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Chroniques
Festivals, rétrospectives, colloques

Rétrospective Rossellini à Montpellier (Festival international du cinéma méditerranéen, octobre 2012)

François Amy de la Bretèque
p. 153-155

Texte intégral

1Le Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier (dit « Cinéméd ») atteignait en novembre dernier sa trente-quatrième année d’existence. Il a conquis désormais sa place dans le paysage des festivals français avec 82 000 spectateurs déclarés cette année. Bien que cette manifestation soit consacrée principalement à l’actualité des cinématographies des pays du pourtour de la Méditerranée, elle n’a jamais négligé de proposer aussi un volet « rétrospective ». Cette année, c’est à Roberto Rossellini que les organisateurs ont rendu hommage avec une sélection abondante, à défaut d’être exhaustive : dix-huit films couvrant l’ensemble de sa carrière. Il n’y avait pas d’échéance particulière dans le calendrier des commémorations. Le centenaire était en 2006 : Le Cinema Ritrovato de Bologne l’avait célébré avec la projection de cinq films retrouvés ou restaurés. La Cinémathèque française avait programmé la même année les cinquante films accessibles du réalisateur. Pour autant, les films de Rossellini ne sont pas souvent sur les écrans. Cinéméd lui-même était jusqu’ici passé à travers l’hommage au cinéaste romain si l’on excepte les classiques de la période néoréaliste projetés dans des éditions antérieures et la présentation en 2007 de Centre Pompidou (1977), sa dernière réalisation, en présence de Jacques Grandclaude, son producteur.

2La rétrospective de cette année a été conçue en accord avec le fils du cinéaste, Renzo, et montrée en sa présence. Sa fréquentation a été un vrai succès. Renzo fut l’assistant de son père à partir de General della Rovere (1959) et, comme il l’a exposé au public lors d’une master class qu’il anima, il se considère comme son héritier spirituel. À ce titre, il a entrepris de réaliser l’encyclopédie de l’histoire humaine voulue par son père par le biais de la « Fondazione Roberto Rossellini per lo sviluppo del pensiero enciclopedico » qu’il préside avec Adriano Aprà. Cette fondation se propose d’abord de réaliser les projets inaboutis de Rossellini : on sait que celui-ci avait dès 1965 établi un plan général regroupant tous ses films déjà faits ou à faire, ces derniers au nombre prévu de vingt-cinq dont il parvint à tourner seulement dix avant sa mort. Renzo a présenté une base de données considérable en cours de constitution qui contiendra tous les films et tous les documents préparatoires. Mais le projet de la Fondation va bien au-delà et vise à concrétiser le rêve didactique de Rossellini. Elle propose des manifestations multimédia associant spectacles vivants, extraits de films, conférences sur l’histoire, expositions, ateliers (par exemple sur le thème « Roberto Rossellini cantastorie », conteur d’histoires).

3Sur la base de données qui a été présentée, les films ont été reclassés en suivant l’ordre de l’histoire humaine. Elle commence donc avec la Lutte de l’homme pour sa survie (1967-1969) et s’achèverait avec Beaubourg, centre d’art et de culture Georges Pompidou (1977), chacun des films trouvant sa place en fonction de l’ancrage de l’action qu’il représente et non de sa date de réalisation ou de sortie. Il s’agit, on le voit, d’une conception hyper-auteuriste supposant qu’un concept a présidé à toute la réalisation de l’œuvre, tel Balzac projetant à l’avance les cinquante volumes de la Condition humaine. Alors que, bien évidemment, le projet de Rossellini n’a pris corps qu’à une certaine date et progressivement.

4Une telle présentation peut paraître curieuse et heurter les convictions épistémologiques des historiens du cinéma. Cependant, elle présente un mérite : elle contraint à rompre avec le plat déroulement de la chronologie de l’œuvre et, conséquemment, avec la périodisation académique d’usage quand il s’agit de Rossellini : période d’apprentissage sous le fascisme, trilogie néoréaliste, tournant vers la « modernité », conversion à la télévision. Ainsi envisagée, la rétrospective invitait à remettre en question la double doxa qui fait de Rossellini le « père du néoréalisme » et le « père du cinéma moderne ». C’est ce que souhaitaient Renzo et les organisateurs.

5Si l’on étale les films de Rossellini en suivant cette chronologie de l’histoire générale, des points de cristallisation apparaissent. Ses films marquent une prédilection pour les moments de mutation : l’invention de la métallurgie, les débuts du christianisme, la révolution franciscaine, la Renaissance dans le cités-États italiens, les débuts de la monarchie absolue, le Risorgimento, la Deuxième Guerre mondiale et ses conséquences. On constate un intérêt pour la longue durée sur le fond de laquelle s’inscrivent les révolutions de la pensée humaine qui viennent de loin. Curieusement, Rossellini se transforme presque en un adepte de l’École des Annales. Mais il accorde néanmoins un certain pouvoir à des êtres singuliers, prophétiques. Roberto Rossellini, a dit Renzo, se voulait « hérétique ». Ses personnages sont presque tous en rupture avec la pensée dominante.

6Sur cette trame, des blancs apparaissent : il n’a jamais traité de la Première Guerre mondiale, par exemple. Une lacune est particulièrement criante, celle de la période fasciste à laquelle il n’a consacré aucun film. Cette observation réactive le débat sur la position du cinéaste par rapport au régime sous lequel il a fait ses premières armes.

7Cinéméd a présenté deux des trois films de cette période : La Nave bianca (1941) et L’Uomo della Croce (1943). Nul doute, à les revoir, qu’il s’agissait de films de propagande, nul doute non plus que le cinéaste y essayait de nouvelles manières de filmer le combattant de base.

8Rossellini a-t-il complètement contourné le sujet du fascisme ? En fait, non, comme on pouvait s’en convaincre en revoyant plusieurs des films réputés « secondaires ». Dans les dix films réalisés entre 1947 et 1954, qui tous dépeignent l’Europe désolée de l’après-guerre et celle à nouveau prospère et amnésique de la reconstruction, fascisme et nazisme restent un arrière-plan toujours présent qui ronge la conscience morale de la société. Il y a de périodiques retours de ce refoulé. Dans la Machine à tuer les méchants (1952), le premier habitant du village éliminé par l’appareil photographique magique est un ancien fasciste qui meurt avec le bras dressé dans le salut mussolinien. Le héros de Où est la liberté ?… (1954) a passé les vingt-deux ans du fascisme et de la guerre en prison, transparente (et involontaire ?) allégorie du désengagement rossellinien ; mais quand il retrouve sa femme et sa famille, il découvre qu’elle s’est installée dans l’appartement d’un Juif spolié qui a survécu à Auschwitz. (Ces deux films ont constitué deux redécouvertes du festival). L’objet de cette notule n’est pas de développer ce propos mais on pourrait poursuivre la démonstration.

9Pour construire une rétrospective de ce genre, il fallait trouver les copies et si possible les copies les plus pertinentes. Cinéméd a dû composer en la matière entre l’idéal et la nécessité.

10Les supports de diffusion se répartissaient entre films sur pellicule, restaurés ou non, numérisés ou pas, et une diffusion en Beta SP (la Prise de pouvoir par Louis XIV provenant de l’INA). Conséquemment, la qualité des visionnements était très variable.

11Les plus belles copies proposées étaient les versions restaurées et numérisées par L’Immagine Ritrovata de Bologne : une bonne part du succès qu’a rencontré la Machine à tuer les méchants à Montpellier était due à la qualité de sa restauration numérique toute récente (2012). Revoir Voyage en Italie dans une copie de même provenance (et même date) était un cadeau incomparable. Le lissé de l’image, dont on aurait pu craindre qu’il nuise à la « modernité » du film, rendait au contraire justice à un aspect de son esthétique que les historiens ont eu tendance à négliger : sa finesse dans le rendu des matières (chromes, marbres, eau, terre) et dans la définition des paysages.

12De belle qualité étaient aussi les copies restaurées par Cineccità : l’Homme à la croix, Rome ville ouverte, Allemagne année zéro, Stromboli, Où est la liberté ?.. avaient été restaurés par Cineccità Estero pour le Festival de Cannes 1993, signe que l’Italie se soucie de soutenir la réputation de Rossellini à l’étranger. La Cineteca Nazionale avait envoyé des copies récemment et soigneusement restaurées de La Nave Bianca et d’Europe 51.

13Pour d’autres films, il a fallu se contenter de copies de distributeur. Il est à remarquer que ce sont souvent les films non italiens de Rossellini qui n’ont pas bénéficié des meilleures restaurations. Ainsi Amore, que nous avons vu quand même dans sa version italienne et pas dans la version française diffusée à l’époque, ce qui ne fut pas le cas pour la Peur, film qui fut tourné dans deux versions, allemande (il a été tourné à Munich) et anglaise mais dont le distributeur a fourni la version doublée en italien. Cette circonstance n’a pas empêché d’en faire une des grandes redécouvertes de cette rétrospective. Comme quoi le support n’est pas tout.

14On n’en dira pas autant de la version envoyée par la Cinémathèque française de India, Matri Buhmi (1957-1958) et de celle de la Cinémathèque Gaumont du Messie (1975). Pour le premier film, on sait que la question des versions est complexe. Outre les deux séries de dix épisodes tournées en 16 mm pour la RAI et pour l’ORTF, le long métrage cinéma, tourné en 35 et en Ferraniacolor avec des fragments en 16, existe en deux versions, une italienne avec le commentaire de Vicenzo Talarico, et une française, avec celui de Jean Lhote (selon le générique, car les filmographies ne donnent pas cette précision). C’est la seconde que nous avons vue. À en juger par celle-ci, le film a quelque peu usurpé sa réputation. Outre la couleur qui était virée tout au long – mais c’est une version non restaurée –, le commentaire se trouve projeté au premier plan sonore et devient envahissant d’autant plus qu’il est rempli de bons mots et de plaisanteries qui ont mal vieilli. Il me semble que la version italienne naguère vue à Bologne n’avait pas ces défauts. On nous a été expliqué que la copie de la CF provenait d’un exemplaire donné par Rossellini à Langlois, que celui-ci avait confiée au peintre Severini, puis perdue : ce que nous pouvons voir serait donc un contretype. Quant au Messie, il souffrait des mêmes travers. Or il avait été tourné en trois versions : anglaise (celle d’abord voulue par le producteur), italienne, puis française, l’adaptation de celle-ci étant signée Jean Gruault. Cette signature ne présentait pas la garantie qu’on aurait pu croire. Le commentaire est conventionnel et ampoulé. Dans les deux cas, le spectateur était contraint de faire un effort pour capter, derrière ces défauts peut-être conjecturels, les qualités d’œuvres réputées mais devenues paradoxalement difficiles à voir d’un réalisateur parmi les plus célèbres de l’histoire du cinéma.

Grâce soit donc rendue au festival de Montpellier d’avoir fourni l’occasion d’une réévaluation de l’entreprise ambitieuse et de l’œuvre de cet homme complexe.

15(On peut consulter pour plus de détails le site http://www.robertorossellinifoundation.org /. La Fondation Rossellini a traversé une crise en février 2012 dont nous ne savons pas comment elle est sortie.)

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Pour citer cet article

Référence papier

François Amy de la Bretèque, « Rétrospective Rossellini à Montpellier (Festival international du cinéma méditerranéen, octobre 2012) »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 69 | 2013, 153-155.

Référence électronique

François Amy de la Bretèque, « Rétrospective Rossellini à Montpellier (Festival international du cinéma méditerranéen, octobre 2012) »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 69 | 2013, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/4619 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.4619

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François Amy de la Bretèque

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