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Henry Poulaille et Émile Vuillermoz devant la mécanisation de la musique

« La motoculture intellectuelle » selon Émile Vuillermoz. Gramophone, film, machine à écrire, synchronisation et hybridation

François Albera et Émile Vuillermoz
p. 147-181

Texte intégral

  • 1 Voir Pascal-Manuel Heu, « Emile Vuillermoz et la naissance de la critique de cinéma en France », 18 (...)
  • 2 Voir Richard Abel, French Film Theory and Criticism. A History/Anthology 1907-1939, Princeton, Prin (...)
  • 3 É. Vuillermoz, Critique musicale 1902-1960 : au bonheur des soirs, Paris, L'Harmattan, 2013 et Hist (...)
  • 4 Voir la liste complète de ces articles en annexe établie par Pascal Manuel Heu.
  • 5 G. Duhamel, « Sur la querelle du machinisme », la Revue de Paris, no 8, 15 avril 1933, pp. 721-752. (...)
  • 6 É. Faure, « Défense et illustration de la machine », op. cit. ; « L'art et la machine » (1933) ; «  (...)
  • 7 L. Moussinac, « Technique commande ! », Gazette des sept arts, no 2, 25 janvier 1923 et no 3, 10 fé (...)
  • 8 L. Mumford, Technics and Civilization, New York, Harcourt, Brace & Company, Inc., 1934 (Trad. franç (...)
  • 9 Au xixe siècle le mot apparaît chez Jules Michelet (« Machinisme moderne. Du machinisme moral. 27 a (...)

1On connaît Émile Vuillermoz en tant que pionnier de la critique de cinéma1 ; la place qu’on lui a reconnue à ce titre est maintenant assurée2. On connaît aussi le critique musical3. Mais on a quelque peu cantonné Vuillermoz aux années 1910-1920 et sa réflexion ultérieure demeure encore dans l’ombre alors même qu’elle lui offrait l’occasion d’articuler cinéma et musique à la faveur de l’instauration du cinéma sonore. En outre la réflexion de Vuillermoz prend une altitude encore nouvelle avec la série étonnante de ses 39 articles – sans équivalent dans sa « corporation » critique – qu’il publie en 1931-1932 dans le quotidien Excelsior sous le titre : « La motoculture intellectuelle »4. Sortant de ses deux spécialités, ou plutôt décidé à leur donner un cadre élargi, il s’efforce d’envisager le problème général du « machinisme » pour en évaluer les effets dans les productions intellectuelles. Cette réflexion s’inscrit dans une longue suite de controverses et de débats sur la question qui a commencé bien avant lui et qui a pris un tour plus aigu au mitan du xxe siècle en raison de l’accélération de la mécanisation dans l’industrie, bien sûr, mais surtout de son extension à tous les secteurs de la vie sociale et de la vie domestique. On parle alors de « La Querelle du machinisme » pour reprendre l’expression de Georges Duhamel en 19335. À la même époque Élie Faure développe à plusieurs reprises, dans des textes et des conférences, une « Défense et illustration de la machine » et du machinisme6. Léon Moussinac avait proclamé de son côté, dix ans plus tôt, « Technique commande ! »7. Aux États-Unis, ce début des années 1930 voit paraître les premiers articles de Lewis Mumford qui publiera, en 1934, Technics and Civilization et, à la faveur de séjours aux États-Unis, Siegfried Giedion entreprend la vaste enquête qui aboutira à Mechanization Takes Command (1947)8. La question – qu’on peut faire remonter, bien avant cette époque, à Sismondi, Michelet, Marx et Engels, Jean Grave ou Villermé9 – ne cessera par la suite de nourrir les réflexions des sociologues, des philosophes et, de nos jours, où l’on ne parle plus de « machinisme » (renvoyé à l’ère des usines) mais de « technologie » ou de « technique » (Jacques Ellul), celles des théoriciens des médias (de McLuhan à Kittler ou Citton). Or précisément Vuillermoz, s’il les appréhende sous la catégorie de la « mécanique » et de la « machine », s’intéresse de près aux « nouvelles technologies » de la transmission, du stockage, de la reproduction et de l’hybridation des images et de sons, technologies dont il évoque, dans plus d’un cas, le caractère virtuel, supra-humain et les effets sur la perception, les sens, les mentalités et la psychologie.

  • 10 Encart en page 1 d'Excelsior du 26 mars 1931 annonçant le premier article en page 4.

2Le but affiché de cette série d’articles est de tenir les lecteurs au courant « de tous les progrès, de tous les reculs, de tous les mouvements stratégiques et toutes les annexions que nous révèle, dans l’ordre de la culture intellectuelle, le machinisme triomphant »10. Car, dit-il dans son « Préambule », si « la civilisation vit sous le signe du moteur » supplantant la force musculaire, si l’accélération et complexification de la vie a conduit, « dans tous les domaines, à recourir « à la collaboration du machinisme pour prolonger, affiner et décupler l’effort humain », l’homme moderne ne s’en est pas tenu là :

Après avoir agrandi le domaine de ses possibilités dans l’ordre matériel, il a trouvé le moyen de s’annexer, grâce au machinisme, des sens artificiels.
Il a maintenant une oreille électrique qui perçoit les sons à des milliers de kilomètres de distance. Il a un gosier d’airain qui se fait entendre jusqu’aux antipodes. Il a une rétine au gélatino-bromure qui capte les images et les conserve à son gré sous une forme inaltérable. Il a même perfectionné ce sens visuel en enregistrant sur un ruban de celluloïd des images en mouvement. (...) La photographie, la cinématographie et la phonographie nous ont doté d’une mémoire mécanique infaillible.
Bien plus, l’homme est arrivé, grâce à la machine, à se créer des antennes réceptrices d’une subtilité inespérée. Grâce à ces sens postiches que lui a donnés la mécanique, le Terrien d’aujourd’hui a découvert que l’air qu’il respirait est tout imprégné d’éloquence, d’images et de lyrisme. Dans l’invisible éther, volent à tire d’aile, tout autour de la planète, des mots, des tableaux et de la musique. Grâce à sa nouvelle innervation artificielle, l’arrière-petit-fils de l’homme des cavernes capture, dans l’espace, les impalpables trains d’ondes qui charrient tout autour du globe les chefs d’œuvre de la poésie, de l’éloquence, de l’art musical, les grandes idées scientifiques ou philosophiques et des informations plus promptes que la foudre.

3Ces conquêtes ont été si rapides, continue-t-il, qu’on les a accueillies sans surprise mais également sans en comprendre toutes les conséquences. Car ces perfectionnements

ébranlent jusque dans ses fondements l’équilibre ancien de la formation intellectuelle des individus et des sociétés. (...) Le rythme des sciences et des arts, la vitesse des nouveaux véhicules spirituels, la démocratisation de toutes les richesses artistiques, jadis réservées aux grands centres urbains, tout concourt à modifier profondément les méthodes de culture intellectuelle employées jusqu’ici.

4C’est une comparaison entre l’agriculture – qui connaît une motorisation accrue – et la culture intellectuelle qui donne son titre à cette enquête : « l’humanité d’aujourd’hui laboure et ensemence son cerveau à l’aide des miraculeuses inventions de la motoculture intellectuelle ». Comparaison qui revient souvent sous sa plume (il faudrait dire sous le clavier) dans les articles qui vont suivre, avec la métaphore de la « friche », de la « jachère » et de l’« ensemencement » : il n’est question que d’« instruments aratoires de l’intelligence », d’« ensemencement du cerveau », de « fertiliser le terrain cérébral », des « outils nouveaux qui hersent, labourent et ensemencent notre intellect », de la « motoculture musicale »...

  • 11 On peut rapprocher ce dessein de celui de McLuhan 30 ans plus tard : « Mon travail a un but pragmat (...)
  • 12 « La voix des morts », Excelsior, 22 octobre 1931, p. 2.
  • 13 « L'Électrification des muses », Excelsior, 31 décembre 1931, p. 2.
  • 14 « La Psychophonie », Excelsior, 4 et 11 juin 1931.
  • 15 « La machine à coudre des mots », Excelsior, 4 février 1932 et « Le style “martelé” », 11 février 1 (...)
  • 16 « Moto-repas », Excelsior, 16 juin 1932.
  • 17 « Le répétiteur automatique », Excelsior, 27 juillet 1932.
  • 18 « L'outillage musical », Excelsior, 28 avril 1932, p. 2.
  • 19 « Communion mécanique », Excelsior, 23 juillet 1931.
  • 20 « Une date », Excelsior, 223 juin 1932, p. 2.

5L’originalité de cette entreprise est d’aborder des phénomènes assez différents, susceptibles d’entrer dans cette problématique, pour parvenir à « embrasser dans son ensemble l’importance de la question et en déduire certaines lois morales et sociale essentielles »11. Cela distingue Vuillermoz d’Élie Faure, par exemple, qui, dans sa défense du machinisme, demeure sur un plan général. Ces phénomènes concernent aussi bien l’installation ici d’un monument aux morts sonore (un orgue « horizontal » en plein air12) ou ailleurs l’inauguration d’un orgue à ondes13, que la thérapie « psychophonique »14, les mutations de l’écriture induites par la machine à écrire15, les repas « motorisés » (plats « encapsulés » sur tapis-roulants)16, l’apprentissage du chant par disque-répétiteur17, le piano à quart de ton18, ou le comportement des foules pendant le Tour de France, pétries par les camions à haut-parleurs19, ou encore la radio, la télévision, le cinéma, le disque ou la transmission à distance des concerts20...

Le machinisme est impitoyable

  • 21 Ibid.
  • 22 « La dictature des ondes », Excelsior, 26 mai 1932, p. 2.

6L’article qui ouvre la série adopte un ton alarmiste. Les pouvoirs de suggestion et d’imposition des conduites et des pensées que développe la mécanisation y sont dénoncés comme un danger. D’autres articles reprennent ces mises en garde : « l’homme moderne est incapable de défendre sa liberté contre la dictature du machinisme et les foules de demain seront ce que les ingénieurs voudront qu’elles soient »21. « Le machinisme élargit progressivement chaque jour le terrain qu’il a conquis dans le domaine intellectuel. Emportés dans le rythme frénétique de la vie moderne, nous ne nous apercevons pas de ses lentes et décisives infiltrations »22.

  • 23 « Le Miroir », Excelsior, 19 novembre 1931, p. 2.

7Mais à ces inquiétudes – qu’il semble partager avec Duhamel le « machinoclaste » –, succèdent aussitôt l’engouement devant les résultats qu’on obtient en matière de synchronisation musicale et visuelle, de transmission à distance, la foi dans le perfectionnement continuel qui les porte. À ceux qui prétendent que, « triomphe du matérialisme le plus écrasant, (...) le machinisme enlise l’homme dans la matière » et qu’« il faut combattre ce Moloch prêt à nous dévorer », il répond que, précisément, « le machinisme moderne, lorsqu’il s’applique à la culture universelle de l’être humain, élargit méthodiquement le domaine du rêve et nous arme miraculeusement pour la capture des impondérables »23. À plus d’une reprise Vuillermoz projette dans un avenir proche ou lointain les mutations que ces technologies appliquées à la culture apporteront à l’humanité :

  • 24 Ibid.

Quand chacun d’entre nous possédera un de ces appareils de prospection individuelle » [le « miroir » que nous tendent le cinéma et le microphone], ne croyez-vous pas que le machinisme aura fait accomplir à la culture humaine universelle un progrès qui enchantera tous les philosophes ?24.

  • 25 « Le style “martelé” », art. cit.
  • 26 Cf. Sténographie-Duployé, écriture plus facile, plus rapide et plus lisible que toute autre, s'appl (...)

8Ainsi la machine à écrire, cette « machine à coudre les mots », que caractérisent la séparation des lettres, le frappement discontinu, l’alignement préfigurant la page imprimée au moment de l’écriture : elle transforme la pratique de l’écrivain et son style même en instituant « le style “martelé” »25. Mieux, s’adressant à une dactylographe écrivant sous sa dictée, l’écrivain renoue avec l’oralité et, avec la sténo et la métagraphie26, on peut alors parler de « mitrailleuse verbale » où la vitesse d’exécution supplante tout « contrôle de la volonté » : « la passivité et l’automatisme absolus deviennent des conditions indispensables de rapidité ». L’écrivain, dans cette « mécanique », se voit doté d’un « moteur » – la nécessité « de fournir de la pâture au crayon du sténographe » – : « on ajoute à son cerveau un ressort d’acier qui le contraint à fonctionner avec régularité ». En outre cet exercice devant un témoin lui fait expérimenter d’emblée son texte en le passant au « gueuloir » flaubertien. « On voit si la phrase tient l’air, si elle plane, forme un tout homogène » : « une phrase couchée sur le papier pouvait avoir les nuances d’un film muet : la phrase parlée acquiert la richesse supplémentaire de la pellicule sonore ».

  • 27 « Le style “martelé” », art. cit.

Nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour en déduire des lois grammaticales, syntaxiques et philologiques sérieuses, mais nos arrière-neveux sauront parfaitement distinguer dans les œuvres littéraires du passé la minute où la généralisation de la technique de la dictée aura modifié profondément le rythme secret de notre usine de pensées.27

9Il stigmatise les intellectuels rétifs à ces progrès, ces mutations, les musiciens qui voient d’un mauvais œil la radio et le disque les supplanter. Certes certains perdront leur travail, concède-t-il : « le machinisme est impitoyable et chacune de ses victoires comporte quelques sacrifices humains » qu’il évoque en reprenant sa comparaison avec l’agriculture.

  • 28 « Une date », art. cit.

Actuellement nous possédons un assez nombreux personnel d’ouvriers agricoles peinant durement pour labourer et ensemencer les champs de la musique. Les résultats de cette culture manuelle sont assez peu satisfaisants, et les récoltes bien peu abondantes. Mais voici venir la motoculture musicale qui va transformer tout cela. Évidemment quelques valets de ferme y perdront leur place mais les moissons seront bientôt si miraculeuses que toutes les bonnes volontés trouveront à s’employer.28

10Jusqu’au bout Vuillermoz fait alterner ces deux attitudes de fascination et de répulsion, d’enthousiasme et de mise en garde :

  • 29 « Le massage cérébral », 4 décembre 1931, p. 2.

un film bien rythmé exerce sur nos cellules une sorte de massage insensible mais efficace. (...) Par l’oreille et par l’œil, le rythme entre désormais mécaniquement en nous et pétrit infatigablement notre conscience et notre subconscience. Avouez qu’au point de vue social, moral et intellectuel, la chose est d’importance et que nous avons bien le droit d’attirer sur les fabriques et les fabricants de rythmes visuels ou auditifs l’attention de tous ceux qui s’intéressent à l’âme des foules29.

  • 30 « Le télécinéma », le Temps, 13 septembre 1930.
  • 31 « La dictature des ondes », art. cit.
  • 32 Se replonger dans les numéros d'Excelsior qui publient cette suite d'articles (puisqu'ils ne furent (...)

11C’est que, sur le fond, il crédite la publicité, le cinéma, la radio d’une puissance persuasive, « tyrannique » sur le cerveau des « simples », des « illettrés » et de manipulation de l’inconscient des foules et de leurs « besoins obscurs »30. Il parle de « dictature des ondes » : « Lorsque l’écran qui parle interrompt son gavage méthodique d’impressions et de sensations, la radiophonie prend sa place »31. L’hostilité de Vuillermoz à l’endroit des intellectuels élitaires qui négligent de s’emparer de ces moyens et laissent la médiocrité et la stupidité régner, se double ainsi d’un certain mépris pour la masse malléable, pétrissable, façonnable à l’envi (qu’il entrevoit avec les catégories de Gustave Le Bon32).

  • 33 « Le Terrain », Excelsior, 2 avril 1931, p. 4.

12En un sens il partage donc un discours assez commun sur les bénéfices et les dangers du machinisme – qu’on trouve aussi bien chez Mumford et Giedion d’ailleurs – où il s’agit de prendre acte de cette toute-puissance de la mécanisation (« le machinisme est un fait ») et en même temps de considérer que l’on doit la reprendre en main car croyant « peupler sa maison d’esclaves, [l’homme] s’est en réalité donné des maîtres » : ce « Pégase de métal » « a été si fougueux et si brutal que son cavalier a été immédiatement désarçonné (...). Il s’agit de remonter en selle et d’imposer notre volonté à la machine qui prétend nous faire subir la sienne »33.

  • 34 Cf. « Voilà 3500 ans (...) que les observateurs qui étudient les phénomènes sociaux négligent systé (...)

13Mais au-delà de ces idées communes, l’originalité de cette série d’articles est bien d’appliquer cette dialectique au domaine des médias dont Vuillermoz souligne la toute-puissance et les dangers34. Au sein de ceux-ci, il privilégie les opérations créatrices – en particulier en ce qui concerne la musique et le cinéma – pour lesquelles il se montre continûment positif et accueillant, y compris devant des procédés de « manipulation » qu’il envisage plutôt comme des perfectionnements de la nature, du donné, voire des « ratés » du Créateur lui-même !

  • 35 « les moteurs », écrit-il, mettent à la disposition de l'homme « des forces gigantesques qu'il peut (...)
  • 36 « Le style “martelé” », art. cit.
  • 37 « Le pathétique du bruit », Excelsior, 17 mars 1932, p. 2.

14Dès lors l’idée selon laquelle les machines, les techniques sont des prothèses prolongeant, relayant l’homme et donc qui sont susceptibles de décupler ses pouvoirs (schéma classique qui fit parler Freud de l’homme comme d’un « dieu prothétique » dans Malaise dans la civilisation35 et qu’on trouve répété sans cesse par Marshall McLuhan) s’impose, contrebattant un diagnostic général initial d’imposition par les appareils et les dispositifs de leur logique, assignant une place au sujet humain et donc le constituant en agent de ces dispositifs plutôt qu’en acteurs. On passe de : « Cette écriture mécanique, au lieu d’obéir à l’homme qui la pratique, lui impose sa loi et le transforme lui-même en machine obéissante »36 à : « L’artiste, grâce au machinisme, est doué d’une véritable omnipotence créatrice »37.

Superpositions, Greffes et Hybridations

  • 38 [sans titre], Excelsior, 10 mars 1932, p. 2.

15En effet, perspective exorbitante, les moyens « mécaniques » donnent à l’homme la possibilité de corriger la nature car celle-ci « malgré toute sa complaisance, n’accomplit pas toujours jusqu’au bout, d’une façon impeccable, la tâche que l’on attend d’elle »38. On s’acheminera alors vers une « surhumanité ».

  • 39 « Le film musical », Excelsior, 14 avril 1932, p. 2.

ne voit-on pas que le machinisme seul peut nous donner, dans le ballet, par exemple, ce synchronisme scientifiquement parfait dont rêvent les compositeurs et les chorégraphes, et que détruisent sans cesse les maladresses musculaires de nos meilleures compagnies de danseurs et de danseuses. La machine seule peut délivrer des servitudes de la pesanteur des interprètes devenus soudain d’une docilité miraculeuse.39

16L’imperfection de la nature, c’est avant tout l’imperfection humaine que l’on va ainsi suppléer. Grâce à la postsynchronisation, aux procédés optiques, un rêve « frankensteinien » devient possible qui se colore fortement, chez Vuillermoz, de misogynie et d’eugénisme. L’une des pierres de touche de ses démonstrations est l’opéra, le chant où, manifestement, il souffre de la dissociation entre les voix (sublimes) et les corps (disgraciés). Dans un premier temps on pourra déplacer une voix sur un corps, grâce à la postsynchronisation, dans un second temps, une voix et un son synthétique donneront naissance à des « matrices sonores » permettant de se passer des chanteurs et des musiciens :

  • 40 « La synthèse du son », Excelsior, 14 mai 1931, p. 5.

on annonce aujourd’hui qu’un ingénieur se propose d’appliquer au film parlant le principe de la voix obtenue par synthèse, de la voix sans cordes vocales, de la voix artificiellement usinée. (...)
Grossie des milliers de fois, l’inscription sonore d’origine humaine va livrer à l’acousticien tous ses secrets. Dans ces conditions on va pouvoir non seulement reproduire mais améliorer les plus beaux sons qui frappent nos oreilles. Car on débarrassera les voix de leurs impuretés et de leurs parasites puisque l’organe défectueux de Mme X... ne se différencie, à l’analyse microscopique, de la voix de rossignol de Mme Y... que par quelques petits sillons latéraux indésirables, il sera facile de guérir la cantatrice médiocre de tous ses défauts. Que dis-je ? On pourra améliorer encore les sonorités déjà connues, donner de l’aisance au registre aigu, augmenter de plusieurs degrés, dans les deux sens, l’échelle musicale, fabriquer des super-ténors, des hyper-soprani, des ultra-contralti, des infra-barytons et des sous-basses.
Mais pourquoi s’arrêterait-on en si bon chemin ? Puisque dans ce domaine tout se réduit à un jeu de lignes et de volumes et à des coupes histologiques, on obtiendra quand on le voudra des greffes sonores, des superpositions, des croisements et des hybridations qui donneront naissance à des timbres absolument neufs.40

  • 41 [sans titre], Excelsior, 10 mars 1932, p. 2.
  • 42 « Psychologie de la voix », Excelsior, 7 janvier 1932, p. 2. Ces expériences jouant sur l'accélérat (...)

17Vuillermoz nourrit une sorte de suspicion à l’endroit de la nature si souvent négligente mais aussi envers ses semblables. La première quand elle « a construit un visage de femme parfait, oublie parfois de donner aux lignes de son corps une perfection égale ». Il faut donc recourir à d’« heureux mélanges », à des « transfusions de talent entre artistes à qui l’on donnerait, une à une, toutes les qualités (...). On fabriquerait ainsi une sorte de surhumanité »41. Mais même devant une voix et un corps parfaits il faut encore se méfier. Ainsi se fait-il fort de dessiller un « jeune homme à marier » séduit par la voix suave d’une comédienne du Français : en accélérant légèrement le disque, la voix deviendra tranchante et acide, celle d’une mégère, d’une « chipie » acariâtre ; en le ralentissant au contraire elle deviendra une « voix lourde et grasse de matrone adipeuse »42, révélant à l’impétrant ce que peut lui réserver, au bout de quelques années, le mariage auquel il aspire.

Littéralisme de Vuillermoz

  • 43 « Au pied de la lettre. L'infrastructuralisme de Kittler » dans F. Kittler, Gramophone, Film, Typwr (...)

18Laissons ce versant obscur de Vuillermoz pour s’arrêter sur ce qui fait l’intérêt de ses commentaires et qui tient à la précision qu’il met à examiner les inventions ou innovations techniques dans le domaine des médias. Son « littéralisme », pour reprendre le mot qu’utilise Emmanuel Alloa à propos de Kittler pour l’en louer43. Pour lui, en effet, les outils, les instruments dont disposent les créateurs déterminent leur esthétique. On l’a vu à propos de la machine à écrire, il en va de même du piano ou des accessoires techniques comme le micro ou la manivelle de l’appareil de prise de vues :

  • 44 « L'oreille microphonique », Excelsior, 12 mai 1932, p. 2.

Le développement de la symphonie à travers les âges fut lié à l’histoire de la lutherie et de la facture des instruments de bois ou de cuivre. L’invention du tuba, celle du cor à pistons ou celle de la riche famille des saxophones ont créé des formes nouvelles d’émotion, de pathétique et de lyrisme dont l’influence a été décisive sur l’imagination créatrice des compositeurs. Il en sera forcément de même de tous ces appareils nouveaux, de tout ce matériel sonore inédit, que la technique de l’enregistrement et de la reproduction met à la disposition des générations futures.44

  • 45 J'ai étudié plus en détail ce petit film ainsi que Work made Easy de James Stuart Blakston, Vitagra (...)

19Bien avant qu’il n’entame sa réflexion sur la motoculture intellectuelle, il s’était penché avec une rare exigence sur l’invention de Grimoin-Sanson censée apporter une solution au problème du synchronisme son/image. Cet article de 1923 paru dans Comœdia (qu’on trouvera ci-après) est plein d’enseignements : non seulement pour l’évaluation de ce dispositif (sur lequel revient François Huzard dans ce numéro) mais aussi pour ce qu’il nous apprend des variations qui affectaient la vitesse de projection dans les salles, rendant impossible une synchronisation entre deux instances – l’appareil de projection et l’orchestre de la fosse –, comme entre deux machines distinctes – un gramophone et un projecteur –, en raison des variables de l’image dues au tournage autant qu’à la projection. Par ailleurs ces variables, nous dit-il, agissaient sur l’image elle-même et le rythme des déplacements des acteurs, accélérés ici ou ralentis là et, partant, susceptibles d’être « sifflés » ou moqués par le public pour « nervosisme » ou lymphatisme aggravés. Cette inscription dans la représentation elle-même des défaillances ou particularismes de la machine (manivelle, épaisseur de la pellicule, intensité électrique) se relie à certaines préoccupations esthétiques de l’époque (Renoir parlant des saccades de l’appareil pour définir le jeu de Catherine Hessling ou Walter Benjamin, celui de Charlot). Elles viennent enrichir l’abord qu’on peut avoir du rythme même du jeu des acteurs – dont parle Laurent Guido dans ce numéro. Là encore le film Pathé qu’on appelle aujourd’hui Mais dépêchez-vous donc ! offre une mise en abyme remarquable de ces variables subies en les revendiquant au contraire, en les maîtrisant sur un mode comique : ici, les effets de représentation découlent directement des propriétés techniques des appareils45.

20L’attention de Vuillermoz aux appareils, aux dispositifs techniques, sa curiosité font le prix de cette série de réflexions de 1931-1932 dont on pourra apprécier en plus d’un point les échos actuels qu’on peut y entendre jusque dans ses continuelles ambivalences entre la crainte de voir les nouvelles technologies aliéner l’individu et les promesses démiurgiques qu’elles portent.

  • 46 « Psychologie de la voix », art. cit.

Le moteur agit directement et par ses propres moyens sur notre intelligence et sur nos sens. Autrefois il n’était qu’un auxiliaire lointain ; aujourd’hui, il est un collaborateur de plus en plus étroit et commence déjà (...) à devenir un auteur.
On ne sait où s’arrêtera son ambition, mais il faudrait vraiment être bien imprudent et bien aveugle pour ne pas tenir compte de cette évolution caractéristique dont l’importance est incalculable. Car demain, qu’ils le veuillent ou non, non seulement les poètes, les musiciens, les peintres, les sculpteurs et les auteurs dramatiques, mais les philosophes eux-mêmes, seront obligés de compter avec les exigences de ce nouveau Moloch.46

21En entrevoyant l’avenir du cinéma dans le « télécinéma » – c’est-à-dire la télévision mais plus que cela, une sorte de « terminal » d’ordinateur –, Vuillermoz semblait se féliciter de voir le medium cinéma privé de sa puissance hypnotique – que la projection sur un grand écran, la salle obscure et l’environnement musical lui confèrent – sur le spectateur collectif, et advenir l’appareil individuel :

  • 47 « Le télécinéma », art. cit.

évolution un peu décevante pour la partie du public qui a l’habitude de rechercher dans le divertissement cinématographique un plaisir essentiellement collectif, la joie de sortir de sa demeure, d’entrer dans une salle luxueuse, de jouir pendant quelques heures d’un confort flatteur et de contenter ce secret instinct de sociabilité. (...) La technique des salles américaines répond fort adroitement à ce besoin obscur de la foule. De même que la mise en scène tiède, brillante et lumineuse du bar populaire attire invinciblement l’ouvrier à la sortie du taudis, de même que beaucoup de spectateurs modestes sont heureux d’échapper pendant quelques heures (...) à la médiocrité de leur logis. (...) Lorsque la chaumière du paysan, déjà pourvue d’un coffret de TSF et d’une machine parlante possédera en outre un appareil de réception de télécinéma, l’attraction des villes tentaculaires aura perdu une bonne partie de sa puissance néfaste. (...) [Avec] l’ouverture dans chaque logis de cette lucarne permettant d’observer l’activité universelle (...) nous ne serons plus obligés d’aller très loin chercher le contact avec nos semblables. Le fluide humain pénétrera jusqu’au fond de notre cabinet de travail. (...) C’est ainsi que, paradoxalement, la science réhabilite peu à peu les droits de l’individualisme et apporte aux civilisés, que l’on prétendait voués au communisme de la vie en troupeau, de précieuses ressources d’isolement.47

  • 48 Emmanuel Plasseraud, l'Art des foules. Théorie de la réception filmique comme phénomène collectif ( (...)

22Est-ce prescience des développements futurs du medium et des médias afférents qui ont, en effet, conjugué généralisation de ces moyens et individualisation ? Sur ce point Vuillermoz dont on a vu la méfiance qu’il nourrissait à l’endroit de la foule, se sépare nettement d’Élie Faure et Léon Moussinac, tous deux considérant le cinéma comme « l’art de la foule » ou « des masses » « permettant de dépasser l’“excès d’individualisme” du siècle précédent pour entrer dans une nouvelle ère collective correspondant à l’âge de la machine »48.

Tableau établi par Pascal Manuel Heu

(Le journal Excelsior est maintenant consultable sur Gallica.)

« La Motoculture intellectuelle »
Émile Vuillermoz,
Excelsior (BAN, mic 304)

En général le jeudi, en page 2 (sauf indication contraire)

1931

  • 49 Correction manuscrite dans les archives : « De toutes les formes de l'expression cinématographique, (...)

1. 26 mars (p. 4, annoncé en p. 1) : I

2. 2 avril (p. 5) : Le terrain

3. 9 avril (p. 3) : III. Le terrain

4. 16 avril : Le rythme

5. 23 avril : L’outillage

6. 30 avril : La vitesse

7. 7 mai : Acquisitions

8. 14 mai (p. 5) : La synthèse du son

9. 21 mai (p. 4) : L’ensemencement du cerveau

10. 4 juin : La psychophonie

11. 11 juin : La psychophonie

12. 18 juin (p. 5) : Le dessin animé sonore49

13. 25 juin : Les pierres qui parlent

14. 2 juillet : Le nouvel amphion

15. 9 juillet : Le journal vivant

16. 23 juillet : Communion mécanique

17. 13 août : Le costume standard

18. 22 octobre : La voix des morts

19. 29 octobre : La musique radiographiée

20. 5 novembre : Les fabriques d’idéal

21. 19 novembre : Le miroir

22. 26 novembre : L’hygiène du rythme

23. 4 décembre : Le massage cérébral

24. 31 décembre : L’électrification des muses

1932

  • 50 Se terminant par : « Comment ne pas appeler de tous nos vœux la diffusion croissante du disque-répé (...)

25. 7 janvier : La psychologie de la voix

26. 14 janvier : La synthèse de la voix

27. 21 janvier : La motosuggestion

28. 4 février : La machine à coudre les mots

29. 11 février : Le style « martelé »

30. 25 février : Le squelette du rythme

31. 10 mars [sans titre] [sur la postsynchronisation]

32. 17 mars : Le pathétique du bruit

33. 14 avril : Le film musical

34. 28 avril : L’outillage musical

35. 12 mai : L’oreille microphonique

36. 26 mai : La dictature des ondes

37. 16 juin : Moto-repas

38. 23 juin : Une date [la motoculture musicale]

39. 14 juillet : Les vitamines musicales

40. 27 juillet : Le répétiteur automatique

41. 11 août : Contre-épreuve50

Le Film de la semaine « Le Comte de Griolet »

par Émile Vuillermoz

23Nous avons été convoqués cette semaine à une présentation comportant selon ses organisateurs, « une innovation cinématographique du plus grand intérêt ». Cette innovation était un opéra-comique en trois actes et un prologue, dont les paroles et la musique étaient dues à l’inspiration de Raoul Grimoin-Sanson et qui avait été filmé d’après le nouveau procédé de synchronisme de l’auteur avec accompagnement de chœurs, soli et orchestre.

24Cette nouveauté n’en était pas une pour ceux qui avaient suivi, ces dernières années, toutes nos « premières ». On nous avait déjà présenté ce Comte de Griolet et son synchronisme musical. Mais puisqu’il sollicite à nouveau notre avis sur ses prouesses, il n’est peut être pas inutile de nous en occuper de lui.

25La question du synchronisme musical, abordée fort dédaigneusement par nos éditeurs et nos exploitants – assez peu enclins à favoriser un progrès artistique pouvant augmenter leurs frais généraux – a une importance si capitale qu’il faut examiner avec le plus grand soin toutes les solutions qu’on nous propose pour faire entrer dans le domaine des réalités pratiques l’union féconde du rythme visuel et du rythme auditif.

26Il ne s’agit pas, en effet, uniquement d’obtenir une concomitance heureuse entre les polkas ou les marches funèbres du répertoire et les scènes hilarantes ou lacrymogènes qu’elles se flattent de souligner. Il est évidemment très intéressant d’avoir des adaptations minutieusement réglées et des commentaire développant avec opportunité, dans le domaine musical, les impressions plastiques apportées par la vision animée ; mais le synchronisme musical a une portée plus haute. Sa réalisation pratique permettra de créer le cinéma lyrique.

27Le spectacle lyrique est actuellement un luxe de plus en plus coûteux, réservé à quelques rares grandes villes : le film lyrique, au contraire, pourrait aller partout à peu de frais et développer dans les plus petites agglomérations le goût de la musique et des belles réalisations musicales. Les compositeurs voient ainsi s’ouvrir devant eux des perspectives de vulgarisation illimitées. En s’annexant l’opéra, l’opéra-comique, la pantomime et toutes les expressions de la danse qui étaient jusqu’ici interdites, le cinéma remplirait une œuvre de diffusion et de décentralisation dont il est facile de deviner la puissance. La plus petite bourgade de France pourrait contempler un spectacle lyrique ou chorégraphique bien réglé, bien dansé et bien mis en scène sur un écran qui ne lui présentait d’ordinaire que de mélancoliques pitreries ou de navrants mélodrames. Les pires adversaires de la cinégraphie voudront bien admettre que c’est un progrès.

28Un débouché considérable s’ouvre ainsi non seulement aux compositeurs, à qui l’on amène des millions d’auditeurs nouveaux, mais aux acteurs, aux danseurs, aux maîtres de ballet. Dans la fosse de l’orchestre, des chanteurs qu’une imperfection physique avait écartés de la scène, pourraient interpréter des rôles lyriques dont l’écran traduirait le contenu plastique avec une magnificence et une éloquence interdites au théâtre.

29C’est donc avec la plus sympathique curiosité que j’ai étudié le procédé synchronisateur de M. Grimoin-Sanson. Voici quel est son principe.

30Avec une habileté peut-être un peu excessive, l’inventeur, dans une petite préface projetée au début de son film, nous annonce qu’il se propose de nous donner l’illusion de nous trouver dans un théâtre lyrique et que, pour rendre cette illusion plus complète, il a tenu à nous montrer entre ses acteurs et le public, la baguette d’un chef d’orchestre invisible conduisant l’exécution. Nous devinerons qu’ils obéissent à une direction musicale attentive et l’extrémité du bâton de mesure voltigeant dans les airs paraîtra même au bas de l’écran.

31Il y a là une ruse dont je n’approuve pas la subtilité. Pourquoi ne pas dire franchement les choses ? Ce n’est pas pour nous donner l’illusion d’être à la Salle Favart que nous apercevons au bon moment l’extrémité supérieure d’un pupitre et d’une baguette blanche terminée par une petite boule. La plupart des tableaux étant pris en plein air, il ne peut être question de nous donner une impression théâtrale. Pourquoi ne pas nous avouer franchement que cette baguette joue, en réalité, le rôle d’un métronome, dont les battements sont enregistrés en même temps que les gestes des acteurs et qui est là pour servir de liaison entre l’écran et l’orchestre – réel celui-là – de la salle où est projeté le film ?

32Le chef d’orchestre de cinéma a l’œil fixé sur le bâton blanc de son invisible collègue et s’efforce de le suivre, de copier ses inflexions et de reproduire dans son accompagnement le rythme exact qui avait été réglé au moment de la prise de vues. Toute l’invention est là !

33Le principe ne manque pas d’ingéniosité. Théoriquement la solution, bien qu’un peu rudimentaire, semble acceptable. Vous « tournez » une scène où un chanteur détaille une romance à trois temps. Un chef d’orchestre bat la mesure avec soin. Chaque syllabe tombe à sa place, et la baguette en fixe avec exactitude les repères mathématiques. Puisque vous avez pris soin de cinématographier la baguette en même temps que l’acteur, pour retrouver devant le public le mouvement exact qui avait été réglé au studio le jour de la prise de vues, il n’y aura plus qu’à suivre docilement les injonctions de ce petit métronome. Si le chanteur et le chef d’orchestre ne le perdent pas de vue et lui obéissent aveuglément, les temps seront à leur place et les notes et les syllabes viendront se poser sur eux à la seconde voulue. Sur l’écran, le ténor a modulé les mots « Je t’ai-ai-me » sur quatre coups de baguette précis de son chef : dans la salle de cinéma, le nouveau chef d’orchestre, réglant ses gestes sur ceux de son prédécesseur, n’aura plus qu’à suivre la baguette lumineuse pour permettre au nouveau chanteur d’ouvrir et de refermer la bouche en même temps que l’acteur de l’écran. Les deux « Je t’ai-ai-me » devront donc théoriquement présenter une coïncidence parfaite.

34Théoriquement. Car dans la pratique nous nous trouvons en présence de difficultés inattendues. Il est absurde d’accorder une telle confiance à une machine. La projection cinématographique donne une impression de régularité qui est en réalité tout à fait trompeuse. Rien n’est plus irrégulier que le déroulement mécanique et automatique d’une pellicule. Cette baguette blanche qui bat à l’écran un honnête « six-huit » est incapable de reproduire le rythme qu’elle indiquait primitivement. Le chef d’orchestre qui la maniait au studio lui avait sans doute imposé un mouvement parfait, mais ce mouvement a été altéré par de nombreuses déformations accidentelles.

35Ces déformations tous les professionnels les connaissent. La prise de vues a été faite à la main. Les tours de manivelle ne sont donc pas d’une régularité absolue. Les réflexes musculaires de l’opérateur, les résistances variables que lui offrent des bobines chargées d’une quantité plus ou moins considérable de films vierges, ou garnies de pellicules d’épaisseurs différentes ne lui permettent pas de dérouler sa bande à une vitesse rigoureusement égale. D’ailleurs, un film ne peut pas être enregistré à une vitesse invariable. Il faut régler le mouvement d’après l’intensité de la lumière. Pour permettre à la pellicule de s’impressionner, il est bien évident qu’un bon opérateur « tournera » plus lentement une scène prise par un temps gris qu’un paysage inondé de soleil.

36Voilà déjà toute une première série d’opérations qui ont détruit complètement sur la pellicule le rythme primitif du « six-huit » enregistré au studio.

37D’autres déformations vont intervenir au moment de la projection. Ce film, composé de cellules enregistrées à des vitesses différentes et collées bout à bout, ne pourrait retrouver son mouvement primitif que si le projectionniste restituait à chaque fragment le « taux d’image » exact que lui avait donné l’opérateur de prises de vues. Telle scène devrait passer la vitesse de treize images à la seconde ; telle autre, à quinze, à seize ou à dix-huit. Or la projection est mécanique et ne tient pas compte de ces nuances capitales.

38Bien plus, elle y ajoute elle-même de graves coefficients d’erreur. Rien n’est plus irrégulier, en effet, qu’une projection cinématographique. Le moteur qui actionne la bobine subit docilement toutes les variations de voltage du secteur. Vous n’ignorez pas qu’à Paris, en particulier, ces variations de voltage, et par conséquent ces brusques modifications de vitesse, sont perpétuelles.

39Si un grand établissement, théâtre, restaurant ou magasin, ouvre ou ferme son compteur, tous les cinémas de quartier en subissent le contrecoup. Parce qu’un music-hall du voisinage vient de faire une apothéose lumineuse ou un effet de nuit, Charlot ou Douglas-Fairbanks deviendront à l’écran des gens trop nerveux ou trop lymphatiques. Depuis longtemps, on le voit, le rythme primitif du studio est rompu, brisé, émietté, méconnaissable.

40Dans ces conditions comment le « six-huit » du chef d’orchestre primitif de M. Grimoin-Sanson pourrait-il arriver intact jusqu’à la salle de projection ? Prenez un métronome et comparez les deux vitesses : vous constaterez les innombrables accidents rythmiques qui ont altéré cette reproduction. La baguette blanche n’est donc plus qu’un guide trompeur et le chef d’orchestre de la salle aura beau être un prestidigitateur capable de deviner et de suivre tous les soubresauts de ce bâton-fantôme, il n’arrivera jamais à un résultat satisfaisant.

41Car le dilemme est impitoyable : ou il copiera exactement les indications métriques de l’écran, qui sont spasmodiques et irrégulières, ou il s’efforcera de s’en écarter pour les améliorer.

42Dans le premier cas il brisera le rythme musical comme le fait le moteur, et imposera à son chanteur ou à son orchestre des secousses et des escamotages du plus déplorable effet musical.

43Dans le second cas, il s’écarte des injonctions de la baguette lumineuse afin de restituer au texte musical un peu d’équilibre et de logique, il détruit immédiatement le synchronisme, car les deux rythmes ne coïncident plus. En deux mesures, le décalage sera irrémédiable.

44Et c’est bien, en effet, ce qui s’est produit à la représentation du Comte Griolet, où, malgré tout le zèle attentif du chef d’orchestre, la concordance musicale des airs chantés dans la salle par un artiste de bonne volonté et de l’articulation muette des acteurs de l’écran ne put être pratiquement réalisée dans des conditions satisfaisantes. Il arriva même que certains chœurs, comme celui du « trou normand », se trouvèrent achevés depuis longtemps par les choristes de la pellicule alors que leurs « doubles » continuaient à s’époumoner dans la salle.

45La tentative de M. Grimoin-Sanson était, je le répète, sympathique et ingénieuse, et méritait d’être étudiée attentivement. Mais elle repose, à mon sens, sur un principe trompeur. Tous les inventeurs se heurteront aux mêmes déboires tant qu’ils s’obstineront à mettre la musique sous la dépendance d’un appareil de projection.

46Ils arriveront peut-être à découvrir un procédé de soudure assez parfait pour créer une coïncidence mécanique, mais cette coïncidence ne sera jamais une solution musicale acceptable, pour toutes les raisons que nous venons d’exposer... Le problème doit être envisagé dans un sens absolument différent. Le seul synchronisme artistique, le seul qui pourra satisfaire les musiciens et restituer à une scène filmée son mouvement original, est celui qui obligera l’appareil de projection à se soumettre à la baguette du chef d’orchestre dans la salle. Car cette discipline est exactement celle quavaient acceptée les artistes et les chanteurs au moment de la prise de vues. Voilà la commune mesure qu’il s’agit de retrouver à l’exécution. En matière de rythme musical, l’homme ne doit pas être l’esclave d’une machine, c’est la machine qui doit lui obéir.

Comœdia, 4 mai 1923, p. 3.

La Motoculture intellectuelle

La Motoculture intellectuelle no 24. L’Électrification des Muses

47Les victoires du machinisme ne se comptent plus. Mais depuis quelque temps, c’est dans le domaine qui semblait devoir résister le plus longtemps à ses assauts que nous sommes amenés à constater ses plus audacieuses conquêtes. Le Bois-Sacré, qui était jusqu’ici l’asile inviolé des Muses est soumis à son tour au régime de la motoculture. Et le public ignorant se scandalise de ces hardiesses en dénonçant avec horreur le prosaïsme de la civilisation moderne.

48On rougit d’avoir à défendre la dignité de la science contre d’aussi misérables attaques. En quoi l’empirisme serait-il plus respectable qu’une discipline raisonnée de l’intelligence ?

49Car c’est là un malentendu essentiel. La foule ingénue qui perçoit vaguement dans l’art un affranchissement et une évasion est naïvement portée à s’imaginer que cette évasion doit prendre la forme de l’indiscipline.

50De même que pour le Français-moyen un artiste est un homme qui vit en marge de la société bourgeoise, porte des cravates et des chapeaux différents de ceux des honnêtes contribuables et perpétue plus ou moins fidèlement les traditions sacro-saintes de la bohème, de même, une création artistique est pour beaucoup d’observateurs superficiels une sorte de révolte contre le rythme quotidien de la vie. On recherche instinctivement dans le génie un sublime élément de désordre.

51Aucune conception n’est plus fausse. Les grandes créations artistiques rendent, au contraire, l’hommage le plus éclatant aux grandes lois naturelles, c’est-à-dire à l’équilibre mathématique le plus rigoureux et le plus inflexible qu’on puisse concevoir.

52N’est-il pas comique de voir les insectes et les vibrions que nous sommes parler d’indiscipline et de fantaisie en virant comme des toupies sur une planète qui fait partie d’un gigantesque mouvement d’horlogerie parfaitement indéréglable et qui tourne sur elle-même depuis sa naissance avec une passivité et une régularité accablantes ? Quel orgueil bouffon peut donc nous laisser croire que nous pourrions échapper à la grandiose loi des nombres qui domine la vie universelle ? Plus nous déchiffrons les énigmes de l’univers et plus nous constatons partout le triomphe de la mathématique et du machinisme supérieur. Cela blesse évidemment notre vanité de bacilles mégalomanes, mais c’est un fait devant lequel nous devons nous incliner.

53Tous les arts sont esclaves de la féroce tyrannie de la physique et de la chimie qui règlent le ballet des atomes avec un automatisme infaillible. Tous subissent la discipline de la matière. Le peintre le plus échevelé et le plus révolté ne peut s’évader de la cage lumineuse dans laquelle l’enferment et le retiennent prisonnier les sept barreaux du prisme solaire. Et le compositeur le plus romantique n’est qu’un comptable inconscient qui équilibre de son mieux, sans s’en douter, des colonnes de chiffres, en additionnant ou en multipliant entre eux des nombres et des vibrations.

54La musique, en effet, qui a la prétention d’être le plus immatériel et le plus libre de tous les modes d’expression de la sensibilité humaine est écrasée sous la loi du nombre. De même que Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, le musicien qui assemble des notes et cherche des accords ou combine des timbres, fait de l’arithmétique transcendantale à jet continu.

55Jusqu’ici ces vérités élémentaires n’étaient pas sorties du domaine de l’analyse expérimentale : depuis quelques temps elle pénètrent audacieusement dans celui de la synthèse. Il y a maintenant des ingénieurs du son qui, dans leurs laboratoires, créent par le calcul tout un matériel sonore qui ne doit plus rien au fabricant d’instruments de musique.

56Ne parlons pas aujourd’hui de tous les miracles de l’enregistrement électrique, dans le domaine du disque ou du film. Mais examinons ce qui vient de se passer dans une église de la banlieue de Paris. Il y a trois jours le cardinal-archevêque se rendait à Villemomble pour bénir et inaugurer solennellement un orgue à ondes. A la tribune de ce sanctuaire se trouvait installé une sorte de coffret magique, ne possédant ni tuyaux d’étain, ni sommier, ni transmission, ni soufflerie, et qui, pourtant, possédait toutes les ressources sonores de l’orgue le plus classique. L’exécutant y pouvait, à son gré, passer d’un clavier à l’autre, user du pédalier, réaliser des accouplements de timbres et se servir de tous les effets d’expression des instruments d’autrefois.

57Nous assistions ici à un des triomphes les plus saisissants de la science et du calcul sur l’empirisme séculaire des organiers.

58Ce coffret était, en effet, un petit laboratoire où s’accomplissait la fabrication du son et du timbre par synthèse. Pour produire un la, un ou un sol, on n’avait pas construit par tâtonnements des tubes de bois ou de métal dans lesquels de l’air comprimé sortant en sifflant par une ouverture, produisait un son dont on s’efforçait de stabiliser approximativement la hauteur. Pour déterminer un timbre, on n’avait pas cherché des alliages de matières plus ou moins ingénieux. Tout s’était passé sur le papier, tout était sorti des formules cabalistiques des nombres de vibrations. Assis à sa table de travail, un mathématicien, en appliquant tranquillement les « quatre règles », en additionnant, en retranchant, en multipliant ou en divisant des fréquences, des oscillations ou des harmoniques, créait des sons d’une justesse et d’une pureté absolues et des timbres connus ou inconnus permettant de reconstituer un instrument existant ou d’inventer des modes d’expression inédits.

59Qui ne serait sensible à la beauté et à la portée d’une telle victoire de la science ? En échappant à l’empirisme grossier du soufflet de forge, de la réglette de bois et du tuyau poussiéreux et généralement mal accordé, l’orgue n’entre-t-il pas, grâce aux sortilèges du calcul, dans une zone d’ordre et d’équilibre supérieurs qui le rendent plus dignes encore de la spiritualité de sa mission ?

60Quel que soit le prestige littéraire de son passé, l’orgue n’était, malgré tout, qu’un gigantesque accordéon dont le matérialisme scandalisera peut-être les organistes de demain investis du pouvoir magique de faire fleurir un son dans les airs en captant d’une caresse des doigts les électrons qui s’échappent du filament incandescent d’une lampe !

61Qu’y a-t-il de plus émouvant que ce travail mystérieux des petits génies du feu emprisonnés dans leurs ampoules de verre et se livrant à une distillation subtile des fluides qui composent notre atmosphère ? Ces lampes réalisent une sorte d’électrolyse de l’air que nous respirons. Elles lui arrachent des éléments que nous ignorions. Comme ces prestidigitateurs qui, d’un geste souple, semblent faire naître autour d’eux des pièces de monnaie qu’ils recueillent dans les endroits les plus inattendus, les génies de la lampe – car la science nous ramène à la technique même des contes des Mille et une nuits – arrachent à l’onde silencieuse et invisible qui nous frôle le trésor de musique insoupçonné qu’elle contenait.

62Ainsi en utilisant des réactions chimiques appropriées, les biologistes font apparaître en les colorant les infiniment petits qui poursuivaient dans l’atmosphère leurs ballets invisibles impeccablement réglés pat le Grand Chorégraphe de l’univers.

63Ces sons, ainsi tirés du néant avec le minimum d’intervention de la matière, peuvent désormais être disciplinés, calibrés, échelonnés, hiérarchisés et assemblés en gammes aussi facilement que ceux que l’on obtient en plaçant sous des marteaux des cordes ou des lames de métal soigneusement étalonnées. On a donné à ces sons synthétiques une stabilité parfaite. On les a polis, poncés et débarrassés de leurs impuretés. On les a purgés de leurs parasites. On a rogné minutieusement leurs interférences. Les voilà solides, clairs et brillants, obéissant avec une rapidité prodigieuse à l’appel de la touche. L’exécutant se trouve ainsi en prise directe avec le phénomène sonore dans toute sa pureté. Ce qu’il assemble, ce sont des sonorités vierges, ce qu’il recueille, c’est de la musique pure à l’état naissant. On a la sensation de remonter à la source même de l’émotion sonore.

64On connaît les conséquences pratiques d’une telle invention qui, après nous avoir livré toute la féerie musicale sous une forme aussi miraculeuse, nous permet de la diffuser et de la transmettre microphoniquement avec une fidélité parfaite et une vitesse foudroyante dans les endroits les plus éloignés. Grâce aux instruments électroniques, on peut projeter la musique sur les plans les plus lointains. Un orgue à ondes, en particulier, peut faire chanter les piliers d’une cathédrale, ses voûtes, ses chapelles, son maître-autel. Sa chaire, sa façade, ses tours ou son clocher. Est-ce donc un asservissement à la matière que nous apporte ainsi l’automatisme scientifique ou une libération ? Et la synthèse mathématique du son n’est-elle pas une façon de faire naître le miracle musical plus noble et plus immatériable [sic] que celle auxquelles nous condamnait jusqu’ici l’outillage instrumental ?

Excelsior, 31 décembre 1931, p. 2.

La Motoculture intellectuelle no 26. La synthèse de la voix

par Émile Vuillermoz

65Les artistes commencent à s’inquiéter de la concurrence que leur font les machines parlantes de toutes les catégories. Le disque et la pellicule se substituent avec une audace croissante aux chanteurs, aux instrumentistes, aux comédiens et aux tragédiens les plus réputés.

66Nous connaissions l’Homme-qui-a-perdu-son-ombre, voici maintenant l’Homme qui a confié sa voix au microphone et qui ne peut plus la reconquérir. Elle est désormais séparée de lui, elle va mener à travers le monde une existence indépendante : lui vieillira, deviendra muet, mourra... Pendant ce temps, elle restera jeune, fraîche, vaillante, incorruptible. Lorsque l’artiste, fatigué, voudra se faire entendre, on lui imposera silence, on l’écartera et on lui préférera le disque ou le ruban de celluloïd où, jadis, des transfuseurs de son firent des prélèvements de sa voix à l’époque où elle était sans défauts.

67C’est évidemment une consolation pour un artiste de se dire qu’il ne mourra pas tout entier et que le témoignage exact de sa valeur sera transmis fidèlement aux générations futures. Mais, en même temps que cette satisfaction, que de menaces obscures !

68En voici une, directe, implacable. La production du son par synthèse.

69De même qu’on travaille à fabriquer synthétiquement des pierres précieuses, on s’efforce de manufacturer des sons, de créer des timbres en laboratoire.

70Qu’est-ce donc que le miracle du disque ? Tout simplement la transmission – mécanique ou électrique, peu importe – de vibrations imprimées à un diaphragme ou à un pick-up par une pointe qui, en explorant un sillon plus ou moins accidenté, reçoit de minuscules secousses qu’elle transmet à un organe diffuseur.

71Ces secousses, ces petits chocs imperceptibles sont infiniment variés. Un ténor creuse la cire autrement qu’un trombone, le sillon créé par les ondes vibrantes de la flûte diffère de celui que trace le tambour.

72Chaque voix, chaque instrument, chaque timbre musical imprime donc dans la cire molle sa signature, son sceau personnel que nul ne peut lui dérober.

73Pour obtenir un modèle parfait de ce « cachet » nous faisons actuellement venir à grands frais dans nos studios des chanteurs ou des virtuoses réputés qui gravent le disque aux armes du piano, du violon, du ténor ou du contralto.

74Fort bien. Au début de chaque industrie on voit ainsi peiner la main-d’œuvre humaine. Puis, peu à peu, l’outil se perfectionne et libère l’esclave. Il en sera de même pour la musique.

75Que s’agit-il d’obtenir pour émouvoir un pick-up ou un diaphragme ? Un sillon plus ou moins profond, aux bords plus ou moins abrupts, qui fera vibrer l’aiguille dans certaines conditions prévues. En somme un simple graphique, inerte par soi-même mais générateur de chocs sonores imperceptibles que la machine agrandira à l’infini. Ce graphique obtenu jusqu’ici par l’émission d’un souffle humain sur une membrane, vous pouvez l’établir de toute autre façon.

76Prenez les sillons créés par les artistes vivants. Agrandissez-les au microscope et étudiez-les attentivement. Ce sont des vallées de Liliput dont la coupe nous livre tous les secrets. Selon le timbre enregistré leurs pentes présentent des aspérités caractéristiques. Voici les trois petits crans latéraux de la voix de Georges Thill, voici l’entaille profonde de celle de Chaliapine, voici le plissement singulier de la flûte de Moyse...

77Vous avez à votre disposition toutes les « matrices » de timbres. Copiez-les.

78Créez des burins minuscules qui creuseront et gaufreront le sillon « à la demande ». Prenez le burin du ténor, celui du pianiste, celui du sociétaire de la Comédie-Française et gravez tranquillement la cire. Vous obtiendrez ainsi un disque parfait, sans avoir besoin de faire appel à un chanteur, à un instrumentiste ou à un comédien.

79Ce disque pourra dépasser en beauté ceux qu’auraient gravés les artistes. Le graveur spécialiste aura, en effet, des instruments capables de corriger les imperfections des exécutions humaines. Telle illustre cantatrice chevrote un peu : qu’à cela ne tienne, il suffit de poncer ces petits bourrelets latéraux qui font trembloter l’aiguille dans sa course. Ce ténor arrive péniblement au contre-ut : il est enfantin de creuser dans la cire le centième de millimètre qui manque sur cette note, à son sillon d’enregistrement. Vous obtiendrez donc, en usine, des super-ténors, ces ultra-barytons et des hyper-soprani.

80Que dis-je ? Vous pourrez les faire monter plus haut ou descendre plus bas, sans difficultés. Un nouveau burin vous donnera le profil du contre-fa ou du contre-sol et vous pourrez à votre gré, prospecter dans le domaine musical des territoires inexplorés.

81J’entends déjà les éternels romantiques déclarer avec ironie que ce machinisme exaspéré ne saurait nous donner le charme, la séduction, l’inexprimable je ne sais quoi qui fait le caractère d’une voix ou d’un instrument manié par un soliste de génie. Pardon ! Le charme de la voix de Ninon Vallin s’est inscrit une fois pour toutes dans la cire. C’est, en « coupe » verticale, un petit V dont le bord intérieur est légèrement cannelé et dont le bord extérieur est lisse. Je tiens sous mon microscope une de ses notes, rondes, veloutées, impeccables. Je n’ai qu’à reproduire exactement son empreinte pour en tirer autant d’exemplaires qu’il me plaira. Je peux donc, avec une collection suffisante de matrices, créer de la musique mécanique parfaite sans recourir à l’artiste vivant. Le charme n’est qu’un graphique comme les autres.

82Je peux faire mieux encore. Avec mes burins, retouchés dans un certain esprit, je peux fabriquer des sillons qui me donneront des voix inconnues et des timbres insoupçonnés. Je créerai des instruments inimaginables. J’apporterai aux compositions des ressources neuves qui bouleverseront leur technique et leur ouvriront des horizons infinis.

83D’ailleurs les compositeurs seront les premiers à s’arracher ces outils miraculeux aux mains de l’ingénieur-graveur. Ils n’écriront plus leurs partitions sur du papier à musique à trente-six portées. Ils les graveront directement sur le disque ou la pellicule qui la feront entendre immédiatement. Ils supprimeront l’interprète et ses trahisons possibles. Ils aboliront l’intermédiaire. Ils créeront eux-mêmes leurs graphiques sonores et livreront leur pensée dans un état de pureté absolue et de loyauté inattaquable. Et, dans un siècle, on rira bien de nos puériles méthodes qui consistaient à tracer des signes symboliques sur du papier pour suggérer à des collaborateurs inconnus des vœux, des ambitions, des rêves plus ou moins complexes, sans espoir d’être rigoureusement compris.

84L’artiste a prêté son âme à la machine. Elle l’a happée, a enregistré tous ses secrets et les exploitera désormais sans lui. Il a fourni un modèle. Sa tâche est terminée. On continuera et on perfectionnera la fabrication sans son concours.

85Et ne croyez pas à des fantaisies d’anticipation. Ce paradoxe d’aujourd’hui est la vérité industrielle de demain.

Excelsior, 14 janvier 1932, p. 2.

La motoculture intellectuelle no 31 [Les avantages de la Postsynchronisation]

par Émile Vuillermoz

86Je vous ai décrit dernièrement un appareil de post-synchronisation, cette merveilleuse machine qui permet d’opérer avec une infaillibilité mathématique la synthèse de l’image mouvante et du son. Étudions aujourd’hui les possibilités nouvelles que donne à un auteur de film et à un compositeur ce mécanisme de précision récemment mis en service dans nos usines cinégraphiques.

87Ces perspectives sont si nombreuses et si variées qu’on éprouve une sorte de vertige en cherchant à les énumérer. En réalité, l’homme se trouve ici investi d’un pouvoir de création prodigieusement étendu. Pour la première fois, on met à sa disposition, isolées et dissociées, des forces qu’il avait toujours trouvées jusqu’ici amalgamées étroitement et auxquelles il n’avait jamais pu imposer sa discipline intellectuelle.

88La possibilité de disséquer scientifiquement les diverses cellules dont l’activité combinée crée le miracle de la vie et la faculté de remettre en mouvement ces cellules dans un ordre différent représentent une conquête d’une importance illimitée : l’homme a les moyens de fabriquer, selon son caprice, un nouvel univers, de modifier la personnalité des êtres vivants et l’essence des choses, de composer des équilibres insoupçonnés, de connaître l’ivresse théogonique d’un Jéhovah organisant le chaos et disciplinant la mathématique de l’univers.

89Un artiste qui possède des machines-outils lui permettant de capter toutes les images de la vie, de recueillir toutes les ondes sonores qui frémissent autour de lui et d’associer à son gré, dans l’ordre qui lui convient, ces jeux de la lumière et du son ne possède-t-il pas un pouvoir supra-humain ?

90Les premières expériences de post-synchronisation ont soulevé les mêmes incompréhensions et les mêmes ironies que les premiers disques du phonographe. Bien peu de techniciens semblent avoir compris le merveilleux avenir qui s’ouvre devant cette invention magique. Évidemment, de même que les premiers disques étaient nasillards, les premières tentatives de substitution d’une voix à une autre n’étaient pas toujours d’une perfection absolue. Dans ce domaine, d’ailleurs, on avait mal posé le problème. On peut assurément, dans un but purement commercial, pour tirer, en France, un bénéfice intéressant d’un film américain ou allemand, placer des dialogues français sur les lèvres d’artistes étrangers. Une telle tentative est forcément soumise à une règle du jeu impitoyable. Malgré toute la puissance et toute l’ingéniosité du traducteur, il est bien difficile d’obtenir un texte parfait lorsqu’on est forcé de le composer sous la dictée des lèvres qui articulent dans une autre langue des syllabes dont la sonorité vigoureuse ou atténuée est très clairement inscrite sur l’écran. Il y a là un tour de force, de patience, qui ne peut pas donner de résultats artistiques. Ce sont là des expédients utilitaires et rien de plus.

91D’autre part, mous constatons une hostilité réelle des artistes contre ce procédé. Des groupements professionnels ont même essayé de jeter l’interdit sur toute cette technique. J’avoue, pour ma part, ne pas comprendre cette opposition.

92Au point de vue artistique, les avantages de la post-synchronisation sont trop évidents. La nature, malgré toute sa complaisance, n’accomplit pas toujours jusqu’au bout, d’une façon impeccable, la tâche que l’on attend d’elle. Lorsqu’elle a construit un visage de femme parfait, elle oublie parfois de donner aux lignes de son corps une perfection égale. Lorsqu’elle a fabriqué un magnifique jeune premier, elle oublie souvent de lui donner une voix sympathique. Elle construit des athlètes pourvus d’une voix de fausset et des êtres rabougris doués d’un organe caverneux et tonitruant.

93Et sans aller jusqu’à ces anomalies qui sont des cas-limites, n’avons-nous pas constaté souvent, dans les films parlants, qu’une distribution tout à fait satisfaisante pour l’œil n’arrive pas à contenter l’oreille ? Les voix étaient mal assorties ou, ce qui est plus grave, mal différenciées. À l’écran sonore, toutes les voix sortent du même orifice et s’évadent d’un diffuseur central. Ce n’est que par une complaisance de notre organisme et un effort inconscient d’adaptation que nous les replaçons d’instinct, l’une après l’autre, sur les lèvres des acteurs. Mais dans une conversation entre trois artistes qui ont le même timbre de voix, notre bonne volonté est mise en défaut. La direction de la voix ne vient plus à notre aide comme dans la vie quotidienne. Nous ne savons plus quel est le personnage qui vient de proférer une réplique, et nous sommes forcés de guetter anxieusement le mouvement des lèvres des trois interlocuteurs pour localiser exactement les mots jaillis de la même source.

94Dans ce cas, n’est-il pas extrêmement précieux de pouvoir corriger la nature et de pouvoir, comme un bon orchestrateur, choisir des timbres différents et bien caractéristiques pour chacun des personnages du drame ? Avec l’enregistrement direct, il faudrait, pour arriver à ce résultat, sacrifier tel ou tel excellent acteur qui est un interprète accompli de son rôle. Avec la post-synchronisation, il suffit de lui enlever sa voix et de la remplacer par une autre, mieux choisie et plus appropriée à son physique et à son tempérament. On aura ainsi amélioré sérieusement son interprétation.

95Je ne désespère pas d’ailleurs de voir inventer bientôt un appareil permettant de corriger de la même façon, dans le domaine visuel, les maladresses de la nature. On possédera sans doute demain des modèles d’objectif permettant d’amincir une actrice de grand talent un peu trop « potelée » pour son rôle, ou d’enrichir un peu l’anatomie déficiente d’un héros ayant besoin d’accroître son prestige physique. Car nous ne sommes qu’au début de la fabrication d’une série de magnifiques « machines-à-retoucher-la-vie ».

96Mais, me direz-vous, ce n’est pas au point de vue artistique, mais au point de vue social, que les acteurs protestent contre ces audacieuses opérations de transfusion de fluides. Ils estiment que cette chirurgie hallucinante et ces procédés sataniques de vivsection mettent en péril leurs intérêts matériels.

97J’avoue ne pas comprendre davantage cette objection. Que de fois n’avons-nous pas déploré la cruauté du grand Architecte de l’univers qui avait enfermé dans un corps disgracieux une voix séraphique et qui avait affligé une créature idéale d’un accent et d’une élocution aigres et antipathiques. Dans l’histoire du chant, en particulier, on retrouve à chaque instant ce monstrueux prodige de « l’éléphant qui a avalé un rossignol ». D’autre part, tel nain possède un talent vocal pathétique dont son physique lui interdit de tirer parti. Beaucoup de cantatrices de concert incarneraient splendidement nos héroïnes de théâtre si la scène ne leur était pas interdite à cause de leur disgrâce physique. Eh bien, la post-synchronisation, en apportant un peu plus d’équité, de justice et d’harmonie dans ce domaine, rendrait les plus grands services à des artistes handicapés par leur destin. La machine renouvellerait ici le touchant subterfuge du pauvre Cyrano prêtant, sous le balcon de Roxane, son éloquence de poète au beau Christian. Ainsi on pourrait faire passer dans le corps gracieux d’une jeune prix de beauté la voix divine d’une cantatrice prématurément épaissie. Et l’organe rayonnant de certains ténors obèses et lourdauds prendrait toute sa séduction dans la bouche d’un jeune premier dont l’élégance et le charme sont irrésistibles.

98Cette façon d’améliorer et de complèter un interprète n’est-elle pas légitime et n’apporterait-elle pas la prospérité à des artistes incomplets, incapables, dans les conditions actuelles, d’exploiter une partie de leur talent ? La machine, en se perfectionnant, permettra de pousser très loin cette étonnante synthèse.

99Nous nous sommes placés, d’ailleurs, sur le terrain le plus difficile et le plus dangereux de la post-synchronisation, celui du dubbing qui soulève encore bien des objections lorsqu’il est exécuté sur une langue étrangère. Il est bien évident qu’on arrivera fort bien à placer syllabe par syllabe, dans la bouche d’un interprète qui articule silencieusement son texte, ce texte proféré à haute voix devant le microphone par le camarade qui doit parler à sa place. Les autres perfectionnements viendront plus tard.

100Mais, dès maintenant, ne voyez-vous pas quel heureux mélange on pourrait obtenir en opérant de pareilles transfusions de talent entre artistes à qui l’on donnerait, une à une, toutes les qualités ?

101Quelles ressources pour les auteurs, les metteurs en scène et les compositeurs ! On fabriquerait ainsi une sorte de surhumanité qui permettrait de donner aux héros d’un drame une force de rayonnement exceptionnelle.

102Songez à ce que serait une représentation de Roméo et Juliette dans laquelle Juliette et Roméo auraient vraiment l’âge et le physique de leur rôle ! Ce serait la fin d’un cruel malentendu qui a toujours été la rançon de l’art dramatique. Pendant des mois, l’auteur accomplit une lente et patiente synthèse qui aboutit à la création théorique d’un personnage parfaitement représentatif et qui doit constituer, pour le spectateur, le point de cristallisation idéal de toute une psychologie. Et soudain, tout ce travail est ruiné au moment où la pièce est poussée devant la rampe parce que le physique des acteurs désagrège sournoisement tout l’édifice en détruisant l’essentiel au profit de l’accidentel.

103Ce que nous disons de la voix s’applique d’une façon plus étroite encore au domaine de toutes les autres manifestations sonores. Nous verrons comment on peut, de la même façon, se servir dans l’ordre des bruits et de la musique de ce magnifique instrument qui centuple la puissance créatrice d’un réalisateur.

Excelsior, 10 mars 1932, p. 2.

La motoculture intellectuelle no 32. Le pathétique du bruit

par Émile Vuillermoz

104Dans la technique de la post-sonorisation qui constitue l’une des conquêtes intellectuelles les plus curieuses du machinisme, le problème de l’adjonction des voix n’est pas le seul qui se pose. Lorsque la pellicule sensible nous a livré tous les aspects du monde extérieur, lorsqu’elle a placé entre nos mains une abondante documentation nous permettant de reconstituer la vie d’un univers silencieux, l’enregistrement sonore nous permet d’incorporer à cette fantasmagorie des images toute la symphonie des bruits.

105Grâce à l’outillage moderne des studios, un metteur en scène peut choisir librement l’être humain qui incarnera un personnage caractéristique. Cet être humain, il le pétrira à son gré, le le modèlera avec l’ébauchoir des faisceaux lumineux, il modifiera son aspect extérieur jusqu’au moment où il aura obtenu la synthèse désirable. Si sa voix ne lui plaît pas, il la changera. Il placera sur ses lèvres des accents dont la sonorité correspondra plus exactement à l’expression de son visage ou la psychologie de son rôle.

106Nous nous retrouvons ici en présence d’une reconstitution en raccourci de la Genèse. L’artiste, grâce au machinisme, est doué d’une véritable omnipotence créatrice.

107Le premier jour il fera sortir du chaos tous les motifs visuels épars qui constitueront son décor. Il les rassemblera, il leur imposera des disciplines secrètes. Il les pliera à un style, il les rendra expressifs et leur donnera une personnalité.

108Le second jour, il créera la lumière. Il la fera ruisseler dans tout un univers artificiel. Il l’obligera à déferler comme un océan en furie, à tomber de haut comme une cascade, à se voiler comme un rayon de lune derrière un nuage, à caresser délicatement les objets, à frôler les contours des choses, à se pulvériser ou à s’étaler comme un lac.

109Le troisième jour, il créera l’homme et la femme. Il les façonnera son gré, comme s’il les tirait de la glaise. Il leur donnera une âme de son choix. Il leur fabriquera une mentalité et un caractère. Il en fera des créatures à son image et à sa ressemblance.

110Le quatrième jour, il créera le mouvement. Il fera s’agiter tous les fantoches qu’il a créés. Il réglera leurs gestes, leur démarche déchaînera leurs passions ou les apaisera. Il mettra en route les automobiles, les avions, les animaux : fera souffler le vent en tempête, tomber la pluie et éclater le tonnerre. Il provoquera des tempêtes, des naufrages, des accidents de chemin de fer, des tremblements de terre ou des incendies. Il modifiera tous les rythmes de la planète pour les faire entrer dans son scénario.

111Le cinquième jour, il créera le bruit. Il choisira avec soin les impressions auditives les plus propres à s’emparer de l’imagination des spectateurs et à leur suggérer des idées de son choix. Il superposera avec soin le craquement et le sifflement, le fracas et le murmure, le choc brutal et le frôlement du tympan. Il interprétera ces bruits, les altérera, les transformera selon son caprice pour les rendre plus évocateurs et plus éloquents. Avec le grondement de la mer, le gémissement du vent, le gargouillis des sources, les chants d’oiseaux et le frémissement des feuilles, il composera des ambiances dont la force d’envoûtement sera irrésistible. Il dirigera le « chœur des petites voix » dont parle Verlaine. Il les obligera à commenter son action et à créer autour de ses personnages une atmosphère grisante. Il s’emparera des voix du monde, il les fera collaborer à sa tâche.

112Le sixième jour, il créera la musique. Sur cette série de compositions accumulées, il jettera le voile magique, le « Zaïmph » de l’harmonie. Rassemblant tous les rythmes divers de son œuvre, il leur imposera cette discipline supérieure qui les unifiera et les magnifiera. En marge de la vie la musique résumera tous ses élans et toutes ses aspirations, toutes ses recherches, et dégagera, au moment voulu, une idée ou un sentiment parvenu secrètement à son « état lyrique ». Elle donnera à l’œuvre entière sa force ascensionnelle et son mystérieux coup d’aile.

113Et le septième jour, le créateur de studio aura sans doute le droit de se reposer.

114La possibilité de créer le bruit dans une composition cinégraphique est un privilège dont nos metteurs en scène ne semblent pas encore avoir soupçonné tout le prix. Ce nouvel attribut de la divinité dont l’a enrichi bénévolement et souvent imprudemment la machine l’a investi d’un pouvoir illimité. Notre cerveau, siège fragile de toutes nos sensations, est enfermé comme une chose précieuse dans notre boîte crânienne comme dans un coffret bien clos. On sent que la nature a voulu le mettre à l’abri des influences extérieures.

115Pourtant, dans cette prison si soigneusement calfeutrée, elle a laissé volontairement quelques meurtrières. Il y a celle des yeux, il y a celle des narines, il y a celle des oreilles. Cette dernière est une des voies d’accès au cerveau les plus directes et les plus importantes. S’en rendre maître c’est posséder sur l’homme que l’on veut asservir une puissance redoutable. Or c’est précisément cette puissance que la pellicule sonore met à la disposition d’un cinéaste.

116Mesurez le pouvoir de l’artiste qui peut faire collaborer à son œuvre non seulement tous les rythmes auditifs de la nature mais ceux que l’homme a inventés dans la vie quotidienne. Fermez les yeux et écoutez le chant de l’univers. Quelle richesse, quelle force et quelle variété dans ces ondes vibrantes dont nous découvrons chaque jour la féerique irradiation ! Lorsque le poète futuriste Marinetti essaya, il y a quelques années, de réhabiliter les bruits et fonda, dans cette intention, l’orchestre des bruiteurs, il passa pour un fou dangereux. En réalité, ce fou vendait un peu prématurément de la sagesse en nous signalant une des possibilités futures des arts mécaniques. Sa démonstration n’était évidemment pas très convaincante, mais il avait deviné que le bruit calibré, organisé et discipliné pouvait former des symphonies expressives de la plus haute valeur pathétique.

117Actuellement un bon metteur en scène doit prendre très au sérieux la technique des « bruiteurs ». Nous ne sommes plus au temps où un machiniste agitait une plaque de tôle pour évoquer le tonnerre et secouait des lentilles sur un tambour pour imiter la grêle. Dans une composition d’écran, l’orchestration des bruits est devenue infiniment plus subtile et nuancée. Elle transforme profondément le sens d’une scène. Elle l’enveloppe d’une atmosphère qui modifie secrètement sa couleur.

118Le bruit que fait la vie universelle, ses sournoises complicités ou sa hautaine indifférence créent des consonances ou des dissonances extraordinairement pathétiques. La course brutale d’un torrent ou la paisible flânerie d’une rivière confrontées adroitement avec le rythme des passions les remet à l’échelle et leur impose le la du diapason. Les voix du monde donnent leur véritable signification et leur importance exacte à celle du roi de la création.

119Savoir doser le bruit, savoir l’harmoniser et lui donner un sens profond, découvrir sa puissance expressive et évocatrice, souligner ce qu’il y en en lui d’ultra-humain et d’infra-humain, voilà un art nouveau dont on ne soupçonnait pas encore l’importance et qui jouera demain dans la technique dramatique de l’écran un rôle primordial.

Excelsior, 17 mars 1932, p. 2.

La Motoculture intellectuelle no 33. Le Film musical

par Émile Vuillermoz

120Nous avons vu quelles ressources lyriques, dramatiques et pathétiques pouvait donner à un auteur de films la possibilité de capter et d’incorporer à son action toute la symphonie des bruits naturels ou artificiels qui composent une des parties les plus expressives du décor et de la vie. Dans ce domaine s’ouvrent des perspectives d’une ampleur extraordinaire. Mais que dire du pouvoir nouveau dont le machinisme a enrichi le réalisateur en ce qui concerne la collaboration de la musique ?

121Depuis la naissance du cinéma, la musique a toujours été associée à la technique de l’écran. Au début, son rôle n’était pas d’une très grande noblesse. Le piano et le violon que l’on installait dans les salles obscures avaient pour mission de rompre le silence un peu effrayant de l’image animée. Ils avaient également une autre utilité pratique : ils masquaient opportunément le ronronnement agaçant de l’appareil de projection. Depuis, son rôle s’est progressivement ennobli. Par un phénomène de mimétisme volontaire, la musique s’efforçait de s’adapter aux visions changeantes qu’elle avait le devoir d’accompagner. Et l’on vit naître cet art de l’adaptation musicale qui, parti de très bas, était arrivé à un niveau artistique fort intéressant à l’époque où l’invention de la pellicule sonore vint bouleverser toute la technique de nos studios.

122Souvenez-vous de l’adresse avec laquelle certains chefs d’orchestre de nos grands établissements composaient un commentaire symphonique très évocateur en se servant de fragments de chefs d’œuvre très adroitement enchaînés. Certes, il y eut des abus et des erreurs, mais très souvent, l’accompagnement musical d’un film constituait un concert symphonique d’une réelle valeur.

123Que dis-je ? Cette façon de présenter, sans parti pris et sans indication extérieure, des pages appartenant souvent à des époques et à des écoles très différentes, avait l’avantage de détruire bien des préjugés. C’était la mise en pratique du fameux « concert sans noms d’auteurs » qui constituait l’épreuve la plus loyale que l’on puisse faire subir à la sincérité d’un auditeur.

124Que de féconds enseignements nous ont apportés ces mosaïques où se trouvaient rassemblées des techniques prétendues inconciliables et qui nous prouvaient qu’entre la musique dite légère et la musique dite sérieuse, l’abîme esthétique n’était pas toujours aussi profond qu’on voulait bien nous le dire. Beaucoup de « poètes mineurs » de l’orchestre bénéficièrent ainsi d’une véritable réhabilitation. On goûtait avec satisfaction une page délicieusement écrite et orchestrée en l’attribuant à un maître officiel et lorsqu’on allait aux renseignements on apprenait, avec un peu de confusion, qu’elle portait une signature méprisée des snobs. Le cinéma muet a donné ainsi aux musiciens de bonne volonté toutes sortes d’enseignements précieux.

125C’était là une forme de motoculture artistique très efficace. Jour et nuit, en se déroulant, la pellicule creusait dans la mémoire des spectateurs un sillon musical dans lequel s’enfouissait le bon grain. Qui dira l’influence profonde de cet ensemencement de l’imagination opéré avec cette régularité et cette continuité irrésistibles ? Si la carrière du grand film muet enrobé dans une riche partition symphonique avait duré une dizaine d’années de plus, l’éducation musicale de la foule aurait fait rapidement des progrès considérables. Imprégnée dès son enfance des plus belles harmonies classiques et modernes, la jeune génération d’où sortiront les créateurs de demain aura eu sur ses aînés une supériorité technique écrasante.

126Mais l’apparition de la pellicule qui parle et chante a bouleversé tout cela. Cette invention, qui théoriquement semblait devoir enrichir le patrimoine des musiciens, n’a contribué jusqu’ici qu’à l’appauvrir. À cet égard nous sommes en régression complète.

127Nous nous trouvons ramenés aux premiers temps du cinéma, lorsque la musique n’était pas employée pour elle-même, mais était appelée à rendre aux metteurs en scène quelques services de remplissage. La maladresse ingénue avec laquelle la plupart de nos réalisateurs actuels introduisent un épisode musical dans leurs films est, à cet égard, tout à fait caractéristique. Ici encore, la musique sert le plus souvent à dissiper la gêne un peu angoissée que crée le silence soudain de personnages qui n’ont plus aucune raison de prendre la parole.

128En dehors de l’opérette allemande style Pommer, qui a trouvé fort ingénieusement son équilibre et ses possibilités nouvelles, la musique est désormais traitée en parente pauvre par les techniciens de l’écran. Chez nous, en particulier, le rôle qu’on lui assigne est infiniment humiliant. Il n’y a qu’à voir, d’ailleurs, le nom des professionnels que l’on charge de cette tâche sans gloire pour comprendre que tout reste à faire dans ce domaine.

129Et pourtant, l’enregistrement automatique du son en marge de l’image ne peut pas constituer, pour la musique, une défaite. La raison proteste encore contre cette conception paradoxale qui consisterait à diminuer le rôle du commentaire orchestral au moment précis où la pellicule devient aussi sensible à l’onde sonore qu’à l’onde lumineuse.

130Pour l’instant, la satisfaction de pouvoir faire parler des personnages, ou même de leur prêter une voix qu’ils n’ont pas, prime, chez nos metteurs en scène, toutes les autres préoccupations artistiques. Mais cette période de tâtonnement aura une fin, et à ce moment-là nous verrons la musique retrouver, à l’écran, une apothéose encore plus brillante qu’autrefois.

131Cet espoir n’a rien de chimérique. Nous possédons déjà un échantillon exceptionnellement significatif de cette utilisation de la double sensibilité de la pellicule. Le dessin animé nous montre, chaque soir, ce que l’on peut attendre d’une collaboration étroite et méthodique du langage visuel et du langage auditif. Il est inexplicable que cette superposition si parfaite de deux rythmes n’ait pas encore fait comprendre à nos maisons d’édition de films le parti que l’on peut tirer d’une alliance aussi féconde et aussi nouvelle.

132Comment ne voit-on pas que le machinisme seul peut nous donner, dans le ballet, par exemple, ce synchronisme scientifiquement parfait dont rêvent les compositeurs et les chorégraphes, et que détruisent sans cesse les maladresses musculaires de nos meilleures compagnies de danseurs et de danseuses. La machine seule peut délivrer des servitudes de la pesanteur des interprètes devenus soudain d’une docilité miraculeuse. La pellicule met réellement à la disposition des poètes et des musiciens les génies, les lutins, les sylphes et les ondines dont nos scènes lyriques ne leur offrent que des matérialisations un peu approximatives et dont l’impondérabilité n’est pas garantie.

133Comment peuvent-ils résister au désir d’entrer dans cet univers féerique où tout est soumis magiquement à leur empire ? Ne comprennent-ils pas qu’il y a là une forme nouvelle du lyrisme qui peut renouveler complètement la technique du spectacle ?

134Ne s’aperçoivent-ils pas également des possibilités matérielles nouvelles que leur donne l’enregistrement automatique de leurs œuvres dans des conditions qui n’avaient jamais été mises jusqu’ici à leur disposition ? Le microphone est une oreille électrique infiniment plus sensible que notre modeste tympan. En l’utilisant adroitement, on peut obtenir du phénomène musical des effets absolument insoupçonnés. Déjà nous possédons à cet égard certaines indications très troublantes. Nous les étudierons à loisir en attendant que les compositeurs se décident enfin à prendre au sérieux les splendides présents dont la science mécanique ne cesse de les combler depuis quelques années.

Excelsior, 14 avril 1932, p. 2.

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Notes

1 Voir Pascal-Manuel Heu, « Emile Vuillermoz et la naissance de la critique de cinéma en France », 1895 revue d'histoire du cinéma, no 24, 1998, et son ouvrage : le Temps du cinéma. Émile Vuillermoz, père de la critique cinématographique 1916-1930, Paris, L'Harmattan, 2003.

2 Voir Richard Abel, French Film Theory and Criticism. A History/Anthology 1907-1939, Princeton, Princeton University Press, 1988 ; Noureddine Ghali, l'Avant-garde cinématographique en France dans les années vingt. Idées, conceptions, théories, Paris, Paris-Expérimental, 1995.

3 É. Vuillermoz, Critique musicale 1902-1960 : au bonheur des soirs, Paris, L'Harmattan, 2013 et Histoire de la musique. Les Grandes Études historiques, Paris, Fayard, 1949 (rééd. au Livre de Poche régulières). Sur l'œuvre de critique musical de Vuillermoz voir le Fonds E. V. conservé par la Médiathèque Musicale Mahler, 11 bis, rue Vézelay, 75008 Paris (docpalyer.fr. 2800269-Fonds-emile-vuillermoz. Inventaire établi par Jacques Lonchampt).

4 Voir la liste complète de ces articles en annexe établie par Pascal Manuel Heu.

5 G. Duhamel, « Sur la querelle du machinisme », la Revue de Paris, no 8, 15 avril 1933, pp. 721-752. Élie Faure (« Défense et illustration de la machine », Mercure de France no 839, 1er juin 1933) et Ilya Ehrenbourg (« Georges Duhamel, le “machinoclaste” », Commune, no 4, décembre 1933) répondront chacun à leur manière à Duhamel (voir l'appareil critique de Jean-Paul Morel dans son édition de É. Faure, Pour le septième art, Lausanne, L'Âge d'Homme, « Histoire et esthétique du cinéma/Travaux », 2015).

6 É. Faure, « Défense et illustration de la machine », op. cit. ; « L'art et la machine » (1933) ; « L'art revitalisé par la machine » (1935), tous textes réunis par J-P. Morel dans op. cit.

7 L. Moussinac, « Technique commande ! », Gazette des sept arts, no 2, 25 janvier 1923 et no 3, 10 février 1923, repris dans Valérie Vignaux, François Albera (dir.), Critique et théoricien des arts, vol. 2, Paris, AFRHC, 2016.

8 L. Mumford, Technics and Civilization, New York, Harcourt, Brace & Company, Inc., 1934 (Trad. franç. Technique et civilisation, Paris, Seuil, 1950, rééd. Paris, Parenthèses, coll. Eupalinos, 2015) ; S. Giedion, Mechanization Takes Command : A Contribution to Anonymous History, New York, Oxford University Press, 1948 (Trad. franç. la Mécanisation au pouvoir. Contribution à l'histoire anonyme, Paris, Centre Pompidou/CCI, 1980, rééd., Paris, Denoël/Gonthier, 1983).

9 Au xixe siècle le mot apparaît chez Jules Michelet (« Machinisme moderne. Du machinisme moral. 27 avril 1843 » dans J. Michelet, E. Quinet, Des Jésuites (leçons au Collège de France), Paris, Hachette et Paulin, 1843 [rééd. Jean-Jacques Pauvert, « Libertés », 1966]) et dans le Peuple, Paris, Calmann-Lévy, 1846 [rééd. Flammarion GF, 1992] ; voir Paul Viallaneix, « Michelet, machines, machinisme », Romantisme no 23, 1979) et chez Karl Marx (Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie, Erster Band, Hambourg, Otto Meisner, 1867 [Trad. franç. le Capital, Livre 1er, 4e section, chap. XV, « Le Machinisme et la grande industrie », Paris, Maurice Lachâtre et Cie, 1872-1875 (rééd. Paris, Éditions sociales, 1971, 1976, 2016]). Par la suite il connaît une grand faveur dans les années 1930-1950 avec, notamment, Georges Friedmann (Problèmes humains du machinisme industriel, Gallimard, 1946 ; le Travail en miettes, Gallimard, 1950), Anson Rabinbach (The Human Motor. Energy, Fatigue and the Origins of Modernity, University of California Press, 1992 [Trad. franç. le Moteur humain. L'énergie, la fatigue et les origines de la modernité, Paris, La Fabrique, 2004]).

10 Encart en page 1 d'Excelsior du 26 mars 1931 annonçant le premier article en page 4.

11 On peut rapprocher ce dessein de celui de McLuhan 30 ans plus tard : « Mon travail a un but pragmatique, celui de comprendre notre environnement technologique et ses conséquences sur le plan psychique et social » (Eric Norden, « Marshall McLuhan : a candid conversation with the high priest of popcult and metaphysician of media », Playboy magazine, no 3, mars 1969 [Trad. franç. dans M. McLuhan, D'Œil à oreille. La nouvelle galaxie, Paris, Denoël/Gonthier, 1977, p. 29]).

12 « La voix des morts », Excelsior, 22 octobre 1931, p. 2.

13 « L'Électrification des muses », Excelsior, 31 décembre 1931, p. 2.

14 « La Psychophonie », Excelsior, 4 et 11 juin 1931.

15 « La machine à coudre des mots », Excelsior, 4 février 1932 et « Le style “martelé” », 11 février 1932.

16 « Moto-repas », Excelsior, 16 juin 1932.

17 « Le répétiteur automatique », Excelsior, 27 juillet 1932.

18 « L'outillage musical », Excelsior, 28 avril 1932, p. 2.

19 « Communion mécanique », Excelsior, 23 juillet 1931.

20 « Une date », Excelsior, 223 juin 1932, p. 2.

21 Ibid.

22 « La dictature des ondes », Excelsior, 26 mai 1932, p. 2.

23 « Le Miroir », Excelsior, 19 novembre 1931, p. 2.

24 Ibid.

25 « Le style “martelé” », art. cit.

26 Cf. Sténographie-Duployé, écriture plus facile, plus rapide et plus lisible que toute autre, s'appliquant à toutes les langues, Lyon, 1860. Système sténographique abréviatif, fondé sur un alphabet phonétique très complet qui n'utilise que trois signes : la ligne droite, le cercle, la ligne courbe.

27 « Le style “martelé” », art. cit.

28 « Une date », art. cit.

29 « Le massage cérébral », 4 décembre 1931, p. 2.

30 « Le télécinéma », le Temps, 13 septembre 1930.

31 « La dictature des ondes », art. cit.

32 Se replonger dans les numéros d'Excelsior qui publient cette suite d'articles (puisqu'ils ne furent pas réédités depuis lors) fait aussi rencontrer un contexte historique hautement explosif où se lisent les prémices de la Deuxième Guerre mondiale : prodromes de l'arrivée d'Hitler au pouvoir, assassinat du Président de la République française par un Russe antibolchévik, tentatives de putsches monarchistes en Espagne, invasions japonaises en Chine, traités de non-agression français et polonais avec l'URSS, délitement de la SDN, etc. L'ascendant hitlérien sur les foules allemandes et « l'électrification » des masses sont particulièrement impressionnants pour les commentateurs et réactivent les considérations psycho-sociologiques de Le Bon qui datent de 1895 (on en trouve des échos jusque dans Masse und Macht, Hambourg, Claassen, 1960 [Trad. franç. Masse et puissance, Gallimard, 1966] d'Elias Canetti).

33 « Le Terrain », Excelsior, 2 avril 1931, p. 4.

34 Cf. « Voilà 3500 ans (...) que les observateurs qui étudient les phénomènes sociaux négligent systématiquement les effets des médias, qu'il s'agisse du langage, de l'écriture, de l'imprimerie, de la photographie, de la radio ou de la télévision. (...) [Cela] parce que tous les médias, depuis l'alphabet phonétique jusqu'à l'ordinateur, sont des prolongements de l'homme qui ont pour effet de provoquer en lui des changements profonds et durables et de transformer son environnement. Ces prolongements sont le fait d'une intensification, d'une amplification d'un sens, d'un organe ou d'une fonction. Lorsque ce phénomène se produit, il semble que les centre nerveux, par un réflexe d'auto-défense, engourdissent la région concernée, qu'ils l'isolent, l'anesthésient., la soustrayant ainsi à la prise de conscience de ce qui s'y passe ». (D'Œil à oreille, op. cit., pp. 30-31).

35 « les moteurs », écrit-il, mettent à la disposition de l'homme « des forces gigantesques qu'il peut, à l'instar de ses muscles, dépêcher dans n'importe quelle direction : le navire et l'avion font que ni l'eau ni l'air ne peuvent entraver son déplacement. Avec les lunettes..., le télescope... le microscope il surmonte les frontières de la visibilité... l'appareil photographique (...) retient les impressions visuelles fugitives, comme le disque du gramophone pour les impressions sonores... Avec le téléphone il entend de loin... » (S. Freud, Das Unbehagen in der Kultur, Vienne, Internationaler Psychoanalytischer Verlag, 1929 [le Malaise dans la culture, Paris, PUF, « Quadrige », 1997, pp. 33-35]).

36 « Le style “martelé” », art. cit.

37 « Le pathétique du bruit », Excelsior, 17 mars 1932, p. 2.

38 [sans titre], Excelsior, 10 mars 1932, p. 2.

39 « Le film musical », Excelsior, 14 avril 1932, p. 2.

40 « La synthèse du son », Excelsior, 14 mai 1931, p. 5.

41 [sans titre], Excelsior, 10 mars 1932, p. 2.

42 « Psychologie de la voix », Excelsior, 7 janvier 1932, p. 2. Ces expériences jouant sur l'accélération ou le ralenti, la répétition ou la réversion – que le « muet » avait connues d'une certaine façon si l'on songe à la restitution de l'effet de bégaiement et de trouble de l'avocat des Deux Timides ou celui d'une narration précipitée dans le Chapeau de paille d'Italie de René Clair – a été mis en œuvre par Jean Choux, rapporte Vuillermoz, pour restituer la confusion d'un discours précipité dans le cerveau d'une concierge (film non identifié).

43 « Au pied de la lettre. L'infrastructuralisme de Kittler » dans F. Kittler, Gramophone, Film, Typwriter, Dijon, les presses du réel, 2018 [1986].

44 « L'oreille microphonique », Excelsior, 12 mai 1932, p. 2.

45 J'ai étudié plus en détail ce petit film ainsi que Work made Easy de James Stuart Blakston, Vitagraph 1907) et quelques autres qui leur sont apparentés dans une contribution au colloque sur « La Magie des effets spéciaux » (Montréal, 2013) sous le titre « L'ordinaire des effets spéciaux » (à paraître prochainement en anglais).

46 « Psychologie de la voix », art. cit.

47 « Le télécinéma », art. cit.

48 Emmanuel Plasseraud, l'Art des foules. Théorie de la réception filmique comme phénomène collectif (1908-1930), Villeneuve d'Asq, Septentrion, 2011 (books.openedition.org/septentrion/46088?lang=fr).

49 Correction manuscrite dans les archives : « De toutes les formes de l'expression cinématographique, la plus précise et la plus solide est celle du dessin animé. Cette technique est un des exemples... ».

50 Se terminant par : « Comment ne pas appeler de tous nos vœux la diffusion croissante du disque-répétiteur, du film qui chante juste et donne bénévolement pour professeur à la foule les meilleurs de nos grands artistes, Et comment ne pas voir que, dans ce domaine, la culture manuelle devra céder le pas à la motoculture artistique pour défricher et ensemencer efficacement tout notre territoire ? ».

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Pour citer cet article

Référence papier

François Albera et Émile Vuillermoz, « « La motoculture intellectuelle » selon Émile Vuillermoz. Gramophone, film, machine à écrire, synchronisation et hybridation »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 90 | 2020, 147-181.

Référence électronique

François Albera et Émile Vuillermoz, « « La motoculture intellectuelle » selon Émile Vuillermoz. Gramophone, film, machine à écrire, synchronisation et hybridation »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 90 | 2020, mis en ligne le 03 janvier 2024, consulté le 17 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/7753 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.7753

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Auteurs

François Albera

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Émile Vuillermoz

Émile Vuillermoz (1878-1960), critique musical et critique cinématographique dès les années 1910 et continûment jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Il est l’auteur de plusieurs monographies de musiciens (Arthur Honegger [1943], Claude Debussy [1957], Chopin amoureux [1960]) et d’une Histoire de la musique (1949) ainsi que d’un recueil Critique musicale (1902-1960) (Fayard, rééd. 2013). On trouve un recueil factice de ses chroniques dans le Temps « Devant l’écran » (1916-1923) à la BNF, département des Arts du spectacle (fonds Rondel).

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