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Notes de lecture

Alexandre Astruc, le Plaisir en toutes choses. Entretiens avec Noël Simsolo

Paris, Neige/Écriture, 2015, 216 p.
Valérie Vignaux
p. 201-202
Référence(s) :

Alexandre Astruc, le Plaisir en toutes choses. Entretiens avec Noël Simsolo, Paris, Neige/Écriture, 2015, 216 p.

Texte intégral

1Ce recueil d’entretiens avec Alexandre Astruc est l’un des volumes d’une collection dirigée par Noël Simsolo qui comprend plusieurs titres, dont une conversation avec Jean Douchet. Simsolo rappelle, dans sa préface, les modalités d’une rencontre avec le cinéaste : alors qu’il n’était âgé que d’une quinzaine d’années, il a, en effet, lu ses textes dans l’Écran français ou dans les Cahiers du cinéma, puis découvert ses films lors de leur sortie, ou au cours de séances organisées par des ciné-clubs. Admiratif de cette œuvre cinématographique mais aussi littéraire, Simsolo a souhaité en rencontrer l’auteur et ainsi a débuté une relation de quarante années qui est à l’origine de ce livre d’entretiens.

2L’ouvrage est composé en deux parties, intitulées respectivement « Situations » et « Pratiques ». Dans la première, on se promène dans le siècle, au gré des événements politiques et des rencontres. On y apprend la passion entretenue par Astruc pour le cinéma, la littérature mais aussi les mathématiques ce dont témoigne son film sur Évariste Gallois, et Simsolo souligne l’importance primordiale de la notion de plaisir. Au gré des conversations et des souvenirs, on se trouve plongé dans l’atmosphère intellectuelle des années de l’Occupation et de l’après-guerre, évocations d’écrivains ou de philosophes comme Cavaillès, Bachelard, Queneau... Si le ton de la conversation est plaisant, puisqu’il nous livre un portrait intime, Simsolo a fait le choix de conserver certaines affirmations qui étonnent : on apprend, par exemple, que les Allemands ont le « sens de l’effort » ou encore « À mon sens pour les femmes ce qui prime est l’amour et] en tournant un film avec des hommes, immédiatement le sujet qui s’imposa fut l’héroïsme » (p. 62)... Astruc nous y est présenté comme incarnant « l’esprit français », expression problématique mais qui demeure pertinente lorsqu’on évoque la littérature du xixe siècle – Astruc ayant adapté Maupassant par exemple –, paradoxalement pourtant il n’a pas voulu ces projets, ils se sont imposés à lui, car ils intéressaient des producteurs. Ainsi, ce livre d’entretiens nous permet-il de saisir une époque, un milieu, un état d’esprit, Astruc déclarant par exemple : « Je suis contre l’épithète de droite ou de gauche chez un artiste car ce que je cherche chez un auteur, c’est une vérité transcendantale au-dessus de cette caractéristique idéologique » (p. 58), car « seule la valeur artistique doit compter « (p. 59)... Astruc ose ainsi déclarer que s’il a défilé avec les partisans du Front populaire, suivant un drapeau rouge, c’est parce que ce jour-là, il portait des chaussettes rouges... Le livre, dans cette première partie, joue des anecdotes dont certaines sont éclairantes quant à la réalité cinématographique : on apprend par exemple que c’est parce que sa tante était « costumière de l’épouse de Malraux » que celui-ci est intervenu afin que lui soit attribuée l’avance sur recette pour la Longue Marche (1966)... Ainsi au fur et à mesure de la discussion on est immergé dans un contexte, le journalisme de l’après-guerre, le travail à Combat, les grands procès de l’épuration, la création des Temps modernes par Sartre, la rencontre avec Laudenbach devenu son scénariste, les « Hussards », les événements de mai 1968, un projet de films collectif avec Godard, la distribution de la Cause du peuple avec Sartre, son soutien au candidat Giscard ou encore « l’irréalisme ontologique » des gouvernements socialistes et quelques opinions sur l’islam. Conversations qui livrent de la sorte quelques-uns des mécanismes de la mémoire, puisqu’Astruc passe au fur et à mesure des mots, du général au particulier ou du lointain au contemporain.

3La seconde partie intitulée « Pratiques », est plus précise, plus foisonnante de détails, revenant sur quelques-uns des éléments déjà évoqués. La période reste la même, mais envisage les faits et gestes à travers le prisme des œuvres d’Astruc. Celui-ci revient sur ses premiers articles parus sous l’Occupation, la publication de son premier roman, les Vacances, chez Gallimard, sa proximité avec Sartre aux lendemains de la guerre, son adaptation de la Putain respectueuse mise en scène par Marcel Pagliero, le documentaire qu’il réalisera sur le philosophe et la parution de son fameux texte, « la Caméra-stylo », dans l’Écran français. Astruc qui se veut metteur en scène, déclare avoir écrit ses critiques en cinéaste, ce qui explique selon lui, qu’à la suite de ses articles, certains réalisateurs comme Malraux, Becker ou Cocteau aient souhaité le rencontrer. On s’étonne néanmoins que Simsolo n’ait pas corrigé certaines de ses assertions, sans doute pour laisser le lecteur se faire sa propre opinion, mais il me semble inexact d’affirmer que pour Truffaut la mise en scène n’est pas primordiale, alors qu’il est à l’origine de sa prévalence critique au sein des Cahiers et qu’il rédigea un livre d’entretiens avec Hitchcock, chantre de la mise en scène. S’ensuit le récit des premiers tournages, avec Pierre Braunberger ou Anatole Dauman. Là encore le ton de la conversation nous fait vivre les événements de façon intime, le choix des acteurs, des collaborateurs de création, chef opérateur ou compositeur de la musique, et l’on aime à être immergé dans les choix de mise en scène, au plus près de la création, comme lors de cette apologie du plan-séquence. Acteur de son temps, Astruc nous livre un témoignage passionnant sur les milieux cinématographiques, en raison de son récit sans détour, aux formulations parfois rapides, mais vrai et incisif, n’hésitant pas à se dire « réactionnaire », à l’encontre de Bazin déclaré « progressiste ». Surtout, en raison de son parcours, Astruc témoigne de la porosité entre le cinéma et la télévision pour cette génération venue du court métrage, officiant entre documentaire et fiction, entre littérature et cinéma, et peu encline au cinéma simplement commercial. Paradoxe d’une création qui affirme la prévalence de la mise en scène, de l’écriture filmique, tout en travaillant à la commande, et qui aura développé en dehors du cinéma, à la télévision, une œuvre importante mais aujourd’hui invisible. Ainsi, ce livre d’entretiens fait souhaiter voir se publier une monographie approfondie (la seule parue à ma connaissance, due à Raymond Bellour, date de 1963, aux éditions Seghers), évoquant la totalité de l’œuvre audiovisuelle : cinéma, télévision ou radio ou étudiant l’ensemble des textes critiques sans se limiter à l’après-guerre, car qui s’en souvient, Astruc a aussi été critique à Paris-Match (textes qui ne paraissent pas avoir été repris dans l’anthologie parue en 1992, préface de Philippe D’Hugues, Du stylo à la caméra et de la caméra au stylo, chez Archipel).

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Pour citer cet article

Référence papier

Valérie Vignaux, « Alexandre Astruc, le Plaisir en toutes choses. Entretiens avec Noël Simsolo »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 77 | 2015, 201-202.

Référence électronique

Valérie Vignaux, « Alexandre Astruc, le Plaisir en toutes choses. Entretiens avec Noël Simsolo »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 77 | 2015, mis en ligne le 29 janvier 2016, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/5097 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.5097

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Auteur

Valérie Vignaux

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Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

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