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Notes de lecture

Front de l’enfance et cinéma, la Fleur de l’âge de Prévert et Carné, Carole Aurouet, Émile Savitry, un récit photographique

Paris, Gallimard, 2013, 122 p.
Valérie Vignaux
p. 185-187
Référence(s) :

Front de l’enfance et cinéma, la Fleur de l’âge de Prévert et Carné, Carole Aurouet, Émile Savitry, un récit photographique, Paris, Gallimard, 2013, 122 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage publié par Gallimard est le catalogue d’une exposition qui s’est déroulée à Vannes, au Château de l’Hermine, lors du Festival Photo de mer, en 2013 et qui était intitulée « Émile Savritry, un récit photographique de la Fleur de l’âge, le film maudit réalisé par Marcel Carné, d’après le scénario de Jacques Prévert, tourné à Belle-Île-en-Mer en 1947 ». L’ouvrage est composé en quatre temps : le récit en une trentaine de pages par Carole Aurouet de la genèse du projet, mais également des aléas qui ont conduit à son abandon ; trois pages de documents (le texte d’une chanson, et un article de Prévert) ; une courte présentation biographique de Savitry due à Sophie Malexis, auteure d’une monographie intitulée Émile Savitry, un photographe de Montparnasse (Continent, 2011) et une soixantaine de photographies.

2Aurouet reprend pour cet ouvrage ses recherches publiées en 2005, dans 1895 : « De l’Île des enfants perdus à la Fleur de l’âge : le projet chaotique et mythique de Marcel Carné et Jacques Prévert » (1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 47 : 2005, mis en ligne le 01 décembre 2008, consulté le 31 août 2014. URL : http://1895.revues.org/​330). Le lecteur pourra s’y reporter avec grand intérêt ; rappelons néanmoins ce que fut ce projet.

1. Le scénario

3Prévert découvre le bagne d’enfants de Belle-Île-en-Mer alors qu’il séjourne sur l’île avec Claude Autant-Lara pour l’écriture du scénario de Mon associé M. Davis. Manifestement choqué par cette découverte, il y fait allusion dans Jenny, le premier film qu’il réalise avec Carné. Il s’attelle à l’écriture d’un scénario, intitulé l’Île des enfants perdus, qu’il dépose en décembre 1936 à l’Association des Auteurs de Film. Le récit met en scène une jeune femme issue d’un milieu aisé qui, séjournant dans l’île en famille, rencontre de jeunes bagnards et découvre l’existence du pénitencier. Le scénario s’attarde sur des jeunes gens aux caractères pittoresques comme le suggèrent les surnoms dont ils sont affublés : « Schwing gum », « Brindille », « Mésange », etc. sans doute afin de rendre plus poignant la découverte des cruautés dont ils sont les victimes à l’intérieur du pénitencier. Au final, le décès d’un enfant provoque une rébellion suivie d’une évasion, le directeur décède, mais les enfants sont rattrapés, à la suite d’une « chasse à l’enfant » (titre de la chanson de Prévert et Kosma qu’interprète Marianne Oswald en 1936, reprise dans Paroles), car un paysan a donné l’alerte.

2. La production

4En août 1936, le producteur Jean Salviche affirme son intérêt pour le scénario, mais redoute les foudres de la censure. Carné et Prévert écrivent alors au Ministre de la Santé publique afin de garantir l’administration française de leurs bonnes intentions, soulignant par exemple que l’action est datée de 1934, soit avant les améliorations du sort de l’enfance délinquante décidée par le gouvernement de Front populaire. Le scénario, qui bénéficie du soutien de Marceau Pivert, alors au secrétariat de la Présidence du conseil, est transmis au ministère de la Justice et le directeur de l’Administration pénitentiaire invite Prévert à le rencontrer. Mais la prise de position publique de Prévert dans la Flèche à la suite de l’évasion de jeunes filles d’une maison de redressement, paraît avoir arrêté le projet. Aux difficultés administratives s’ajoutent les aléas financiers et les cinéastes peinent à trouver un producteur. Édouard Corniglion-Molinier, alors qu’il produit Drôle de drame, en 1937, s’y intéresse et Danielle Darrieux est pressentie pour interpréter le rôle principal. Un nouveau fait divers (un jeune homme a été retrouvé décédé après 38 jours de cachot) retarde à nouveau le projet et, en juin 1939, la censure décide de l’interdire. Il réapparaît aux lendemains de la guerre, quand le producteur Nicolas Vondas souhaite le reprendre avec Arletty. Carné sollicite son équipe habituelle : Prévert, Trauner, Kosma, Mayo, choisit ses acteurs : Arletty, Anouk Aimé, Reggiani, Martine Carole, etc., et Prévert reprend le scénario afin de réécrire le rôle pour Arletty. Difficilement autorisé par la censure, le tournage commence enfin à Belle-Île mais les difficultés s’amoncellent : le temps est mauvais ; un acteur a un accident de voiture ; la coque du yacht se déchire sur un rocher ; un figurant se noie... Les prises de vues prennent du retard, Prévert réécrit son scénario afin de réduire les jours de tournage, le producteur se fait plus exigeant encore, et Carné s’oppose à lui. Le tournage est alors arrêté et le film demeure inachevé. Vondas souhaite le reprendre avec un autre réalisateur, Carné et Prévert demandent alors que leurs noms ne soient pas mentionnés. Il réapparaît à nouveau dans les années 1950. Carné relate dans ses mémoires une séance de projection organisée pour Christine Gouze-Rénal qui s’était déclarée intéressée à en financer l’achèvement, mais la seule copie existante des images tournées à Belle-Île aurait été égarée là. Pour Aurouet, cet échec aurait sapé la collaboration entre Prévert et Carné, ce que rappelle également l’agencement des photographies, puisque le livre s’achève sur un cliché des deux hommes ainsi légendé : « Fin de partie, derniers échanges entre Marcel Carné et Jacques Prévert dont la relation s’est détériorée en cours de tournage ».

3. Le récit photographique

5Savitry, comme nous l’apprend Sophie Malexis, a suivi des études à l’École de Beaux-Arts de Valence, puis aux Arts décoratifs à Paris. Après avoir exposé ses peintures, il entreprend un voyage en Polynésie et, de retour à Paris, se lance dans la photographie en réalisant des portraits de Django Reinhardt. Proche de Prévert, et du groupe Octobre, il est photographe sur plusieurs des films dont celui-ci a écrit les scénarios. Inscrit dans la photographie humaniste française, aux côtés de Doisneau, Ronis ou Brassaï, il réalise plus de 600 photographies sur le tournage de la Fleur de l’âge. Récit biographique brossé à grand trait qui conduit Malexis à affirmer trop rapidement, me semble-t-il, que « les images de Savitry appartiennent au réalisme poétique ». Ainsi, on aurait aimé que ces photographies soient accompagnées de plus d’informations documentaires car les légendes ne font que décrire ce que nous voyons dans les clichés et les personnes photographiées ne sont qu’en partie identifiées.... Ce sont là les principales critiques que nous formulerons à cet ouvrage. Nous ne savons rien en effet, de ces 600 photographies : où sont-elles conservées ? ont-elles toutes été tirées par Savitry ou sont-elles pour majorité sous la forme de négatifs, ce qui expliquerait la sélection des images reproduites, puisqu’il s’agirait des seuls positifs ? On aurait aimé également que le texte de présentation du projet aille au-delà de la simple description des aléas qui ont empêché ce film de se faire. L’auteure, grande spécialiste de l’œuvre de Prévert, aurait pu, par exemple, rappeler la place qu’occupe l’enfance dans son œuvre. Celui-ci a en effet collaboré en 1932 avec le pédagogue communiste Célestin Freinet pour Prix et profit, et Freinet, qui fut obligé de quitter l’Éducation nationale en 1935, militait en 1936 pour que le gouvernement du Front populaire s’engage dans son « Front de l’enfance », présidé par Romain Rolland. Questions d’enfance qui traversent toute l’œuvre de Prévert puisqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, il collabore au film d’Albert Lamorisse (dont le scénario et la voix off sont de Prévert), Bim le petit âne, et, avec Izis, à des albums photographiques destinés à la jeunesse. Autant d’œuvres qui s’avèrent singulièrement pionnières puisque ce domaine, soit les objets culturels dédiés à l’enfance, n’en est encore qu’à ses prémices.

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Pour citer cet article

Référence papier

Valérie Vignaux, « Front de l’enfance et cinéma, la Fleur de l’âge de Prévert et Carné, Carole Aurouet, Émile Savitry, un récit photographique »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 74 | 2014, 185-187.

Référence électronique

Valérie Vignaux, « Front de l’enfance et cinéma, la Fleur de l’âge de Prévert et Carné, Carole Aurouet, Émile Savitry, un récit photographique »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 74 | 2014, mis en ligne le 27 octobre 2015, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/4941 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.4941

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Auteur

Valérie Vignaux

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