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Notes de lecture

Jean-Paul Commin, Valérie Ganne, Didier Brunner, Kirikou et après... 20 ans de cinéma d’animation

Sébastien Roffat
p. 234-236
Référence(s) :

Jean-Paul Commin, Valérie Ganne, Didier Brunner, Kirikou et après... 20 ans de cinéma d’animation, Arles-Lyon, Actes Sud Junior / Institut Lumière, 2017, 207 p.

Texte intégral

1Le 9 décembre 1998, Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot sort en salle de manière confidentielle entre Mulan du studio Disney et le premier long métrage d’animation de Dreamworks (société fondée par Spielberg, Katzenberg et Geffen), le Prince d’Égypte. À la surprise de beaucoup, Kirikou rassemble 1,5 million de spectateurs en France. Et prouve par la même occasion que la création d’une industrie du long métrage animé en France est possible (et rentable pour un producteur) après des années de productions erratiques. En effet, avant la sortie de Kirikou, il n’y avait eu que trente-six longs métrages d’animation produits. Entre 2002 et 2010, quarante-six longs métrages d’animation français sont produits, soit largement autant que dans les soixante-dix premières années.

2Depuis les années 2010, ce sont trois cents à quatre cents heures d’animation qui sont produites pour la télévision (388 heures en 2016) avec des dépenses effectuées sur le territoire français de l’ordre de plus de deux cents millions d’euros. La production d’une centaine de courts métrages ; une petite dizaine de longs métrages en préparation ; environ trente millions de spectateurs en salles (record atteint en 2016, avec trente-quatre millions d’entrées, qui représentent entre 16 et 18 % des entrées totales, soit entre 180 et 200 millions d’euros de recettes selon les années). Enfin, plus de 5 500 salariés sont déclarés dans le secteur de la production de films d’animation et d’effets visuels en France. Preuve s’il en est du dynamisme actuel du secteur du film d’animation en France, troisième producteur mondial après les États-Unis et le Japon.

3Cette extraordinaire croissance méritait bien un ouvrage de synthèse sur les vingt dernières années qui ont profondément transformé le secteur. L’ouvrage Kirikou et après... dont les auteurs, d’après la notice biographique, « ont activement observé, analysé, participé à la période couverte par cet ouvrage au fil de leurs parcours professionnels... », répond-il à cette attente ? La réponse est clairement non. On n’y trouve en effet que peu de données chiffrées, et surtout peu d’analyses. L’ouvrage est avant tout descriptif. Ainsi quand les auteurs indiquent que Mune, gardien de la lune a reçu un excellent accueil en Russie (p. 175), voilà l’explication avancée : « Pourquoi ? Mystère »... On trouve également des jugements de valeur jamais étayés : Félix le chat, Popeye, Betty Boop et Mickey Mouse sont ainsi censés « déformer le goût du public » (p. 13). Ce genre d’assertions émaille trop souvent ce livre qui ne craint pas les lieux communs. « Le cinéma d’animation français a considérablement évolué au fil de ces vingt dernières années » (p. 202) apprend-on en conclusion. On cherchera également en vain des entretiens inédits : la plupart des citations sont extraites des dossiers de presse. Ou bien elles ne comportent aucun renvoi en note infrapaginale. Par contre quand la citation est « inédite », elle se révèle souvent inutile et surtout étrangement sourcée. Un exemple : « entretien de l’auteur avec un membre de la famille de Walt Disney, 2015 » (p. 21)... De qui s’agit-il ? Quand l’entretien a-t-il été mené ?... Quand les auteurs veulent revenir sur la production de Blanche-Neige et sur la fameuse soirée de 1934 durant laquelle Walt Disney a invité tous ses collaborateurs à une première présentation, on cite un « membre de la famille de Walt Disney » : « À la lumière d’une loupiote, il [Walt Disney] leur raconte l’histoire de Blanche-Neige. [...] ``J’en estime le coût à 250 000 dollars’’ ». Cette anecdote, connue de tous les spécialistes, et le montant du devis primitif du film figurent dans des dizaines d’ouvrages. Quel est donc l’intérêt de cette citation donnée pour « inédite » ?

4L’ensemble du livre est écrit dans un style simpliste, sans style avec des tournures de phrases parfois étranges (« Blanche-Neige. Un événement considérable pour le monde du cinéma en raison de son succès de box-office » [p. 15]). Publié chez Actes Sud junior, est-il destiné au jeune public ? Il n’est pourtant pas vraiment accessible à un public adolescent. On regrettera aussi le choix iconographique, l’ouvrage étant seulement illustré d’images extraites des films : aucun dessin d’animation, aucun dessin préparatoire, aucun storyboard. C’est regrettable pour un ouvrage de ce genre.

5Le plus grave pourtant, ce sont les nombreuses erreurs factuelles présentes dans la partie intitulée « Avant Kirikou ». Relevons-en quelques-unes.

6On prête à Méliès d’avoir utilisé « la caméra Lumière » (p. 22) alors qu’on connaît l’anecdote célèbre d’Antoine Lumière refusant de lui vendre l’appareil et le recours du « magicien de Montreuil » au Theatrograph de Robert William Paul. Comme auparavant on le crédite d’être le créateur du « premier trucage de l’histoire du cinéma » (p. 11), en reprenant l’anecdote de la place de l’Opéra racontée par Georges Méliès, ignorant que The Execution of Mary, Queen of Scots d’Edison (1895) utilise déjà le trucage appelé « arrêt de caméra ».

7Page 12 : « On peut considérer que le premier vrai film d’animation est The Haunted Hotel de James Stuart Blackton, réalisé en 1907 », or il s’agit plutôt de The Enchanted Drawing daté de 1900 ou encore de Humourous Phases of Funny Faces dont le copyright est de 1906, tous deux de Blackton, mais certainement pas The Haunted Hotel. Page 10, Blackton change de prénom et se nomme désormais John... Quant à Winsor McCay, il devient comme la famille royale britannique, « Windsor ».

8La Bergère et le Ramoneur condense une série d’inexactitudes : « cette première version de l’adaptation est très proche du conte d’Andersen et n’a pas encore été revisitée par Jacques Prévert » (p. 15). Or la Bergère et le Ramoneur a bel et bien été scénarisé par Prévert et n’est en rien proche du conte d’Andersen. Le Roi et l’Oiseau et la Bergère et le Ramoneur ayant en réalité des trames narratives similaires, écrire que Prévert réécrit le scénario et travaille sur une adaptation plus éloignée du texte d’origine pour le Roi et l’Oiseau (p. 16) n’est pas non plus pertinent. Pas plus que l’assertion fantaisiste selon laquelle « Suite à des difficultés de production, le tournage [de la Bergère et le Ramoneur] est suspendu et André Sarrut prend l’avion pour les États-Unis » (p. 16). Ni l’affirmation : « André Sarrut [...] décide de raboter la fin et de réduire la qualité artistique » (p. 16). Pas plus que la substitution de Vladimir Cosma au fidèle compositeur de Prévert, Joseph Kosma pour la composition de la musique du film.

9Pour les Mickey Mouse et les Silly Symphonies, on lit que « Walt Disney n’est pas satisfait de la rentabilité de ces productions » (p. 21). Assertion fantaisiste comme est erronée celle de la page suivante selon laquelle « Paramount commande à Max Fleischer des versions longues de Popeye et de Betty Boop » suite au succès de Blanche Neige sorti en 1937 (sauf à considérer les moyens métrages d’à peine vingt minutes de Popeye).

10Plus loin on apprend que Pixar « est une entreprise de matériel informatique haut de gamme dont le produit principal est le Pixar Image Computer (PIC). Son principal client est... Disney » (p. 22) : or le Pixar Image Computer était destiné aux hôpitaux pour l’imagerie médicale et n’a été vendu qu’à 120 exemplaires, on est donc loin du « principal produit ». Et surtout, Disney n’est pas le principal client de Pixar à l’époque. Enfin, ce Pixar Image Computer (PIC) servirait selon les auteurs à se « passer de la laborieuse trace-gouache traditionnelle »... or ce n’est pas ce PIC qui permet de scanner et de coloriser les dessins des animateurs puis de les intégrer aux décors mais le procédé nommé CAPS : Computer Animation Production System. Ce système a été utilisé pour les dernières scènes de la Petite Sirène (1989) et pour tous les longs métrages animés suivants. L’équipe qui a développé CAPS a d’ailleurs reçu un Oscar en 1992.

11Page 24 on affirme que Jeffrey Katzenberg aurait quitté les studios Disney car il s’opposait au titre Toy Story... C’est pour le moins une vision simpliste si l’on se réfère à Charles Solomon, Toy Story, les secrets d’une trilogie culte (p. 43) ; quant aux raisons du départ de Katzenberg de Disney il vaut mieux lire le passionnant Royaume enchanté de James B. Stewart.

12Le petit chapitre intitulé « L’influence du Japon », qui ne comporte pas d’erreurs, véhicule en revanche une vision auteuriste très franco-française de Miyazaki.

13Dans la partie 2, on date la sortie de Kirikou et les bêtes sauvages de 1993 alors que c’est en 2003 (p. 44). Etc.

14Cette partie « historique » qui, on l’aura compris, fourmille d’erreurs, décrédibilise complètement l’ouvrage. D’autant plus qu’elle n’est ni problématisée ni articulée avec le cinéma d’animation en France, tandis que les chapitres sur les États-Unis et le Japon ne sont guère utiles. Le reste du livre se compose de six autres parties qui sont un peu plus intéressantes mais où, là encore, tout est rapidement survolé : « trio d’auteurs à la française », « naissance de producteurs », « vers l’âge adulte », « quand les groupes s’intéressent à l’animation », « l’effervescence » et enfin « le renouveau ». Les pages 124 à 130 écrites par le producteur Didier Brunner s’intéressent au film Ernest et Célestine en se posant deux questions : « Comment se développe un projet et comment devient-il un film ? ». C’est tout à fait pertinent mais pour une personne ayant participé d’aussi près au projet, le lecteur reste sur sa faim : on y apprend finalement peu de choses.

15Que penser en conclusion de Kirikou et après... ? Si l’on fait abstraction de la calamiteuse première partie, l’ouvrage peut intéresser les novices car il brosse un portrait de la production des longs métrages d’animation en France. On déplorera en revanche de ne pas trouver une ligne sur la pléthorique production française de courts métrages d’animation, ni sur les 300 heures annuelles de production d’animation pour la télévision. On ne trouvera pas non plus un récapitulatif de tous les longs métrages d’animation sortis en France depuis vingt ans alors que c’est pourtant le sujet du livre. Enfin on cherchera en vain une quelconque bibliographie.

16Bref, si l’on connaît un peu le sujet, Kirikou et après... ne nous apprendra rien de neuf et ne stimulera en aucune manière une réflexion. Ces vingt dernières années d’animation française méritaient à n’en pas douter un ouvrage de qualité. L’occasion a été manquée.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sébastien Roffat, « Jean-Paul Commin, Valérie Ganne, Didier Brunner, Kirikou et après... 20 ans de cinéma d’animation »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 84 | 2018, 234-236.

Référence électronique

Sébastien Roffat, « Jean-Paul Commin, Valérie Ganne, Didier Brunner, Kirikou et après... 20 ans de cinéma d’animation »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 84 | 2018, mis en ligne le 10 juillet 2018, consulté le 11 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/6304 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.6304

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Sébastien Roffat

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