Bernard Bastide, Aux sources du cinéma en Camargue : Joë Hamman Folco de Baroncelli
Bernard Bastide, Aux sources du cinéma en Camargue : Joë Hamman Folco de Baroncelli, Avignon, Les Editions du Palais, Palais du Roure, 2018, 178 p. nombreuses illustrations
Texte intégral
1Bernard Bastide continue avec constance à creuser son sillon dans un domaine qu’il maîtrise bien, l’histoire locale, celle du Gard et plus largement du Languedoc, en l’occurrence, celle de la Camargue. Car il est aussi un très bon connaisseur de la culture taurine. Après avoir déjà publié sur le Marquis et le cinéma (dans un numéro d’Archives), sur Jacques de Baroncelli, frère de Folco (volume d’Actes d’un colloque AFRHC, 2007), sur Jean fils de Jacques (encore dans Archives), sans parler de multiples articles dispersés, il ramasse ici son travail pour une édition complète et annotée des lettres échangées par le créateur de la Nacioun Gardiano et l’acteur-cascadeur pionnier du cinéma entre 1906 et 1941. Le Palais du Roure, vénérable institution avignonnaise, ouvre ainsi une série intitulée les Écrits du Palais destinée à valoriser les fonds d’archives qui y sont conservées. Cette correspondance met le focus sur une des premières expériences de tournage loin de Paris et en extérieurs, à une date très précoce, entre 1906 et 1913.
2Précédés par une introduction assez copieuse de 80 pages, l’édition a fait l’objet d’un travail méticuleux. Les sources soigneusement indiquées en annexe ; les éditions partielles de ce corpus pas totalement inconnu sont signalées honnêtement (p. 84). Une chronologie est reconstituée (p. 171) car cette histoire a eu beaucoup de méandres. Une filmographie détaillée de Hamman et de Folco, la publication du descriptif de neuf films d’après les « scénarios » déposés au titre du dépôt légal par les sociétés Lux, Gaumont et Eclipse, conservés à la BNF, Département des Arts du spectacle, ou à partir de résumés trouvés dans des revues de l’époque, complètent l’ensemble. Dommage que Bastide ait oublié d’indiquer si les films sont conservés et où (sauf pour Face au taureau 1914). Pour certaines de ces bandes, ce texte est tout ce qu’il en reste. Certains autres ont été édités en DVD dans le coffret Gaumont.
3Cette production représente en fait un des premiers épisodes de la compétition entre le cinéma américain et le cinéma français, explicable par la très bonne connaissance que Hamman avait de l’Ouest américain où ce Parisien avait vécu, alors que Baroncelli n’y connaissait rien, sauf par ses rencontres très épisodiques avec Buffalo Bill et les Indiens de son Wild West Show, avec lesquels il a cru avoir fondé une amitié profonde qu’il a beaucoup mythifiée. Cette histoire bien connue a été racontée dans plusieurs livres : Car mon cœur est rouge, recueil des lettres échangées par le Marquis et les Indiens (Gaussen 2010) ; les Indiens de Buffalo Bill la Camargue (Thierry Lefrançois, dir., La Martinière 1994) ; sans parler du roman très agréable de James Welsh, À la grâce de Marseille (trad. franç. chez Folio 2004). Baroncelli croyait dur comme fer à une parenté entre les native americans et les Gitans d’Europe et voulait faire des Gardians les homologues des cow boys du Far West.
4L’intérêt d’une telle publication apparaît quand elle déborde la simple histoire locale et la rattache à la « grande » histoire. Elle sort de la simple chronique des tournages et effleure divers domaines culturels, par exemple celui de la théorie des races comme on vient de le dire. On y voir passer des personnalités comme Jean Hugo, Jean Godebsky, ou des institutions comme le Ciné-club de France ou la « Blue Star Association », sur laquelle Bastide est avare d’informations. On y croise le monde du cirque (Rancy, p. 96 ; Amar, p. 109) et bien sûr Louis Feuillade – mais est-il attesté que c’est Hamman qui a écrit le scénario de l’Aventurière (1910) ? (voir mon texte dans le recueil Domitor 2008, les cinémas périphériques dans la période des premiers temps).
5On y voit qu’en fait, ce que le cinéma français cherchait à faire en allant tourner dans les environs de Saintes Maries, ce sont des « westerns » (avant la lettre) et nullement des films régionaux. Le sujet a été bien balisé lui aussi (Claudine Kaufmann, « le silence sied à l’Indien », Cinémathèque no 12, 1997 pp. 131-142) et a été récemment repris par une exposition aux Rencontre photographiques d’Arles qui a été accompagnée d’un catalogue : Western camarguais (Actes Sud 2017), peu scientifique à vrai dire.
6Une étude de ce type invite à problématiser les relations du local et du central, du particulier et du général. Cette problématisation manque au livre de Bastide, peut-être bridé par la demande de son commanditaire. Il aurait été intéressant de mettre en perspective les questions identitaires, esthétiques, culturelles de cette petite production, à l’image de ce qu’avait fait Robert Zaretsky dans le Coq et le taureau, Comment le Marquis de Baroncelli a inventé la Camargue, (2004, trad. fr. Gaussen, 2008) au risque de provoquer la colère des tenants de la Tradition. Hamman, et un peu Baroncelli qui semble cependant ne pas avoir beaucoup cru au nouvel art, ont peut-être caressé l’idée de faire un cinéma indépendant des entreprises parisiennes, « enraciné » et néanmoins transatlantique dans ses fantasmes. Il n’est pas insignifiant d’apprendre que Joë Hamman a poursuivi toute sa vie un autre rêve, celui de publier ses aquarelles : était-ce simplement à défaut de pouvoir faire ses films ? On gage que non et qu’il poursuivait aussi un idéal picturaliste en réaction à celui que l’industrie naissante commençait à mettre en place.
Pour citer cet article
Référence papier
François Amy de la Bretèque, « Bernard Bastide, Aux sources du cinéma en Camargue : Joë Hamman Folco de Baroncelli », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 86 | 2018, 198-199.
Référence électronique
François Amy de la Bretèque, « Bernard Bastide, Aux sources du cinéma en Camargue : Joë Hamman Folco de Baroncelli », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 86 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2018, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/7214 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.7214
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