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Résumé

Le modèle rhétorique qui a émergé depuis quelques années invite à diversifier les réponses pédagogiques pour prendre en charge la formation à l’esprit critique, et notamment le traitement pédagogique des discours conspirationnistes. La rhétorique y est souvent définie, par les rhétoriciens eux-mêmes, comme un art neutre du discours persuasif, sensible aux normes d’efficacité, mais indépendant de la vérité et de la morale. Cependant, il est clair que la rhétorique n’a pas pour seul objectif de former des « habiles persuadeurs », sans aucune autre considération, puisqu’elle se présente dans le même temps comme une éducation plus large à la citoyenneté démocratique. Ces orateurs, formés par la technique rhétorique, ne sont pourtant jamais définis, dans la mesure où les rhétoriciens contemporains ont progressivement abandonné la réflexion normative sur les (bons) orateurs, qui était autrefois menée dans la tradition rhétorique. Les discours conspirationnistes, plus vivement que d’autres objets pédagogiques, impliquent pourtant, par leur désignation même, des normes et des valeurs qui les isolent d’autres catégories de discours, jugés plus acceptables ou moins dangereux pour la vie démocratique. Face à ce constat, cet article propose une reconceptualisation de la rhétorique qui explicite la dimension normative de son projet d’éducation. Définie comme une discipline – et non plus comme une technique neutre –, la rhétorique viserait aujourd’hui à former de (bons) orateurs et de (bonnes) oratrices, qui possèdent des dispositions à (bien) agir, à (bien) parler et à (bien) penser dans le contexte de la démocratie pluraliste contemporaine et de ses valeurs. Ces dispositions pourraient être nommées, dans le vocabulaire de l’éthique des vertus, « vertus rhétoriques » ou « vertus des orateurs et des oratrices ».

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Texte intégral

Introduction

1Comme technique, la rhétorique a bien des atouts en classe dans le vaste champ de ce qu’on peut appeler les « pédagogies de l’esprit critique » (Vincent-Lancrin et al. 2020), notamment pour traiter d’objets pédagogiques complexes tels que les discours conspirationnistes (Desormeaux et Grondeux 2017, Attali et al. 2019). Elle invite à privilégier l’exercice de compétences actives de communication, d’argumentation et de persuasion. Elle contribue en cela à renouveler les approches standards, souvent centrées sur le décryptage et l’analyse critique. En s’intéressant à l’efficacité et aux mécanismes de la persuasion, qui nécessitent de suspendre provisoirement certaines normes, il devient possible d’explorer la diversité des stratégies et des effets rhétoriques, au-delà d’une logique spontanée et trop simple du bien et du mal. Située par rapport à d’autres approches, la rhétorique vise à développer un « regard rhétorique » et une habileté persuasive techniques : l’élève est entraîné à « toucher » et à « être touché » dans le cadre d’une joute oratoire (Ferry et Sans 2015).

2Chez Danblon (2005, 2012), le fond de ce débat est souvent présenté comme une alternative entre d’un côté les courants normatifs, qui s’interrogent sur les normes idéales de rationalité et de validité des arguments, et, de l’autre, la rhétorique, technique, qui pose la question de l’efficacité persuasive, indépendamment de l’évaluation logique ou éthique, dans le sillage d’Aristote et de Chaïm Perelman. Du point de vue pédagogique, cette alternative s’incarne alors souvent dans une opposition entre le professeur d’argumentation logique normative et le professeur de rhétorique comparative, qui lui a pour objectif de montrer « la multiplicité des stratégies disponibles pour la défense d’une opinion. C’est la conscience de cette richesse qui formera des citoyens prêts à argumenter dans les situations argumentatives les plus diverses » (Ferry et Sans 2015 : 5). La rhétorique est explicitement rattachée au développement de « vertus » du citoyen, comme l’esprit critique ou l’empathie, qui sont par ailleurs décrites comme des compétences purement techniques (Danblon et Koren 2024 : 3).

  • 1 Pour cet état des lieux, j’ai retenu trois critères pertinents pour mon propos : ces ouvrages sont (...)

3Un sondage à partir des quatre manuels francophones de rhétorique les plus récents – écrits par Victor Ferry, Clément Viktorovitch, Juliette Dross et Pierre Chiron – montre clairement la préférence des rhétoriciens pour une définition technique1. Chez Ferry (2020), la rhétorique est définie comme un pouvoir, qui implique bien sûr des responsabilités. La rhétorique est un pouvoir de transformer le monde, « un outil pour mettre nos convictions en discours et notre public en mouvement » (2020 : 21). Clément Viktorovitch, dans Le Pouvoir rhétorique (2021 : 54), s’inscrit dans cette même orientation. La rhétorique y est définie comme « l’art d’argumenter, de plaire et d’émouvoir afin de susciter ou de renforcer l’adhésion des individus aux propositions que nous leur soumettons ». Ce qui garantirait une maîtrise juste de la technique rhétorique, ce serait d’en généraliser l’enseignement (Dross 2023 : 29).

4Face aux discours conspirationnistes, la théorisation technique de la rhétorique rencontre néanmoins des limites. Les discours conspirationnistes montrent, plus vivement que d’autres contenus abordés en classe, que le cours de rhétorique ne peut pas se limiter aux seules normes de l’efficacité et de la réussite technique. Sans normes logiques et morales, l’enseignant ne pourrait tout simplement pas justifier auprès de ses élèves pourquoi ces discours sont qualifiés de « conspirationnistes » ni ce qui justifie qu’on les juge dangereux pour la vie démocratique. Les rhétoriciens sont bien obligés de reconnaître qu’un cours de rhétorique a une double dimension technique et normative, dans la mesure où l’éducation rhétorique à la démocratie (Kock et Villadsen 2012, 2015, Danblon et al. 2021), comme tout projet éducatif, n’est pas neutre ou ne devrait pas l’être, à moins précisément d’une dérive techniciste.

5Parmi les manuels les plus récents, seul le Manuel de rhétorique. Comment faire de l’élève un citoyen de Pierre Chiron articule explicitement les compétences éthique, intellectuelle et discursive (2018 : 68), mais leurs contenus sont néanmoins seulement esquissés, car le manuel est en grande partie consacré aux pratiques pédagogiques rhétoriques. Pour aller plus loin, je soutiendrai ici qu’il est préférable d’abandonner la définition strictement artisanale ou technique de la rhétorique, car elle n’est pas adaptée aux objectifs de la formation de l’esprit critique. Pour traiter les discours conspirationnistes, qui sont en quelque sorte une pierre de touche, les enseignants n’ont pas seulement besoin des techniques ou des exercices de la rhétorique, mais également de ses normes discursives, linguistiques, éthiques et logiques. Or, c’est seulement sous sa forme de discipline scolaire que la rhétorique peut les prendre en charge. À la différence des techniques ou des arts, les disciplines scolaires ont en effet une configuration qui articule des savoirs techniques, des valeurs et des normes dans une visée éducative, par définition normative (Reuter, Cohen-Azria, et Lahanier-Reuter 2021 : 83). Il conviendra, bien sûr, d’expliciter plus précisément les normativités de la rhétorique, qui ne sont plus évidentes aujourd’hui, tant s’est imposée sa version technique.

6Pour ancrer ma proposition dans le discours pédagogique français, je commencerai par rappeler dans quel contexte ont émergé les propositions pédagogiques rhétoriques, d’abord confrontées à la réduction positiviste de l’esprit critique à l’esprit scientifique. Je montrerai ensuite que cette version n’est pas la seule possible et comment les rhétoriciens pourraient réinvestir aujourd’hui la réflexion normative sur les (bons) orateurs et les (bons) discours, autrefois menée dans la tradition rhétorique et dont Isocrate, Cicéron ou Quintilien sont les principaux théoriciens. Je proposerai enfin une voie pour expliciter les normativités de la rhétorique, à travers le concept de « vertus rhétoriques », formulés à partir du renouveau de l’éthique des vertus dans les champs de l’éducation, de la linguistique et de la théorie de l’argumentation. Ainsi, les enseignants et les rhétoriciens disposeraient d’une théorie morale adaptée aux objectifs de la rhétorique et, en particulier, à des objets complexes comme les discours conspirationnistes.

1. Les revirements de la pédagogie de l’esprit critique : du « doute philosophique » à la « confiance à bon escient »

7Quelques jours après les attentats terroristes de janvier 2015, l’École française réaffirme son objectif d’enseignement de l’« esprit critique » et des « valeurs de la République », au cœur d’une « Grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République » (22 janvier 2015)2. Deux enseignements transversaux, l’Éducation morale et civique (EMC, en 2015) et l’Éducation aux médias et à l’information (EMI, en 2016), sont notamment renforcés dans les programmes scolaires, dans le cadre d’une réforme du collège. Dans ce contexte, deux documents seront successivement publiés par le ministère de l’Éducation nationale pour encadrer les travaux en classe et soutenir la réflexion des enseignants sur l’esprit critique. Le premier est un « document d’accompagnement » anonyme publié en ligne en décembre 2016 sur le site du ministère de l’Éducation nationale, intitulé « À l’école de l’esprit critique » (document 1)3. Le second, « Éduquer à l’esprit critique. Bases théoriques et indications pratiques pour l’enseignement et la formation » (2021, document 2), est la publication à destination des enseignants des résultats du groupe de travail 8 du Conseil Scientifique de l’Éducation nationale (Pasquinelli et Bronner éds. « Développer l’esprit critique »)4. De 2016, en réponse à la crise, à 2021, les publications se sont considérablement étoffées, de 5 pages pour le premier, à près de 130 pages pour le second.

1.1. « Esprit scientifique » vs « l’esprit crédule »

8Le document 1 inscrit l’esprit critique dans la glorieuse tradition philosophique des Lumières, en opposant l’esprit critique à l’esprit dogmatique. Alain, Gaston Bachelard, Claude Bernard, classiques de l’épistémologie française, mais aussi Emmanuel Kant et Ernst Cassirer sont convoqués pour définir l’esprit critique comme une conquête fortement connotée de l’intelligence sur la bêtise : « il est possible de distinguer l’esprit critique de la crédulité ou de la naïveté, un esprit crédule étant un esprit prompt à croire ce qu’il voit ou entend » (2). La stratégie pour éviter la crédulité du naïf, c’est la démarche scientifique. Le document 1 cite C. Bernard et le « doute philosophique » ainsi que Bachelard, utilisé comme argument d’autorité : « l’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. […] Pour un scientifique, toute connaissance est une réponse à une question ». Faire preuve d’esprit critique consiste ainsi à « faire un usage libre et public de sa raison » (Kant, Qu’est-ce que les Lumières? 1784).

  • 5 Au lycée, l’ÉMC dispose de 15 heures environ par an, soit 30 minutes par semaine.

9Mais comment faire en classe ? En laissant dans l’ombre la contribution d’autres disciplines scolaires, le document se concentre sur deux enseignements transversaux à faible dotation horaire, l’Éducation morale et civique (ÉMC) et l’Éducation aux médias et à l’information (ÉMI)5. En ÉMC – c’est-à-dire, le plus souvent, avec un enseignant d’histoire-géographie qui n’est un spécialiste ni du discours ni d’argumentation –, on pratiquera « débat réglé, discussion à visée philosophique, dilemme moral, conseil d’élèves, etc. ». En ÉMI, « l’esprit critique désigne bien la capacité à avoir une lecture distanciée des contenus » et il s’agira de « passer au crible de l’analyse ce que l’univers multimédiatique » offre aux élèves.

  • 6 Voir Taguieff (2021) qui distingue la théorie d’un complot – qui nécessite une enquête et peut être (...)

10Concernant les discours conspirationnistes, les pratiques pédagogiques traditionnelles rattachées à cette conception relèveront logiquement du debunking, du fact checking et de ce qu’on peut appeler plus généralement la « posture critique » qui se trouve ici réduite à une démarche. Dans le cas de la pensée ou des récits conspirationnistes6, les outils de la méthode scientifique (rappelés par les courants de la zététique ou de l'autodéfense intellectuelle) sont désormais bien connus. On peut citer, notamment, la déconstruction des biais cognitifs (d’intentionnalité, de confirmation, d’engagement…) typiques de la pensée conspirationniste ; le repérage et l’évaluation critique des sophismes compris dans les récits eux-mêmes (argument d’autorité, post hoc propter hoc…). Sont également explicités deux principes heuristiques : le rasoir d’Ockham, « l’explication la plus simple est souvent la meilleure » et le rasoir de Hanlon, « ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise seule peut expliquer » (Desormeaux et Grondeux 2017).

1.2. « Faire confiance à bon escient »

11Le cadre rassurant de la démarche scientifique a néanmoins éclaté dans la synthèse coordonnée par Pasquinelli et Bronner (2021). Certaines limites de la « pensée critique » ou « scientifique » ont été soulevées par ailleurs, en particulier dans la réflexion anglo-saxonne sur les pédagogies de l’esprit critique (Hyslop-Margison 2003, Dentith 2019, Hitchcock 2020) : les élèves, d’abord, n’ont parfois pas de véritables croyances complotistes, mais cherchent seulement à faire dévier le fil du cours. Ensuite, le debunking ou démystification par la critique ne fonctionne pas ou peu avec ceux qui ont des croyances complotistes déjà très ancrées – et il aurait même un effet inverse –, même si la démarche reste utile pour le reste de la classe (les incertains). De plus, cette démarche critique, dans le cas des récits conspirationnistes, peut mettre l’enseignant dans une position inconfortable : il a la charge de la preuve et risque d’entrer dans un cercle vicieux où le doute profitera finalement à l’élève sceptique. Enfin, les critères de scientificité, en théorie valides, sont en pratique difficiles à satisfaire ou à mettre en œuvre concrètement dans une salle de classe. Le temps manque souvent, mais aussi les connaissances fiables disponibles, ou même accessibles. Un critère comme la sélectivité des preuves dans l’argumentation conspirationniste – indice d’un biais de confirmation – rencontre à l’analyse des difficultés, car toute explication est sélective.

12Ce sont précisément ces limites que prennent en compte Pasquinelli et Bronner qui définissent l’esprit critique non plus comme une compétence critique, mais comme un bon ajustement : « l’esprit critique est la capacité à ajuster son niveau de confiance de façon appropriée selon l’évaluation de la qualité des preuves à l’appui et de la fiabilité des sources » (15). Il faut ainsi dissocier l’esprit critique de l’« esprit de critique », qui pourrait pencher vers la défiance généralisée, mais également des concepts de « doute » ou de « suspension du jugement », qui avaient été mis en avant dans le document de 2016. En effet, « sans confiance, on ne peut se forger de système de connaissance, ni augmenter de façon significative le système de connaissance existant. Et c’est pour cette raison que l’aboutissement de l’exercice de l’esprit critique devrait au final amener à faire confiance, à bon escient » (ibid.).

13Si l’esprit critique n’est désormais plus fondu dans l’esprit scientifique ou la démarche expérimentale, on remarque qu’il est néanmoins fortement lié à l’art du raisonnement juste et à une unique activité critique. Les modalités de preuve rhétoriques ou la persuasion au sens large y sont connotées négativement puisqu’elles sont implicitement classées dans les éléments « qui peuvent nous convaincre à tort » (39), au nom de normes que tout discours devrait a priori respecter, mais qui ne sont pas explicitées. Les seules compétences envisagées relèvent de l’analyse, de l’évaluation, de la critique et de l’apprentissage de connaissances sur le monde.

2. L’approche rhétorique : normes, valeurs et techniques

14Quoique plus souple, cette approche reste ainsi presque exclusivement analytique. Par ailleurs, la contribution des Humanités ou des disciplines du discours, comme le cours de français/Lettres, dans la formation de l’esprit critique n’est mentionnée ni dans le rapport Bronner ni dans le texte de cadrage de 2016.

2.1. L’approche rhétorique technique et ses limites

15C’est précisément en réponse à ce point aveugle qu’émerge actuellement des études de rhétorique une invitation à retrouver et à reconstruire un enseignement de la rhétorique (Dross 2023, Chiron 2018, Viktorovitch 2021, Danblon et al. 2021). Cette approche offre un cadre pour prendre en charge notamment les récits et les discours conspirationnistes, qui n’ont pas spontanément leur place dans un programme presque exclusivement littéraire d’une discipline comme le français/Lettres, comme c’est le cas en France au lycée.

16La rhétorique rencontre néanmoins des critiques, dont les principales concernent le statut de la persuasion et celui de la neutralité technique. La persuasion est à la fois, comme on le sait, discréditée du point de vue du savoir – au prétexte que seuls les faits comptent – dans une attitude positiviste. Mais elle est également remise en cause, dans le champ des études d’argumentation, pour d’autres raisons plus légitimes (Plantin 2016 : 450‑458) : d’abord, au nom de la prudence à l’égard de l’éloquence, fortement valorisée dans la tradition rhétorique. On oublierait en effet trop facilement que la rhétorique et les hommes éloquents ont aussi mené au pire. Ensuite, au nom d’une critique du concept même de persuasion dans le champ des études linguistiques : la persuasion, phénomène interdisciplinaire par excellence (Dillard et Shen 2012, Nickerson 2021), est renvoyée à la psychologie ou à la sociologie.

17Par ailleurs, la neutralité technique ne semble pas adaptée aux objectifs éducatifs qui sont unanimement attachés à la rhétorique. L’esprit critique et les compétences citoyennes en général ne sont pas réductibles à des habiletés techniques, puisqu’elles sont précisément de « bons ajustements », cognitifs mais également éthiques et discursifs, à la vie démocratique, comme l’ont suggéré Bronner et Pasquinelli. En cela, elles ont une composante éminemment normative.

18Ces normes démocratiques font bien l’objet d’une transmission, ne serait-ce que par imprégnation, car les enseignements ne sont jamais « neutres », y compris la plus aride modélisation mathématique. Cette normativité de l’éducation est parfois pensée sous une forme transcendante, statique et aliénante. Mais ce n’est pas la seule possible, comme le souligne le philosophe Henri-Louis Go. Si les éducateurs ont bien pour mission de transmettre des normes, au sens de « manières raisonnables d’agir » dans une société et dans une situation donnée, on peut aussi reconnaître que ces normes ont une histoire et sont, pour certaines, discutables. En tant qu’elle s’inscrit dans une histoire,

une collectivité est héritière d’un répertoire de significations normatives, qui s’expriment dans ses usages, et c’est d’abord la transmission de ces significations que l’éducateur prend en charge. […]. Ce sont ces contenus hérités dans l’usage qui font donc autorité sur la façon correcte d’appliquer une norme. […] Cet héritage fournit des raisons crédibles à toute éventuelle décision d’action (Go 2012 : 78).

19Dans les sociétés démocratiques, le rapport à cet héritage normatif est transmissif, mais il est également créatif. L’éducation démocratique, comme le formule Henri-Louis Go à partir de John Dewey, ne consiste pas seulement à transmettre un patrimoine normatif, mais également à créer les conditions d’une délibération sur ce qui vaut le mieux et sur ce qu’il faut faire (Go 2012 : 92). En ce sens, les normativités rhétoriques sont à la fois déjà là – et il reste à les expliciter – et à renégocier, au regard des valeurs démocratiques de l’éducation aujourd’hui.

20Concernant les discours conspirationnistes, l’enseignant de rhétorique ne peut donc pas se limiter à étudier la réussite technique des mécanismes d’adhésion. Dans une démarche active que permet la rhétorique, il ne devrait pas non plus se limiter à faire produire des « complots fictifs » pour expérimenter de l’intérieur les rouages de la mécanique complotiste. Pour que ces activités rhétoriques atteignent leurs objectifs, elles doivent en effet prendre sens, aux yeux des élèves comme des enseignants, au regard d’un projet d’éducation démocratique, caractérisée par le goût de la vérité, de la raison et du dialogue. Ainsi la rhétorique assume son système normatif de discipline au service d’un projet d’éducation orienté et non neutre : la figure positive de l’orateur, conçu comme un citoyen actif qui participe à la discussion sur les fins et les moyens de la vie en commun en démocratie (Canivez 1995).

2.2. L’éclipse des normativités rhétoriques

21Autrefois évidentes, les normativités rhétoriques ont pourtant perdu une partie de leur légitimité dans les disciplines du discours, que ce soit chez les rhétoriciens, les littéraires ou les linguistes. D’abord, la rhétorique a été historiquement discréditée en tant que discipline scolaire à la fin du 19e siècle et avec elle son système normatif. La discipline français/Lettres, aujourd’hui, n’a plus l’ambition de former un (bon) orateur et n’a donc plus besoin des normes et des prescriptions de la tradition rhétorique (Genette 1966), même si elles n’ont pas entièrement disparu.

  • 7 Wertfreiheit (‘absence de valeurs’, ce terme pris sans connotation péjorative). Voir « Le métier et (...)

22Ensuite, et plus largement, les discours normatifs eux-mêmes ont aujourd’hui un statut complexe dans les sciences humaines et sociales, qui sont les héritières d’un vif débat épistémologique sur les postures acceptables ou non pour le scientifique. Dans une conférence célèbre sur le métier et la profession de savant prononcée en 1917, le sociologue Max Weber avait défini le critère aujourd’hui décisif de la « neutralité axiologique » (Wertfreiheit, littéralement ‘absence de valeurs, libre de valeur’) du chercheur envers son objet d’étude, par contraste avec l’homme politique7. Il pouvait ainsi distinguer les rapports aux valeurs – susceptibles d’une enquête scientifique factuelle – et les jugements de valeurs. Cette exigence d’objectivité a été par la suite assouplie, puisque l’on doit reconnaître que le discours scientifique peut, dans certaines configurations et selon certains paramètres, être à la fois descriptif et normatif (Daoust 2015). En particulier quand les objets relèvent de politiques sociales, comme l’économie ou l’éducation – comme c’est précisément le cas ici –, il est nécessaire de pouvoir produire un savoir scientifique, sur la base de faits, mais également de théories morales.

23Ce partage strict entre jugements de valeurs, rattachés à la subjectivité, et jugements de faits, liés à l’objectivité, est cependant encore la norme des littéraires, et notamment des enseignants de français/Lettres. La posture critique et évaluative ne leur est plus familière, au profit d’appréciations objectivantes ou bien de commentaires historiques sur l’évolution des styles, des formes et des genres, comme l’indiquent les rapports de jury de concours et les principaux manuels universitaires de méthodologie de l’explication de texte (Ravoux-Rallo et Guichard 2009). Même si les littéraires posent la valeur du texte littéraire et de la lecture littéraire, ils s’inscrivent résolument dans une perspective analytique et compréhensive, qui exclut en principe les jugements de valeurs sur les écrivains et sur les styles.

  • 8 Pour un panorama clair et précis sur les valeurs dans le champ de l’argumentation et de la linguist (...)

24Du côté des sciences du langage, les normes ne sont pas mieux accueillies. Cette posture n’est pas non plus familière aux linguistes, qui renvoient eux-aussi traditionnellement les jugements normatifs et prescriptifs à une subjectivité non scientifique (Auroux 2014 : 221 ‑289). Les études d’argumentation francophones, qui s’inscrivent dans une approche linguistique, privilégient ainsi la description (Doury et Plantin 2015, Micheli 2014) à l’évaluation normative. Christian Plantin souligne qu’« il n’y a pas plus de marqueur linguistique du discours vrai que de marqueurs linguistiques du bon discours ou du beau discours » (2002 : 237). L’analyste qui évalue la qualité des arguments, l’éthique d’un énoncé ou l’esthétique d’un style, se met ainsi, d’une certaine façon, au même niveau que les locuteurs eux-mêmes qui jugent et participent au débat, au risque de dériver vers une perspective engagée, voire militante (Doury 2013). Des tentatives existent pour intégrer dans la linguistique l’engagement axiologique des chercheurs, à travers la notion de « responsabilité énonciative » que défend Roselyne Koren (2019) à partir d’une relecture de l’œuvre de Chaïm Perelman ou bien l’évaluation morale, à travers les « vertus discursives », théorisée par Paveau (2013), que je présenterai par la suite. Elles sont néanmoins minoritaires dans une discipline linguistique qui valorise la posture de description et exclut a priori les évaluations normatives et les jugements de valeur8.

25Du côté des rhétoriciens contemporains, les normes de la rhétorique ne sont pas rejetées, puisque la persuasion et l’argumentation elles-mêmes reposent, ne serait-ce que du point de vue de l’auditoire, sur des attentes et des conventions normatives, mais elles sont relativisées par la maîtrise technique. À quelques exceptions (Di Piazza et al. 2018), la rhétorique est rarement présentée comme une approche explicitement normative. Que les rhétoriciens se réclament d’Aristote et de Perelman – qui définissent la rhétorique comme une capacité théorique à déterminer ce qui est persuasif – ou du Gorgias de Platon (Viktorovitch 2021) – pour qui la rhétorique est un pouvoir neutre, les normativités rhétoriques sont souvent tronquées ou rendues invisibles – au profit du seul effet persuasif.

2.3. Les ordres normatifs de la discipline rhétorique

26Pour contribuer à la réhabilitation d’une réflexion sur les normes, je propose d’abord d’explorer les ordres normatifs de l’éducation rhétorique en posant, à nouveau, cette ancienne question : qu’est-ce qu’un « bon » orateur ? Dans la tradition rhétorique, la réflexion normative sur la formation de l’orateur s’est articulée autour de trois pôles : un pôle linguistique et discursif – bien parler ; un pôle cognitif et logique – bien penser ; et un pôle éthique – bien agir. Cette tripartition était en effet contenue dans le célèbre uir bonus dicendi peritus présenté par Quintilien dans son traité pédagogique total, l’Institution oratoire (ou Éducation de l’orateur) : un homme de bien, habile à parler, parce que compétent en logique et en discours (Sevestre-Giraud 2023). Le « bon » orateur n’est pas successivement celui qui parle, raisonne et agit bien, mais tout à la fois et en même temps. Quels sont donc les ordres normatifs dont la rhétorique a besoin, notamment pour aborder les discours conspirationnistes ?

2.3.1. L’ordre linguistique et discursif et la question de la variabilité

  • 9 Voir, par exemple, récemment Bertrand et Schaffner (2010, 2011).

27Même si cela ne les concerne pas directement, on doit souligner que la formation linguistique, stylistique et discursive est une dimension fondamentale de l’enseignement rhétorique (Chiron 2020), qui pose aujourd’hui des questions complexes. Après les apports fondamentaux de la linguistique contemporaine, qui a relativisé et dénaturalisé le regard sur les normes d’usage (Abeillé et Godard 2021), quelles normes enseigner et quel(s) statut(s) leur donner dans l’instruction linguistique et stylistique du cours de rhétorique ? La recherche utopique de la « langue parfaite », que retraçait Umberto Eco dans la culture européenne (Eco et al. 1994), a disparu, de même que l’idéologie spontanée du « français standard » (Guerin 2008, 2010) a été déconstruite devant la reconnaissance de la diversité des accents et des parlers des locuteurs francophones. La question portera donc sur les modalités de l’enseignement de ces normes linguistiques et discursives dans la discipline rhétorique, dans une version dénaturalisée et critique qui est aujourd’hui celle des linguistes9.

2.3.2. L’ordre cognitif : normes de connaissance et normes de raisonnement

28Par ailleurs, la rhétorique ne prétend pas seulement former un orateur linguistiquement bien armé, mais également cognitivement. Sans verser pour autant dans le cours de critical thinking (Hoaglund et Plantin 1990, Herman 2011), former un orateur nécessite également de lui fournir des outils critiques pour construire et motiver ses évaluations, comme c’est le cas en stylistique.

29Le « bon » argument rhétorique est régi par une pluralité d’évaluation normative et la logique est à elle seule insuffisante, mais elle n’en est pas moins nécessaire. Un argument, même efficace, peut être invalide sur le plan logique, incomplet ou fragile, pour des raisons formelles ou substantielles, par manque de connaissances par exemple (Walton 2006). Sur un plan dialectique, il peut aussi être plus ou moins acceptable en fonction des contextes et de la nature de l’interaction : un congrès d’astrologues n’est pas un congrès d’astrophysiciens ; un discours épidictique n’est pas une notice encyclopédique ; un débat réglé n’est pas un discours judiciaire. Mais encore faut-il pouvoir nommer ces normes logiques, dialectiques, épistémiques et cognitives avec précision. Pour étudier les mécanismes des discours conspirationnistes, les rhétoriciens ont en effet besoin de mobiliser ces normes, qui dépendent notamment des contextes, des prétentions des locuteurs à tenir ou non un discours vrai et des genres de discours (Walton 1998). Par ailleurs, l’objectif rhétorique de formation de l’esprit critique implique non seulement la maîtrise active, mais la compréhension des mécanismes cognitifs en jeu dans la persuasion et dans l’argumentation, et en particulier les biais cognitifs. Ce savoir, aujourd’hui produit par les sociologues de la cognition et les psychologues sociaux (Joule et Beauvois 2002, Boudon 1990, Bronner 2015), a sa place dans la rhétorique pour lui permettre de comprendre et d’évaluer la qualité des raisonnements et des preuves, sans s’y limiter.

2.3.3. L’ordre éthique : la transmission des valeurs et la vie morale

30La dimension morale et éthique de l’enseignement suscite souvent des malentendus, encore plus si l’on utilise, comme je le ferai, le mot de « vertu ». La vertu évoque immédiatement les « Ligues de vertu » américaines ou leur équivalent contemporain. Il ne s’agit pas de cela dans l’ordre éthique dont il est question ici. L’école a pour finalité de transmettre des normes morales et non pas seulement des savoirs ou des techniques. Ces normes reposent sur des valeurs éthiques auxquelles la société attache de l’importance et qui sont, pour cette raison, l’objet d’une transmission générationnelle (Go 2012).

31Du point de vue de la rhétorique, réfléchir à l’ordre éthique soulève en particulier des questions sur les normes du discours et de l’interaction argumentative : quelle place, par exemple, pour l’invective, dans un cours de rhétorique ? ou bien pour le mensonge ? comment analyser et qualifier des discours malhonnêtes, trompeurs ou des arguments offensants ? L’enjeu pédagogique n’est évidemment pas de dresser la liste de ce qu’il est acceptable de dire, de faire dire ou de lire en cours de rhétorique. Mais on ne peut éluder cette question, qui cristallise les difficultés de tout projet normatif : quels sont les critères et les outils disponibles pour énoncer ces jugements normatifs sur les discours et les orateurs ?

3. La voie des vertus rhétoriques pour restituer à la rhétorique sa pluralité normative

32Dans les études de rhétorique et d’argumentation, plusieurs voies ont été explorées pour réfléchir aux normes du discours et cette réflexion n’est pas nouvelle, en particulier dans la théorie de l’argumentation anglo-saxonne. Trois voies principales me semblent pouvoir être distinguées : la voie utilitariste – rattachée traditionnellement à la rhétorique définie comme un « art de persuader » – qui se concentre uniquement sur l’effet persuasif, indépendamment de toute autre considération ; la voie déontologique qui cherche à établir des normes a priori, sur la base d’un « contrat linguistique » (Detey 2023) pour réguler les pratiques discursives ou définir les « bonnes pratiques » de la discussion en démocratie (Eemeren et al. 1996, Walton 1998) ; la voie descriptive qui vise à identifier les normes d’argumentation spontanées qui émergent de corpus variés, dans une finalité de distanciation critique et de compréhension (Doury 2021). Ces voies offrent chacune des perspectives nécessaires pour l’enseignement du discours, mais elles restent segmentées, du point de vue d’une rhétorique scolaire susceptible de prendre en charge de façon globale des objets comme les discours conspirationnistes. Chacune privilégie un aspect – l’efficacité en action, le respect de la règle a priori, la description compréhensive – alors que la discipline rhétorique a besoin d’une approche intégrée, qui accepte la pluralité des ordres normatifs.

3.1. La discipline rhétorique et l’éthique des vertus

  • 10 Je me limite ici à renvoyer à une présentation synthétique récente de cette tradition pédagogique ( (...)

33Pour éviter ces écueils, je propose de renouer avec la discussion normative autrefois menée au sein de la tradition rhétorique, notamment chez Isocrate, Cicéron ou Quintilien, pour qui la rhétorique n’était pas une technique mais un projet d’éducation10. Ce projet d’éducation s’exprimait dans le vocabulaire des « vertus », qui ne sont pas seulement des compétences ou des habiletés, mais des dispositions normativement orientées à bien agir. Dans cette perspective, il ne suffit pas d’être capable de s’ajuster à son auditoire pour le convaincre, il faut avoir trouvé un bon ajustement au regard de la pluralité normative rhétorique. Je ne m’engagerai pas ici dans une description exhaustive des vertus rhétoriques, car elle nécessite une enquête empirique pour les trouver, les tester et les sélectionner pour leur intérêt pédagogique : cette théorie ne sera en effet pertinente que si elle est adaptée aux enseignants et aux élèves. Je me limiterai à montrer que cette voie est une solution convaincante pour fournir à la rhétorique les normativités dont elle a besoin, en particulier pour affronter les discours conspirationnistes.

34Dans cette théorie des vertus d’origine aristotélicienne (Canto-Sperber 2001 : 2011‑2024), l’avantage est de concentrer l’attention sur la personne – le penseur, l’argumentateur ou l’orateur – et sur ses qualités, en évitant la formulation de lois abstraites à vocation universelle, qui se révèlent parfois mal adaptées à la vie morale, aux choix pratiques et aux situations d’argumentation concrètes. Cette voie a été largement explorée en philosophie de la connaissance (Dutant et Engel 2017, 395‑419), en théorie de l’argumentation (Aberdein 2010, 2014, 2023) et en philosophie de l’éducation, où tout un champ s’est développé autour de l’éducation du caractère (Arthur et al. 2016), dans le contexte de la démocratie pluraliste. En épistémologie, comme le résume Pouivet, elle entend  

décrire les qualités humaines, les vertus intellectuelles ou épistémiques qui garantissent la légitimité de nos croyances. Alors qu’une épistémologie déontologique (une épistémologie des règles) se propose de déterminer à quelle condition une croyance est légitime, tout comme une éthique déontologique recherche la ou les maximes à suivre pour agir moralement (2008 : 125).

35Dans la théorie du discours française, l’attrait pour les vertus n’est pas nouveau et trouve un écho dans les propositions fortes de Marie-Anne Paveau (2013) pour construire une éthique des vertus discursives en linguistique. Cette réflexion sur la rhétorique en est directement inspirée.

36La théorie des vertus permet de concevoir la rhétorique comme un projet d’éducation orienté vers la formation de bons orateurs et non pas seulement d’habiles persuadeurs. Les vertus rhétoriques, si l’on accepte de situer la discussion sur la formation au discours dans ce cadre, posent ainsi la question des critères pour évaluer le discours – la production de l’orateur – mais également l’orateur lui-même. « Rhétorique » signifie ici que ces vertus sont celles que cherche à développer la formation rhétorique. Actualisées par l’orateur dans un discours, elles deviennent les vertus de l’orateur. On peut faire ici l’hypothèse, qui était déjà celle de Quintilien, de l’unité des vertus rhétoriques : un bon discours est le produit d’un bon orateur qui mobilise toutes ensemble ses vertus discursives, éthiques et intellectuelles. On a parfois été déçu des résultats d’une enquête sur les vertus, notamment celles de l’argumentateur dans la théorie de l’argumentation, dans le sens où les vertus obtenues pourraient sembler triviales (Ferry 2013). Même si elle rappelle des évidences, cette théorie morale normative est pourtant nécessaire au projet en cours de réinvention de la discipline rhétorique, en particulier quand elle prétend prendre en charge les discours conspirationnistes.

37En l’occurrence, ces critères relèvent à la fois de prescriptions grammaticales ou stylistiques, mais également de l’éthique et de l’épistémologie. L’enseignant évalue et corrige l’expression de ses élèves – leurs compétences fonctionnelles linguistiques et langagières – et les accompagne dans leur appropriation et leur compréhension des normes discursives. Certaines de ces vertus sont présentes dans les traités de rhétorique et dans la tradition littéraire, comme la clarté, la correction de la langue ou la convenance. Elles sont sans doute celles qui sont aujourd’hui les plus évidentes dans un cours de français/Lettres, à une différence près. Il est rare aujourd’hui que les textes littéraires soient eux-mêmes évalués et critiqués selon une grille d’évaluation stylistique (Mérot 2016), qui est pourtant entièrement réversible dans une logique rhétorique où les discours sont lus et étudiés comme matrice de nouveaux discours à produire. La rhétorique, de ce point de vue, implique une évaluation critique et réflexive des styles qui obligent à renouveler non seulement les pratiques d’explication de textes, mais la posture des élèves et de l’enseignant face à d’éventuelles divergences dans les jugements de valeur, qu’ils soient esthétiques ou moraux (Rouvière 2018).

38Par ailleurs, les progrès de la réflexion sur les vertus intellectuelles fournissent des éléments importants pour approfondir la réflexion sur les vertus rhétoriques. Il est désormais possible de s’appuyer sur les travaux qui ont cherché à définir les vertus du bon « penseur critique » (Hitchcock 2020 : 19). Cette voie a notamment été explorée en France dans le cadre pédagogique de l’enseignement des sciences par Denis Caroti qui insiste quant à lui sur l’exercice de trois vertus épistémiques : l’humilité, la rationalité et le scepticisme modéré (2022 : 147). En l’état, le cadre de ces vertus est néanmoins limité à la logique d’une enquête scientifique sur des croyances vraies, qui n’est pas celle de la rhétorique. L’argumentation rhétorique, si l’on suit la distinction de Chaïm Perelman, ne relève pas de la démonstration scientifique, mais d’une logique du préférable qui réhabilite les jugements de valeur. Il conviendra donc d’intégrer à cette réflexion sur les vertus épistémiques – orientées vers la vérité –, des vertus plus rhétoriques, liées à l’exploration du vraisemblable – ce qui semble vrai dans un contexte donné – et du préférable, qui n’attendent pas de réponse « en vérité ». En pratique, ces vertus seraient liées à l’acquisition de connaissances sur le monde et d’une mémoire culturelle, qui sont des instruments que la rhétorique doit en particulier intégrer pour travailler les discours conspirationnistes, leurs topoï et leurs figures obsessionnelles.

39En éthique, les travaux de Marie-Anne Paveau sur le langage et la morale fournissent déjà un cadre robuste et particulièrement adapté à une réflexion sur les vertus éthiques de l’orateur, à condition cependant d’intégrer ces vertus à une pédagogie du discours. En effet, les vertus théorisées par Paveau sont pour l’instant à l’usage du linguiste. Il s’agissait dans sa perspective de justifier l’intégration des jugements éthiques en linguistique, notamment autour de ce qu’elle définit comme des « évènements discursifs moraux », des productions discursives qui ont suscité des commentaires métadiscursifs de nature morale. La discipline rhétorique aura cependant besoin d’étendre plus explicitement ces vertus aux apprentis orateurs et oratrices, dans une logique d’analyse, mais aussi de production et d’incarnation. Pour elle, le discours « vertueux » est

un discours qui est ajusté aux valeurs en circulation dans la réalité complexe et instable des agents et de leurs environnements. Cet ajustement concerne trois éléments : les agents et leurs relations (que l’on peut décrire par la notion de décence, empruntée à A. Margalit), le monde (la réalité et ses représentations) et l’ensemble des productions verbales constituant la mémoire discursive des sociétés (discours, prédiscours, lignées discursives). Ces éléments formant un système à la fois discursif, cognitif et éthique, dans lequel ils sont profondément enchevêtrés (160).

40La rhétorique dispose ainsi d’un cadre général pour évaluer l’acceptabilité éthique d’un énoncé et pour orienter la production elle-même de discours « vertueux », au sens défini par Marie-Anne Paveau.

Conclusion et pistes de recherche

41Dans la prise en charge pédagogique des discours conspirationnistes, bien des difficultés se dissipent pour les enseignants de rhétorique, si l’on prend le parti de théoriser la rhétorique comme le projet d’éducation de bons orateurs et de bonnes oratrices. Le bon orateur, en ce sens, n’est ni « neutre » ni indifférent à la vérité et aux valeurs. Il est également un bon penseur critique, cognitivement outillé pour ajuster son niveau de confiance à la qualité des discours auxquels il est confronté. J’ai donc proposé d’exploiter une théorisation de la rhétorique, devenue rare aujourd’hui, comme discipline normativement orientée en vue de développer des « vertus » discursives, cognitives et éthiques. Cette théorisation peut être reconstruite à partir de la tradition rhétorique elle-même – on la trouve chez Isocrate, Cicéron ou Quintilien -, mais également de l’éthique des vertus contemporaine.

  • 11 Arthur et al. 2016 et Gagnon 2020 soulignent la nécessité de méthodologies hybrides – observation d (...)

42Du point de vue de l’enseignement et des études de rhétorique aujourd’hui, cette théorisation, si on l’accepte, a des conséquences positives très concrètes. Elle permet à la rhétorique de (re)devenir une discipline autonome, qui articule et intègre les savoirs produits dans d’autres disciplines. En cela, elle peut apporter une réponse pédagogique plus complexe à des objets particulièrement difficiles comme les discours conspirationnistes, en portant sur eux un regard technique et descriptif, sans dévaloriser en retour la nécessaire critique normative ou les compétences de production et d’incarnation. Elle invite également à ouvrir un chantier de recherche collectif, qui aurait pour objectif de conduire une réflexion sur les vertus rhétoriques en démocratie aujourd’hui. Ce chantier comprendrait au moins trois volets : une description réaliste des vertus rhétoriques dans le contexte des valeurs démocratiques de l’éducation ; parmi elles, la sélection des vertus les plus pertinentes au regard des besoins des enseignants et des élèves et des situations d’enseignement rhétoriques ; enfin, la définition des modalités concrètes d’évaluation de ces vertus dans un cours de rhétorique, qui posent des problèmes difficiles mais non insurmontables11.

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Notes

1 Pour cet état des lieux, j’ai retenu trois critères pertinents pour mon propos : ces ouvrages sont les plus récents, ils se présentent comme des manuels ou traités de rhétorique à visée pratique et ils ont été écrits par des chercheurs spécialistes de rhétorique.

2 https://www.gouvernement.fr/actualite/grande-mobilisation-de-l-ecole-pour-les-valeurs-de-la-republique (consulté le 16 mai 2024).

3 https://eduscol.education.fr/document/22168/download (consulté le 16 mai 2024).

4 https://www.reseau-canope.fr/conseil-scientifique-de-leducation-nationale-site-officiel/groupes-de-travail/gt8-developper-lesprit-critique.html (consulté le 16 mai 2024).

5 Au lycée, l’ÉMC dispose de 15 heures environ par an, soit 30 minutes par semaine.

6 Voir Taguieff (2021) qui distingue la théorie d’un complot – qui nécessite une enquête et peut être avérée – des récits ou de la pensée conspirationniste.

7 Wertfreiheit (‘absence de valeurs’, ce terme pris sans connotation péjorative). Voir « Le métier et la vocation de savant », trad. de J. Freund, Le savant et le politique, Plon 1963 : 103, ainsi que la mise au point de Beitone et Martin-Baillon (2016).

8 Pour un panorama clair et précis sur les valeurs dans le champ de l’argumentation et de la linguistique en général, on peut aujourd’hui se référer à l’étude de Guerrini (2019).

9 Voir, par exemple, récemment Bertrand et Schaffner (2010, 2011).

10 Je me limite ici à renvoyer à une présentation synthétique récente de cette tradition pédagogique (Vidal 2023).

11 Arthur et al. 2016 et Gagnon 2020 soulignent la nécessité de méthodologies hybrides – observation directe qualitative, auto-évaluation, tests à partir de dilemmes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Benjamin Sevestre-Giraud, « Esprit critique et discours conspirationnistes : pour des vertus rhétoriques »Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], 33 | 2024, mis en ligne le 15 octobre 2024, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/aad/8551 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12hvh

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Auteur

Benjamin Sevestre-Giraud

Aix-Marseille Université (France) & Université Libre de Bruxelles (Belgique), doctorant

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