Vient de paraître
Livres
Theodor W. Adorno, la Fonction de la couleur dans la musique. Timbre, musique et peinture. Wagner, Strauss et autres essais, Genève, Contrechamps Éditions, 2021, 351 p.
Pour Adorno, la seconde partie de l’œuvre de Strauss est « une version cinématographique de la première » (correspondance avec Thomas Mann). Comment entendre cette référence au cinéma s’agissant de musique ? L’un des passages du texte du philosophe de 1964, « Richard Strauss en son centenaire » (traduit dans ce livre), aide sans doute à répondre. « Le temps inhérent à la musique de Strauss est identique à celui des processus industriels, le temps physico-technique, temps espace linéaire et infini ». La « vie » qu’il s’obstine à pourvoir est une vie sans médiation, vie administrée : « les motifs s’alignent telles des vignettes... », « la main fait se succéder les vignettes si rapidement derrière la laterna magica que leur qualité de monade passe inaperçue. Strauss était un compositeur au sens propre du mot, quelqu’un qui met ensemble ; il commande les instantanés ; l’impulsion du mouvement qui est la sienne, pratiquement jamais celle des motifs fixés par la photographie ». C’est un temps extérieur et le musicien « nous fait passer d’une vignette à l’autre » « en entrepreneur de transports esthétiques ». « Sa manière de procéder fait penser au film ; qu’il ait abandonné le Chevalier à la rose à ce dernier est dans la logique des choses » (pp. 239-240). On reconnaît là, un peu surprenant de la part de l’hegelien Adorno, l’argumentation bergsonienne d’un « temps-espace » mécanique de la bande filmique alignant ses instantanés équidistants, opposé à un temps-durée (dans la Philosophie de la nouvelle musique, Adorno voit Stravinski et son école mettre fin au bergsonisme musical). C’est là un des aspects de ce livre où le cinéma n’est pas abordé en tant que tel sinon brièvement, mais les rapports de « L’art et les arts » où sont distingués les arts « auxquel[l]s l’image donne ou a donné son empreinte (...) – ce sont les arts de l’imitation ou de la représentation – et, d’autre part, les arts qui se sont d’emblée soustraits à cette empreinte de l’image (...) comme la musique ». Les réflexions et débats autour d’une musicalité de l’image cinématographique, particulièrement vifs dans l’époque du muet, trouveront assurément des aliments ou des contradictions dans ce texte comme dans ceux où le philosophe examine les rapports entre « peinture et musique aujourd’hui » ou entre la sculpture (de Fritz Wotruba) et la musique (dans « La fonction de la couleur dans la musique » il discute la notion de « vouloir artistique » d’Aloïs Riegl). Plus profondément il s’agit pour le philosophe d’envisager l’« effrangement » des lignes de démarcation entre les arts et de l’antagonisme qui en découle entre l’art contemporain et le grand public : « lorsqu’on porte atteinte aux frontières, l’angoisse de défense face au mêlé se réveille facilement. Ce dispositif a trouvé son expression pathogène dans le culte national-socialiste de la race pure et ses invectives contre l’hybride » (p. 161). On parle alors de « décadence ». Examinant l’évolution des arts contemporains il s’attache au dépassement du projet fusionnel de l’« œuvre d’art totale » (« agglomérat des arts ») déjà amorcé par Kandinski via la « réciprocité technique » mais rapidement supplanté par les avant-gardes cherchant l’abolition même de l’art par le recours au montage visant à « perturber le sens des œuvres d’art par une invasion de fragments issus de la réalité empirique » (p. 177), abolition dont le cinéma s’approche le plus près comme l’ont vu Benjamin et Kracauer (qu’Adorno cite à ce point de sa démonstration). Mais le « sauvetage du monde chosal extra-esthétique » kracauérien (la rédemption de la réalité physique) qui exige la répudiation de la stylisation par « l’immersion non-intentionnelle de la caméra dans l’état brut de l’étant dont l’ordre précède toute subjectivité » est « derechef un principe de stylisation » : « au moment où, de par sa législation immanente, il voudrait rejeter ce qu’il y a d’art en lui (...), le cinéma dans cette rébellion même, est encore de l’art, et il élargit le champ de l’art » (p. 179). C’est aussi dans l’abord d’un art et mieux d’œuvres (car Adorno se réclame d’une micrologie) que l’on pourra encore trouver matière à réflexion en particulier dans la manière d’envisager l’historicité de celles-ci, avec l’articulation entre la forme et le contenu. C’est sur le « cas » Wagner – sur lequel il est revenu à plusieurs reprises à des intervalles de plusieurs décennies – que sa méthode est la plus instructive car si « les œuvres d’art sont l’écriture historique inconsciente de l’essence et de la non-essence historique » (p. 307) – ce qui pourrait faire songer au Kracauer de De Caligari à Hitler –, il appert qu’il faille considérer toute œuvre d’art comme un « champ de forces » où la propre exigence de l’œuvre (explicitée, intentionnelle comme celle procédant de son autonomie formelle) trouve sa contradiction jusqu’en elle-même. « Ce qui réussit mieux à Wagner que l’ordre dont il défendit les violences les plus sombres, doit à la décadence, à l’incapacité d’un sujet mutilé dans ce qu’il a de plus intime par la surpuissance de l’existant, d’avoir satisfait aux règles du jeu de cet existant même ». L’œuvre peut témoigner contre le dessein de son auteur comme de son assentiment aux circonstances qu’elle reflète. Certes la forme de nationalisme qu’incarnent Wagner et surtout son œuvre a explosé dans le nazisme et il ne faut pas sous-estimer le fait que « le potentiel nazi est toujours dangereusement vivant dans la réalité allemande » comme chez Wagner (« L’actualité de Wagner », 1963), mais « choses de l’esprit, les œuvres d’art ne sont pas quelque chose de fini, d’achevé. Elles sont un réseau de toutes sortes d’intentions et de forces possibles, de tendance internes et de leurs contraires, de réussites et d’échecs nécessaires. Objectivement de nouveaux aspects s’en détachent, se profilent sans cesse, d’autres, en revanche, s’effacent et meurent » (p. 184). « Chez Wagner, pour la première fois, la fin du monde devient un spectacle non encore advenu » (p. 315), laquelle peut témoigner du « besoin et de l’espoir du peuple » (p. 309). Paradoxalement, ce n’est pas la forme s’affirmant elle-même sans faiblir mais la forme déclinante qui est porteuse d’une nouveauté en cours d’élaboration et qui sera reprise par Schönberg. Car « on adopte une attitude vraie à l’égard d’une œuvre d’art non pas en adaptant celle-ci à une situation nouvelle, comme on dit, mais bien en déchiffrant dans l’œuvre ce par rapport à quoi on réagit autrement en vertu de l’histoire » (p. 184).
François Albera. Léger et le cinéma, Paris, Nouvelles Éditions Place, 2021, 107 p.
Le peintre Fernand Léger est aussi un cinéaste. Il est non seulement l’auteur du Ballet mécanique, œuvre maîtresse de l’avant-garde des années 1920, mais aussi de Dreams That Money Can Buy, partie du film collectif que coordonna Hans Richter aux États-Unis (1944-1947) avec Man Ray, Marcel Duchamp, Alexandre Calder, et de nombreux projets dont certains ne sont que des scénarios virtuels (l’Urinoir), des films entrepris et abandonnés (Charlot cubiste) ou près d’être tournés (la Vierge rouge), et des collaborations comme décorateur (l’Inhumaine de L’Herbier, Things to Come de Korda), sans compter les textes, nombreux, où il est question du cinéma en général ou des films des autres (la Roue). L’auteur soutient la thèse que pour Léger le mouvement au cinéma n’est pas capté ni même reconstitué mais construit, construction qui implique que choc, saute, contraste, lacune et inversion soient les figures privilégiées de son écriture.
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René Allio, les Carnets, tome III, Montpellier, Deuxième époque, « Une vie dans l’art », 2021, 362 p.
Les carnets de travail et de réflexion du décorateur, scénariste et réalisateur René Allio, qu’éditent Annette Guillaumin et Myriam Tsikounas et que préface François Amy de la Bretèque, couvrent la période allant de mai 1981 à juillet 1986. Écrits dans le dessein d’être publiés (l’auteur tente de le faire à plusieurs reprises puis renonce), certains sont perdus (dans un train puis parce qu’on lui vole sa sacoche). Ils correspondent à une période politique caractérisée : de mai 1981, avec l’accession de Mitterrand à la présidence de la République, à mars 1986, première cohabitation Chirac-Mitterrand. Comme le suggère subtilement le préfacier, cette courbe descendante (espoir – désenchantement – désespoir) suit celle de la vie privée et professionnelle d’Allio : dissensions avec sa compagne Christine Laurent et rupture (« tordons, tordons le cou à l’amour » qui fait songer au « Crachons veux-tu bien » d’Eluard), mise en place du CMCC de Fontblanche (une coopérative de production qui produira notamment Guédiguian), projets du film Matelot 512. On suit le processus de production du film pas à pas, les retournements de producteurs (le Suisse Jean-Marc Henchoz dont l’échec commercial de l’Argent de Bresson le fait renoncer), de FR3 (on est prêt à en faire un feuilleton puis plus rien) jusqu’à l’échec dans les salles précédé de séances où, apprenant qu’il aurait été critiqué par un groupe d’intellectuels, Allio se dit que si c’est vrai il « aurai[t] enfin franchi un grand pas ». Las, le public ne suit pas non plus ce film fait en « hommage à l’imagerie et l’imaginaire populaire » (déjà abordé par un autre biais dans Rude journée pour la reine). Et c’est la mise en route d’autres projets (Un médecin des Lumières), des problèmes d’argent (dettes), des travaux pour le théâtre et l’opéra (décors). Beaucoup de notations sur des films qu’il voit en grand nombre (India Song de Duras, Toute une nuit d’Akerman, Une chambre en ville de Demy, l’Impératrice rouge de Sternberg – qu’il trouve « stalinien » –, Identification d’une femme d’Antonioni, qui le déçoit car trop froid, E.T. de Spielberg – « enfin un vrai conte » –, Danton de Wajda qu’il récuse, la Femme d’à côté de Truffaut – « on dirait une émission de télévision » –, les Amants crucifiés de Mizoguchi dont la rigueur et le tranchant du récit, du découpage et de l’image le laissent pantois), les pièces de théâtre (Purgatoire à Ingolstadt de Mariluise Fleisser qu’avait filmé Fassbinder : « voir un spectacle aujourd’hui où il n’y aurait ni écran de télé, ni actrices et acteurs nus, ni costumes en cuir, ni bande-son décalée tonitruante. Fatras de toutes les modes, avec toutes les complaisances » ; les Nègres de Genêt mis en scène par Peter Stein qui pose, en 1984 déjà, la question du black face ; la Fausse suivante de Marivaux mise en scène par Chéreau et l’hystérie à la mode au théâtre), les musées... Un curieux reniement de ce qu’il a fait (la Vieille Dame indigne) dont il enrage qu’on l’y renvoie toujours (« brechtisme... me voilà encore une fois pointé des vieilles étiquettes ») qui s’explique par un anti-marxisme très à la mode dans cette période (Pierre Kast « marxisto-trotzkiste » ou Antoine Vitez : « On sent très vite l’ancien marxiste. Cela m’agace. J’ai à ce sujet des réactions très viscérales et ‘‘partisanes’’. Vieux compte jamais réglé ») et un retour sur soi (« S’il est un défi à relever aujourd’hui, c’est bien de se vouloir un moi », citation de Roland Jaccard à laquelle il souscrit). Frappe l’investissement politique : malgré quelques hésitations lors du sacre au Panthéon, adhésion à Mitterrand, anticommunisme rageur (PC et CGT « une nouvelle peste inacceptable, à extirper », « une sorte de répulsion »), une certaine complaisance à l’endroit des décideurs politiques (« Je suis avec vous, cher Gaston [Deferre] », télégramme à Mitterrand). Peur de l’âge (déni puis angoisse), somatisation (à la sortie de Matelot 512 des calculs le font hospitaliser), solitude.
François Amy de La Bretèque, Jean-Philippe Trias (dir.), Mémoire des lieux et écriture cinématographique de l’histoire, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan/Institut Jean Vigo, 2021, 200 p.
Plutôt que des « lieux de mémoire » selon l’expression de Pierre Nora, ce livre prend pour objets des lieux ordinaires et concrets qui conservent des traces d’histoire parfois enfouies et à remettre au jour. Une rue, une place, un bocage, une forêt où l’on s’est battu, des baraquements abandonnés, des grottes dans un désert de cailloux. Le cinéma, art du concret, art de l’image et du son, a vocation à enregistrer ces traces, parfois infimes, qui imposent aux cinéastes d’en construire ou d’en problématiser le récit. Leurs films proposent ainsi aux spectateurs non pas une histoire toute faite mais une histoire en train de s’écrire. Lieu particulièrement emblématique de cette approche pour les éditeurs perpignanais, Rivesaltes, camp militaire transformé en camp de concentration pour les réfugiés espagnols en 1939, les antifascistes allemands à la déclaration de guerre, les juifs proscrits de la communauté nationale sous Vichy, puis, après la guerre, les prisonniers allemands, les harkis après la fin de la guerre d’Algérie et, finalement, les réfugiés économiques des années 1980-2000. Camp laissé longtemps à l’abandon et auquel plusieurs cinéastes ont redonné une visibilité avant que la patrimonialisation le fige dans un mémorial : Jacqueline Veuve, Claire Angelini, Dominique Cabrera, chacune de ces cinéastes dépliant une vision différente, enrichissant à l’aide d’un medium non scriptural une réalité historique stratifiée, recouverte, oubliée. C’est là de manière éclatant l’apport de celles et ceux que François Hartog appelle les « outsiders » de l’histoire (écrivains, artistes, cinéastes) auxquels il prête une dignité égale à celle de ses confrères académiques.
Compte rendu dans le prochain numéro
Édouard Arnoldy, De la nécessité du film. Notes sur les exclus de l’histoire du cinéma, Sesto S. Giovanni, Mimésis, « Images Médiums », 2021, 217 p.
Édouard Arnoldy, qui a consacré un précédent ouvrage à une théorie critique du film et de l’histoire du cinéma inspirée par sa lecture de Siegfried Kracauer, poursuit son épistémologie de l’histoire du cinéma et du cinéma comme écriture de l’histoire visant à éveiller le geste critique en remettant sur le métier « des idées parfois arrêtées, toutes faites » afin de « penser à nouveaux frais des méthodes » à la lumière de Lucien Febvre, Carlo Ginzburg, Patrick Boucheron, Walter Benjamin et Siegfried Kracauer réunis sous une même bannière. Refus de l’historicisme, de l’histoire comme collecte de faits et d’événements censée donner accès à la vérité du passé, au profit d’une construction de celui-ci à partir des enjeux du présent : une histoire critique. Une réflexion qui passe par une lecture critique d’Adorno, resté étranger au cinéma comme aux films (en dépit de sa suggestion productive de distinguer les deux), et s’exemplifie avec la figure du chiffonnier à l’époque du capital, de la photographie et du cinéma. Si l’historiographie critique privilégie l’envergure politique d’un élément d’histoire pour le considérer dans sa pleine actualité, qu’en est-il de ce personnage auquel se sont intéressés tant Benjamin que Kracauer en point d’en revendiquer la stature ? Rebut du capitalisme, sa victime, spectre de la déchéance pour ceux que « la machinerie rejette sans cesse hors de la fabrique » (Marx), il inspire les poètes étant ou se vivant eux-mêmes comme des exclus (Baudelaire) et hante la photographie et le cinéma (Lewis Hine, Georges Lacombe avec la Zone, René Clair) sous les espèces ambiguës de la pauvreté mais aussi de l’oisiveté et du mouchardage (les Enfants du paradis). Le rapprochement avec le clochard n’est pas fait (la photographie « humaniste », Boudu de Renoir), personnage moins compromis dans la marchandise sous son aspect déchu, sale voire porteur de maladies (la chiffonnière chargée du délissage des tissus), encore que des passerelles existent (Charlot oscille entre ces états comme entre ceux de prolétaire et de chômeur). Enfin Arnoldy s’intéresse à « l’histoire invisible et [aux] possibles du cinéma ». Le cinéma rend visible, c’est son trait dominant : loupe, télescope, ralentisseur ou accélérateur, monteur pour tout dire sont ses moyens spécifiques, formatifs. Par conséquent, caméra chiffonnière, il rend visible ce que l’histoire positive, l’historicisme de la « société régnante » a délaissé, il explore les fissures. Il « saisit le résidu que l’histoire a congédié » (Kracauer). En cela il développe – en outsider pour reprendre le terme d’Hartog – cette histoire critique via ses formes critiques et l’inquiétude qu’il sait instiller par le regard qu’il porte sur le réel.
Loïc Bertrand, Pierre Schaeffer, Pierre Henry. Symphonie pour un homme seul, Genève, Contrechamps Poche, 2021, 243 p.
Ce livre de Loïc Bertrand, auteur d’une thèse sur l’archéologie des arts sonores (Paris-Diderot) porte sur le rapport des technologies à l’art, en particulier à la musique, qui nous fait retrouver « La Motoculture intellectuelle » d’Émile Vuillermoz (ignoré par l’auteur), vouée à la question du passage d’un moyen d’enregistrement et de diffusion à un procédé artistique créatif (voir 1895 no 90). Il se focalise en particulier sur la « Symphonie pour un homme seul » de Schaeffer et Henry, première œuvre marquante de « musique concrète » qui, gravée sur vingt-deux disques acétates, fut diffusée par la Radio nationale en 1949 avant sa création à l’École normale de musique l’année suivante. Henry était un élève de Nadia Boulanger et avait suivi des études de percussions et d’écriture au Conservatoire avant de rencontrer Schaeffer, ingénieur, au Studio d’essai de la RTF. Tous deux œuvrèrent à l’éviction des interprètes par le recours direct du compositeur aux appareils d’enregistrement et de diffusion et par la promotion de la collecte des bruits générés par ces machines et la possibilité de les mixer avec d’autres objets sonores. Loïc Bertrand replace cette entreprise dans son contexte et la rapporte à ses conditions de production techniques et esthétiques, à partir de sources inédites (archives sonores, journal de Schaeffer) retraçant de la sorte la genèse de l’œuvre qu’il analyse en détail. À lire ce passionnant ouvrage, on peut se demander si Schaeffer et Schaeffer-Henry (qui se séparent après quelques années de collaboration fructueuse), en plaidant pour une dés-hiérarchisation des musiques (Bourvil et des chants africains mêlés à Bach ou Schönberg), qui comportait une charge subversive à l’origine, ne sont pas les pères du nouvel académisme qui arase toutes les différences dans « l’équivalent général » du son devenu l’ordinaire des programmes radio. Pour les chercheurs en cinéma la redécouverte de Pierre Schaeffer, entreprise depuis plusieurs années maintenant, réserve encore des surprises concernant ses relations au cinéma, longtemps réduites à sa contribution sur la musique et les bruits filmiques dans la Revue du cinéma des années 1940. L’ouvrage Essai sur la Radio et le Cinéma, esthétique et technique dans les arts-relais [1941-1942] (Allia, 2010) a puissamment relancé cet intérêt, c’est pourquoi Schaeffer ayant dit lui-même combien le cinéma l’inspirait, on regrettera que l’auteur de ce livre-ci soit resté dans le flou pour ce qui est des sources cinématographiques, c’est-à-dire de s’en être privé. Ainsi quand Schaeffer écrit « si nous rapprochons ce qu’il y a de plus mécanique de ce qu’il y a de plus humain, une locomotive et un cœur qui bat dans une poitrine... » (p.152), c’est, de toute évidence, une « image » qui vient de la Roue de Gance et cela ouvre à d’éventuelles suggestions que la Chanson du rail, ce montage purement mécanique tiré du film, a pu offrir à Schaeffer. Sans compter l’implication d’Honegger dans le film. De même l’auteur s’est peu intéressé, voire pas du tout, au montage au cinéma pourtant évoqué comme un modèle par Schaeffer, en dehors des sources que donne ce dernier lui-même : trois citations d’Epstein non datées. S’agit-il de textes de la période muette ou sonore du cinéma ? Il aurait été intéressant de savoir si Schaeffer lisait Epstein après la guerre – le Cinéma du diable, l’Intelligence d’une machine, Esprit de cinéma qu’on redécouvre de nos jours ayant été quelque peu ignorés à l’époque. De même encore le concept de photogénie suivi de celui de phonogénie (p. 55), ce dernier très discuté au moment du « parlant » – introduit par les Formalistes russes dès 1927. Les barrières disciplinaires sont encore solides...
Manon Billaut, André Antoine au cinéma, une méthode expérimentale, Sesto San Giovanni, Mimésis, coll. « Images, Médiums », 2021, 286 p.
Cet ouvrage, tiré de la thèse de l’auteure soutenue en 2017 sur la pratique cinématographique d’André Antoine, s’attache aux huit années de carrière du metteur en scène dans ce champ. L’auteure observe comment, à chaque étape de la réalisation du film, Antoine parvient à mettre en place une démarche artistique héritée de son expérience au théâtre. À l’heure où le cinéma s’institutionnalise l’industrie cinématographique puise aux sources du théâtre légitime pour se détacher des tréteaux forains, mais sa recherche d’une narration proprement filmique le conduira peu à peu à se détacher du théâtre lui-même. La « méthode expérimentale » d’Antoine s’inscrit dans cette dynamique. Chaque chapitre se consacre, à partir d’un exemple précis de film, aux moments successifs de la création : repérage, écriture du scénario, tournage, direction d’acteurs, pour mettre finalement en exergue l’ambition documentaire du cinéma d’Antoine qui s’exprime brillamment dans son film empêché d’être diffusé par Pathé, l’Hirondelle et la mésange.
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Jean-Loup Bourget, Sir Alfred Hitchcock, cinéaste anglais, Paris, Classiques Garnier, « Recherches cinématographiques » 7, 2021, 265 p.
L’œuvre britannique d’Hitchcock (22 films de 1925 à 1939) passe volontiers pour une période d’apprentissage préparant l’épanouissement hollywoodien du cinéaste (c’est le cas chez Rohmer et Chabrol dans leur monographie de 1957). L’auteur combat ce préjugé en accordant toute son attention à cette période anglaise expérimentale et variée qui comporte des œuvres majeures telles The Lodger, The 39 steps, des adaptations prestigieuses (de Conrad ou O’Casey). Il soutient même que la période hollywoodienne demeure largement conditionnée par ce caractère britannique dont le cinéaste est pétri : sans compter les remakes, il y a les sources anglaises des scénarios, les acteurs anglais. Un passage charnière entre les deux périodes, avec le film sur les camps nazis auquel collabore Hitchcock pour le montage, permet d’envisager l’ombre portée de cette expérience sur les films ultérieurs.
Compte rendu dans le prochain numéro
Rémy Campos, Alain Carou, Aurélien Poidevin (dir.), De la scène à la pellicule. Théâtre, musique et cinéma autour de 1900, Paris, L’Œil d’or formes et figures, 2021, 296 p. + DVD
De la scène à la pellicule documente et interroge la théâtralité du cinéma en France, notamment à partir de la production du Film d’Art (1908-1912). Les procédés du théâtre, de l’opéra, de la féérie, du ballet ou du café-concert sont, en effet, mis à contribution dans les théâtres de prise de vue, ancêtres des plateaux de tournage. Les artistes et les techniciens qui construisent les décors, fabriquent les costumes ou réalisent les trucages cinématographiques œuvrent également dans les salles de spectacle à Paris ou en province. Les metteurs en scène de cinéma viennent souvent du théâtre où ils furent régisseurs. Devant la caméra les acteurs reprennent les mêmes poses expressives, les mêmes gestes que sur scène. De mêmes sujets sont traités. En outre le théâtre avait alors coutume d’accueillir des tableaux vivants transcrits de la peinture et ceux-là occupent une place de choix dans la mise en scène cinématographique émergente. Complétant et poursuivant le numéro 56 de 1895 revue d’histoire du cinéma, ce bel ouvrage richement illustré et assorti de deux DVD comportant pas moins de 20 titres du Film d’Art est une contribution majeure à la question des rapports entre théâtre, littérature et cinéma dans les premiers temps du cinéma.
Compte rendu dans un prochain numéro
Ray Carney, Cassavetes par Cassavetes, Paris, Capricci, 2020, 537 p.
John Cassavetes n’a jamais écrit d’autobiographie ni ne s’est installé, comme Hitchcock, devant un magnétophone pour évoquer en détail chacun de ses films et de ses prestations d’acteur après les avoir revus et accepté d’en débattre avec un interlocuteur compétent. Mais Ray Carney, professeur à l’université de Boston (et auteur de monographies sur Capra, Dreyer et Bresson) l’a interrogé à de très nombreuses reprises, il a interviewé la plupart de ses collaborateurs, a compilé les entretiens donnés à des magazines et des journaux au cours de onze ans de travail, réuni une documentation la plus large possible. Il a pu ainsi reconstituer cette « autobiographie » en utilisant un fil chronologique (qui l’emporte, par conséquent, sur la date des déclarations du cinéaste qui ne sont pas données), tout en entrelardant les propos de Cassavetes d’éclairages et d’éclaircissements bienvenus. En effet il ressort de ce livre que Cassavetes était un fieffé menteur, racontant à chacun ce qu’il souhaitait entendre et capable de toutes les ruses pour embobiner les journalistes – à commencer par la flatterie (lettre à Miss Hopper en 1954)... On lira avec intérêt la mise au point que fait Carney sur les conditions de tournage et d’exploitation de Shadows par exemple dont la réputation (improvisation, décors réels, acteurs non-professionnels, son direct, etc.) est fallacieuse.
Dominique Chateau, José Moure (dir.), Post-cinema. Cinema in the Post-Art era, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2020, 365 p.
Post-cinéma désigne une nouvelle manière de faire des films : cette nouveauté cependant est-elle complète ou relative ? Dans quelle mesure représente-t-elle un courant unitaire ou diversifié ? Cet ouvrage propose d’intégrer la question du post-cinéma au sein de la question du post-art afin d’étudier les nouvelles manières de faire des images filmiques. La problématique est abordée selon trois angles : l’impression de post-art sur les films « standards » ; la « délocalisation » (Casetti) de mêmes films que l’on peut voir avec des dispositifs de toutes sortes dans des conditions plus ou moins éloignées du dispositif de la salle ; l’intégration du cinéma dans l’art contemporain dans toutes sortes de formes de création et d’exposition (installation), parallèlement à l’intégration de l’art contemporain dans le cinéma « standard ».
Antoine de Baecque, Le cinéma est mort, vive le cinéma !, Paris Gallimard, Bibliothèque illustrées des histoires, 2021, 364 p.
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Gilles Delavaud, la Télévision selon Hitchcock, Rennes, PUR cinéma, 2021, 279 p.
Toute une partie de l’œuvre d’Hitchcock – l’un des cinéastes les plus étudiés – a été laissée de côté par les exégètes : son œuvre télévisuelle. Gilles Delavaud comble cette lacune en situant d’abord la place de la télévision dans les États-Unis des années 1950 avant d’étudier le rapport qu’Hitchcock noue avec elle, développant une véritable œuvre de télévision dont certains critiques ont pu dire qu’elle avait contaminé son œuvre cinématographique, mais qui apparaît ici en tant que telle et qui donne d’Hitchcock une tout autre figure que celle canonique à laquelle on est accoutumée : le voici en phase et en débat avec les questions sociales et sociétales des É-U des années 1950-1960, notamment celles de la violence urbaine, juvénile, familiale, celle des rapports sociaux de sexes, de la place du travail, de l’habitat, etc. Un véritable renouvellement du personnage.
Compte rendu dans le prochain numéro
Anne Dopffer, Julie Guttierez (dir.), Fernand Léger et le cinéma, Paris, Réunion des Musées nationaux, 2021, 216 p.
Accompagnant une exposition du même nom qui devait se tenir à Biot cet été (Musée national Fernand Léger) et aura lieu en 2022 ainsi qu’une une version abrégée qui se tient actuellement au Musée de Belfort, cet ouvrage, richement illustré comme il se doit, est un catalogue entièrement voué aux rapports du peintre F. Léger avec le cinéma : Léger cinéaste (avec Ballet mécanique, Dreams that Money Can Buy [co-Hans Richter, Max Ernst, Man Ray, Alexandre Calder]), décorateur et costumier (l’Inhumaine, Things to Come), affichiste (la Roue), objet de films sur l’art (avant tout Fernand Léger in America : His New Realism de Thomas Bouchard), mais aussi Léger spectateur, essayiste et plus largement ciné-peintre (illustrations cinématiques de deux livres de Cendrars, un d’Yvan Goll) et scénariste de projets multiples de films dont certains ne sont que des idées jetées sur le papier et d’autres de vrais projets (voir à cet égard 1895 revue du cinéma no 81, 2017 : scénarios inédits et affiches). Le Ballet mécanique occupe évidemment une place de choix qui a donné lieu à nombre d’exégèses et en offre encore puisqu’on apprend qu’il existe pas moins de 9 versions repérées de ce film et peut-être même 15, sans qu’on puisse déterminer laquelle serait « l’originale » puisque Léger concevait son film comme évolutif et qu’il ne cessa de le modifier. Les approches de ce film ont depuis toujours donné lieu à des controverses relatives à son ou ses auteurs (initiative d’Ezra Pound et George Antheil, relayée par Dudley Murphy et Man Ray mais menée à bien par Léger) et à sa logique de montage (sa structure fondée sur la répétition, la variation, l’inversion, etc. est-elle accordée aux théories du rythme de Pound ou à des expériences sur le spectateur ?) (contributions de F. Albera, C. Gauthier, D. Vezyroglou, A. Côme, M. Piccinini, P.-A. Michaud, B. Posner, C. Bargues, E. Magotteaux, R. Touil notamment).
Sylvain Dreyer, Dominique Vaugeois (dir.), la Critique d’art à l’écran (2). Filmer la littérature, Villeneuve d’Asq, Presses Universitaires du Septentrion, 2020, 238.
Après un premier volume concernant les « arts plastiques » en 2018, cet ouvrage, issu d’un colloque tenu à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour en 2019, s’attache à la question : filmer la littérature. D’emblée on s’interroge sur ce qu’on filme quand on veut filmer « la littérature » : l’écrivain, le texte (on aurait pu ajouter : l’institution littéraire – maisons d’édition, distributeurs, librairies, bibliothèques...) ? Le film sur la littérature fait-il œuvre de critique littéraire en images et en sons ? Critique signifiant, pour les éditeurs, ni une paraphrase soumise au texte, ni un essai autonome qui prend la place de l’œuvre et se ferme sur sa propre cohérence ; on reconnaît l’écho des débats qui ont agité le monde du « film sur l’art » (voir le dossier de ce numéro). Le recueil écarte l’hypothèse de la fiction et donc « l’ornière » de l’adaptation et découpe son approche en 4 entrées : filmer l’écrivain (ainsi le film de Y. Bellon sur Colette ou de R. Leenhardt sur Mauriac) ; filmer la poésie (par mimétisme souvent ou démarche de transposition comme s’y est appliqué Paradjanov avec le poète Sayat Nova) ; filmer l’essai (les lectures documentaires de R. Dindo – Kafka, Aragon, Rimbaud) ; les émissions littéraires à la télévision (Lecture pour tous est cité mais non analysé, ni Apostrophes – qui nous auraient renvoyés à l’approche institutionnelle –, mais on retient le « Jarry » de Jean-Christophe Averty) et les interventions des booktubeurs sur internet – dont il semble que le propos se limite à l’expression de leurs goûts.
Louise Dumas, Automobile et cinéma : un long-métrage, Berlin, Peter Lang, « Civilisation Histoire », 2021, 305 p.
« Une étude du motif de l’automobile à l’exemple du cinéma allemand » est le sous-titre de cette thèse co-dirigée par Vincenz Hediger et Florence Baillet qui a pour ambition de poser les premiers jalons d’une théorie de l’automobile au cinéma. Avec une préface d’Olivier Agard.
Compte rendu dans un prochain numéro
Daniel Fairfax, The Red Years of Cahiers du Cinéma (1968-1973), 2 vol., Amsterdam, Amsterdam University Press, 2021, 816 p.
Impressionnantes compilation et analyse des années « rouges » des Cahiers du cinéma, période généralement écartée voire refoulée dans l’histoire de cette revue et dans l’historiographie de la critique. Fairfax, qui avait fourni un « Guide de lecture » sur le thème « Marxisme et cinéma » à la revue en ligne Période il y a quelques années, s’est attaqué en deux fort volumes à ce corpus de textes, étudiant leur rattachement aux théories politique, philosophique et psychanalytique d’Althusser, Lacan, Derrida dans l’élaboration d’une théorie matérialiste du cinéma embrassant l’histoire et les techniques comme les analyses idéologiques de films. Le premier volume est sous-titré « idéologie et politique » et le second « Esthétique et ontologie ». D’un point de vue historiographique, faute d’avoir eu accès aux archives de la revue (interdites d’accès quoique Antoine de Baecque y ait eu accès auparavant pour son Histoire des Cahiers), Fairfax a éclairé sa lecture des textes à l’aide d’entretiens approfondis avec un certain nombre des rédacteurs de l’époque (Comolli, Narboni, Eisenschitz, Aumont...), ce qui crée incontestablement un biais dans son enquête inspirée du point de vue actuel de ces protagonistes sur leur passé et mettant leurs activités ultérieures dans son prolongement. Le 2e volume « commande » en quelque sorte l’examen historique en soutenant que l’ontologie de l’image d’André Bazin n’a jamais cessé de gouverner souterrainement la pensée « rouge » – en dépit de ce qu’il appelle la « coupure épistémologique » du manifeste « cinéma/idéologie/critique » – puisque « discerner la nature ontologique du cinéma est la question théorique clef qui a animé les Cahiers depuis leur fondation par Bazin en 1951 jusqu’à au moins la fin du mandat de Daney comme rédacteur en chef trente ans plus tard, et la période marxiste de la revue ne fait pas exception à cette règle » ; « ... le journal n’a d’abord jamais vraiment quitté Bazin, tant il se préoccupe sans relâche de la problématique fondamentale posée par le théoricien, c’est-à-dire du rapport du cinéma au réel ». Il est donc affirmé une compatibilité Althusser/Bazin, Derrida/Bazin, Lacan/Bazin jusqu’à l’épiphanie deleuzienne. Il faut pour cela considérer que la réalité selon Bazin, et son réalisme, coïncident avec la notion de « réel » chez Lacan (sur celle-ci et la place qu’elle occupe dans la théorie de la « suture » d’Oudart, voir l’article d’Omar Hachemi dans 1895 no 83, 2017, qu’a dû lire Fairfax).
Christophe Gauthier et al. (dir.), Patrimoine et patrimonialisation du cinéma, Paris, École des Chartes, « Études et rencontres », 2020, 166 p.
Issu d’un colloque tenu à Paris en novembre 2016, l’ouvrage Patrimoine et patrimonialisation du cinéma est également le fruit de plusieurs années de séminaires au sein d’un groupe de réflexion de l’École des Chartes afin d’étudier « la mutation des lieux, des supports, des acteurs, des pratiques et des enjeux de la patrimonialisation à l’ère du tout-numérique et de la dissémination des écrans ». Le sujet étant vaste, les trois années ont permis de confronter la question du patrimoine cinématographique à différentes échelles, ères temporelles et géographiques, dans le champ de l’histoire culturelle du cinéma. Ainsi ce 60e volume de la collection « Études et rencontres » de l’École des Chartes présente-t-il un panorama du processus de transformation patrimoniale du cinéma, de l’attraction foraine éphémère – étrangères aux questions de conservation du support – à la valeur marchande que constitue aujourd’hui pour de nombreux catalogues le cinéma de patrimoine. L’intérêt de cet ouvrage est de pointer la potentialité muséale de l’objet cinéma et, par là même, son intégration au » marché de l’art » – dénomination ambiguë – provoquant nécessairement un changement de statut, et une évolution des pratiques. Il étudie ainsi le patrimoine cinématographique dans ses trois dimensions : théorique, archivistique et spectaculaire.
Fabien Gris et Jean-Christophe Igalens (dir.), Casanova à l’écran, Rennes, PUR cinéma, 2021, 324 p.
Comme Don Juan, Casanova a fait l’objet de multiples incarnations au cinéma comme au théâtre. De Mosjoukine (pour Volkoff) à Donald Sutherland (pour Fellini), une trentaine d’acteurs masculins ont interprété ce personnage qui a rédigé une Histoire de [s]a vie propre à inspiré plus d’un scénariste. Cet ouvrage, issu d’un colloque organisé en 2018 à la Sorbonne aborde successivement « un siècle de cinéma » en établissant le corpus et les usages de Casanova à l’écran ; l’imaginaire européen dans lequel il prend place ; la sérialité et les genres cinématographiques qui s’en sont emparé ; les résonances hors cinéma avec la bande dessinée ; les images de la vieillesse et du déclin qu’on en donne ; et enfin l’autobiographie et ses masques.
Adrian Silvan Ionescu, Marian Tutui, Savas Arlsan (dir.), Balkan Cinema and the Great Wars, Berlin, Peter Lang, 2020, 282 p.
Ouvrage tiré du troisième colloque sur le cinéma des Balkans qui s’est tenu à Bucarest en 2018, Balkan Cinema and the Great Wars rassemble des textes sur la Première et la Seconde Guerres mondiales, tout en ouvrant, dans une troisième partie, sur des questions plus diverses. L’introduction présente de brèves réflexions sur l’avènement de la catégorie de « cinéma balkanique » et quelques précieuses indications historiographiques. Le livre entend à son tour mettre en perspective cette catégorie régionale à partir de différents points d’ancrage nationaux, notamment à partir du cinéma roumain. On relève, parmi les textes les plus saisissants, le travail de Rosen Spasov sur les publications bulgares sur le cinéma entre 1941 et 1944. Des circulations transnationales sont aussi esquissées comme, par exemple, dans l’étude proposée par Petar Kardjilov au sujet de l’activité cinématographique sur le territoire roumain de la Dobroudja, au bord de la Mer noire, durant la période d’occupation des troupes bulgares entre 1916 et 1918.
Myriam Juan, Les Années folles, Paris, Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 128 p.
Ce nouveau volume de la collection « Que sais-je ? » propose de se pencher sur les éléments qui ont nourri l’imaginaire associé à la période que l’on a pris l’habitude de désigner, en France, par l’expression d’« Années folles » et, dans d’autres pays, par divers chrononymes tout aussi évocateurs (« Roaring Twenties », « ruggenti anni », « Goldenen Zwanziger Jahre » etc.). S’ouvrant et s’achevant sur une réflexion autour du nom d’époque auquel il doit son titre, l’ouvrage se présente comme un petit essai d’histoire culturelle. Il ambitionne ainsi d’analyser « tout ce qui témoigne des représentations et de la façon d’être au monde qui ont pu alimenter l’idée d’’‘Années folles’’ ». Il y est bien sûr question, entre autres, de robes tubulaires et de jazz, d’Art déco et d’aviation, de sport et de radio. Il y est également question des limites des aspirations progressistes qui traversent la période, dont le livre prend soin de rappeler à quel point elles furent contrariées, donnant lieu à des avancées somme toute modestes et fragiles, aussitôt condamnées par des courants conservateurs extrêmement vigoureux. Présenté tour à tour comme un média vecteur de la modernité, un terrain d’expérimentation pour les avant-gardes et un divertissement participant d’une culture de masse en plein essor, le cinéma occupe une place de choix dans cette synthèse, qui s’efforce de restituer la multiplicité des réalités que celui-ci recouvre et les diverses façons dont il a contribué au formidable foisonnement culturel de la période.
Laurent Lempereur (dir.), Enfin le cinéma ! Quand l’image choisit le mouvement, Paris, BeauxArts Cie, 2021, 66 p.
Accompagnant l’exposition du Musée d’Orsay, « Enfin, le cinéma ! » et son catalogue, une version plus ramassée de celui-ci, richement illustrée, comportant un entretien avec les commissaires de l’exposition (Dominique Païni, Paul Perrin, Marie Robert) et des contributions, outre Païni et L. Lempereur, de F. Albera, Pascale Desclos, Julie Chaizemartin, José Moure et Valentine Robert.
Nathalie Mauffrey et Sarah Ohana (dir.), la Prise au départ du cinéma, Sesto San Giovanni, Mimésis, « Formes filmiques », 2021, 315 p.
Bonne idée de se saisir d’une notion à la fois courante et peu analysée au cinéma, celle de « prise » que l’on trouve dans le syntagme « prise de vue » et « prise de son » mais aussi en tant que morphème (une prise), même si le titre de l’ouvrage demeurera opaque à la plupart de ceux qui s’y trouveront confrontés, a fortiori avec cet inattendu « au départ ». Un colloque de l’Université d’Udine de 2003, « Limina/le soglie del film. Film’s thresholds » (Forum, 2004) (ignoré ici) avait déjà abordé la question. Les éditeurs l’envisagent selon trois voies : « une approche génétique et historique décomposant le geste de la création en ses prises multiples ; un questionnement politique et éthique sur l’engagement et la posture du cinéaste face à ce qu’il prend ; et enfin un regard esthétique et poétique sur ce geste que la fiction ou la performance parfois inhibe et délègue, parfois exhibe ». Retenons une analyse de l’archéologie de la prise de son au cinéma (J-M. Denizout) et « La responsabilité des prises de vue en France dans la seconde partie des années 1920 » (P. Morrissey). Et des approches du Michael Kohlhaas de Des Pallières, de Route One USA de Kramer, du cinéma d’Avi Mograbi, du cinéma-vérité et aussi du « Camérer » de Fernand Deligny pour qui « une image ne se prend pas... Une image ne peut pas se prendre, c’est-à-dire être prise par se (qui est une projection de on : un autre monde que le monde des images)... L’image est perçue, pas par se... », ni per se sans doute. Dans son activité avec les enfants autistes, Deligny s’intéresse à des dispositifs de travail permettant « des trouvailles dont on peut dire qu’il s’agit d’images ».
Jean-Paul Morel, le Dernier Cercle des Zutistes, Paris, Éditions Ex Nihilo, 2020, 47 p.
Le cercle des Zutistes (dont les lycéens apprennent l’existence grâce à la participation de Rimbaud et Verlaine à l’Album zutique [le « Sonnet du trou du cul » parodie d’Albert Mérat, poète d’abord admiré des auteurs puis rejetés en raison de son comportement durant la Commune]) comportait plusieurs cercles concentriques ou excentriques. Au premier (mi-octobre – mi-novembre 1871) succède celui dit des « Vivants » (avec Germain Nouveau, Paul Bourget, Jean Richepin, Raoul Ponchon et Maurice Bouchor) – qui se trouve alors en concurrence avec les Fumistes, les Hirsutes, les Incohérents et les Hydropathes – puis, fort méconnu, un troisième cercle relancé par Charles Cros à l’été 1883. Le nom de l’auteur du Collier de griffes – déjà à l’origine du premier cercle – suffit à dire l’intérêt, pour les historiens du cinéma, de ces mouvements qui irrigueront directement (Cohl) ou indirectement (Coquelin cadet, proto bonimenteur, ou Méliès) les premiers ans du cinématographe, sans parler des apports de Cros à des inventions techniques comme le paléophone et la photographie en couleur (voir 1895 revue d’histoire du cinéma, no 72, 2014). Morel énumère et qualifie tous les membres qu’il a pu repérer de ce dernier cercle (on y trouve, outre les attendus Germain Nouveau, Laurent Tailhade, Alphonse Allais ou Edmond Haraucourt, George Auriol, père de Jean George, et cinq femmes dont Marie Krysinska, pianiste et poétesse qui lança des spectacles de Théâtre lumineux avec Maurice Rollinat). Il republie en outre trois témoignages, celui d’un commissaire de police, poète dans le privé, Ernest Raynaud dans sa Mêlée symboliste en 3 volumes (1919-1922), celui de Louis Marsolleau, vice-président du groupe avec Allais dans un article du Rappel de 1895, enfin celui de Laurent Tailhade dans ses « Notes sur Charles Cros » parues dans le Décadent en 1888 après la mort du poète. Le volume se clôt sur la lettre adressée par Charles Cros à Rodolphe Salis du Chat noir pour le lancement du dernier cercle (parue dans le Chat noir en 1883).
Claudia Munarin, La vita viene prima. Il cinema di Francesco Bruni, Rome, Edizioni Fondazione Ente dello Spettacolo, 2021, 224 p.
D’abord connu comme scénariste attitré de Paolo Virzì – en particulier pour La prima cosa bella [La première chose belle] et Il capitale umano (les Opportunistes) –, Francesco Bruni est passé à la réalisation en tournant quatre films de 2011 à 2020, Scialla ! [Calmos], Noi 4 [Nous 4], Tutto quello che vuoi [Tout ce que tu veux], Cosa sarà [Ce qu’il en sera]. Aucun de ces quatre films n’a été distribué en France, ce qui ne facilite pas les choses pour faire connaître un auteur de talent, scrutant le comportement de ses contemporains et évoquant dans « Ce qu’il en sera » sa lutte contre le cancer dans un film sans fioritures. Au cœur de ce qui se réalise de meilleur en Italie (il a aussi collaboré avec Mimmo Calopresti), Bruni a posé un œil exigeant sur des scénarios auxquels il a apporte sa lucidité. Le livre de Claudia Munarin, édité à l’initiative d’un organisme culturel, met en lumière un auteur qui participe de la richesse du cinéma italien, une richesse largement ignorée de ce côté-ci des Alpes.
Jean Narboni, la Grande Illusion de Céline, Paris, Capricci, 2021, 140 p.
Retour sur le texte haineux de Céline à l’endroit de Dalio dans la Grande Illusion de Renoir, publié dans Bagatelles pour un massacre (texte interdit de publication). Narboni évoque cette réaction précipitée de Céline à la sortie du film et la réponse de Renoir dans sa chronique du quotidien communiste Ce Soir (voir Jean-Paul Morel, « Renoir répond à Céline », 1895 revue d’histoire du cinéma no 63, 2011 – qui publie également le texte de Céline), mais il l’aborde par un biais particulier, celui des ressemblances voire des convergences entre Céline et Renoir pour évoquer ensuite les inspirateurs racistes de Céline (Montandon et Bernardini) et l’aveuglement de l’écrivain, tout à sa dénonciation de Dalio, face aux juifs Stroheim et Itkine qui incarnent de bons « aryens » dans le film.
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Dominique Païni, Paul Perrin, Marie Robert (dir.), Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France (1833-1907), Paris, Musée d’Orsay-Réunion des musées nationaux, 2021, 336 p.
Catalogue de l’exposition « Enfin, le cinéma ! » du Musée d’Orsay recueillant des contributions de 65 auteurs allant d’« Aléa » à « Vue » en passant par « Lanterne », « Projection », « Spectateur », « Onirique », « Immersion », etc. suivies de notices biographiques de « Segundo de Chomon » à « Ferdinand Zecca » en passant par « Loïe Fuller », « Élisabeth et Berthe Thuillier » et, bien sûr, « Alice Guy » – qui, le 22 mars 1895, assistant à une projection de vues Lumière, nous disent la réalisatrice Pamela Green et l’autrice Joan Simon, pensa aussitôt « qu’il était possible de faire mieux » en « s’écartant résolument de la vision documentaire de la vie quotidienne » (ne figurait donc pas à cette séance le Jardinier). Cet ensemble mobilisant des spécialistes internationaux est précédé par une discussion entre Benoît Turquety, Dominique Païni, Paul Perrin et Marie Robert, « L’invention du spectateur moderne » qui s’expliquent sur la place du cinéma à l’ouverture du Musée d’Orsay, les liens avec les départements de photographie et de peinture du musée et sur le but poursuivi dans cette exposition « Enfin le cinéma à Orsay », car s’il fut effectivement présent plusieurs années durant, il avait progressivement disparu de cet espace voué aux arts du xixe siècle. Richement illustré d’images de films, bien entendu, mais aussi de peintures, dessins, gravures, photographies, anaglyphes, affiches et appareils auxquels il est renvoyé utilement à l’intérieur des notices, cet ouvrage offre une introduction « encyclopédique » au cinéma des premiers temps, ses avant-courriers et ses contemporains en insistant sur les filiations, les greffes et les échanges dont il a bénéficié à son émergence.
On y reviendra avec l’exposition (qui se tient jusqu’au 16 janvier 2022).
Achilleas Papakonstantis, Godard. Je est un autre, Gollio, Infolio Presto, 2021, 63 p.
Une brève biographie de Godard qui ne saurait rivaliser avec les existantes mais qui aborde l’itinéraire et l’œuvre du cinéaste sous un aspect original, son rapport à l’Autre et aux autres – y compris, comme l’indique le titre, à soi-même comme un autre. On se rappelle que la voix chuchotante de 2 ou 3 choses que je sais d’elle s’adressait au spectateur, « mon semblable, mon frère ». Cette perspective permet d’envisager la diversité des sujets abordés et l’intérêt qu’elle traduit pour les situations de dominés et de marginalisés dans la formation sociale du capitalisme des années 1960-2020 (voyou, prostituée, résistant, exploité, colonisé, etc.) et pour l’altérité féminine qui se développe à partir de son partenariat avec Anne-Marie Miéville. « Le cinéma de Godard, dit l’auteur, vise le dépassement de Soi par l’ouverture à l’Autre », réactivant d’une certaine manière la filiation du cinéaste avec la philosophie sartrienne.
Katalin Pór, Lubitsch à Hollywood, Paris, CNRS éditions, 2021, 225 p.
Une analyse de la manière dont Ernst Lubitsch, cinéaste allemand qui débute en 1916 comme réalisateur après avoir été acteur et scénariste, et entame une brillante carrière, s’illustrant dans des genres très différents tels que la comédie, la satire, le drame, le film historique, va s’intégrer à Hollywood à partir de 1923 et s’y imposer. C’est dans l’examen croisé de la stratégie du cinéaste et des attentes, offres et possibilités des studios que l’auteure mène son enquête qui renouvelle l’approche de ce metteur en scène à la fois prolixe et météoritique (il meurt à 55 ans).
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Perrine Val, les Relations cinématographiques entre la France et la RDA. Entre camaraderie, bureaucratie et exotisme (1946-1992), Villeneuve d’Asq, Presses Universitaires du Septentrion, 2021, 390 p.
On connaît mal – pour des raisons en partie dues aux idées reçues idéologiques – le cinéma qui s’est tourné en RDA. La rétrospective des films documentaires de la DEFA il y a quelques années à Lussas offrait un aperçu de sa vitalité et de l’intérêt qu’il peut représenter (voir 1895 revue d’histoire du cinéma no 87, 2019). Dans ce livre, tiré de sa thèse soutenue à Paris-1 (sous la direction de Sylvie Lindeperg), l’auteure adopte un biais tout autre, celui des relations cinématographiques entre la France et la RDA de l’après-guerre au lendemain de la chute du Mur de Berlin. À cet effet, elle procède à un croisement inédit de sources pour mettre à jour la circulation de films et des professionnels du cinéma des deux pays. Compte tenu de l’absence de relations diplomatiques entre la France de la IVe République – alignée sur la position états-unienne –, et la partie de l’Allemagne confiée par les Alliés à l’autorité de l’URSS, devenant la République démocratique allemande en 1949 en réponse à la création de la République fédérale allemande voulue par les autorités d’occupation américaine, britannique et française, les échanges passèrent dans un premier temps par le réseau des partis communistes. La France ne reconnut la RDA qu’en 1973. Dans l’intervalle, celle-ci s’efforçait d’obtenir une reconnaissance officieuse par d’autres biais, notamment les co-productions cinématographiques et les échanges culturels. Dans un premier temps on note la diffusion dans le réseau des ciné-clubs (en particulier la FFCC) de films de la RDA dont Les assassins sont parmi nous de Wolfgang Staudte (1946). Puis se met en place une série de coproductions avec des acteurs et actrices engagés à gauche comme Simone Signoret. Celle-ci vint tourner à plusieurs reprises dans les studios de Babelsberg : après un projet abandonné de Wolfgang Staudte d’adapter Mutter Courage d’après Brecht, auquel devait participer aussi Bernard Blier, elle tourne dans les Sorcières de Salem de Raymond Rouleau, parabole d’Arthur Miller adaptée en français par Jean-Paul Sartre, visant la persécution maccarthyste aux États-Unis ; puis elle tourne dans la partie due à Yannick Bellon de Die Windrose, film collectif coordonné par Joris Ivens sur la situation des femmes dans le monde. Les films français auxquels elle participe sont distribués en RDA et elle jouit d’une réputation exceptionnelle en raison de ses talents de comédienne mais aussi de son engagement politique progressiste. Mais d’autres acteurs vinrent tourner en RDA, dont Anne Vernon, Madeleine Robinson, Jean-Claude Pascal, Roland Lesaffre, Jean Gabin, Danièle Delorme, Bourvil, Yves Montand, Mylène Demongeot, Jean Vilar ou Michel Piccoli. Des cinéastes français comme Louis Daquin, discriminé en France pour des raisons politiques, peuvent tourner en RDA (Bel Ami en 1955 et les Arrivistes en 1960 pour Daquin, Til Ulenspiegel pour Gérard Philipe en 1956 [voir 1895 revue d’histoire du cinéma no 73, 2014], les Misérables pour Jean-Paul Le Chanois en 1957-8). Le soutien de la RDA à la lutte du peuple algérien pour l’indépendance trouve aussi sa résonance cinématographique avec Algérie en flammes de René Vautier coproduit par la DEFA qui en assure la post-production. Avec la détente internationale, la dimension militante s’estompe au profit de la curiosité du public est-allemand pour des stars françaises comme Brigitte Bardot ou Jean-Paul Belmondo. Ce dernier apparaît cependant pour la première fois sur les écrans de la RDA avec les Copains du dimanche d’Henri Aisner (1957), aux côtés de Michel Piccoli, Paul Frankeur, Julien Bertheau, Yves Deniaud, Annette Poivre et Raymond Bussière (entre autres). Cette production, impulsée par la CGT, fut combattue par le syndicat des producteurs qui en entrava la distribution en France (Belmondo, président du Syndicat français des acteurs – CGT – de 1963 à 1965 s’est peut-être souvenu de cet épisode). Le moment de la fin de la RDA amène enfin des cinéastes tels que Jean-Luc Godard ou Chris Marker à filmer la disparition de cette « autre Allemagne », absorbée par l’Allemagne occidentale. L’exploration de ces rapprochements esthétiques, politiques et culturels démontre l’importance (et aussi les limites) du rôle joué par les échanges cinématographiques entre l’Est et l’Ouest de l’Europe pendant la guerre froide.
Laurent Véray, Forfaiture de Cecil B. DeMille, Lyon, Presses universitaires de Lyon, « Le vif du sujet », 2021 228 p.
En 1916, The Cheat (Forfaiture) de Cecil B. DeMille, est projeté pour la première fois sur les écrans français. L’œuvre suscite immédiatement un énorme engouement de la part du public comme de la critique, notamment grâce à la performance inhabituelle de l’acteur Sessue Hayakawa. Elle déclenche, avec ses clairs-obscurs audacieux, une véritable révolution esthétique dans le monde du cinéma français. Pourtant, soutient l’auteur, le film est progressivement mis à l’écart, pour finalement tomber dans un relatif oubli, au profit d’un film sorti en même temps que lui et retenu par les historiens et les critiques comme plus décisif dans l’édification du langage cinématographique, The Birth of a Nation de Griffith. Mais quels étaient les apports de The Cheat ? À lire les témoins de son arrivée en France – Delluc, Epstein, L’Herbier notamment –, il s’agit de l’usage du clair-obscur (dont Perret et quelques autres, y compris Mariaud étaient déjà praticiens sans lui donner cette fonction dramaturgique) et de l’interprétation d’Hayakawa qui offre paradoxalement l’antithèse de Charlot, une page blanche, une inexpressivité toute orientale (Epstein). Partant de cette distorsion de réputation, l’auteur se livre à une interprétation de cette extraordinaire réception, s’appuyant sur l’analyse du film, du discours critique et des multiples œuvres qu’il a inspirées (en particulier le remake qu’en fait Marcel L’Herbier en 1937), afin de comprendre le rôle qu’a joué ce film dans l’évolution du cinéma français.
Compte rendu dans le prochain numéro
Revues
Bianco e Nero, no 598, septembre-décembre 2020, « Cinema Covid. Ieri, oggi... E domani ? » ; no 599, janvier-avril 2021, « Mariangela Melato »
Deux numéros de la revue du Centro Sperimentale di Cinematografia, le premier pour explorer les effets de la Covid sur toute la chaîne de l’activité cinématographique – la production, la distribution, l’exploitation, la réception par les spectateurs –, le second pour mettre en relief la carrière exceptionnelle, au théâtre et au cinéma, de Mariangela Melato. Dans Cinema Covid, des textes de réflexion et des témoignages d’usagers explorent les conséquences de la fermeture des salles. Que signifie pour les films le fait de ne plus aller au cinéma pour les voir, le fait de ne plus se trouver face à un grand écran mais d’être obligé de consommer les images animées sur des écrans de télévision, des tablettes numériques, des ordinateurs, des téléphones portables ? Quelle conséquence aussi pour le spectateur – peut-on encore utiliser ce mot ? – d’être de plus en plus confronté non à la singularité de l’œuvre mais à la sérialité des œuvres démultipliées en épisodes et en saisons ? Mariangela Melato, immense comédienne disparue en janvier 2013, aussi à l’aise sur scène dirigée par Luchino Visconti, Dario Fo ou Luca Ronconi que sur l’écran dans des films signés Lina Wertmuller, Elio Petri, Mario Monicelli, Sergio Citti, Luigi Comencini, Franco Brusati, Giuseppe Bertolucci, Pupi Avati. Dans la dernière partie de sa carrière surtout consacrée au théâtre, elle a porté sur scène des textes aussi divers que ceux de Cocteau (la Voix humaine), Shakespeare (The Taming of the Shrew/la Mégère apprivoisée), Euripide (M ?deia/Médée), Brecht (Mutter Courage und ihre Kinder/Mère Courage et ses enfants), Feydeau (la Dame de chez Maxim)...
Cabiria. Studi di cinema, no 196-197, septembre 2020-avril 2021. « Che cosa ci sta preparando Fellini ? »
Dans la toujours abondante production de travaux sur Fellini dont on a fêté le centenaire l’année dernière, il faut souligner le numéro de Cabiria, la revue des ciné-clubs italiens, intitulé de manière humoristique « Que nous prépare Fellini ? », reprenant une question que pose un missionnaire italien en Angola à un éditeur romain dans Riusciranno i nostri eroi a ritrovare l’amico misteriosamente scomparso in Africa ? (Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique ?) d’Ettore Scola (1968). On y trouve notamment une étude qui évoque les relations entre Mario Tobino et Federico Fellini à propos d’un projet de film jamais réalisé, né de l’amitié entre les deux hommes (Tobino était écrivain et médecin psychiatre), film situé dans un hôpital de fous et dont on trouve des traces dans I Clowns. On peut aussi y prendre connaissance d’un épisode surprenant datant de 1942 qui vit Fellini partir en Libye, alors colonie italienne, pour venir au secours d’un tournage interrompu faute d’un scénario bancal écrit à partir d’un roman d’Emilio Salgari, I predoni del Sahara [Les pilleurs du Sahara].
Cinéma Cie. International Film Studies Journal, vol. XX, no 34, printemps 2020
Un numéro centrés sur le thème « Experimental Women : Mapping Cinema and Video Practices from the Post-War Period up to Present » sous la direction de Sarah Keller, Elena Marcheschi et Giulia Simi. C’est sans doute le dernier numéro imprimé de cette revue qui a décidé de basculer entièrement dans le format numérique.
Critica marxista, no 5-6, septembre-décembre 2020
En écho aux différents articles concernant Pasolini dans ce numéro de 1895 revue d’histoire du cinéma, signalons ce bimestriel italien qui publie la transcription d’un débat du 6 septembre 1975 entre Pasolini, Cesare Luporini et Amos Cecchi sur « les orientations de la nouvelle génération », à la Fête de l’Unità à Florence. Pasolini y définit ce qu’il appelle un « nouveau mode de production » qui exprime le nouveau pouvoir, selon trois caractéristiques : la grande quantité, le superflu et l’idéologie hédoniste. Suivi d’un article d’Amos Cecchi : « Discutendo con Pasolini ieri e oggi » (discuter avec Pasolini hier et aujourd’hui) et d’un autre de Guiseppe Guida, « Frammenti da un ‘‘paese rosso’’ » (fragments d’un pays rouge) où sont envisagés les rapports de Pasolini, Benjamin et l’historicisme. Auparavant, dans le cadre de l’hommage à Rossana Rossanda (qui fonda Il manifesto et qui est morte en septembre 2020), on trouve la republication de son texte de 1990, « Il profondo e la storia » (la profondeur et l’histoire) où l’auteure développe une réflexion féministe à partir d’Une affaire de femmes de Claude Chabrol.
Faites entrer l’infini, no 71, juin 2021
Cette publication périodique éditée par la Société des amis de Louis Aragon et Elsa Triolet offre aux cinéphiles deux raisons de se pencher sur les pages grand format très illustrées de sa dernière livraison. D’une part un dossier consacré à Jean Wiéner, musicien de cinéma bien connu mais qui n’a guère fait l’objet d’études monographiques à ce jour. De la Femme de nulle part de Delluc en 1922 au Crime d’amour de Guy Gilles en 1982, en passant par nombre de films de Duvivier, Renoir, L’Herbier, Chenal, Franju, Chabrol, Bresson..., il a signé un grand nombre de partitions d’accompagnement musical. Il a dû aussi les faire signer par un autre, Roger Désormière, sous l’Occupation, en raison de son interdiction de travailler car il était juif. Il a raconté lui-même comment un officier de la Propagandastaffel (il s’agit de Heinrich Strobel) – un important musicologue allemand qui avait célébré dans la Berliner Zeitung un concert de Wiéner et Doucet – lui signifia qu’il devait disparaître des affiches s’il voulait qu’on le laissât tranquille... (Allegro Appassionato, Belfond, 1978). Car Wiéner est aussi un musicien « tout court » : introducteur de Schönberg en France en tant que pianiste et auteur de concertos, suites de danses, sonates et autres psaumes. D’autre part ce numéro comporte un dossier sur l’affichiste Paul Colin – omniprésent sur internet depuis la sacralisation de Joséphine Baker – dont le nom est associé à quelques affiches de cinéma (le Voyage fantastique de René Clair, les Festivals de Cannes 1946, 1951, la Bataille de l’eau lourde de Dréville, 1948, les Amants de demain de Blistène, 1958 entre autres). Enfin la revue rend hommage au cinéaste de télévision Raoul Sangla disparu le 31 mai 2021 et publie un texte de sa plume : « À propos d’un poète et d’une caméra » (sur un film consacré à Aragon en 1978). Sangla d’abord plâtrier et ouvrier dans une poudrerie à Sorgues, devenu journaliste et membre d’une troupe de chanteurs basques, rencontre Brecht lors d’une tournée en RDA. Quelques expériences cinématographiques (Carné, Guitry) aboutissent à son engagement par Stellio Lorenzi pour une première fiction télévisée. Il réalise ensuite des émissions de variétés pour le petit écran aussi bien qu’une Passion de 58 minutes en plan fixe avec 150 figurants. Directeur de la maison de la culture de Nanterre, auteur d’un journal télévisé « différent » pour Antenne 2 (onze éditions auxquelles on met fin soudain) puis créateur de télévisions alternatives de proximité à Gennevilliers, en Guadeloupe, à Paris. Il présida, en outre, l’Institut européen de l’audiovisuel jusqu’en 2007.
Immagine. Note di storia del cinema, no 21, 2020, « Apocalisse italiane. Il cinema e la televisione di fronte ai disastri del novecento »
Les livraisons de la revue de l’Associazione italiana per le ricerche di storia del cinema – revue sœur de 1895 – constituent toujours des sujets de réflexions originaux. L’image de la catastrophe a nourri un imaginaire suffisamment spectaculaire pour alimenter aussi bien les démarches documentaires que les démarches romanesques à commencer par l’incendie du Bazar de la Charité en 1897 (article de Maddalena Bodini et Elena Mosconi). La destruction de Pompéi pourrait constituer la scène primitive du cinéma italien et les images des tremblements de terres de Messine en 1908 (environ 100 000 victimes), du Vulture en 1930, de l’Irpinia en 1980 ou de L’Aquila en 2009 en sont autant de répliques, sans parler de l’inondation de Florence en 1966, voire – un texte programmatique en ouverture du numéro signé Antonio Costa – de l’effondrement du pont Morandi à Gênes en 2018. Dans un balisage très large, d’autres contributions évoquent la plage et les détritus de la modernisation dans le cinéma italien des années 1950 et 1960 ou encore l’apocalypse politique dans le cinéma italien contemporain. Une contribution évoque également la représentation des catastrophes telles que les propose la télévision. En appendice, des articles abordent le personnage de Salomé interprété au théâtre et au cinéma par Lyda Borelli en Uruguay (Georgina Torello), les rapports de Guy Débord avec le cinéma (article substantiel de Monica Dall’Asta) ou le travail de Gaston Velle dans les studios italiens au temps du muet (Eugenio De Bernardis).
Journal of Film Preservation, no 103, octobre 2020
La vie des cinémathèques en temps de Covid 19. Faut-il continuer comme avant, demande Paolo Cherchi Usai.
Le Monde diplomatique, no 809, août 2021
Le numéro d’août du Monde diplomatique publie en une et sur deux pages intérieures un texte de Martin Scorcese sur Fellini. Le cinéaste y évoque l’ambiance cinéphilique new-yorkaise des années 1960 avec une certaine nostalgie. En outre avec « Fernand Léger, un rêve épique et prolétarien », F. Albera évoque le projet de film du peintre-cinéaste qu’il voulait consacrer à Louise Michel, sous le titre la Vierge rouge (voir 1895 revue d’histoire du cinéma no 81, 2017) et sa pratique élargie de la peinture au plan du mur.
La Revue des revues. Histoire et actualité des revues, no 66, 2021
Cette revue vouée aux revues (histoire et actualité) offre dans ce numéro un dossier Paul Ricœur sous l’angle de sa participation à des revues (revues protestantes, Esprit). Concernant le cinéma on relève un article sur la nouvelle revue Apaches mise en rapport avec Présence du cinéma dont elle se réclame.
La Revue Documentaire, no 31, 3e trimestre 2021
Le dernier numéro de la Revue Documentaire, revue annuelle de cinéma dédiée au documentaire, est sous-titré « Films, textes, textures ». Préoccupation qui débute dès la couverture du numéro qui est tirée en sérigraphie et propose des compositions de formes et couleurs différentes sur chaque exemplaire de ce no 31 ! Ce choix plastique des plus originaux fait écho à la préoccupation dont fait montre la responsable du numéro, Lucie Leszez, pour le support argentique du cinéma et le caractère artisanal auquel le film film et non fichier numérique ou bande video est désormais voué : machines, outils, bains chimiques liquidés par l’industrie (un cas de désindustrialisation dont il est peu question et qui « anticipait » bien d’autres liquidations effectuées et à venir puisque la France voit désormais moins de 10 % de la « production de la valeur » de son économie en provenance de ce secteur contre 20 % en Allemagne). « Cette matière qu’est la pellicule dicte sa temporalité à ceux qui la travaillent, exigent d’eux un certain savoir-faire et des gestes techniques précis, une attention à ses métamorphoses photochimiques : elle les incite ainsi, subrepticement, à prendre le temps de voir, d’écouter, de lire, d’écrire, le temps qualitatif du faire » dit l’éditorial. Le numéro recueille de la sorte « une pluralité d’expérimentations que décryptent dix-huit auteurs qui portent attention à ces assemblages hétérogènes, véritables palimpsestes qui façonnent les films, leur confère un milieu où peut s’inventer une texture. Ces articles incitent le lecteur à prendre route en compagnie de Pasolini quand il reconduit le voyage de Dante dans sa Divine Mimésis – texte au long cours qui marque le passage du Pasolini écrivain au Pasolini cinéaste ».
Revus corrigés, no 10, hiver 2020, « Histoire(s) de cinémas d’Afrique(s) » ; no 11, été 2021, « Hollywood Breakdown »
Revus corrigés poursuit avec ces deux livraisons son exploration du cinéma patrimonial. Dans le premier numéro est examiné le cinéma africain à travers ses personnalités marquantes : Ousmane Sembène, Sarah Maldoror, Safi Faye, Med Hondo, Djibril Diop Mambéty, Moustapha Alassane. Le dossier affronte aussi la question de la conservation des films en examinant le travail de l’African Film Heritage auquel est associé la Film Foundation de Martin Scorsese. La seconde partie du numéro présente livres et DVD et donne longuement la parole à Stefan Drössler, le successeur d’Enno Patalas à la tête du Filmmuseum de Munich. Dans la deuxième livraison, le corps du numéro sous-titré « 1959-1969 Quand le cinéma américain pète les plombs » explore une thématique disséquée par Nicolas Saada dans un long entretien. Les différentes études (en particulier sur Stanley Kramer ou Tennessee Williams) et commentaires (ceux aigus de Jean-Baptiste Thoret) mettent l’accent sur une décennie du cinéma américain marquée par une sorte de panne ou de dépression. Comme l’écrivent les coordinateurs du dossier, Alexandre Piletich et Marc Moquin : « L’idée d’Hollywood Breakdown correspond à un moment du cinéma américain, quelque part entre la fin des années 1950 et la fin des années 1960. Avant ce que conventionnellement, on appelle le Nouvel Hollywood. Il y a dans ces années là un corpus de films, assez imposant si l’on accepte de les réunir malgré leurs différences, mettant en scène un mal être profond qui gagne les États-Unis et remet en question l’American Way of Life ». Seconde partie toujours aussi riche avec livres et DVD – notamment les films de Pierre Prévert, L’affaire est dans le sac et Voyage surprise ou les versions de Jacques de Baroncelli et de Julien Duvivier de la Femme et pantin – et deux dossiers sur Richard Fleischer et Maurice Pialat.
Studies in Russian and Soviet Cinema, vol. 16, no 2, juin 2021
Cinq études se partagent cette nouvelle livraison de la seule revue non russe consacrée exclusivement aux cinémas russe et soviétique avec une recherche de Nina Sputnitskaia (VGIK, Moscou) sur l’histoire du cinéma légendaire et fantastique soviétique à travers trois personnalités : Eisenstein, Ptouchko et Kadochnikov. Eisenstein en raison d’Alexandre Nevski qui joua un rôle clef dans la formation du canon plastique du film légendaire au moment où le réalisme socialiste s’élargit aux folkore et aux contes nationaux ou adaptations de romans d’aventure pour enfants. Alexandre Ptouchko est connu grâce à son Nouveau Gulliver (film de poupées de 1935) et sa Fleur de pierre (présenté à Cannes en 1946). Venu de la décoration théâtrale, il se consacra à partir de 1927 au cinéma d’animation (poupées et marionnettes puis dessins). En 1972 il réalise un Rouslan et Ludmilla d’après le poème de Pouchkine dont un étudiant d’Eisenstein recruté par Ptouchko dans le département des films d’animation de Mosfilm, Valentin Kadotchnikov, avait fait une adaptation expérimentale. Le film occupa quelque temps Eisenstein que Choumiatski souhaitait lui voir tourner – il en reste des études savantes sur le montage chez Pouchkine (dans le Mouvement de l’art) – puis repassa à Ptouchko et Kadotchnikov en 1938. Le jeune animateur œuvra à une série de films courts (Au sujet de la grue et du renard ou un incident dans les bois, 1937 ; Pluie d’argent, 1937 ; le Loup et les 7 enfants, 1938 ; les Feux rouges magiques, 1938) et travailla avec Ptouchko sur la Clef d’or (1939) pour les costumes et auparavant avec Medvedkine pour la Nouvelle Moscou (1938). Après des atermoiements autour d’un projet, la Graine magique (1939), lors de l’évacuation des studios à Alma-Ata, Kadotchnikov s’intéresse à des légendes épiques kazakhs et à un héros en particulier, Kozy Korpech et la belle Bayan-Sulu. Eisenstein s’intéressera vivement à ce projet de son élève et dessina un certain nombre de croquis en 1942 se rapportant à ce projet, mais malgré l’acceptation du scénario, la production est repoussée d’un an et Kadochnikov, hostile au réalisateur qu’on lui a assigné (Fédor Filippov) s’en plaint à Péra Atacheva et veut s’intéresser à Till Eulenspiegel Mais en décembre 1942, il meurt brutalement à 29 ans. Eisenstein écrit dans son journal : « Valia est mort en récoltant du saxaoul [arbuste du désert]. L’attitude rustre typique du studio qui a ruiné un gars chroniquement malade et merveilleusement talentueux. Avec la phraséologie d’État en usage, j’ai énoncé des sentiments largement partagés par l’ensemble des travailleurs du studio, des sentiments d’indignation et de tristesse, dans un article [« Valia Kadochnikov », 9 décembre 1942, publié dans les Œuvres en 6 volumes] ». Violeta Davoliuté (Lituanie) se penche sur ce qu’elle appelle « L’esthétique de la justice : la reconnaissance de l’Holocauste dans les films soviétiques du Dégel ». La médiatisation des procès pour crimes de guerre en URSS pendant la période du Dégel voit l’émergence d’un sous-genre du film de guerre soviétique, le mélodrame centré sur le démasquage des collaborateurs des Nazis grâce à l’anagnosiris (reconnaissance tardive de quelque chose qu’on n’a pas du reconnaître d’emblée). L’un des films les plus populaires de ce genre fut Criminel d’État (Gosoudarstvennii prestoupnik, réal. Nikolaï Rozantsev, sc. Aleksandr Galitch,1964). Oleg Riabov et Tatiana Riabova (Pétersbourg) s’intéressent à la représentation des villes américaines dans les dessins animés soviétiques de l’époque de la « guerre froide » (1946-1963), en particulier à travers l’image du gratte-ciel. Il s’agit dans ces films d’opposer le mode de vie soviétique à l’américain. Tandis que Mihaela Mihailova (Ann Arbor) étudie « Mutabilité et impermanence dans les dessins animés d’Aleksandr Petrov – dont la caractéristique formelle est d’être peints sur verre. Petrov remporta un Academy Award en 1999 pour son film le Vieil Homme et la mer. Enfin Elena Monastireva-Ansdell (Waterville) étudie les incidences de l’Islam, des traditions pré-islamiques et des formes de croyances laïques dans le cinéma contemporain kirghiz.
DVD
Pandora and the Flying Dutchman d’Albert Lewin, éditions Carlotta, 2021
Edition issue d’une restauration du quatrième film d’Albert Lewin, cinéaste épris d’art, qui avait auparavant réalisé un film sur Gauguin (The Moon and Sixpence), le Portrait de Dorian Gray d’après Oscar Wilde et Bel Ami d’après Maupassant, chacuns rehaussés par l’insert de tableaux d’artistes contemporains (Ivan Albright, Max Ernst) dont il était par ailleurs collectionneurs. Dans Pandora la référence picturale est celle de Chirico. Cette édition comporte un témoignage de Jack Cardiff, chef opérateur, et surtout un livret très développé signé par Patrick Brion.
Compte rendu dans un prochain numéro
Haxän (la Sorcellerie à travers les âges) de Benjamin Christensen, éditions Potemkine, 2021, coffret combo DVD/Blu-Ray (3 disques).
Réédition restaurée et documentation filmée et écrite sur ce film « d’horreur » de 1922 qui défraya la chronique (censures multiples et interdictions) et connut au moins trois versions, y compris une commentée par l’écrivain américain William S. Burroughs.
Voir les Notes de lecture et de vision