Technique/discours - Quand Bergson inventa son cinématographe
Résumés
Bergson développe le modèle cinématographique de la pensée dans l’Évolution créatrice en 1907 à partir de ses Cours au Collège de France de 1902-1903. Cette appropriation bergsonienne d’un appareil de la modernité n’est pas passée inaperçue : il a nourri, tout au long du xxe siècle, des positions souvent antagonistes sur le cinéma qui imposent à l’historien de s’interroger sur le statut du dispositif cinématographique de Bergson. Relevant purement du discours philosophique, celui-ci renvoie à un appareillage et à des procédures dont le mécanisme bien reconnaissable ne se résume pourtant pas au Cinématographe Lumière. Il faut donc se confronter à la dimension technique de ce dispositif pour en interroger le caractère très particulier. Qu’est-ce qui fait la technicité du dispositif de Bergson ? Comment se joue le passage de la référence technique à son appropriation par le discours dans des stratégies démonstratives qui en transforment la valeur ? Il s’agira d’interroger frontalement, à partir d’une étude de cas, le devenir de la technique dans les discours. En s’appuyant sur l’histoire des techniques, cet article tente de redessiner l’entrelacement du discours et du fait technique. Il propose de réfléchir à ce qu’on peut appeler un discours utilisateur dans son rapport au discours spécialisé et met en évidence la prédisposition des discours, quels qu’ils soient, à une osmose des concepts dont peut rendre compte l’épistémologie des dispositifs de vision.
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- 1 Michel Georges-Michel, « Bergson nous parle du cinéma », le Journal, 20 février 1914, p. 7 (réédité (...)
1Le bergsonisme a irrigué les théories sur l'art et sur le cinéma de manière directe ou indirecte jusqu'à nos jours. André Bazin ou Gilles Deleuze en sont de fameux exemples. Il n'est pas sans intérêt de retourner aux fondements de cette philosophie et à ses liens avec une certaine idée du « cinéma », que l'on écarte souvent pour mieux défendre le bergsonisme. Bergson lui-même a parlé de « cinéma ». Non pas tant parce qu'il a admis qu'il fréquentait les salles de cinéma dans un entretien souvent cité1 ; non plus parce qu'il aurait parlé, dans l'Évolution créatrice, de cette machine, le cinématographe Lumière, dont il est le contemporain ; et non pas même parce qu'il ferait du cinématographe une métaphore de la pensée scientifique. Bergson a parlé de cinéma parce qu'il a introduit la référence à un appareil qui relève de la technique cinématographique et a produit une analyse de son dispositif en même temps qu'il en a construit lui-même une vision particulière. Il a parlé de « cinéma » parce qu'il a fait du cinématographe un modèle théorique. Un passage célèbre de l'Évolution créatrice, la présentation du cinématographe par Bergson (chapitre IV), a uni de manière dialectique la philosophie bergsonienne à la réflexion sur le cinéma. Quel peut être alors le statut de ce « cinématographe » pour l'historien du cinéma ? Comment le cerner, le connaître au-delà de la simple mention ou de la reconnaissance que peut lui apporter la discipline philosophique ?
- 2 « Elle est seulement, exclusivement, cela. Il ne se mêle en elle aucun autre facteur : elle est de (...)
2La connaissance historique du « cinématographe » de Bergson s'élabore à travers l'analyse des discours. Si l'on peut dire qu'il « fonctionne », c'est que ce dispositif acquiert une fonction spécifique dans le discours bergsonien, qu'il est associé à une batterie de concepts, à un certain nombre d'autres dispositifs et que sa description même participe à produire du sens. C'est en somme qu'il peut être réélaboré « en dispositif » par l'approche épistémologique. Pour le « cinématographe » de Bergson, comme pour les cinématographes ou autres machines et dispositifs que présentent les histoires du cinéma, cette « machinerie » est mécanique, elle s'appuie sur un « appareil », ce qui n'est pas forcément le cas de tout dispositif de vision, telle l'exposition d'un tableau dans un musée. Le caractère technique du cinématographe s'impose. Non pas qu'il faille réduire le fait technique au mécanique ou au machinique. C'est plutôt qu'il convient de reconnaître, avec Jacques Ellul, que « la machine fournit le type idéal de l'application technique »2 : elle appelle commentaires et discours tout particulièrement à l'âge du machinisme lorsque s'enflamment les détracteurs comme les passionnés de la modernité technicienne. Le cinématographe a été perçu, à l'orée du xxe siècle, comme une « machine » représentative de la modernité, comme le train, fruit de l'industrie du xixe siècle, auquel il est souvent associé. Les histoires du cinéma – et j'inclus à dessein dans « cinéma » ce qu'on appelle souvent le « pré-cinéma » – accordent une place certaine à la question technique pour cette période qui se situe autour de son émergence : ce sont même majoritairement des histoires d'appareils, d'inventions et de brevets. Des histoires frontalement techniques. Cela change à partir du moment où l'histoire du cinéma devient l'histoire des films, lorsque le cinéma s'institutionnalise et que les considérations techniques s'adossent ou se soumettent à des questions principalement esthétiques : définitions des œuvres, des auteurs, des styles, des écoles, etc. Mais l'histoire ne fait alors qu'éclairer autrement l'objet du cinéma : car, au cœur du dispositif cinématographique il y a le fait technique dans l'assemblage plus vaste qu'est le dispositif.
3La critique de la science que développe Bergson à travers sa théorie de la connaissance s'inscrit pleinement dans le contexte du machinisme. Pour Bergson, le cinématographe est représentatif des limites de la science : il est le modèle de son fonctionnement, qui ne permet pas d'accéder à la vraie durée, celle qui se laisse saisir par l'intuition. Bergson en passe donc par cette « machine » cinématographique faisant appel, lui aussi, aux moyens techniques qui lui sont contemporains. Il donne pourtant à ce « cinématographe » une finalité toute particulière qui tient à la démonstration qu'il développe en philosophe. Le statut de la technique du dispositif cinématographique dans le discours de Bergson mérite élucidation : ce « cinématographe » appelle lui aussi à ce que l'on questionne sa technicité. Or, pour s'interroger sur l'existence technique d'un objet discursif, pour observer la technicité de ce dispositif discursif spécifique, il faut éclaircir le lien entre technique et discours.
La genèse discursive de l'objet technique
- 3 Voir les Grandes Étapes du progrès technique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1981, p. 4, Daum (...)
- 4 Leroi-Gourhan renvoie à cette méthode qui consiste à réélaborer des grandes lignes d'évolution tech (...)
4Une première réponse est apportée par les jeux du lexique. Au sein de l'histoire des techniques, le rapport entre discours et technique se comprend dans l'articulation entre deux termes parents : technique et technologie. Celle-ci justement se donne comme discours sur la technique, suivant en cela l'étymologie du terme. Maurice Daumas se réfère à cette définition dans un petit livre synthétique qui fait écho à son grand œuvre : « Le terme technologie conserve pour nous la signification qu'il avait au moment de son apparition, au xviie siècle, le discours sur les techniques, c'est-à-dire la science raisonnée des différentes techniques »3. C'est dans un sens proche qu'André Leroi-Gourhan utilise le terme lorsqu'il parle de la « technologie des tendances »4.
5Technologie se comprend donc comme discours, science, théorie. Dans le contexte des approches historiques de Daumas et de Leroi-Gourhan, le « discours » vient légitimement se constituer a posteriori, après la technique. Celle-ci tient lieu alors de valeur positive, concrète, même en tant que « reconstruction » historique.
6Comment comprendre le terme de technique ? Cet article ne saurait épuiser le problème posé par cette question, mais il tentera une réponse dans le cadre de pertinence de l'épistémologie des dispositifs de vision. Deux ordres de définitions complémentaires me paraissent utiles pour saisir le rapport technique/discours. Celui de l'action, du « faire », actions humaines ou fonctionnement d'appareils sans implication d'un sujet, d'une part ; celui de l'objet comme « entité » – « entité » dont la définition est problématique –, d'autre part. Ces deux ordres sont visibles dans différents discours portant sur la technique mais donnent lieu à des définitions qui varient considérablement d'un auteur à l'autre. Je les classerai sous l'appellation de « fait technique », employée ici très librement comme tout ce qui peut avoir un caractère technique, dont on peut dire la « technicité » :
7– les procédés, procédures ou méthodes de fabrication. C'est notamment la définition de Daumas :
- 5 Daumas, les Grandes Étapes du progrès technique, op. cit., p. 4.
Pour les besoins de cet exposé, les techniques sont les procédés et méthodes de création de biens matériels de consommation, d'équipement ou de communication dont la libre disposition a déterminé et détermine encore l'évolution du mode d'existence de l'homme.5
8On trouve une autre version sous la plume de Gilbert Simondon :
9Si les procédures relèvent de la fabrication, elles peuvent également définir l'utilisation de l'outil : mais on peut considérer que l'usage de l'outil relève lui aussi de la procédure de fabrication à laquelle l'outil lui-même participe dans des procédures spécifiques.
10– les objets techniques qui sont eux-mêmes fabriqués et qui servent à fabriquer : outils, instruments, ustensiles, appareils, machines. La liste est de Simondon, qui les articule ensemble, notamment, selon la logique de systématisation de leur cohérence interne.
11Ainsi, le Cinématographe Lumière, comme objet technique (1), peut être compris comme le résultat de procédures (2) ayant permis sa réalisation en tant qu'objet ; il peut aussi être saisi comme un appareil qui « agit », fonctionne, selon un certain nombre de procédures internes (3) pour parvenir à la fabrication d'images, ceci, à travers l'usage qui en est fait.
12Il pourra aussi être saisi en dispositif : il sera alors considéré comme un appareil faisant partie d'un dispositif qui, lui aussi, met en place un certain nombre de procédures (4) dont l'objet technique (1) et les procédures (2) et (3) mentionnées ci-dessus sont parties prenantes. Les procédures (4) du dispositif de vision qui permettent de montrer des images projetées en mouvement devant un spectateur sont alors multiples : elles règlent, par exemple, la fabrication de la représentation relevant notamment de questions esthétiques (comme le choix d'un cadrage), ou elles définissent, par exemple, l'accès du spectateur à la représentation à travers une codification sociale, comme les usages comportementaux ou les conditions économiques de l'accès au spectacle cinématographique.
- 7 Leroi-Gourhan, l'Homme et la matière, op. cit., p. 27. Et plus particulièrement le chapitre « inven (...)
- 8 « [...] c'est à partir des critères de la genèse que l'on peut définir l'individualité et la spécif (...)
- 9 Maurice Daumas, Histoire générale des techniques, 4. Les techniques de la civilisation industrielle (...)
13La question de l'invention est au cœur de la définition de l'objet technique. Tous les discours de la technique l'abordent, pour l'affirmer, la relativiser ou la redéfinir. La notion très spécifique de « fait technique » développée par Leroi-Gourhan, par exemple, peut renvoyer à l'invention comme à « l'emprunt pur et simple à un autre peuple »7. Dans une tout autre perspective, le travail de Simondon sur l'objet technique le définit à travers sa « genèse », qui détermine le degré d'individuation de l'objet8. Quant à Daumas, il articule sa définition de la « créativité technique » comme alternative à celle d'invention9.
14Ce n'est pourtant pas la question de l'invention technique qui va nous retenir dans ces pages, mais celle de la genèse de l'objet technique discursif dans un cas tout à fait particulier de discours.
- 10 Voir aussi Bertrand Gilles qui insiste sur le rapport nécessaire entre les mots et les choses dans (...)
- 11 Voir F. Albera, « Projected Cinema. A Hypothesis of the Cinema's Imagination », dans F. Albera, M. (...)
15L'articulation technique/technologie masque ce que ni Daumas, ni Leroi-Gourhan, ni Simondon n'ignorent : la mixité du discours et de la technique10. Il faudrait en somme reformuler la question ainsi : quels discours se mélangent à la technique ? Il y a celui qui commande, demande, qui formule son besoin ou qui énonce le problème à résoudre, qui appelle la solution : celui de l'artisan, du scientifique, de l'ingénieur qui formule sa demande ; il y a le discours de celui qui fabrique, invente, crée, organise, dans des rapports, des notes, des brevets, des lettres, traces des mots aussi bien que des chiffres et des équations ; mais il y a aussi celui qui imagine, fantasme, s'amuse, qui, dans une fiction littéraire, dans un poème, projette l'impossible ou l'encore inexistant ; il y a le discours qui explique, décrit, représente exhibe, montre (le manuel, le mode d'emploi, discours didactique, de synthèse, discours de l'exposition aussi ; il y a le discours de celui qui utilise, fait fonctionner, se sert de l'outil, de la machine, celui qui procède à un travail selon un ordre et une organisation, discours des corps de métiers, des industriels, des syndicats ; il y a le discours de celui qui étudie, écrit l'histoire, construit un savoir11. Tous ces discours font la technique, ils disent ce qu'est l'objet technique, ils définissent les procédures impliquées, à leur manière et selon leurs propres codes. En somme, la limite entre discours et technique ne saurait en rester à une simple opposition : la « technique » est elle-même partie prenante des discours comme les discours participent de la « technique ».
- 12 La réponse à cette question impose par ailleurs l'analyse des cours de Bergson au Collège de France (...)
16Le « discours » de l'inventeur qui accompagne l'invention relève autant de la « technique » que l'objet technique, matériel dont il parle. Cela peut paraître une évidence. Mais elle ne va pas de soi pour tous les discours mentionnés. Il est un discours particulier qui s'approprie les techniques pour les saisir dans sa propre logique : un discours utilisateur du fait technique. Celui de Bergson appartient à ce grand ensemble : discours philosophique, conceptuel ayant sa propre finalité, faisant intervenir le « cinématographe » d'abord comme on introduit un exemple, une comparaison, avant de le faire accéder au statut de modèle. Il ne fabrique pas l'objet à proprement parler, n'applique pas les procédures qui le déterminent, mais il l'appréhende comme fait technique tout en lui attribuant un rôle en tant que tel. Ce discours hétérogène par rapport à l'institution « cinéma », qui n'existe pas encore au moment où écrit Bergson, ce discours qui ne revendique pas de faire l'histoire d'un appareil ni d'une pratique contemporaine, la chronophotographie, telle que la présente Étienne-Jules Marey, ce discours qui ne fait que faire fonctionner à sa manière le « cinématographe », ce faisant, s'en empare. On pourrait poser le problème en termes « d'entrée en scène » : comment apparaît la technique dans le discours ? Ou encore : comment le cinématographe vient-il à Bergson ?12 C'est se demander sous quelle forme la référence à un dispositif de vision contemporain du philosophe s'introduit dans son discours, où il produit des effets de savoir qui s'étendent à la philosophie, à l'art, au champ du cinéma lui-même. La question n'est pas celle des « influences » : il s'agit de repérer dans les discours les traces des dispositifs et des appareils, et d'en évaluer le degré de technicité ; de voir se constituer le fait technique dans sa spécificité discursive.
- 13 Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, op. cit., pp. 89-90 [je souligne].
- 14 « [...] l'outil « travaille » à l'intérieur de lui-même, entre ses différentes parties qui agissent (...)
17La technicité est définie par Simondon comme « le degré de concrétisation de l'objet »13, ce qui implique de tenir compte, pour qualifier le niveau de technicité, non seulement de la forme et de la matière qui constituent l'objet mais du niveau de perfectionnement des procédures et des éléments impliqués (ensembles) pour obtenir l'objet (telle forme à partir de telle matière). La définition de la technicité peut encore être complétée par un autre aspect essentiel de la définition de l'objet technique qui tient à la corrélation de ses éléments constitutifs. L'objet technique, dira Simondon, « “travaille” à l'intérieur de lui-même », faisant jouer au mieux l'interdépendance des parties. C'est ce qu'il appelle l'auto-corrélation14. Les niveaux de technicité se définissent alors de manière très précise :
- 15 Ibid., p. 92.
C'est l'augmentation de l'auto-corrélation qui est la clef du progrès des objets techniques ; plus l'objet est simple, plus il concentre de fonctions en un petit nombre de parties, plus la compatibilité des ces fonctions a été organisée avec perfection ; c'est l'objet le plus stable et le plus cohérent, et non pas le plus complexe qui, pour un fonctionnement défini, recèle le plus de véritable technicité et peut fournir un schème transposable pour d'autres réalisations.15
18Inutile de chercher dans un discours utilisateur comme celui de Bergson un degré de technicité de ses références techniques tel qu'il puisse satisfaire à la définition proposée par Simondon. Ce dernier bien sûr renvoie à la connaissance technique, discursive et non discursive, spécialisée et savante. Pourtant, cette définition peut nous servir de modèle limite auquel éprouver le degré de spécification des objets techniques et des dispositifs utilisés à la condition d'une certaine réappropriation de la définition, qui implique sa simplification et sa généralisation – néanmoins respectueuses. En somme, il faudra observer les objets techniques du discours utilisateur dans leur forme, leurs éléments, la cohérence de leur mise en relation, en tenant compte de ce qui peut relever des procédures de fonctionnement.
- 16 C'était l'enjeu de notre conférence au Colloque de Montréal cité plus haut (« l'Impact de l'histori (...)
- 17 Sans aborder ici le vaste domaine de la technique du discours, ne mentionnons que l'analyse ethnolo (...)
19Il ne s'agira donc pas tant de se demander ce que la technique fait au discours, que d'élucider ce que le discours utilisateur fait à la technique16. S'il faut définir la technicité du dispositif discursif, il faut s'intéresser en même temps à sa transmutation discursive. Nous parlerons d'une forme « d'invention » : certes pas l'invention de l'objet technique en tant que tel, défini, repérable dans le monde matériel – soit à travers l'utilisation qui en est faite (histoire des métiers), soit par l'identification de sa genèse (selon l'approche simondonienne par exemple). L'invention renverra ici à la genèse discursive de l'objet technique. Le cinématographe de Bergson a beau s'appeler « cinématographe », il n'est pas l'équivalent du Cinématographe Lumière, pas plus que des divers chronophotographes ou appareils Éclair, Pathé, etc. Or, si le discours fabrique en énonçant, c'est bien qu'il relève lui-même de la technique, de procédures de production d'un objet, celui-ci étant de nature discursive, verbale, orale, écrite, visuelle, sonore, etc. Cette technique est alors déterminée par la nature même du discours, dans le cas qui nous intéresse, le fonctionnement et la finalité d'un discours philosophique autour de 190017. Dans un discours comme celui de Bergson, le degré de technicité sera faible. Mais l'intérêt de ce discours est de produire l'appropriation et la transmutation discursive du fait technique, de l'intégrer dans une nouvelle batterie de concepts et d'en faire un autre dispositif, un dispositif nouveau : « le cinématographe de Bergson ».
Technicité du « cinématographe » de Bergson
20Dans l'Évolution créatrice (1907), Bergson s'approprie explicitement un dispositif moderne, le cinématographe, pour exemplifier le fonctionnement de la pensée, de la perception et de la connaissance scientifique, qu'il critique et auquel il oppose l'intuition.
- 18 H. Bergson, l'Évolution créatrice, Paris, PUF « Quadrige », 2009 [1907], pp. 304-305 (je souligne). (...)
Maintenant, il y a une seconde manière de procéder, beaucoup plus aisée en même temps que plus efficace. C'est de prendre sur le régiment qui passe une série d'instantanés, et de projeter ces instantanés sur l'écran, de manière qu'ils se remplacent très vite les uns les autres. Ainsi fait le cinématographe. Avec des photographies dont chacune représente le régiment dans une attitude immobile, il reconstitue la mobilité du régiment qui passe. Il est vrai que, si nous avions affaire aux photographies toutes seules, nous aurions beau les regarder, nous ne les verrions pas s'animer : avec de l'immobilité, même indéfiniment juxtaposée à elle-même, nous ne ferons jamais du mouvement. Pour que les images s'animent, il faut qu'il y ait du mouvement quelque part. Le mouvement existe bien ici, en effet, il est dans l'appareil. C'est parce que la bande cinématographique se déroule, amenant, tour à tour, les diverses photographies de la scène à se continuer les unes les autres, que chaque acteur de cette scène reconquiert sa mobilité : il enfile toutes ses attitudes successives sur l'invisible mouvement de la bande cinématographique. Le procédé a donc consisté, en somme, à extraire de tous les mouvements propres à toutes les figures un mouvement impersonnel, abstrait et simple, le mouvement en général pour ainsi dire, à le mettre dans l'appareil, et à reconstituer l'individualité de chaque mouvement particulier par la composition de ce mouvement anonyme avec les attitudes personnelles. Tel est l'artifice du cinématographe.18
21Le passage qui concerne le « cinématographe » est bien plus étendu : centré sur la question du changement, il s'arrête d'abord à la transformation des qualités dans un objet et se poursuit, à propos de la question du mouvement, par la première présentation du cinématographe, par l'analyse des paradoxes de Zénon, et par celle du fonctionnement des sciences antique et moderne. Le dispositif cinématographique n'est pas exactement le « modèle cinématographique » de la pensée : le premier vient exemplifier le fonctionnement du second, mais on peut considérer que les qualités de l'un sont applicables à l'autre ; en somme, ils s'enrichissent réciproquement tout au long du texte de Bergson. Si la partie sur Zénon souligne l'importance de l'intervalle, la partie sur la science moderne introduit la notion d'instant quelconque, associée à ce que Bergson appelle la « méthode cinématographique ». On voit bien que ce « cinématographe » est pétri de concepts, « instantanéité » du photogramme, « changement » impliqué par l'intervalle entre les arrêts, parmi d'autres. Mais il importe ici de s'attacher à la dimension technique du dispositif en question. Quel est le degré de technicité du dispositif mis en place par le philosophe ?
22On peut aborder la question à travers l'identification du fait technique en se demandant s'il renvoie à un objet spécifique. La nomination est un vecteur d'identification : il s'agit, nous dit Bergson, d'un « cinématographe ». Mais cette appellation peut recouvrir beaucoup d'objets techniques : aussi bien l'appareil réversible des frères Lumière, que tout autre dispositif d'enregistrement-projection de la « famille » des cinématographes, que les appareils soient réversibles ou non. Le cinématographe ne désigne pas simplement dans ce cas un appareil seul, mais l'assemblage technique complet de la pratique cinématographique. Il s'agit en tous les cas, pour l'exemple qui nous intéresse, d'un ensemble mécanique capable de synthétiser du mouvement à partir d'instantanés en vue d'une projection.
23L'agencement technique dit « cinématographe » est saisi simultanément par Bergson dans les éléments qui le constituent et dans son fonctionnement. Éléments de structure : les instantanés en série, d'un côté, la bande cinématographique, de l'autre, avec aussi l'écran pour la projection. Rien n'est dit sur les rouages, les mécanismes en jeu ni l'énergie permettant le fonctionnement. Ce dernier est désigné par la prise photographique d'images en série, précisément des instantanés, par la mise en mouvement de la bande en rotation : ce mouvement permet que les photographies en viennent à se « continuer les unes les autres ». Ces éléments descriptifs sont essentiels, mais minimaux. Nous sommes bien loin du rendu de l'« auto-corrélation » complète des parties engagées dans le fonctionnement de cet assemblage, telle que la requérait Simondon pour qualifier l'objet dans son identité technique. Les quelques éléments mentionnés pour le dispositif cinématographique ne sont que des sélections pertinentes opérées par le discours au sein d'un assemblage technique défini par sa logique interne, par la relation réciproque des parties, et dont le texte de Bergson ne rend absolument pas compte. Nous avons donc ici un « objet technique », qui se présente comme une abstraction ; et pourtant il fonctionne.
- 19 Bergson, l'Évolution créatrice, op. cit., p. 305.
- 20 Ibid., p. 306.
24Le fonctionnement de ce « cinématographe » tient à un deuxième niveau de spécification technique. Il se comprend par rapport au processus complet qui est en jeu et qui, de fait, permet, mieux encore que la nomination, l'identification de l'ensemble technique. Il y a d'abord « prise » d'une série d'instantanés ; il y a ensuite recomposition du mouvement à partir des instantanés au moment de leur projection. Avec la description du double processus, nous touchons à un aspect essentiel : non pas ici seulement la mention de quelques éléments sélectionnés, mais le procédé technique comme méthode rendant compte de la cohérence de l'ensemble. Le pas est accompli par Bergson lorsqu'il reformule le procédé qui définit « perception, intellection et langage » : « On résumerait donc tout ce qui précède en disant que le mécanisme de notre connaissance usuelle est de nature cinématographique »19. À la page suivante, il le désigne comme « la méthode cinématographique »20, qui qualifie la science elle-même :
- 21 Ibid., p. 328.
La science moderne comme la science antique, procède selon la méthode cinématographique. Elle ne peut faire autrement ; toute science est assujettie à cette loi.21
- 22 La synthèse du mouvement chez Marey est le plus souvent décrite comme seconde, assumant la fonction (...)
- 23 Anson Rabinbach puis Marta Braun ont avancé l'idée que la référence implicite à Marey traverse l'ap (...)
25Or, le double processus inscrit ce dispositif dans un ensemble plus vaste de procédés historiquement contemporains, ce que pourrait masquer aujourd'hui l'appellation « cinématographe ». Cet ensemble regroupe nombre de pratiques spectaculaires ou scientifiques, de recherches et d'appareils divers autour de la chronophotographie. Au premier chef, la « méthode chronophotographique » de Marey. Celle-ci porte explicitement l'appellation de « méthode » : elle est élaborée dans le contexte de l'expérimentation scientifique et se fonde sur l'utilisation d'un appareillage technique spécifique. Elle renvoie aux deux temps de l'analyse et de la synthèse, à l'étude de la série d'instantanés aussi bien qu'à celle de l'image en mouvement synthétisée22. Si la notion de « méthode cinématographique » est avancée par Bergson pour qualifier la science, ce n'est pas sans lien avec le fait qu'il existe une méthode scientifique appelée par Marey « méthode chronophotographique », qui justement se fonde sur les deux étapes définissant la double procédure technique dans le dispositif cinématographique bergsonien, tout autant que sur les qualités techniques des appareils que Marey ne cesse d'imaginer et d'améliorer. Le Cinématographe Lumière, d'ailleurs, fait partie de l'ensemble des chronophotographes répertoriés par Marey au moment de l'Exposition universelle de 1900. En somme, Bergson procède à une généralisation : pour décrire le fonctionnement de la connaissance scientifique en général, il utilise les deux temps de la procédure impliquée dans une recherche scientifique spécifique, la méthode chronophotographique de Marey, qui vise l'étude de la locomotion. Cette généralisation s'appelle chez Bergson la « méthode cinématographique », dont la double procédure est propre à la méthode chronophotographique de Marey23.
Le fait technique et la « transmutation » discursive
26S'il a une valeur pour le discours utilisateur, celle d'appartenir au monde de l'expérience et des discours contemporains, le fait technique n'en passe donc pas moins par une réappropriation qui est, en tant que telle, une reconstruction. La technicité est bien élaborée dans le discours, qui procède par nomination (le cinématographe), par sélection des éléments constitutifs de l'objet technique compte tenu d'une connaissance de cet objet à travers l'expérience et à travers d'autres discours (instantanés, bande, mais pas de griffes, de performations, de bobines, etc.), par la mise en évidence de procédures (la double procédure, prise photographique puis synthèse du mouvement), par la re-nomination enfin des procédures du fonctionnement, sur le modèle non mentionné mais effectivement décrit de la méthode « chronophotographique » transformé en « la méthode cinématographique ».
- 24 Tortajada, « Bergson au croisement des dispositifs de vision », op. cit. ; Bergson, l'Évolution cré (...)
27Il y a plus. La genèse de l'objet discursif par Bergson fait du dispositif cinématographique un objet qui entretient une relation problématique, surprenante pour le moins, avec le fait technique. Au cœur de la démonstration de Bergson, il y a l'illusion. L'illusion du mouvement reconstitué est l'objet d'étude du philosophe dans ces pages : elle est l'une des deux « illusions théoriques » dont traite le chapitre IV intitulé « Le mécanisme cinématographique de la pensée et l'illusion mécanistique ». La première « consiste à croire qu'on pourra penser l'instable par l'intermédiaire du stable, le mouvement par l'immobile ». Nous tombons dans le piège de la seconde lorsque « nous nous servons du vide pour penser le plein »24. L'illusion doit être comprise comme effet trompeur, c'est le point de départ de la démonstration. Dans l'ordre du discours bergsonien, le cinématographe est, d'une part, l'exemple de cette première illusion qui concerne le mouvement : le fonctionnement mécanique est l'analogon du fonctionnement de la pensée. Après démonstration, il acquiert d'autre part le statut de modèle généralisable d'un mode de connaissance. Il devient en somme une machine à « illusion théorique », qui se comprend grâce à l'exposition de sa technicité dans la production d'un faux mouvement, le mouvement synthétisé.
28Dans l'articulation du discours, la clef de l'illusion tient dans un mouvement particulier : « Pour que les images s'animent, il faut qu'il y ait du mouvement quelque part. Le mouvement existe bien ici, en effet, il est dans l'appareil ». Tout semble se jouer autour du mouvement propre à la machine cinématographique, essentiellement spécifié à travers le déroulement de la bande. L'idée qu'il y a du mouvement dans la machine est une évidence du fonctionnement, une sorte de lieu commun, qui trouve un fondement technique dans l'importance de la roue, principe de base du développement mécanique des machines, comme l'explique Simondon.
- 25 Simondon, l'Invention dans les techniques, op. cit., p. 96.
La machine-outil et la machine se développent autour d'un système central d'auto-corrélation qui peut être soit un source modulable d'énergie, soit un dispositif tel que la roue ; le rôle très important de la roue dans les machines mécaniques tient en particulier au fait qu'en dehors de ses applications véhiculaires la roue et la rotation fournissent, par le fonctionnement cyclique, un dispositif d'auto-corrélation entre les différentes phases du fonctionnement et entre les différents organes mis en jeu ; la roue est l'organe qui recycle indéfiniment les commandes et les effets ; elle devient la base de l'automatisme (programmation interne du cycle) [...].25
29La rotation est au cœur de l'appareil du cinéma : obturateur, came, bobines suivent ce mouvement, la bande de photogrammes s'enroule et se déroule. Même si la mention de la rotation par Bergson est ponctuelle, elle souligne donc un élément important, indice de technicité dans le contexte de cet appareil : la bobine et le déroulement sont une condition de possibilité de la technique chrono-cinématographique (garants notamment de la durée de la scène enregistrée). Revenons au passage déjà cité :
- 26 Bergson, l'Évolution créatrice, op. cit., p. 305.
C'est parce que la bande cinématographique se déroule, amenant, tour à tour, les diverses photographies de la scène à se continuer les unes les autres, que chaque acteur de cette scène reconquiert sa mobilité : il enfile toutes ses attitudes successives sur l'invisible mouvement de la bande cinématographique.26
- 27 Sur le rapport entre les images, voir Tortajada, « Bergson au croisement des dispositifs de vision (...)
30Le déroulement intéresse Bergson car il détermine le lien entre les images qui se remplacent les unes les autres, « se continuant ». Singulière expression pour désigner le mouvement synthétisé, car deux images qui se succèdent sans solution de continuité ne font pas encore du mouvement continu. Bergson concentre l'explication de l'illusion du mouvement sur ce rapport de succession, c'est-à-dire sur le rapport physique des images entre elles, qu'elles soient projetées ou qu'elles soient dans la machine27. Ce faisant, il s'en tient à la dimension mécanique du processus de synthèse. Mais le fait technique en question reste savamment incomplet.
- 28 Dans son Esthétique (Paris, Reinwald Cie, 1878), Eugène Véron (1825-1889) historien, philosophe, jo (...)
31Il manque en effet à la compréhension de l'illusion un moment essentiel du processus technique de production d'images mouvantes tel qu'il est compris à l'époque : l'explication de la persistance rétinienne. Le discours insiste sur la technicité, l'objet, la procédure qui touche à l'objet (ce qui se passe dans l'appareil), mais exclut de ce processus le phénomène de perception sans lequel l'illusion ne peut être comprise, sans lequel la succession des images ne produit rien... que la succession elle-même. Cette absence est d'autant plus remarquable que le xixe siècle se meut dans le cadre conceptuel et pratique de la stroboscopie. Marey s'appuie sur les expériences de Plateau, fondées sur la persistance rétinienne. Celle-ci est à la base des jouets optiques qui se répandent dans les salons. Pour Marey l'illusion qu'elle produit est nécessaire au principe de synthèse. Les articles de vulgarisation scientifique, qui s'attardent sur le processus technique, en passent par l'explicitation de la persistance rétinienne pour présenter le cinématographe. Ils s'inscrivent ainsi dans la continuité de la présentation chronophotographique proposée par Marey. Cette question est suffisamment connue et répandue pour être reprise, par exemple, dans des théories esthétiques comme celle d'Eugène Véron28. Mais Bergson, lui, s'en tient à l'articulation mécanique, qui, à elle seule, représente le processus de la connaissance usuelle et scientifique : à proprement parler la synthèse du mouvement est exclue.
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- 30 « Le mécanisme est disposé de telle façon que la pellicule reste immobile pendant les deux tiers du (...)
- 31 L'article de la Nature explique : si, lors de la prise photographique, il permet d'éviter des « tra (...)
32Avec la synthèse du mouvement, une autre donnée technique essentielle au fonctionnement de l'appareil est omise : l'arrêt intermittent de la bande. Lorsque Marey parle du cinématographe Lumière en 1900, il n'insiste pas du tout sur le mouvement dans la machine : il met au contraire en évidence l'importance de l'arrêt intermittent de la bande et souligne la durée du temps d'arrêt du photogramme devant l'objectif pendant lequel la bande se déplace pour amener un nouveau photogramme prêt pour l'exposition à la lumière : « La période d'arrêt présente, comme durée, les deux tiers du temps total »29. Pour Marey, il y a plus d'arrêt que de mouvement dans la machine du Cinématographe. C'est également ainsi aussi que la Nature présente le Cinématographe Lumière en 189530. Or, l'arrêt de la bande est corrélé dans les explications scientifiques à la question de la persistance rétinienne pour expliquer la synthèse du mouvement31.
33Une double absence caractérise l'explication bergsonienne de la synthèse du mouvement d'un point de vue technique : celui de la persistance rétinienne et celui du moment technique spécifique de l'arrêt intermittent de la bande. Pour Bergson, il n'y a que du mouvement dans l'appareil : l'arrêt de la bande n'est pas retenu. Ce manque fait partie de la mise en scène discursive du mouvement.
34L'idée que dans la machine, « ça bouge », Bergson la partage avec d'autres sources, des sources de vulgarisation scientifique par exemple, qui en passent parfois par une véritable dramaturgie des mouvements mécaniques dans la machine. Mais au lieu de l'explication classique de la persistance rétinienne et de la mention de l'arrêt intermittent, qui nécessiterait que l'on regarde dans la machine pour voir son fonctionnement à la manière des vulgarisateurs, Bergson parle d'une machine fermée au regard, ce qui contraste avec les descriptions techniques et scientifiques : le cinématographe « ... enfile toutes ses attitudes successives sur l'invisible mouvement de la bande cinématographique » (je souligne). Or, ce mouvement acquiert sous la plume de Bergson un pouvoir extraordinaire. Tout se passe comme si l'invisibilité du mouvement et de sa nature mécanique justifiait l'abstraction de ce mouvement, que Bergson condamne.
35Tout est prêt alors pour une nouvelle explication du phénomène. Le fait technique discursif subit une nouvelle mise en forme, lorsque le discours met en acte l'analogie entre le cinématographe et le processus de la pensée et de la science :
Le procédé a donc consisté, en somme, à extraire de tous les mouvements propres à toutes les figures un mouvement impersonnel, abstrait et simple, le mouvement en général pour ainsi dire, à le mettre dans l'appareil, et à reconstituer l'individualité de chaque mouvement particulier par la composition de ce mouvement anonyme avec les attitudes personnelles. Tel est l'artifice du cinématographe.
36On peut dire aussi : tel est le principe de l'illusion cinématographique. Les deux temps de la procédure technique trouvent ici une reformulation qui en transforme la valeur. C'est que la notion de mouvement est devenue un concept malléable qui ne s'applique plus à la compréhension technique de la production d'images en mouvement synthétisées. L'explication semble présenter la transformation du mouvement, et Bergson nous en donne la recette : il y a d'abord le mouvement propre à chaque figure qui appartient au spectacle filmé : ce mouvement est alors « extrait », comme on extrait une substance ; puis, étant « extrait », il devient « abstrait », un mouvement « en général ». Deuxième temps : il faut « mettre ce mouvement dans l'appareil » puis, écrit Bergson, composer ce « mouvement anonyme », général avec des « attitudes personnelles ». Nous obtenons alors « l'individualité de chaque mouvement particulier », ce qu'il faut comprendre comme l'équivalent de la synthèse du mouvement. Nous avons assisté à la transmutation du mouvement, comme dans un processus de transformation de la matière. C'est là effet de style et métaphore, mais c'est bien dans ce passage que la transmutation discursive du fait technique est opérée de manière radicale. À tel point que la double procédure technique, prise d'une série d'instantanés puis synthèse du mouvement, devient à peine reconnaissable.
37Qu'est-ce, en effet, concrètement, techniquement, qu'extraire le mouvement de figures, comme si le mouvement jouissait d'une matérialité indépendante, comme s'il pouvait être l'objet d'une transformation chimique qui le rendrait pur, abstrait, libéré des corps ? À quoi est-ce que cela pourrait correspondre dans la pratique chronophotographique ? Certainement pas à la prise en série d'instantanés photographiques. Et qu'est-ce qu'un mouvement « en général » du point de vue technique ? Le concept de mouvement s'est ici déplacé. Du coup, que faut-il entendre par « mettre du mouvement dans l'appareil » ? Serait-ce le fait d'un moteur ou d'une manivelle, résultat d'un travail et de l'exercice d'une force ? Certainement pas ici car comment ce mouvement, d'abord mécanique devenu « en général », pourrait-il se transformer en « mouvement individuel » par le simple assemblage, par la « composition » dit Bergson, de mouvement et de figures ? Il faudrait imaginer alors que le mouvement s'articule lui-même comme une pièce mécanique à des instantanés ou, pour filer la métaphore de la transmutation que suggère Bergson, produire une sorte de mélange dont le résultat est une transmutation du mouvement :
Mouvement mécanique Mouvement « en général » mouvement particulier
38Nous avons là une transformation radicale des concepts à référence technique en des concepts bergsoniens. Cette série d'interrogations ne fait que souligner le coup de force discursif qui se joue là, prenant une liberté totale avec la technicité du comparant cinématographique.
39Si la précision de la référence technique de la décomposition du mouvement peut venir compenser la transmutation discursive au moment du basculement analogique, ce n'est pas du tout le cas pour la synthèse. Pour la première partie du processus, la mention de la notion d'instantanés dans la description technique de Bergson renvoie à plusieurs faits parfaitement repérables. L'instantané photographique présuppose l'emploi de techniques et de procédures précises, un obturateur rapide, un support sensible au gélatinobromure d'argent, un jeu de lentilles performantes permettant notamment de concentrer particulièrement la lumière. Quand à la série d'instantanés, elle renvoie à l'obturateur spécial en rotation de la pratique chronophotographique, formé sur le modèle du phénakistiscope. Mais lorsque Bergson décrit la synthèse, le lien à la technique est insuffisant : il ne permet pas de comprendre la procédure nécessaire à expliquer l'illusion. Le moment de la synthèse du mouvement est présenté sans la référence essentielle à la persistance rétinienne, exclue du texte de Bergson, qui concentre le regard du lecteur sur ce mouvement qui ne peut se voir, au cœur d'un processus de transmutation.
40La « composition » du mouvement artificiel semble en effet tenir en une simple addition : mouvement en général + figures = mouvement particulier. Elle vient s'ajouter à l'explication essentiellement mécanique du lien entre les images. Mais bien sûr elle ne peut en aucun cas traduire le processus de la synthèse du mouvement. L'explication de l'illusion ne peut alors s'appuyer que sur ce qui est donné comme un processus caché, qui use de l'artifice, de l'alchimie ou du truquage.
41Bergson met en place une fiction philosophique fondée sur un double escamotage : d'une part, l'escamotage d'un fait technique (l'arrêt de la bande, l'explication scientifique de la production de l'illusion du mouvement) pour la construction d'une idée de machine qu'il appelle cinématographe ; d'autre part, l'escamotage de la fonction démonstrative et explicative de l'exemple, précisément le cinématographe. La valeur d'un exemple tient à l'adéquation entre les éléments du comparant avec ce que l'on veut démontrer à propos du comparé. Dans ce cas, les procédés de décomposition et de synthèse du mouvement doivent correspondre au processus intellectuel décrit par Bergson grâce à l'exemple. Sur le moment de la synthèse, l'adéquation ne fonctionne plus. Ce n'est plus le « cinématographe » qui donne à comprendre la philosophie de Bergson, mais c'est cette dernière qui fabrique un « cinématographe » avec sa propre logique où le mécanique équivaut à l'abstrait, où le mouvement dans la machine doit être dominant mais rester mystérieux. Cette fiction philosophique veut expliquer le faux mouvement ; ce faisant elle invente un cinématographe.
42On peut alors s'interroger sur la légitimité de cette « invention » pour l'histoire du cinéma. Le problème peut être approché selon deux de ses versants, suivant que l'on aborde la question du statut du discours que nous avons appelé utilisateur ou bien que l'on se penche sur celle de l'objet d'étude de l'histoire du cinéma. Cet article a tenté d'éprouver la question de la technicité à propos du discours spécifique bergsonien. Mais le lien entre discours et fait technique ne vaut pas seulement pour ce discours que nous avons appelé utilisateur et qui reste à la marge du milieu de la production et de la pensée technique. Il faut faire le constat que tout discours sur la technique est utilisateur du fait technique. Le discours inventeur, par exemple, modèle ce dont il parle, mettant en scène le fait technique, le décrivant, l'utilisant dans une certaine visée et le réélaborant à sa convenance selon les règles qui lui sont propres. La genèse discursive n'est pas réservée à des discours « hétérogènes » au fait technique tel le discours philosophique de Bergson. Le discours spécialiste qui invente le fait technique, le commente, le vulgarise ou en écrit l'histoire, ce discours lui aussi définit et met en scène ce qu'est pour lui la technicité. Il construit lui-même le fait technique dans une utilisation déterminée par le genre et la finalité qui lui sont propres. Il n'est pas de discours neutre, transparent, identifié à son objet, pas plus dans l'ordre de l'imaginaire que dans celui du discours spécialisé de la technique et de la science. Tous ces discours utilisent le fait technique bien que leurs méthodes se distinguent. Or, à l'aune des discours et de leur capacité à modéliser le fait technique, tout objet technique mérite analyse. Si l'ordre du discours impose la description, la présentation, l'élaboration de son propre objet, cet ordre prédispose aux passages, aux échanges, à la diffusion des concepts et des faits techniques d'un discours à l'autre, quel qu'il soit. Cette osmose des concepts est certes freinée par l'institution qui réglemente l'ordre de pertinence de son objet et de ses pratiques. Mais l'épistémologie des dispositifs ne peut se contenter de respecter la mise en forme historique institutionnelle des médias ou des objets techniques, car les occurrences discursives des dispositifs ne tiennent pas compte de ces limites. Ce sont ces frontières elles-mêmes que l'épistémologie doit interroger.
43Non spécialisé dans le domaine de la technique du cinéma, le discours de Bergson emprunte pourtant au modèle chronophotographique qui fournit les bases de la référence technique et scientifique. Mais en sus, Bergson inscrit son cinématographe dans un réseau de notions-clefs constitutives de l'idée de cinéma dès son émergence, où l'invisible fait loi, où l'apparition-disparition est mise en acte : il en va ainsi du mouvement et de ses transformations discursives. Bergson associe donc la référence scientifique et technique à une pratique spectaculaire proche du tour de prestidigitation. Cette association est l'indice de la circulation à travers différents champs des modèles et imageries du « cinéma » autour de 1900. Pour connaître ce que sont les dispositifs cinématographiques au tournant du siècle, il importe donc de tenir compte de ces diverses occurrences, qu'elles soient matérialisées en objets techniques concrets ou qu'elles ressortissent uniquement à l'ordre du discours, spécialisé ou non. Les unes se comprennent en relation avec les autres, et toutes produisent des effets sur les pratiques et les théories qui informent l'idée même de « cinéma ».
44Quel est finalement le statut du « cinématographe » de Bergson pour l'historien de cinéma ? Dans le contexte d'une épistémologie des dispositifs de vision, la réponse s'impose : le « cinématographe » de Bergson est un « appareil » qui « fonctionne » « en dispositif » à l'intérieur d'un discours dont la portée a dépassé le champ de la philosophie et a alimenté le savoir sur le « cinéma ». C'est un dispositif discursif qui n'a pas d'existence matérielle ou physique mais dont l'intérêt pour l'histoire du cinéma est essentiel car il participe à la définition d'une certaine idée du cinéma, à la détermination des conditions de possibilité de ce « cinéma historique » dont les formes et les mouvements sont multiples. En somme, il y a le Cinématographe Lumière et il y a le cinématographe de Bergson, parmi beaucoup d'autres. Le premier a une existence aussi bien discursive que matérielle. Le second se contente de briller dans le discours et de produire depuis plus d'un siècle des représentations multiples de ce qu'est le cinéma. Il est un objet de l'histoire du cinéma.
Notes
1 Michel Georges-Michel, « Bergson nous parle du cinéma », le Journal, 20 février 1914, p. 7 (réédité par Jean-Paul Morel dans Positif, no 404, octobre 1994, pp. 56-57). Georges-Michel raconte ses « conversations » avec Bergson dans « Le cinématographe et la philosophie de M. Bergson » (Paris-Midi, 23 janvier 1918), il y revient dans le recueil de ses entretiens menés avec différentes personnalités (En jardinant avec Bergson, Paris, Albin Michel, 1926).
2 « Elle est seulement, exclusivement, cela. Il ne se mêle en elle aucun autre facteur : elle est de la technique à l'état pur, pourrait-on dire » (la Technique ou l'enjeu du siècle, Paris, Economica, 1990 [1954], p. 2).
3 Voir les Grandes Étapes du progrès technique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1981, p. 4, Daumas relève par ailleurs un emploi contemporain du terme, pour désigner des « domaines “avancés” pour lesquels le support scientifique de la création technique est extrêmement développé ». L'usage anglophone définit la technologie comme l'ensemble des applications scientifiques à la technique. Voir à ce sujet Jacques Guillerme, Jan Sebestik, « Les Commencements de la technologie », Thalès, vol. 12, 1968 et les développements, pour le cinéma, de Benoît Turquety dans « Qu'est-ce que l'innovation technologique en cinéma ? » (communication au Colloque « l'Impact de l'historiographie et de la théorie sur la définition des innovations technologiques », Montréal, 1er-6 novembre 2011).
4 Leroi-Gourhan renvoie à cette méthode qui consiste à réélaborer des grandes lignes d'évolution technique (l'Homme et la matière, Paris, Albin Michel « Sciences d'aujourd'hui », 1971 [1943], pp. 28-29).
5 Daumas, les Grandes Étapes du progrès technique, op. cit., p. 4.
6 Simondon, l'Invention dans les techniques. Cours et conférences, Paris, Seuil « Traces écrites », 2005, p. 86.
7 Leroi-Gourhan, l'Homme et la matière, op. cit., p. 27. Et plus particulièrement le chapitre « invention » dans Milieu et technique (Paris, Albin Michel « Sciences d'aujourd'hui », 1973 [1945], pp. 376-395).
8 « [...] c'est à partir des critères de la genèse que l'on peut définir l'individualité et la spécificité de l'objet technique : l'objet technique individuel n'est pas telle ou telle chose, donnée hic et nunc, mais ce dont il y a genèse » (Du mode d'existence des objets techniques, Paris, Aubier, 2012 [1958], p. 22).
9 Maurice Daumas, Histoire générale des techniques, 4. Les techniques de la civilisation industrielle. Énergie et matériaux, Paris, PUF « Quadrige », 1996 [1979], p. IX. La pertinence de l'idée d'invention est récusée comme idée isolée naissant dans « un cerveau inventif » (p. XI). Voir par ailleurs Lewis Mumford, qui, dans une approche externe de l'histoire des techniques, souligne l'emprise du « devoir d'inventer » dans l'histoire des avancées scientifiques (Techniques et civilisations, 1950 [1934], pp. 55-58). Pour la question de l'invention en lien avec l'idée de cinéma, voir Benoît Turquety, op. cit. et « Charles Cros et le problème “cinéma”. Écrire l'histoire avec Bachelard et Simondon », 1895 revue d'histoire du cinéma, no 72, Printemps 2014.
10 Voir aussi Bertrand Gilles qui insiste sur le rapport nécessaire entre les mots et les choses dans sa réflexion sur la dénomination technique (Histoire des techniques. Techniques et civilisations, Paris, Gallimard « Encyclopédie de la Pléiade », 1993, p. 1150).
11 Voir F. Albera, « Projected Cinema. A Hypothesis of the Cinema's Imagination », dans F. Albera, M. Tortajada (dir.), Cinema beyond film, Amsterdam, University Amsterdam Press, 2009 et sur le discours des « métiers techniques », Laurent Le Forestier et Priska Morrissey (dir.), « Histoire des Métiers du cinéma en France avant 1945 », 1895 revue d'histoire du cinéma, no 65, 2011.
12 La réponse à cette question impose par ailleurs l'analyse des cours de Bergson au Collège de France, années 1902 et 1903, qui ne sont pas abordés ici (voir Tortajada, « Bergson au croisement des dispositifs de vision » [communication au colloque « Le cinéma de Bergson. Image-affect-mouvement », sous la direction d'Élie During et Ioulia Podoroga, École normale supérieure, Paris, 16-18 mai 2013]).
13 Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, op. cit., pp. 89-90 [je souligne].
14 « [...] l'outil « travaille » à l'intérieur de lui-même, entre ses différentes parties qui agissent les unes sur les autres ; et il se perfectionne tantôt par amélioration des termes extrêmes (une poignée qui tient mieux en main, un « fer » mieux acéré), tantôt par progrès de l'auto-corrélation (les arceaux à coin, pour l'emmanchement des faux, ont été remplacées par des arceaux à vis, moins sensibles à l'humidité et permettant un réglage angulaire plus précis). » (Simondon, l'Invention dans les techniques, op. cit., pp. 91-92).
15 Ibid., p. 92.
16 C'était l'enjeu de notre conférence au Colloque de Montréal cité plus haut (« l'Impact de l'historiographie et de la théorie sur la définition des innovations technologiques »), dont cet article est une réélaboration.
17 Sans aborder ici le vaste domaine de la technique du discours, ne mentionnons que l'analyse ethnologique de Leroi-Gourhan qui lie l'évolution du progrès technique artisanal à celle du langage. C'est la thèse directrice de ses deux volumes Technique et langage (Paris, Albin Michel, 1964) et la Mémoire et les rythmes (Paris, Albin Michel, 1965), réunis sous le titre le Geste et la parole.
18 H. Bergson, l'Évolution créatrice, Paris, PUF « Quadrige », 2009 [1907], pp. 304-305 (je souligne). Sur le dispositif cinématographique de Bergson, voir les commentaires de Dominique Chateau (Cinéma et philosophie, Paris, Armand Colin, 2003), Paul Douglass (« Bergson and Cinema : friends or foes ? », dans J. Mullarkey, dir., The New Bergson, Manchester, Manchester University Press, 2006, pp. 118-134), Élie During (« Notes sur le cinématographe bergsonien », dans F. Albera et M. Tortajada, dir., Ciné-dispositifs. Spectacles, cinéma, télévision, littérature, Lausanne, L'Âge d'Homme, 2011, pp. 119-132).
19 Bergson, l'Évolution créatrice, op. cit., p. 305.
20 Ibid., p. 306.
21 Ibid., p. 328.
22 La synthèse du mouvement chez Marey est le plus souvent décrite comme seconde, assumant la fonction de vérification des résultats. Nous défendons pour notre part une valorisation bien plus étendue de la synthèse du mouvement dans la pratique mareysienne (voir Tortajada, « Reconstitution d'un concept. Marey et la synthèse du mouvement », Ciné-dispositifs, op. cit. Pour l'importance de la synthèse chez Bergson, voir During, « Notes sur le cinématographe bergsonien », op. cit.).
23 Anson Rabinbach puis Marta Braun ont avancé l'idée que la référence implicite à Marey traverse l'approche bergsonienne (voir respectivement le Moteur humain. L'énergie, la fatigue et les origines de la modernité, Paris, La Fabrique, 2004 [1990] et Picturing Time, The Work of Étienne-Jules Marey (1830-1904), Chicago-Londres, University of Chicago Press, 1992). Gaston Bachelard opérait déjà le lien entre Bergson, Marey et Gilbreth, reconstruisant ainsi un ordre de cohérence épistémologique (l'Activité rationaliste de la physique contemporaine, Paris, PUF, 1965 [1951], pp. 56-57).
24 Tortajada, « Bergson au croisement des dispositifs de vision », op. cit. ; Bergson, l'Évolution créatrice, op. cit., pp. 273-274.
25 Simondon, l'Invention dans les techniques, op. cit., p. 96.
26 Bergson, l'Évolution créatrice, op. cit., p. 305.
27 Sur le rapport entre les images, voir Tortajada, « Bergson au croisement des dispositifs de vision », op. cit.
28 Dans son Esthétique (Paris, Reinwald Cie, 1878), Eugène Véron (1825-1889) historien, philosophe, journaliste et critique d'art développe une esthétique scientifique étayée sur la physiologie, la psychologie et l'anthropologie.
29 Étienne-Jules Marey, « Exposition d'instruments et d'images relatifs à l'histoire de la chronophotographie », par le Docteur Marey, membre de l'Institut, Musée centennal de la classe 12 (photographie) à l'Exposition universelle internationale de 1900 à Paris, Métrophotographie et chronophotographie, Saint-Cloud, Belin, [s.d.], p. 22.
30 « Le mécanisme est disposé de telle façon que la pellicule reste immobile pendant les deux tiers du temps ; elle emploie le dernier tiers à descendre » (« Le cinématographe de MM. Auguste et Louis Lumière », la Nature, Masson, Paris, 2e semestre 1895, no 1159, 17 août 1895, p. 216). Le Brevet Lumière n'adopte pas exactement cette formulation, mais la question de la pose y est bien sûr essentielle. Par exemple : « Le ruban est entraîné vers le bas pendant la descente de ces pointes qui dans leur mouvement ascensionnel se soulèvent au contraire pour le laisser au repos » (« Appareil servant à l'obtention et à la vision des épreuves chronophotographiques. Demande formulée par MM. Auguste Lumière et Louis Lumière », publié dans Jacques Deslandes, Histoire comparée du cinéma, De la cinématique au cinématographe, 1826-1896, Tome I, Paris, Casterman, 1966, p. 309).
31 L'article de la Nature explique : si, lors de la prise photographique, il permet d'éviter des « traînées lumineuses » sur les photogrammes, lors de la synthèse, l'arrêt de la bande permet d'expliquer l'illusion : « Il arrive de là que ne sont projetées sur l'écran que des épreuves immobiles se succédant, par exemple, au nombre de 900 par minute. À cause de la persistance des impressions lumineuses sur la rétine, l'œil n'aperçoit pas du tout les noirs qui séparent chaque projection [...] » (art. cit., p. 216). Sont donc liés ici illusion, immobilité du photogramme et le « noir » de l'intervalle durant lequel la bande se déplace. Voir aussi Marey, le Mouvement, Paris, G. Masson, 1894, pp. 314-315.
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Référence papier
Maria Tortajada, « Technique/discours - Quand Bergson inventa son cinématographe », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 73 | 2014, 10-29.
Référence électronique
Maria Tortajada, « Technique/discours - Quand Bergson inventa son cinématographe », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 73 | 2014, mis en ligne le 01 septembre 2017, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/4824 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.4824
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