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Lydia Papadimitriou, Yannis Tzioumakis (dir.), Greek Cinema : Texts, Histories, Identities

Bristol-Chicago, Intellect, 2012, 279 p.
Mélisande Leventopoulos
p. 192-194
Référence(s) :

Lydia Papadimitriou, Yannis Tzioumakis (dir.), Greek Cinema : Texts, Histories, Identities, Bristol-Chicago, Intellect, 2012, 279 p.

Texte intégral

1Publié aux éditions Intellect en 2012 sous la direction de Lydia Papadimitriou et Yannis Tzioumakis, Greek Cinema : Texts, Histories, Identities, entend remédier au nombre extrêmement réduit de publications anglophones sur le cinéma hellénique – un constat qui vaudrait aussi pour la bibliographie en français, peu renouvelée depuis la parution du Cinéma grec de Michel Demopoulos dans la collection « Cinéma Pluriel » des éditions du Centre Pompidou en 1995 – tout en ouvrant de nouvelles perspectives d’étude sur cette filmographie nationale. Cela explique que la figure tutélaire de Theo Angelopoulos, dont l’œuvre est mieux connue, soit relativement discrète, ou du moins reléguée au rang de comparaison. De cette recherche de renouveau émane aussi le caractère polyphonique, voire les discordances méthodologiques assumées par les concepteurs de l’ouvrage. Pourtant, à la lecture des quatre parties (approches / histoires / identités / esthétiques) de Greek Cinema, l’éclatement ne paraît pas total et le livre semble permettre, a contrario, d’outrepasser certaines discontinuités historiographiques traditionnelles du cinéma grec.

2L’ouvrage s’organise d’abord autour d’un premier temps fort contemporain, quelque peu inattendu, cristallisé par le succès international de Kinodontas (Canine, Yorgos Lanthimos, 2009) et par un film acclamé en Grèce que tout sépare du précédent, Politiki kouzina (Un ciel épicé, Tasos Boulmetis, 2003). Alors que le premier, huis-clos primé dans des festivals internationaux et longuement analysé par Sight and Sound, dissone avec les représentations convenues de la grécité, le second, puisant ses ressources dans l’attachement mémoriel au passé grec d’Istanbul, propose un voyage en flash-back, que Dimitris Elefteriotis confronte au Regard d’Ulysse (to Vlemma tou Odyssea, Theo Angelopoulos, 1995) pour souligner l’enfermement d’un cinéma jusqu’alors confiné dans ses frontières nationales. Rompant avec une production grecque sans débouchés intérieurs au point de n’être souvent pas distribuée, cette coproduction inédite avec la Turquie se trouve aussi, avec d’autres succès commerciaux inattendus du blockbuster national d’après 1995 (tels que Nyfes [les Mariées, Pantelis Voulgaris, 2004]) et El Greco [Yannis Smaragdis, 2006]), au cœur du questionnement de Michalis Kokonis. L’histoire de l’industrie du cinéma grec et de son effondrement à la suite de la dictature des colonels se laisse ici saisir par l’aval. Kokonis montre d’abord comment l’audience de ces quelques films-événement dépasse le clivage institué au cours de la période 1967-1974, opposant ce qui est communément caractérisé comme « l’ancien cinéma grec » des années 1950-1960 – socialement conservateur, dont l’aura se prolonge jusqu’à aujourd’hui grâce à la télévision – au « nouveau cinéma » de nature auteuriste qui, sans constituer d’école, a été, à l’instar de l’œuvre d’Angelopoulos lui-même, négligé par le grand public hellénique au point de faire quasiment disparaître des écrans des cinéastes tels que le chypriote Michalis Cacoyannis ou Nikos Koundouros. Kokonis dresse ensuite un large panorama du marché de l’audiovisuel grec des vingt dernières années, attentif aux évolutions différées des pratiques culturelles, pour finalement interroger à travers les rares succès précités, la capacité d’adaptation du cinéma hellénique aux technologies du 3D.

3Ce prisme économique trouve un prolongement dans l’étude menée par Gary Needham où sont esquissés les tenants et aboutissants de la réception internationale, et plus spécialement britannique, des films grecs. Needham ne s’arrête pas au constat de leur marginalisation culturelle sur le marché international. Passant au crible la diffusion de la production en versions sous-titrées et doublées (cassettes vidéo pour la période 1979-1984, DVD pour 2008-2010), il construit un contre-panthéon des films vus, ou possiblement visibles, par les publics non-hellénophones. Les représentations véhiculées hors de Grèce s’avèrent profondément ambivalentes d’après les données récoltées, laissant entrevoir un tableau dual oscillant entre les ressources de la culture classique (Antigone de Georges Tzavellas (1961), Électre (1962) et Iphigénie (1977) de Cacoyannis) et celles de la pornographie, dont se démarquent toutefois trois œuvres, parmi les mieux vendues sur internet – Jamais le dimanche (Pote tin Kyriaki, Jules Dassin, 1960), Zorba et Stella (tous deux signés par Cacoyannis en 1964 et 1955 respectivement) – qui confirment, sans surprise pour deux d’entre elles, Melina Mercouri comme icône cinématographique du pays.

4Auteur d’une thèse sur les relations de genre dans le cinéma grec (1950-1967) soutenue à l’Institut européen de Florence, Achilleas Hadjikyriakou envisage ce dernier film de Cacoyannis sous l’angle de « la représentation et [de] la réception d’une anomalie patriarcale » au point de l’interpréter comme une renégociation des sphères du féminin et du masculin après la fin de la guerre civile (1949). La subversion de Stella ne résiderait pas dans une modernité importée mais bien dans un processus interne à la société grecque selon Hadjikyriakou, combattu, au nom de ses dangers sociaux et moraux présumés, par la presse communiste à la sortie du film, qui en dénonça l’orientalisme et le caractère criminogène. Dans cette étude comme dans la tentative de réhabilitation du cinéaste méconnu Takis Kanellopoulos, menée par Panagiota Mini, et l’analyse de quelques comédies musicales, poursuivie par Lydia Papadimitriou au sein de Greek Cinema, les jalons d’une histoire visuelle de la Grèce des années 1940-1960 sont posés avec acuité sans isoler pour autant l’espace cinématographique grec. Alors que Papadimitriou réintroduit le paramètre hollywoodien, Mini, par ailleurs spécialiste de Poudovkine, insiste sur les influences des filmographies bulgare, polonaise et soviétique sur Ouranos (Ciel, 1962) premier film, profondément pacifiste et antimilitariste, de Kanellopoulos.

5D’analyse en analyse, les pistes ouvertes pour les milieux du XXe siècle partagent avec les études consacrées à la période du muet – d’habitude négligée par l’historiographie comme en témoigne Eliza Anna Delveroudi dans ce même numéro de 1895, à la suite de son article dans Greek Cinema un questionnement sur le façonnement de la culture hellénique face à l’avènement d’un média d’importation. L’évaluation de l’impact d’une culture de masse étrangère sur la société grecque des premières décennies du XXe siècle amène, d’une part, Vassiliki Tsitsopoulou à percevoir la distribution cinématographique comme le moteur d’un impérialisme culturel occidental au prisme du périodique corporatiste Kinimatografikos astir (soit l’Étoile cinématographique) créé en 1924. Yiannis Christofides et Melissanthi Saliba suggèrent, d’autre part, dans leur essai sur les cinémas de plein air athéniens des années 1910 aux débuts des années 1930, la nature contradictoire des expériences vécues par les spectateurs de la capitale entre fantasmes urbains et projections ruralistes. Cependant, leur chapitre n’aboutit pas à une indexation systématique des espaces de projection ni à une ébauche de typologie. Alors que les pratiques cinématographiques apparaissent plus globalement comme les grandes oubliées de l’ouvrage, cet ensemble de contributions oblitère l’étude des expressions nationales de la cinéphilie qui aurait pourtant pu constituer un terrain de prédilection pour cerner l’hybridation des identités.

6C’est probablement en termes de périodisation que Greek Cinema fait le plus explicitement état d’un renouvellement de l’écriture de l’histoire du cinéma grec depuis les premiers temps. Évaluant la contribution hellénique « en quête de reconnaissance universitaire » à l’histoire du cinéma muet, Delveroudi dénonce les a priori causés par le lieu commun de l’impossible mise en place d’une industrie du film viable avant la Seconde Guerre mondiale qui justifiait jusqu’alors, dans l’historiographie, la ligne infranchissable entre la filmographie d’avant 1945 et le cinéma national de l’après-guerre. Selon elle, certains pionniers (Joseph Hepp, Orestis Laskos, Mavrikios Novak, Kostas et Michalis Gaziadis), qui continuent justement de travailler durant les années 1940 et 1950, pourraient possiblement avoir transmis un savoir-faire à la jeune génération, preuve potentielle d’une filiation entre les deux périodes que Maria A. Stassinopoulou entreprend également de démontrer. Refusant le récit historiographique convenu du cinéma grec marqué de longues interruptions, d’inévitables défaites et de courts moments d’incroyable succès, Stassinopoulou abat les cloisons pour entreprendre l’étude de continuités sur quatre décennies, si bien que le cinéma, réinscrit dans une analyse non déterministe de la modernisation du pays de la dictature de Metaxas à la junte des colonels, trouve enfin sa place comme acteur à part entière de l’histoire sociale et culturelle grecque.

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Pour citer cet article

Référence papier

Mélisande Leventopoulos, « Lydia Papadimitriou, Yannis Tzioumakis (dir.), Greek Cinema : Texts, Histories, Identities »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 69 | 2013, 192-194.

Référence électronique

Mélisande Leventopoulos, « Lydia Papadimitriou, Yannis Tzioumakis (dir.), Greek Cinema : Texts, Histories, Identities »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 69 | 2013, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/4640 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.4640

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Mélisande Leventopoulos

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