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Chroniques
Festivals, colloques, journées d’études

Colloque « La Magie des effets spéciaux. Cinéma – technologie – réception »

Montréal, 5-10 novembre 2013
Jérémy Houillère
p. 165-167

Texte intégral

1Le colloque « La Magie des effets spéciaux. Cinéma – technologie – réception » qui s’est tenu du 5 au 10 novembre 2013 à la Cinémathèque québécoise à Montréal (Québec), dirigé conjointement par André Gaudreault (Université de Montréal), Martin Lefebvre (Université Concordia) et Viva Paci (Université du Québec à Montréal), est la première manifestation d’envergure organisée dans le cadre du programme de recherche Technès (« Des techniques audio-visuelles et de leurs usages : histoire, épistémologie, esthétique du passage du photochimique au numérique »). Ce programme, piloté par l’Université de Lausanne (Suisse), l’Université de Montréal (Québec) et l’Université Rennes 2 (France), vise à remettre au centre des réflexions sur le cinéma la question technique dans une perspective à la fois interdisciplinaire et pluridisciplinaire, c’est-à-dire en inscrivant la technique parmi les autres caractéristiques du fait cinématographique (esthétique, économie, sociologie, etc.).

2C’est précisément dans ce cadre épistémologique que s’insérait ce colloque sur les effets spéciaux au cinéma (et dans l’audio-visuel en général). Six jours durant, les nombreuses conférences ont ainsi abordé cette question au prisme de l’interdisciplinarité. Parmi la centaine d’intervenants présents, dont une douzaine ont été invités à présenter des conférences plénières (désormais consultables en ligne sur le site du colloque : http://effetsspeciaux2013.ca/​videos/​), peu étaient de véritables « spécialistes » des effets spéciaux. L’enjeu était davantage de proposer une approche « constellée » de ces derniers : par le biais de l’histoire, de la théorie, de l’esthétique, de l’économie, de la technique, de l’étude des discours, ou encore du droit, la thématique des effets spéciaux a été traversée de part en part. S’il est difficile de tracer une ligne directrice capable de relier toutes les conférences entre elles, on peut tout de même voir émerger quelques propositions méthodologiques assez fortes.

3Encore faudrait-il s’entendre sur ce qu’est un « effet spécial » au cinéma pour qu’on puisse se prévaloir d’en être le « spécialiste » en dehors des praticiens (qui étaient représentés dans le colloque et dont les communications se déployèrent sans lien avec les approches historiques et théoriques des autres intervenants). Ainsi une perspective historique amène à retracer une genèse des « effets spéciaux » dans le monde des spectacles qui se met en place au xviie siècle et « explose » au xixe, ce dont le Dictionnaire historique du théâtre et des arts qui s’y rattachent. Poétique, musique, danse, Pantomime, Décor, Costume, Machinerie, Acrobatisme, Jeux antiques, spectacles forains, Divertissements scéniques, Fêtes publiques, Réjouissances populaires, Carrousels, Courses, Tournoi, etc., etc., etc., (1883) d’Arthur Pougin (cité par Frank Kessler et François Albera) témoigne, énumérant des « trucs » et « truquages » dont le cinéma cherchera d’emblée à obtenir les effets parfois par les mêmes moyens, parfois par d’autres. Dans cette optique Albera a évoqué l’émergence du machiniste disputant sa place à l’auteur (Giacomo Torelli dans l’Andromède de Corneille) et devenant un protagoniste central, notamment dans les fééries des années 1840 qui seront reprises par Méliès, de Chomon et autres. L’avènement d’un spectacle machiné par définition puisque produit d’une machine (le cinématographe), y compris dans le seul enregistrement des choses telles qu’elles sont, change le statut des trucages en les rendant inhérents au film. L’exploration de la seule année 1908, où les revues comme les films explicitent sans relâche la nature machinée du spectacle filmique, aboutissait à cette conjonction du cinéma et du machinisme (système Taylor) avec Work Made Easy et quelques autres films mettant en scène l’accélération des gestes du travail et le productivisme.

4La question du contexte qui entoure les effets spéciaux était au centre de nombreuses communications. Plusieurs chercheurs ont montré combien il était important, si l’on veut comprendre ou analyser un effet spécial, de replacer celui-ci dans son contexte social et culturel. Mireille Berton étudia ainsi le trucage cinématographique – et plus largement le médium cinématographique – au tournant du xxe siècle dans le contexte culturel du spiritisme, afin d’en explorer la dimension « magique ». Maria Tortajada, se concentrant sur cette même période, mit en lien le monde du spectacle et ses trucages avec les discours sur la science. À partir de textes et d’illustrations de vulgarisation scientifique (extraits d’une revue comme la Nature par exemple), elle montra que l’effet spécial relève aussi bien de l’illusion que de la science.

5Magique, scientifique, artistique... l’effet spécial est aussi difficile à qualifier qu’il est protéiforme. Plusieurs intervenants ont ainsi tenté de circonscrire des catégories pour ranger les multiples types d’effets spéciaux que l’on peut observer. C’est, étonnamment, du côté de Christian Metz que nombre de théoriciens se tournèrent (Odin, Jost en particulier) pour disposer d’outils conceptuels, cherchant à les adapter à l’évolution des technologies (téléphone portable). Antonio Costa, repartant de la distinction metzienne entre un niveau de trucage profilmique (une trappe, un fil transparent) et un niveau cinématographique (le flou, le ralenti), l’a fit cependant relever davantage d’une césure entre l’ordinaire et l’extraordinaire. L’effet spécial pourrait ainsi apparaître selon une « modalité de vision » (un travelling filmé en steadicam par exemple) ordinaire ou extraordinaire, afin de médiatiser un « événement » (l’apparition d’un monstre, un tricycle qui roule) ordinaire ou extraordinaire. En reprenant les textes d’André Bazin sur la surimpression – qu’évoqua également Dudley Andrew dans une perspective plus apologétique –, Laurent Le Forestier examina les changements d’approche à l’endroit de phénomènes a priori extrinsèques au credo du « réalisme ontologique » du cinéma.

6Suzanne Buchan s’est intéressée, quant à elle, aux effets spéciaux du cinéma d’animation. La classification qu’elle propose s’avère trop complexe pour être heuristique, mais permet de révéler les nombreux problèmes auxquels se heurtent une théorisation des effets spéciaux. Parmi les obstacles à une typologie convenable des effets spéciaux, il y a celui de la trop grande variété des genres qui peuvent accueillir des trucages (le road movie, le film noir, etc.).

7Car les effets spéciaux sont partout, même là où on les attend le moins. Peter J. Bloom, en s’intéressant aux courts métrages produits pour la propagande britannique en Malaisie (1948-1960), a montré de quelle manière l’usage des effets sonores parvient à circonscrire un espace imaginaire dans lequel se situerait « l’ennemi » invisible. L’effet spécial pour représenter l’invisible, pour donner une forme à ce qui n’existe pas : voilà un des grands enjeux esthétiques qui a été très largement étudié durant ce colloque. Sean Cubitt (University of London) a analysé l’usage de la caméra « virtuelle » dans le cinéma contemporain, et ses conséquences sur la figure humaine. En s’appuyant principalement sur le film Oblivion (Joseph Kosinski, 2013), mêlant caméras « réelle » et « virtuelle », Sean Cubitt met en évidence la fracture identitaire qui sépare le Tom Cruise « réel » de son double « virtuel ». Selon lui, l’usage de la caméra « virtuelle » tendrait à déshumaniser l’acteur/personnage et lui faire perdre son identité. Cette recherche de réalité par les outils virtuels du numérique produirait une instabilité qui mettrait en péril la figure humaine. C’est une analyse différente qu’a proposé Antony Fiant en s’intéressant au cinéma dit « soustractif ». Ce type de cinéma, qui tend à minimiser les effets de montage, de découpage, de son, etc. se sert régulièrement des effets spéciaux numériques. Si les masques numériques apposés sur les personnages de Z32 (Avi Mograbi, 2009) cherchent à flouter une réalité que l’on ne peut dévoiler, ils n’empêchent pas, selon le conférencier, d’atteindre une « vérité » de la représentation. En laissant filtrer les expressions de ces personnages par des endroits comme les yeux et la bouche, la déformation de la réalité mettrait davantage l’accent sur la vérité des personnes filmées : des criminels dont la révélation de l’identité mettrait la vie en péril. Se rapprocher autant que possible de la réalité, la cacher, dévoiler la vérité du monde : tels sont certains des enjeux actuels de l’effet spécial à l’arrivée de la « révolution numérique ».

8Cette « révolution numérique » que nous vivons actuellement n’a eu de cesse d’être interrogée durant ce colloque – et pas seulement par le biais des conférences. En effet, les organisateurs ont cherché à intégrer le numérique au cœur de la préparation et du déroulement du colloque. Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram) ont été très largement utilisés pour la promotion du colloque et des différentes activités qui l’ont accompagné (tables rondes, projections de films, exposition, lancement de livres, etc.). Un site Internet (http://effetsspeciaux2013.ca), créé spécialement pour l’occasion, réunit des informations pratiques (programme, plan) et accueille un blogue sur lequel ont été rédigés quotidiennement, par des étudiants au doctorat ou à la maîtrise, des billets sur chaque conférence. L’interface du blogue permet au public (et bien sûr aux conférenciers) de réagir à ces billets, lesquels peuvent prendre la forme d’un compte rendu, d’une analyse, d’un résumé, etc. Ce déplacement de la réflexion dans un espace (virtuel) alternatif à celui (réel) où a eu lieu le colloque reflète la manière dont la recherche, tout comme les effets spéciaux, se saisit actuellement du numérique. Le double « virtuel » du colloque, (dé)matérialisé dans ses comptes Facebook, Twitter et autres, s’est substitué à son éphémère présence « réelle » (à la Cinémathèque québécoise). Il fallait bien le truchement de cet « effet spécial » pour que le public soit capable de suivre, sans avoir besoin de lui-même se dédoubler, plus de cent conférences réparties dans trois salles différentes, en un peu moins d’une semaine.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jérémy Houillère, « Colloque « La Magie des effets spéciaux. Cinéma – technologie – réception » »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 73 | 2014, 165-167.

Référence électronique

Jérémy Houillère, « Colloque « La Magie des effets spéciaux. Cinéma – technologie – réception » »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 73 | 2014, mis en ligne le 05 octobre 2015, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/4845 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.4845

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