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Comptes rendus

Livio Belloï, Film Ist. La Pensée Visuelle selon Gustav Deutsch

Lausanne, L’Âge d’Homme, 2013, 296 p.
Teresa Castro
p. 178-179
Référence(s) :

Livio Belloï, Film Ist. La Pensée Visuelle selon Gustav Deutsch, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2013, 296 p.

Texte intégral

1Un certain nombre d’ouvrages et de manifestations récentes atteste d’un réel intérêt pour le phénomène de reprise des images animées, que ce soit autour des notions de remploi ou de recyclage, ou encore des pratiques de found footage ou du remontage essayiste. Parmi les artistes contemporains associés à ce courant hétérogène se trouve l’autrichien Gustav Deutsch (né en 1952), à qui Livio Belloï (chercheur du FNRS et maître de conférences à l’Université de Liège) consacre ici un ouvrage, concentré sur son ample trilogie Film Ist. (1998-2009). Né au moment (mais en marge) des commémorations du centenaire du cinématographe Lumière, Film Ist. propose de répondre à la question « qu’est-ce que le cinéma » par le biais d’un travail pratique, fondé à la fois sur des fouilles approfondies dans des archives et une vaste entreprise de montage sériel. Longue d’un peu plus de quatre heures, la trilogie est composée d’un premier volet, réalisé entre 1996 et 1998, réunissant essentiellement des fragments issus de films scientifiques, éducatifs et industriels ; et d’un deuxième volet, élaboré entre 1999 et 2002, entremêlant films muets de fiction et non-fiction (essentiellement des films datant d’avant 1920) ; d’un troisième volet, enfin, achevé en 2009 et empruntant son titre à Griffith, Film Ist. a girl a gun. L’approche monographique du livre ne doit pas rebuter le lecteur non familier avec le travail de Deutsch : étayée par une profonde connaissance du cinéma des premiers temps (matière première de Film Ist.) et des avant-gardes historiques, l’ouvrage de Belloï mérite à plus d’un titre une lecture attentive.

2Tout d’abord à cause d’un parti pris méthodologique rigoureux et extrêmement fécond, celui d’une lecture rapprochée, inspirée de l’histoire rapprochée que Daniel Arasse défendait dans son livre le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture (1992). S’appuyant, sans doute, sur certains travaux préliminaires dont l’objectif était de placer le détail au cœur d’une réflexion inter et transdisciplinaire (voir à ce propos Livio Belloï et Maud Hagekstein (dir.), la Mécanique du détail. Approches transversales, Lyon, ENS, 2014), l’auteur analyse patiemment, et dans son déploiement chronologique, le volet central du triptyque de Deutsch, Film Ist. [7-12]. Ce choix radical, qui laisse donc de côté deux des volets de la trilogie, s’explique par la nécessité de restreindre la perspective. Cette partie centrale est aussi, et selon Belloï, « la plus riche d’enjeux quant à une hypothétique définition du cinéma par lui-même » (p. 15).

3Si la lecture rapprochée s’adapte parfaitement bien à cet objet singulier qu’est Film Ist., c’est parce que la pensée en images développée par Deutsch – et voilà la thèse centrale du livre – se révèle dans la façon dont les fragments échantillonnés qui forment le film se mettent eux-mêmes au travail. Les opérations de prélèvement et de remontage de Deutsch sont, à cet égard, essentielles : contrairement à Lyrisch Nitraat (1990) de Peter Delpeut, entreprise avec laquelle Film Ist. partage de nombreuses connexions, l’opus de l’artiste autrichien cherche à problématiser le montage, allant au-delà de simples exposés typologiques (sur l’acte de regarder ou encore sur le spectacle de la mastication, par exemple) et proposant, parfois, de véritables chocs visuels. Les moindres inflexions et modulations des différentes séries sont néanmoins importantes, leur « presque-rien » étant au centre du processus signifiant que Belloï cherche à cerner. Comme le signale l’auteur, chez Deutsch, « et dans Film Ist. [7-12] en particulier, tout ne tient bien souvent qu’à un fil, tout est affaire de nuance, tout se joue sur les détails (un léger mouvement à l’arrière-plan, une discrète assonance, un rapport de proportion et trajectoire, etc.) (p. 15).

4Si la lecture rapprochée que Belloï met en œuvre autorise les détours – ils sont multiples tout au long de l’ouvrage, que ce soit autour des questions du comique, de la magie, du rêve, du voyage, du cinéma ethnographique, de la conquête, de la diva, etc. –, elle est ici l’occasion (et voilà l’un des intérêts majeurs du livre) de mener une réflexion sur les différentes formes filmiques. Traitant d’abord l’ensemble du film et de son volet central comme une construction formelle, l’auteur s’intéresse aussi à des occurrences particulières : manipulations du temps cinématographique et de la vitesse des images (comme la réversion), formes de mobilisation du cadre (mouvements aberrants d’appareil, vues panoramiques, vues d’en haut, etc.), liens entre les mots et les image (décalage, évocation d’images mentales, écriture sur, dans ou entre les images, etc.), échelle des plans (plans rapprochés, gros plans), etc. Belloï met ici à profit ses connaissances en tant que spécialiste du cinéma des premiers temps : cette lecture versée est essentielle au propos du livre, auquel il faudrait justement revenir.

5L’hypothèse de Belloï – qui correspond à l’hypothèse de l’artiste lui-même – concerne la possibilité d’une pensée visuelle qu’il faut concevoir autant avec Rudolf Arnheim, à qui l’expression est empruntée [dans la Pensée visuelle, 1976 [1969]), qu’avec Aby Warburg. Ce rapprochement avec les travaux du désormais célèbre historien de l’art allemand, et en particulier Mnémosyne, est loin de relever d’un simple effet de mode. Tout d’abord, parce que Gustav Deutsch lui-même se réclame de cette influence ; ensuite (et sans doute de façon plus convaincante), parce que la lecture rapprochée de Belloï révèle à quel point Film Ist. s’appuie sur le montage comme monteur d’une pensée opérant par « sélection, extraction et combinaison » (p. 265). Relisant Warburg avec Karl Sierek (Images-Oiseaux. Aby Warburg et la théorie des médias, 2009), Livio Belloï conclut « que si Mnémosyne a quelque chose de cinématographique (et quitte à jouer le jeu de l’anachronisme), c’est à l’aune du cinéma de found footage qu’une telle assertion peut faire sens et prendre toute sa dimension » (p. 265).

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Pour citer cet article

Référence papier

Teresa Castro, « Livio Belloï, Film Ist. La Pensée Visuelle selon Gustav Deutsch »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 73 | 2014, 178-179.

Référence électronique

Teresa Castro, « Livio Belloï, Film Ist. La Pensée Visuelle selon Gustav Deutsch »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 73 | 2014, mis en ligne le 05 octobre 2015, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/4854 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.4854

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Auteur

Teresa Castro

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