste de France (PCMLF) et celles du Parti Socialiste Unifié (PSU). Des informations particulièrement utiles sont données en annexe : la chronologie des cinq conflits et un tableau général comprenant les dates clés de chaque lutte et un résumé succinct de la situation régionale et nationale.

3Dans sa thèse, Vincent Porhel tente de démontrer que durant les années 1968 la Bretagne se caractérise par une ambivalence entre fierté de son isolement et adhésion aux grands enjeux sociaux et culturels qui agitent le monde. Les témoignages recueillis par l’auteur montrent d’abord un rejet évident de la culture bretonne car celle-ci n’est pas en phase avec la modernisation de la société ; ils témoignent de la volonté de la population bretonne de s’intégrer à un ensemble national. Cependant, l’auteur ne livre pas une histoire de la Bretagne en train de sortir de son isolement : au contraire, la région va très vite retourner volontairement dans un éloignement profond. En abordant tout au long des cinq conflits la transgression des interdits, comme par exemple l’occupation du lieu de travail par les ouvriers en grève, Vincent Porhel souligne les moyens employés par les ouvriers bretons pour faire de leur enclavement géographique un atout dans le conflit social. Cette analyse met en évidence le sentiment de méfiance des ouvriers par rapport à leur hiérarchie directe mais aussi par rapport à la hiérarchie nationale. Les ouvriers souhaitent se libérer du poids de la direction ; la prégnance de l’Église étant moindre, ils aspirent à une reconnaissance de l’homme, souhaitant être les acteurs de leur propre vie. Ces nouvelles attitudes sont liées aux progrès de l’instruction publique et à l’influence des organisations chrétiennes.

4Ce discours identitaire devient peu à peu le fer de lance de la pensée autogestionnaire. L’ouvrage analyse la mutation du discours régionaliste dans un contexte particulier de crise économique et de non-croissance. Il met en lumière l’idée d’un mythe breton, celui d’un retard économique et culturel. Vue de l’extérieur, la Bretagne est considérée comme une sorte de colonie, « une région de seconde zone », pour reprendre les termes de l’auteur. La vision interne n’est pas plus avantageuse : les témoignages recueillis montrent que la région présente un retard comparé au reste du territoire ce qui occasionne des désillusions et des blocages. Les médias se sont fait l’écho de cette double perception, tandis que la presse nationale, à part Libération, fut peu loquace. L’auteur donne ainsi à son sujet une dimension plus générale ; il s’interroge sur la perception de l’action des ouvriers par le reste de la région et analyse les solidarités qui s’exercent à l’occasion des cinq conflits.

5Cet ouvrage repose sur l’examen et l’utilisation de témoignages oraux, ce qui implique une rigueur méthodologique particulière. Chaque conflit est examiné selon un procédé précis. Dans un premier temps l’auteur récolte les témoignages et les retranscrit. La seconde étape de son travail consiste à présenter ce qui s’est réellement passé. Enfin, lorsque les paroles des témoins diffèrent de la réalité, l’auteur cherche à expliquer pourquoi. À propos de la lutte anti-nucléaire de Plogoff, les ouvrages relatant la lutte manquaient trop de neutralité et Vincent Porhel a dû faire face au mutisme de la population. Il s’est pourtant attaché à chercher les traces lui permettant de dessiner la genèse des conflits et d’en comprendre les enjeux. Il livre ainsi une histoire complète du conflit breton, celle-ci se construisant pas à pas, chaque combat révélant une nouvelle étape dans la formation de l’identité bretonne.

6Vincent Porhel a finalement montré comment une région dite non industrielle s’inscrit dans l’actualité du moment 68. En effet, du conflit des forges d’Hennebont à la lutte anti-nucléaire de Plogoff nous sommes passés d’une région niant son identité culturelle à l’affirmation d’une conscience identitaire, c’est-à-dire à la revendication d’une culture bretonne. Cette évolution symbolise alors la mutation sociale connue par la France des années 1968. Elle s’illustre notamment par l’arrivée des femmes sur le devant de la scène. Si elles ont l’habitude de soutenir leurs maris ouvriers durant les conflits, Vincent Porhel montre qu’elles peuvent aussi être actrices du mouvement. Cette évocation de la place et du rôle des femmes confirme l’originalité des recherches de l’auteur, ainsi nous ne sommes plus uniquement dans une histoire sociale et politique, cette étude se rapporte aussi à une histoire du genre.

7Toute la démarche de Vincent Porhel se caractérise par un travail sur l’oralité, ce qui, pour un historien, peut constituer une entreprise périlleuse. En revanche, si l’examen et l’interprétation des témoignages sont bien menés cela constitue un travail riche, offrant un bon aperçu de la réalité. Enfin s’ajoute à ce pari réussi la mise en perspective systématique de tout ce qui concerne la région avec la situation socioé-conomique mais aussi politique nationale. Il peut alors conclure son analyse par ce constat : « la Bretagne au-delà de ses différences a su, provisoirement pendant la période, construire des ponts entre tradition et modernité en résonance avec le contexte national et international ».

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Floriane Gillette, « Vincent Porhel, Ouvriers bretons. Conflits d’usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968 »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 116-1 | 2009, 211-213.

Référence électronique

Floriane Gillette, « Vincent Porhel, Ouvriers bretons. Conflits d’usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968 »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 116-1 | 2009, mis en ligne le 31 décembre 2009, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/201 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/abpo.201

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search