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De la Terre à la Lune

Dossier about film preservation and A Trip to the Moon by George Méliès
François Albera, Laurent Le Forestier et Benoît Turquety
p. 95-135

Résumés

La récente restauration du Voyage dans la Lune de Georges Méliès (1902) a suscité une série de discussions, commentaires et controverses dans le milieu des archives cinématographiques, des chercheurs en histoire du cinéma et plus largement dans le public. À partir de ce cas particulier, des questions plus générales se posent autour du statut de tels films à la fois comme biens culturels et comme objets physiques appartenant au patrimoine. Un texte de deux spécialistes de Méliès, de l’archive détentrice de la copie-source, conduisent à poser d’autres questions en amont : le Voyage dans la Lune a-t-il fait l’objet d’une « invention » comme chef-d’œuvre majeur de son auteur, Méliès et quand ? On doit remonter pour cela au gala Méliès de 1929, à la correspondance de Méliès au sujet de ce film en 1937, et s’interroger sur les philosophies de la conservation qui ont prévalu entre temps (propos d’Henri Langlois de 1962).

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Texte intégral

1Ce dossier « Archives » est de nature un peu particulière. En résonance avec le « Point de vue » de Paolo Cherchi Usai de ce numéro, il revient sur les questions qui se posent violemment aujourd’hui aux archivistes, aux conservateurs, aux collectionneurs et aux chercheurs – le public étant lui convoqué à une autre place – liées aux nouvelles conditions de reproduction-conservation-restauration des films dues à la généralisation des technologies liées au numérique. Il le fait à partir d’un cas particulier sur lequel se croisent l’ensemble de ces questions générales produisant un effet de loupe : en effet, la réédition du Voyage dans la Lune (1902) de Georges Méliès a déclenché des discussions, ouvert un débat. Mais il le fait dans le dessein d’amorcer une réflexion d’ordre épistémologique sur ces questions avec l’espoir de susciter des réactions, réponses, propositions de la part des intéressés.

2Cent dix ans après, ce petit film a généré émissions de radio et de télévision, projections dans des festivals et des musées (Cannes aussi bien que Pordenone, le MoMA ou le Festival du film d’Abu Dhabi), DVD, numéros spéciaux de revues, dossiers et même – signe de vitalité – : polémiques. Car on a beau faire, multiplier les garde-fous, ériger des périodisations, marquer des césures, évoquer des tournants voire des révolutions, la période dite – depuis les années 1970 – « des premiers temps » du cinéma ne cesse de faire retour dans les débats actuels ; elle le fait même de plus en plus pour les chercheurs qui y trouvent matière à réfléchir à des phénomènes actuels (voir dans notre n° 66 « Game Story, une histoire du jeu vidéo ») comme pour les spectateurs « ordinaires » qui appréhendent les films de multiples façons et se les approprient tout autrement que selon le « canon » qu’on avait fait prévaloir. C’est que, décidément, nombre des problèmes auxquels se confronte de nos jours le cinéma s’y posaient : les distinctions légitimantes à la Canudo, les ontologies, les classements n’y peuvent rien ! Cette époque du cinéma nous parle, nous intéresse, nous fascine. Le cinéma y est hybride, transgenre, médium autant que média, dispositif social (voir « Le paradigme cinématographique » dans le même n° 66).

3Le texte que nous ont adressé Roland Cosandey et Jacques Malthête l’an dernier – trop tard pour prendre place dans le n° 67 de la revue – à propos de cette réédition du Voyage dans la Lune engage toute une série de questions. Serge Bromberg (Lobster) et Béatrice de Pastre (AFF) ont répondu dans le Journal of Film Preservation, organe de la FIAF, sur le cas particulier. Nous n’ajouterons rien à ces échanges mais nous avons choisi d’aborder deux ensembles de problèmes liés entre eux et liés à cette circonstance qu’ils éclairent : a) ceux de la « construction » du Voyage dans la Lune de Méliès comme chef-d’œuvre de son auteur, sommet du patrimoine du cinéma des premiers temps, qui culmine avec cette édition DVD et que sanctifie un récent numéro de l’Avant-Scène ; b) ceux de la conservation du patrimoine filmique d’une part et de sa restauration d’autre part que la manifestation de la Cinémathèque française de novembre dernier, « Toute la mémoire du monde », a mis en pleine lumière à la faveur d’une table ronde et de quelques conférences (nous y revenons dans la première partie de ce texte).

  • 1 Paolo Cherchi Usai, « The Lindgren Manifesto : The Film Curator of the Future », donné à la Ernst L (...)

4La position de Paolo Cherchi Usai, dans le « Point de vue » qui ouvre ce numéro comme dans ses interventions lors de « Toute la mémoire du monde », a le mérite d’une radicalité épistémologique. Il part en effet de cette hypothèse heuristique : « Le numérique est un médium en voie de disparition, et la migration est son cancer. Le numérique doit être préservé avant son effondrement. »1 De là, la nécessité de se placer dans la situation d’un « après le numérique », comme les évolutions technologiques et les décisions de divers « décideurs » nous placent dans un « après l’argentique » (pour la photographie on a parlé de la « parenthèse argentique »).

5C’est seulement au prix de ce renversement de perspective qu’une compréhension des réels problèmes des archives contemporaines peut avoir lieu. Non pas tant imaginer comment numériser les images mobiles argentiques pour les conserver, démarche qui n’a de validité qu’à court terme, que la manière de préserver à long terme à la fois les images argentiques et les images numériques, sous une forme qui permettrait leur expérience.

Une histoire de la catastrophe

6Pourquoi un conservateur refuse-t-il d’être enregistré ? Lorsque Paolo Cherchi Usai, conservateur en chef de la prestigieuse George Eastman House, s’installa pour donner sa conférence, « Le Lindgren Manifesto - 8e partie… », ce 30 novembre 2012 au matin, une caméra – numérique – trônait pourtant au milieu du public de la salle Georges Franju, avec son opérateur à ses côté. Sa présence inerte semblait n’avoir pour but que de mettre en scène le refus même de l’orateur – impression corrigée a posteriori par sa mise en route lors de la deuxième partie de la séance, une table ronde sur « Éthique et restauration », organisée par la FIAF et elle, dûment archivée.

7Le refus manifeste et confirmé de Cherchi Usai de se laisser filmer pendant sa conférence suscita remarques et étonnements ; il était de fait pleinement cohérent avec son propos même.

8Le co-fondateur des Giornate del Cinema Muto développait là le huitième point de son « Lindgren Manifesto », prononcé en 2010 lors d’un hommage au premier conservateur des archives cinématographiques nationales anglaises. Ce huitième des principes et aphorismes proposés au « film curator of the future » étant celui de l’obsolescence à venir du numérique.

9Pour Cherchi Usai la « culture numérique » s’inscrit dans un « millénarisme culturel ». Elle répugne à se représenter comme un phénomène historique qui prend place dans une succession de procédés dont elle ne serait qu’une étape ; elle se veut un achèvement destiné à exister de toute éternité, un accomplissement messianique universel.

10La question centrale développée par Cherchi Usai est donc d’imaginer ce qu’impliquerait la création d’une institution encore inexistante, une archive audiovisuelle à but non lucratif spécifiquement dédiée aux objets numériques – ce que seraient sa forme, ses contraintes, ses enjeux spécifiques. Les images numériques n’étant pas immatérielles, mais toujours déposées sur un support physique (disque dur, serveur, etc.), quoi qu’il advienne et quoi qu’on en dise, cette institution devrait bel et bien disposer de lieux concrets, et ne pourrait être « dématérialisée ». Elle devrait conserver les images, mais aussi leurs lieux et modes d’exhibition, leurs conditions de réception et de perception. Moniteurs, ordinateurs, tablettes tactiles, téléphones « intelligents », sont aujourd’hui des systèmes importants de monstration d’images ; leur viabilité commerciale et technique est pour le moins limitée : comment s’assurer que l’on puisse faire voir à des spectateurs de 2043 ou 2143 ce que les enfants d’aujourd’hui perçoivent concrètement avec ces machines ?

11Une archive numérique aurait en outre d’autres types de spécificités, pour d’autres types de raisons, engageant son objet même. Un premier problème serait celui de l’élaboration de sa « collection » – le terme employé ici par Cherchi Usai n’est pas neutre, son modèle étant sans doute d’abord muséal : on constitue la collection d’une archive de « films » comme on constitue celle d’un musée. La manière dont une archive numérique édifie son fonds ne peut être similaire à celle d’une archive traditionnelle, parce que les modes de circulation des objets en jeu ne sont pas les mêmes. Les collections des cinémathèques sont aujourd’hui fondées sur des copies oubliées par les producteurs, ou laissées là par indifférence au sort final des éléments, ou enfin par leur volonté de conserver leur œuvre – sans en payer la conservation ou le stockage. Ces raisons, selon Cherchi Usai, ne valent pas pour les copies numériques, à la fois pour des raisons techniques et – surtout – pour des raisons culturelles, sauf pour une proportion très limitée des producteurs, insuffisante pour qu’elle puisse servir de fondement aux historiens à venir. Comment alors s’assurer de constituer un fonds représentatif – et d’être ensuite en mesure de le conserver ?

12L’urgence à comprendre cette difficulté est liée à l’autre spécificité contemporaine de l’image en mouvement numérique : l’extraordinaire débit de sa production. Si l’on en intègre tous les modes, des documents sur téléphone portable aux films produits par Hollywood en « D-cinema » (cinéma digital – « né numérique »), la masse d’images en mouvement produite et même diffusée quotidiennement sur les réseaux divers est simplement vertigineuse – et de cette masse, précise Cherchi Usai, une proportion a été perdue, d’ores et déjà plus importante que pour toute la production argentique de l’histoire. La conclusion logique est le deuil nécessaire du principe selon lequel la tâche d’une archive serait de tout préserver. Un conservateur est obligé concrètement (financièrement, notamment) de faire des choix ; il doit l’assumer ouvertement et y engager sa responsabilité. C’est ici que Cherchi Usai retrouve une position proche de celle de Lindgren, dans le débat entre ce dernier et Henri Langlois.

13La contribution de Cherchi Usai est conçue clairement avant tout comme une prise de position dans le champ archivistique. Un énoncé comme celui qui précède constitue encore aujourd’hui une provocation pour le milieu professionnel. Ses conceptions sont fondées sur l’idée que la préservation doit se penser dans le très long terme. Dans ce cadre de réflexion par exemple, perdre un objet est le meilleur moyen de le préserver : tout le monde l’ayant oublié dans l’intervalle, il pourra être retrouvé un jour (et si l’on pense à suffisamment long terme, toutes les chances existent pour qu’il soit retrouvé) dans le meilleur état possible. Le travail d’un conservateur consisterait donc avant tout à dissimuler des choses, pour qu’elles soient retrouvées le plus tard possible. Cette tâche est, selon Cherchi Usai, particulièrement compliquée dans le cas du numérique pour deux raisons. D’abord, la culture numérique serait celle de la visibilité généralisée – idée que l’orateur n’a pas justifiée – rendant ardu de trouver des lieux où une image de ce type pourrait être efficacement cachée. Mais ensuite et surtout, la nature codée de l’image numérique implique que sa conservation suppose de garder avec le fichier les moyens de le décoder : logiciels, machines, supports – et / ou les moyens de faire migrer les données d’un fichier, d’un support, d’un codage à l’autre, sans pertes, et si possible de manière tout à fait imperceptible. Voilà qui met le conservateur à rude épreuve. Mais, rappelait Cherchi Usai, après tout une forme aussi volatile que la poésie orale est parvenue à se préserver jusqu’à nous : il s’agit donc de ne pas désespérer.

14À cette conférence fit suite une table ronde modérée par Christophe Dupin, administrateur actuel de la FIAF, à laquelle participaient, outre Cherchi Usai, Thomas Christensen (restaurateur au Danish Film Institute), Bryony Dixon (conservatrice en chef au British Film Institute), Gian Luca Farinelli (directeur de la Cineteca di Bologna), Laurent Mannoni (directeur scientifique du patrimoine à la Cinémathèque française), et Béatrice de Pastre (directrice des collections des Archives françaises du film). La thématique annoncée était « éthique et restauration », mais les problèmes évoqués débordèrent sur des questions connexes. Le contexte, rappelé par Dupin au début de la discussion, était d’abord celui de la controverse née de la restauration du Voyage dans la Lune, telle qu’elle apparaissait à travers les pages du Journal of Film Preservation, organe de la FIAF (voir le document 1 : Roland Cosandey et Jacques Malthête, « Ce que restaurer veut dire : le Voyage dans la Lune » et le document 3 : « La copie espagnole du Voyage dans la Lune : un objet à restituer »). Toutefois ce n’est pas sur le fond des questions éthiques posées par cette restauration que les débats portèrent, mais sur le rôle (ou l’absence de rôle) joué par la FIAF dans ce type de problèmes durant ces dernières années, depuis notamment la généralisation des méthodes de restauration numériques. La FIAF fut prise à partie d’emblée, notamment par Farinelli, pour n’avoir pas tenu, dans ce contexte de bouleversement des pratiques, son rôle d’instance de médiation et de réflexion, destiné à fournir un cadre global pour les nécessaires discussions à venir. Cherchi Usai fit ainsi remarquer que cette polémique dans le Journal of Film Preservation était la première du genre, et que, comme par hasard, elle pointait les pratiques d’une archive qui n’était pas membre de la FIAF (Lobster Films) – l’organisation semblant peu encline à provoquer des débats qui impliqueraient une remise en cause potentielle des pratiques de ses propres membres.

15Quel pourrait être le rôle de la FIAF dans ces circonstances ? Farinelli proposait d’abord que soit précisé et étendu, en fonction des possibilités nouvelles du numérique, le code de déontologie de l’association. Cette idée présuppose que les nouveaux outils pourraient entraîner une transformation même de la conception des objets et de la nature du travail. Il est possible que, d’une certaine façon, ce soit vrai : l’ampleur nouvelle des possibilités de reconstruction, rectification, « rajeunissement », peut avoir affecté la nature même des questions… Pourquoi laisser des poussières, rayures, traces d’âge sur un film, lorsqu’on pourrait les ôter ? Pourquoi devrait-on envisager de faire moins, lorsque l’on peut faire plus ? Pourtant, il reste difficile d’imaginer que les principes fondamentaux de la restauration d’œuvres, les problèmes et enjeux, ne soient pas profondément les mêmes…

16Mais, plutôt que sur les questions de base, c’est sur les moyens concrets de leur application que la discussion parut la plus fertile – moyens pour lesquels la FIAF pourrait produire des éléments décisifs. Deux idées notamment furent introduites, correspondant à des besoins des restaurateurs. Mannoni demanda d’abord que fût créé un répertoire historique des techniques cinématographiques, permettant de donner aux restaurateurs un cadre de référence d’ensemble par lequel chaque production filmique pourrait être replacée dans son contexte technique. Ainsi, un film pourrait être restauré en fonction du type de rendu engagé par le procédé dans lequel il fut conçu et réalisé. C’est aussi la méconnaissance de cette histoire matérielle du cinéma qui entraîne des restaurations entièrement dégagées du contexte visuel d’origine : qualité sonore anachronique, matière visuelle sans rapport avec les procédés employés, etc. La FIAF, dont Mannoni rappela qu’elle produisit jadis des documents de référence de ce type, pourrait être le lieu de réflexion en vue d’élaborer un tel instrument, monumental a priori, et réalisable seulement sur une base internationale.

17La seconde demande, adressée plus explicitement encore à la FIAF, déclencha une approbation unanime voire enthousiaste parmi les participants, et une surprise assez marquée dans le public, étonné qu’une telle chose n’existât pas encore. Il s’agit de créer un système commun de documentation des objets et des restaurations, prenant modèle sur la pratique du « dossier d’œuvres », usage muséal commun dans les autres arts. Un dossier documentaire serait établi décrivant la copie considérée, son état, son histoire, son identité dans une archive donnée. Ce dossier conserverait la trace de chacune des actions de restauration, de telle manière que tout restaurateur futur éventuel du même film, tout historien de cette œuvre ou de cette archive, pût avoir la connaissance la plus précise des autres copies du film existantes, mais aussi des procédés de restauration qui auront été appliqués sur l’élément original et sur l’élément mis en circulation par telle archive. C’est là clairement le seul moyen pour qu’une histoire des restaurations puisse s’établir, et que la réflexion éthique puisse s’incarner concrètement dans des choix conscients et surtout réversibles, condition cruciale d’une déontologie réelle de la pratique restauratrice. Qu’une telle pratique, inscrite dans beaucoup de manuels de la profession, pût ne pas être la norme d’une association telle que la FIAF, institution qui se donne pour l’une de ses tâches principales précisément la réflexion déontologique, choqua manifestement nombre de spectateurs.

18Ainsi, cette table ronde fut le moment non pas tant d’une réflexion générale sur les liens entre éthique et restauration, que de l’expression d’une urgence, dans laquelle la FIAF, modératrice initiale du débat, se trouva directement prise à parti par quelques-uns de ses membres les plus éminents et fondateurs. Le caractère concret des demandes exprimées laisse espérer qu’elles ne restent pas lettre morte, engageant les restaurateurs non pas au niveau abstrait de leur éthique professionnelle, mais bien dans leurs manières de faire les plus matérielles. Farinelli rappelait en ouverture que la conservation reste la question essentielle pour l’archiviste, et que l’activité de restauration comportait inévitablement une dimension catastrophique. L’éthique consisterait alors à établir les conditions de possibilité d’une histoire de la catastrophe – histoire nécessaire, car elle est celle de la monstration des films comme événement, celle de l’expérience visuelle concrète des spectateurs de cinéma.

Conserver, sauvegarder, dupliquer, restaurer

19La restauration est à la mode, pas de réédition d’un film sur DVD sans restauration, pas de restauration sans dramatisation de l’état des sources à disposition : pellicule en voie de décomposition (support ou émulsion), négatifs endommagés, positifs en mauvais état, rayures, son inaudible… On a déjà commenté cette dramaturgie promotionnelle qui se complique d’une sûreté de diagnostic et surtout d’une assurance dans les interventions réparatrices et pour dire mieux transformatrices (voir « Restaurez, restaurez, il en restera toujours quelque chose… », 1895, n° 40, 2003). « Toute la mémoire du monde » n’était-il pas sous-titré : « Festival international du film restauré » ? Mais situons-nous au-delà de la pertinence ou de l’abus des restaurations, questions dont on a bien pu comprendre depuis quelques décennies qu’elle relevait de choix, de goûts, de normes, toutes catégories changeantes et donc susceptibles de générer régulièrement des restaurations nouvelles, différentes, le plus souvent des mêmes titres : couleurs plus vives ou au contraire plus discrètes, son multipiste ou au contraire mono, réécriture « neutre » des cartons ou au contraire restitution d’un style d’époque, etc., etc. On y reviendra sur le cas du Voyage dans la Lune.

Il convient en effet de dissocier la chaîne qui se présente comme insécable des quatre opérations énumérées ci-dessus (sous-titre).

20Parce que le cinéma est un « multiple », on a longtemps considéré que conserver c’était recopier, établir un nouveau tirage d’un titre, d’un document (c’est-à-dire une copie). Aujourd’hui que la copie s’opère au prix d’un transcodage d’un système à un autre (analogique / numérique), le transfert d’un support sur un autre (pellicule argentique / disque), voire la mémorisation du seul code sur un disque dur ou une clé USB, la séparation de nature entre la source et sa copie s’est aggravée. Elle permet cependant de voir qu’à un degré moindre ou divers (étant donné la continuité de substance entre les supports) il en a toujours été ainsi : qui prétendra qu’on pouvait tirer en 1929 un nouveau positif d’un négatif de 1902 « à l’identique » alors que les pellicules et les procédures de tirage avaient changé ? A fortiori lors d’un tirage actuel. La conscience que toute « copie » est un objet singulier (sinon unique) est donc apparue et l’importance pour les archives de conserver les objets qu’elles collectionnent aussi longtemps que possible s’est faite jour. Est-elle admise depuis lors ? Non puisque des archives ont détruit les copies nitrate après report safety avec bonne conscience et régularité et que le service des poudres et explosifs allemand, relayé par un expert des Archives fédérales, Egbert Koppe, a même intimé l’an dernier aux archives cinématographiques de ce pays de détruire toutes les copies après transfert ou numérisation. Martin Koerber, conservateur à la Deutsche Kinemathek de Berlin a protesté dans Der Spiegel (10 février 2012) sans que cette question ne soulève le vaste débat public qu’il aurait dû soulever : peut-on assimiler des biens culturels à des explosifs ? Peut-on se cacher derrière l’impossible transfert sur acétate des stocks de films concernés et leur numérisation tout aussi impossible à effectuer – et en outre « utile » à court terme ? Qu’ont dit à ce propos la FIAF, l’Unesco ?

21Précisément, en août 1984, le Courrier de l’Unesco (dont le rédacteur en chef était alors Édouard Glissant) consacrait un numéro entier à la question qui nous occupe sous le titre « Éternel cinéma ». Les intervenants étaient pour une part des conservateurs d’archives de films de la deuxième génération, aujourd’hui disparus ou plus en fonction (Borde, Buache, Daudelin, Schmitt, Edmonson entre autres, à l’exception de Vladimir Dmitriev du Gosfilmofond toujours à son poste).

22Qu’est-ce qui frappe à la lecture de ce numéro ? D’une part la permanence des questions et des réponses et la même confusion entre les différents aspects du problème (conserver / dupliquer / montrer), les mêmes illusions sur les « nouvelles technologies ». D’autre part la place marginale qu’occupe alors la question de la restauration des films. La couverture du magazine présente bien la confrontation (avant / après) d’une photographie devenue invisible de Fox Talbot et de sa résurrection par « activation neutronique » faisant réapparaître la nature morte d’une table de petit déjeuner dressée, et l’on exalte bien, sur trois pages, la reconstitution du Napoléon de Gance, mais on parle de reconstruction et non de restauration.

23Les problèmes dominants concernant le cinéma sont alors ceux de la disparition du patrimoine des années 1910 à 1930, les dangers qui guettent le patrimoine des pays pauvres (ou émergents : Afrique, Inde…), les difficultés de conservation des films collectionnés par les archives, les problèmes d’accès aux films pour les chercheurs (ayants droit).

24Ray Edmonson (des Archives du film d’Australie) traite, avec Henning Schou, de la question du film nitrate et en voit la résolution dans la seule duplication sur pellicule safety : tout film nitrate étant promis à l’auto-destruction, « le seul moyen d’en préserver les images (et le son) est d’en tirer des contretypes sur les nouveaux supports ininflammables qui ont une espérance de vie de plusieurs siècles [sic] » (p. 11). Mais il convient aussi qu’il faut faire des choix, qu’on ne pourra pas tout sauver.

25C’est pourquoi les nouvelles technologies paraissent déjà offrir une issue à cette situation. Ces dernières qui se développent dans le domaine de la production (en particulier la télévision) tant au plan de la diffusion des films que des réalisations proprement télévisuelles se voient sollicitées comme des moyens de résoudre les problèmes de conservation des films, de stockage (place) et de consultation. Dans un long article, Kerns H. Powers, vice-président pour la recherche en communications des laboratoires de la Radio Corporation of America au Centre de recherches David Sarnoff à Princeton (New Jersey), et président d’un groupe de travail sur les technologies du futur de la Society of Motion Picture and Television Engineers, présente « L’électronique au secours du cinéma ». L’article offre l’exemple même de la confusion des différents aspects qu’il s’agirait au contraire de distinguer : le transfert sur vidéo du patrimoine cinématographique entrepris dans le cadre de ses programmes par la télévision commerciale, la diffusion à domicile du cinéma (abonnement, câble, vidéocassettes, vidéodisques, télédiffusion) et la naissance d’une nouvelle industrie afférente, celle des laboratoires de transfert de films. L’anarchie régnant dans le secteur aboutit, l’auteur en convient, à des différences de qualité importantes d’une copie à l’autre, des colorimétries disparates, une moindre définition, des problèmes de vitesses, de cadrage et en fin de compte une moindre qualité par rapport aux matrices ou aux copies commerciales des films. Néanmoins M. Powers a foi dans les progrès les plus récents (télévision à haute définition et procédé numérique d’enregistrement) qui « laissent espérer qu’on finira par trouver une solution à ce problème » et produire des signaux numériques « d’une qualité d’image comparable à celle des films 35 mm », ce qui exigera « une capacité de codage et d’enregistrement de plus d’un milliard de bits par seconde, ce qui n’est pas encore techniquement réalisable » (p. 13). Les techniques électroniques lui paraissent donc susceptibles de produire à brève échéance des « matrices dont on sait que toutes les copies qui en seront tirées sur n’importe quel support – pellicule ou bande vidéo – seront absolument conformes à l’original. Ce procédé vidéo numérique permet en effet de tirer de multiples copies […] avec une fidélité totale en ce qui concerne la couleur, le contraste, la brillance et l’équilibre de l’image. Archivée sur vidéobande, cette matrice numérique peut se conserver aussi longtemps que les bandes d’ordinateur tout en étant beaucoup moins exposées aux risques de démagnétisation et de surimpression que les supports analogiques équivalents.

26D’ores et déjà on attribue aux disques optiques et vidéo à enregistrement numérique une espérance de vie encore plus longue et peut-être une économie d’encombrement (bits par mètre cubique) plus avantageuse que celle des bandes vidéo » [nous soulignons].

27« L’archivage électronique » constitue ainsi pour lui une « panacée » dont les obstacles sont moins d’ordre technologique que de « normes universelles » (vitesses, formats), une « standardisation » qui pourrait même avoir « un effet rétroactif grâce à la mise au point de normes de conversion pour les films et vidéobandes disponibles actuellement ».

28On voit bien à relire ces lignes combien les (possibles) capacités des nouvelles technologies en matière de son et d’image (vidéo puis numérique) en viennent à contaminer et dominer les problématiques de la conservation et de la reconstruction. La dimension instauratrice de la restauration (Cf. Recherches poïétiques n° 3, 1995-6, « Restaurer / Instaurer ») est patente, fût-elle drapée dans les oripeaux de remise en état, amélioration, etc.

Retour à Langlois ?

29Il n’est peut-être pas inutile, cinquante ans plus tard, de revenir à un entretien que Langlois donna à Michel Mardore et Éric Rohmer dans les Cahiers du cinéma (n° 135, septembre 1962) car il pose un ensemble de principes qui étaient déjà discutés à cette époque (en contradiction avec Lindgren) et dont on devrait admettre qu’ils continuent de l’être de nos jours, en particulier la question du choix que la nouvelle situation créée par la numérisation repose à nouveau. Cherchi Usai se réclamant de Lindgren fait le choix du choix au nom de la responsabilité et de l’engagement du « curator », sans pour autant mesurer, nous semble-t-il, combien ce principe, emprunté à l’histoire de l’art et à la muséologie, est gros de contradictions dans le secteur du cinéma où la dimension artistique n’a ni la même place, ni la même pérennité. Pour ne pas revenir à Feuillade – dont ni Delluc, ni Canudo, ni Moussinac n’auraient choisi de conserver les films –, on peut évoquer les déplacements de frontières entre artistique et non-artistique et, plus simplement, entre documents et œuvres, sans compter la reconnaissance de corpus voués à l’oubli ou au dédain comme le cinéma industriel, médical, pédagogique, etc. Langlois, étonnamment peut-être pour certains, paraît conscient de ces problèmes et semble quelque peu isolé au sein de la FIAF de l’époque. Il n’est pas moins en porte-à-faux d’ailleurs par rapport à ses interlocuteurs des Cahiers : Rohmer n’affirme-t-il pas dans son chapeau introductif que « ce sont les cinéphiles et eux seuls qui, malgré leur jeune âge, leurs partis pris, leurs snobismes, ont charge de prononcer ce “ jugement de la postérité ” devant quoi il n’est, pour ainsi dire, point d’appel »…

30Tactique ou non, sincère ou pas, le propos de Langlois prône la modestie, l’humilité et contraste avec les certitudes des experts passés et présents, bardés de certitudes pourtant vite caduques (Cf. M. Powers ci-dessus). Ceux qu’il appelle les Diafoirus.

31Là encore il ne s’agit pas tant de prendre Langlois – comme Cherchi Usai – au mot mais de mesurer la force heuristique que peut prendre l’énoncé d’un principe. Il peut être « irréalisable » (comme le dit Brecht cité par Jean-Luc Godard : « J’examine avec soin mon plan : il est irréalisable ») mais il a l’avantage d’obliger à poser d’autres questions que celles de l’aménagement du « réalisable ». D’autant plus que cet empirisme, ce pragmatisme se révèle le plus souvent l’envers complice de l’illusion technolâtre, c’est-à-dire de la foi du charbonnier dans le fait qu’« on va trouver un moyen ».

32Ne revenons pas sur l’illusion de la conservation par la numérisation : tous les spécialistes de l’informatique honnêtes conviennent que l’industrie concernée ne développe aucune recherche actuellement allant dans le sens de la pérennité des systèmes. Elle favorise au contraire les changements, améliorations, etc. continuels aux fins de reproduction élargie des profits nécessaires à l’augmentation de son capital (l’exemple, vécu par la plupart, des téléphones portables est là pour illustrer cette constatation qui s’étend à l’ensemble des appareils liés à l’informatique qu’ils soient destinés au plus grand nombre ou aux professionnels). Il est donc illusoire de croire que la facilité d’accès, la disponibilité, la légèreté, la maniabilité des supports informatiques – qui concernent la consultation des films numérisés – puisse développer comme naturellement un versant concernant le stockage et la conservation. C’est mentir que de le soutenir : si chacun convient qu’un disque DVD n’a guère plus de cinq années de vie devant lui, il faut savoir que les disques durs, les « mémoires » ne valent pas beaucoup mieux et que conserver des films sur ces supports reviendrait à les copier régulièrement sur d’autres machines, les transcoder à nouveau, etc., donc consacrer plus de temps, de personnel et de moyens (financiers et matériels) à la duplication « infinie » d’un corpus qu’à l’exploration, l’enrichissement des collections, etc., dans la mesure où l’accroissement des tâches tous azimuts ne peut être assumé par les institutions concernées ni leurs tutelles et sponsors. Un rapport très complet et très clair sur « l’impact du numérique sur les normes et les supports traditionnels de préservation » de Francine Gauthier, du Centre de conservation du Québec, disponible sur internet développe nombre de ces aspects de manière documentée et argumentée. (http://www.ccq.gouv.qc.ca/​fileadmin/​images/​img_centre-ress / impact_numerique. pdf)

Restauration à toute heure

33Si l’on hiérarchise les différentes opérations en distinguant la conservation de l’objet film, sa duplication, son report sur supports informatiques, sa mémorisation (temporaire), quid de la restauration dont l’outil informatique paraît uniment proposer des performances imbattables ?

34Les problèmes de la restauration ont été posés de différentes façons et là aussi, en peu de temps, des débats et des changements se sont opérés (Cf. Enno Patalas « répondant » aux critiques que lui ont portées Archimedia dans les années 2000 ou les débats au sein de ce programme pédagogique avec divers représentants d’archives cinématographiques – Dominique Païni, Claudine Kaufmann, Jean-Pierre Cot, Serge Bromberg notamment).

35On peut grosso modo distinguer la restauration matérielle d’un objet (nettoyage, bain propre à combler les rayures, raffermir les liens de l’émulsion et du support) de sa reconstruction aux fins de le « compléter » (parties manquantes, détériorées). Cette dernière démarche entre de plein fouet en contradiction avec la reconnaissance de chaque objet film comme un original ou un objet singulier. Si un film est incomplet il peut y avoir à cela des raisons contingentes (détérioration, dégradation, accident), mais il y a surtout des raisons qui intéressent l’historien : censure, modifications de distribution, variantes de production, d’auteur, etc. « Compléter » revient en l’occurrence à effacer ces particularités. Ainsi, que le Voyage dans la Lune américain fût amputé de deux tableaux est un fait : les spectateurs américains ont-ils vu ce film-là et non la version française « complète » ? Et pourquoi ? Conserver la copie incomplète a donc un intérêt et produire aujourd’hui des assemblages à partir de copies ayant toutes leur identité propre peut se discuter. À tout le moins devoir être annoncé comme tel et non « naturalisé » comme s’il s’agissait d’un « retour à l’origine », au film tel que l’avait voulu son « auteur » voire tel qu’il aurait voulu qu’il soit (argumentaire usuel des restaurations mises en vente commerciale).

36La logique cumulative et valorisant le plus et le plein prévaut manifestement dans la vision restauratrice, se prévaudrait-elle de « l’intention de l’auteur », et elle éloigne le spectateur d’un rapport tant soit peu juste de l’expérience qu’ont pu avoir des spectateurs du passé avec l’œuvre en question (voir « L’œuvre de Vigo à l’époque de sa reproduction numérique », 1895, n° 42, 2008).

37Georges Méliès n’a, lui-même, pas eu ces préventions et on peut parfaitement le comprendre : il n’était pas l’historien de ses œuvres, mais leur auteur et la présentation à Pleyel de quelques-unes de ses anciennes bandes – dont le Voyage dans la Lune – ne pouvait que l’inciter à en restituer l’état le plus proche de l’original ou du souvenir qu’il en avait conservé, ce qu’il s’efforce de faire en 1937 quand le MoMA lui offre une copie de la version américaine du film.

  • 2 Lettre de Georges Méliès à Carl Vincent, 11 février 1937, Turin, Museo nazionale del Cinema, fonds (...)

J’ai été convoqué hier au cinéma Marignan, Champs-Élysées, par la société de la Cinémathèque française. J’ai eu la surprise et le plaisir d’y voir projeter, pour la presse, un exemplaire tout neuf de mon vieux Voyage dans la Lune. On a retrouvé à New York le négatif de ce film et c’est la société Kodak de Rochester qui en a exécuté le positif. Or, ici, en France, on n’avait pu retrouver que des morceaux de ce film, en bien mauvais état d’ailleurs. […] Enfin, l’exemplaire du Voyage dans la Lune qui provient du musée de New York (possesseur du négatif) m’a été offert et est en ma possession, ce qui me permettra à l’occasion, de la faire participer à des séances de films2.

38D’autant plus que les circonstances de la diffusion du Voyage aux États-Unis participaient pour Méliès du « piratage » et de la production de ce qu’il appelait des « surcopies » ou « épreuves falsifiées ». Situation qui l’amena d’ailleurs à tourner désormais deux négatifs de ses films afin d’en assurer la distribution hors de France sans tarder – produisant par là un cas de double original gros d’éventuelles variantes :

  • 3 Madeleine Malthête-Méliès, Méliès l’enchanteur, Paris, Hachette, 1973, p. 270. Selon l’auteure, c’e (...)

Trois épreuves du film furent achetées par des commissionnaires qui les expédièrent de suite à trois grosses maisons américaines qui s’empressèrent de les contretyper. Le copyright pour les films n’existant pas encore, elles se mirent à inonder le monde d’épreuves falsifiées. C’est par milliers que ces surcopies furent expédiées dans les pays de l’univers3

Méliès suggère dès lors de tirer un contretype et une copie positive du premier tableau de sa propre copie et de procéder de même pour la partie manquante dans le film qui lui a été offert par le MoMA :

  • 4 Lettre de G. Méliès à C. Vincent, 24 février 1937, ibid.

Orly, le 24 février 1937
Cher Monsieur,
J’ai tardé quelque peu à vous répondre. Voici pourquoi : l’épreuve du « Voyage dans la Lune », neuve, que je possède est absolument complète, sauf le dernier tableau qui manque entièrement. D’autre part, l’épreuve que possède, à Paris, la Cinémathèque française, n’a pas le premier tableau et, dans le cours du film, il y a eu de nombreuses réparations ou suppressions qui le déparent fortement. Or, comme c’est un film muet et sans aucun sous-titre, il est nécessaire qu’il soit complet pour être suivi et compris sans difficulté. De plus, je ne désire pas le projeter incomplet comme les épreuves tronquées que j’ai vues par-ci par-là, depuis dix ans, et qui ne sont plus que de pauvres débris.
Je me suis donc adressé à la Cinémathèque, dont le conseil doit examiner la question, pour leur offrir un échange, c’est-à-dire qu’ils contretyperaient le premier tableau sur mon film et en tireraient une épreuve pour compléter le leur, et qu’ils en feraient autant du dernier tableau qui me manque et m’en remettraient une épreuve. Par la même occasion, ils pourraient aussi contretyper les parties disparues en cours de route dans leur épreuve. Nous aurions ainsi chacun un film complet. Je dois donc attendre leur décision à ce sujet4.

  • 5 Voir « Vingt-cinq ans de cinéma sous le signe de la jeunesse et de Cinémonde », Cinémonde, n° 454, (...)

39Ce double tirage sera réalisé quelques mois plus tard, et lors du gala de la Fédération internationale de la presse cinématographique (FIPRESCI) le 6 juillet 1937, on peut annoncer la projection de la version intégrale du Voyage dans la Lune5. L’attitude de Méliès s’explique aisément, nous l’avons vu. D’abord parce qu’il est le metteur en scène / éditeur du film et qu’il entend donc mettre en conformité les diverses versions du Voyage dans la Lune avec ce qu’il se souvient avoir été LE film. Ensuite, et surtout, parce que l’époque n’était bien évidemment pas encore à la prise en compte de la variabilité des copies. Bref, cette pratique s’ancre dans un hic et un nunc très précis et ne saurait donc servir de justification pour procéder aujourd’hui à un tel assemblage de copies (voire d’éléments exogènes) à des fins de restauration. D’ailleurs, personne ne revendique dans le cas présent un quelconque lignage avec la pratique méliésienne de recomposition du Voyage dans la Lune. Sans doute parce que ladite restauration relève plus simplement de deux autres logiques, dont notre dossier entend témoigner par la publication de quelques documents supplémentaires.

(Restaurer /) Conserver / Montrer6

  • 6 Référence, outre au livre de Dominique Païni Conserver, montrer (Yellow Now, 1992), à l’article du (...)

40Il a déjà beaucoup été question ici de l’opposition entre Lindgren (et plus largement la FIAF) et Langlois. Ajoutons donc seulement que celle-ci ne tenait pas qu’à la question du choix (ou non) des films à conserver : l’enjeu central était surtout de savoir quelle prééminence établir entre les deux missions principales des cinémathèques, conserver et montrer. Certains membres de la FIAF ont pendant longtemps prôné le primat de la conservation (les cinémathèques œuvrant alors pour les générations futures), rechignant à projeter des copies rares. La position de Langlois – logique, si l’on se souvient que la Cinémathèque française naquit originellement sous la forme d’un ciné-club – était exactement inverse : l’essentiel était de dupliquer les copies retrouvées pour les montrer, quel que soit leur état « textuel » (sans intertitres, etc.). Plus précisément, la Cinémathèque française paraît avoir fonctionné pendant longtemps sur une sorte de modèle à deux vitesses : d’un côté les films conservés et dupliqués, destinés à alimenter les projections de l’institution ; de l’autre les films conservés mais non dupliqués (parce que, le plus souvent, non projetés : Langlois conservait tout, certes, sans jugement esthétique, mais celui-ci faisait retour au stade de la programmation). Bref, les « grands » films (pensés comme tels pour leurs qualités esthétiques ou pour leur valeur métonymique par rapport à une période, à un courant, etc., idée proche de l’histoire telle que l’entendait Sadoul) opposés aux films mineurs. Cette politique de duplication tous azimuts, aussi bien des copies acquises que des copies prêtées, a eu pour conséquence la volonté d’entretenir un certain flou sur l’origine de ces duplications. Dès lors, les copies projetées se sont trouvées déconnectées délibérément de leur hic et de leur nunc. Produire du « montrable » à partir de tout ce qu’il était possible de récupérer, voilà sans doute qui résume assez bien la « politique patrimoniale » (syntagme évidemment anachronique) de Langlois.

  • 7 Ibid., p. 8.

41Cette pratique a donc tout à la fois favorisé la circulation proliférante de copies certes singulières mais détachées de leur origine, et habitué le champ cinéphilique à ne pas prendre en compte l’histoire d’une copie dans son appréciation d’un film (ce qui n’a pas été sans conséquence sur la pensée du cinéma qui s’est développée en France). Mais on peut se demander surtout dans quelle mesure la ligne Langlois n’a pas dérivé aujourd’hui vers de nouvelles pratiques, puisque ce « produire du montrable » paraît se construire dorénavant moins à partir des copies qu’en spéculant sur les attentes supposées des spectateurs : à présent, le « montrable » concerne moins la matérialité du film (dupliquer pour projeter) qu’il ne désigne ce qu’il est acceptable de montrer au public, ou plus exactement ce que l’on pense être acceptable du point de vue (fantasmé) du public (restaurer pour projeter : donner à voir une « belle » copie – certes recomposée grâce aux innovations technologiques – au spectateur, justement suréquipé technologiquement). Le dialogue, que nous reproduisons partiellement, entre Dominique Païni (alors directeur de la Cinémathèque française) et Serge Bromberg montre non seulement qu’il a pu y avoir accord, sur ce point, entre deux institutions aussi différentes que la Cinémathèque française et Lobster. Il atteste surtout que les pratiques de restauration discutées aujourd’hui à partir du Voyage dans la Lune ne sont pas apparues avec le numérique mais avant la généralisation de son usage à des fins patrimoniales. On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure elles ne constituent pas une sorte de réponse paradoxale au positionnement philologique de la « nouvelle histoire du cinéma » (voir le traitement exemplaire de la variabilité des copies dans Pathé 1900, Fragments d’une filmographie analytique du cinéma des premiers temps, paru en 1993), laquelle a évacué de son approche tout jugement de valeur. Or c’est justement cette question de la « valeur » qui justifie pour une bonne part ces pratiques archivistiques, Dominique Païni expliquant par exemple que la restauration permet d’inscrire les films « dans un processus de réactualisation et de réévaluation critique »7. Bien évidemment, cette opposition entre pratiques historiennes et pratiques archivistiques a été déjà largement discutée, par exemple dans le cadre d’Archimédia (et lors de la table ronde publiée dans Bref dont nous reproduisons une petite partie), et l’on peut percevoir quelque écho de ces polémiques dans la série de textes publiés par Claudine Kaufmann dans Cinémathèque (n° 11, 12, 13 et 17 entre 1997 et 2003). Cependant, là où le numérique joue un rôle majeur (et inédit), c’est dans la visibilité nouvelle qu’il accorde à ces restaurations, via les nouveaux canaux de diffusion (DVD, mise en ligne, etc.) : dorénavant, ces objets peuvent toucher plus largement le grand public, qui devient donc une sorte de prétexte naturel (mise en conformité d’objets envisagés comme obsolètes avec le prétendu goût dominant du public ; argument par ailleurs à l’origine, en son temps, du remontage si problématique de Life of an American Fireman !).

42L’échange, au sein de cette table ronde, entre Païni et Bromberg suggère aussi que l’acceptation – et la revendication – de ces pratiques par la Cinémathèque française a peut-être contribué à légitimer des méthodes de restauration, qui débouchent aujourd’hui sur le cas du Voyage dans la Lune. On remarquera d’ailleurs que la position défendue alors par Bromberg s’est depuis en quelque sorte extrêmisée puisque la revendication de présenter « le film en mentionnant qu’il s’agit d’une version retouchée » paraît avoir été abandonnée, au point que le site internet consacré à la restauration du Voyage dans la Lune (dont Bromberg, dans la réponse publiée par le Journal of Film préservation, dit qu’il contiendra toutes les informations relatives au travail de restauration) ne présente à ce jour aucun des éléments annoncés. Les scrupules du restaurateur soucieux de laisser visibles ses traces ont disparu, en même temps que sont apparus des moyens technologiques qui assurent justement la possible invisibilité des interventions du restaurateur.

De quoi le Voyage dans la Lune est-il le nom ?

  • 8 Roland Cosandey, « L’inescamotable escamoteur ou Méliès en ses figures », dans Jacques Malthête et (...)

43Par ailleurs, il n’est sans doute pas insignifiant que ces « nouvelles » pratiques de restauration (et les problèmes qu’elles posent, comme le montre ce dossier) aient concerné le Voyage dans la Lune. S’il y a sans doute plusieurs raisons susceptibles d’expliquer le choix de cet objet (liberté des droits, etc.), les principales tiennent probablement à la place qu’occupe ce film dans l’historiographie francophone du cinéma, depuis le gala de la salle Pleyel du 16 décembre 1929. Roland Cosandey a déjà étudié la manière dont, avec ce gala, « s’établit un corpus d’opinions souvent contradictoires ou divergentes à propos de l’œuvre du cinéaste et comment s’en dégagea une vision prédominante qui sera communément partagée durant un bon demi-siècle »8, laquelle vision s’est immédiatement articulée autour du cas du Voyage dans la Lune (en dépit même de l’avis de Méliès, qui ne le considérait pas comme son meilleur film) et consiste à peu près en ceci :

  • 9 René Jeanne, « L’évolution artistique du cinématographe », dans coll., le Cinéma des origines à nos (...)

Georges Méliès doit être regardé comme le père du spectacle cinématographique : c’est là une vérité qui est apparue indiscutable en 1929 [au moment du gala de la salle Pleyel], mais dont aucun de ceux qui auraient dû faire à cette vérité le sort qu’elle méritait, ne s’aperçut au cours des années 1896-1905.9

  • 10 Marcel Lapierre, « De Georges Méliès à Charlie Chaplin », les Primaires, n° 13, 1931, p. 840. Nous (...)
  • 11 La récupération de Méliès par certains chroniqueurs à des fins « nationalistes » a été étudiée par (...)

44Nous présentons ici un ensemble d’articles écrits plus ou moins longtemps après ce gala et qui, sauf erreur de notre part, n’ont pas été repris depuis. Ils émanent de sources très disparates et montrent que l’œuvre de Méliès, et plus précisément « le fameux Voyage dans la Lune »10, ont fait l’objet de récupérations discursives très diverses. En effet, Méliès peut servir, dans les années 1930, de point de comparaison afin de stigmatiser le cinéma des années 1930, aux mains des mercantis (position d’André Imbert, dans Ciné, ciné pour tous, qui correspond à un discours très présent à l’époque, dont on trouve par exemple la trace chez Bardèche et Brasillach), mais aussi d’exemple de la foisonnante diversité du cinéma français des premiers temps (aux côtés de Lumière et Cohl), laquelle est censée avoir joué le rôle d’une sorte de catalyseur de l’art cinématographique des années suivantes (Chaplin, Griffith, Lang, Riefenstahl, Cavalcanti), enfin d’incarnation d’une nécessaire opposition à l’industrie américaine11, voire de père de la première avant-garde française :

  • 12 René Jeanne, « Les faux du cinéma », Lectures pour tous, août 1937, p. 31. Seule la première page d (...)

C’est alors qu’Abel Gance, dans la Dixième symphonie, matérialisa les pensées que l’exécution d’une page de musique suggérait à ses auditeurs et dans J’accuse ! l’évocation des morts de la guerre venant demander des comptes à leurs parents, à leurs amis ; c’est alors que, dans le Penseur, Léon Poirier substitua aux images d’une vérité que, seul, son « Penseur » pouvait percevoir. Tous les procédés techniques imaginés en 1896 par G. Méliès trouvèrent leur application et prirent une signification nouvelle.12

  • 13 Ibid.
  • 14 « Restaurer, conserver, montrer », art. cit., p. 11.

45Bref, la lecture de l’œuvre de Méliès par les historiens et critiques de cette époque réduit systématiquement les films du metteur en scène à une seule fonction historique, mais jamais tout à fait la même. Dans presque tous les cas, c’est le Voyage dans la Lune qui est mis en avant, mais rarement seul : « C’était l’Escamotage d’une dame chez Robert-Houdin, le Manoir du diable, le Voyage dans la Lune, qui se lançaient hardiment dans le domaine de la fantasmagorie et du rêve »13. Si bien qu’aujourd’hui, restaurer le film en l’isolant de tous ceux (mis en scène par Méliès) auxquels il fut relié jusque dans les années 1930 (on le voit avec les divers documents que nous reproduisons, et il faut rappeler que la séance de Pleyel comportait huit films, dont notamment des « copies originales » des Hallucinations du Baron de Münchhausen et de À la conquête du pôle) revient tout à la fois à objectiver le statut que l’historiographie a commodément érigé à ce film et à amplifier la position de certains programmateurs des années 1930 (le film passe au Studio 28, en 1930, aux côtés des courts métrages de Léger et Deslaw), qui statufièrent le film en modèle artistique surnageant au-dessus d’une masse ne relevant pas de l’art (le cinéma français des premiers temps). En ce sens, la restauration du film s’inscrit doublement dans cette lignée : d’abord parce que cette histoire contribue à la déterminer, ensuite parce qu’il s’agit toujours, contre là encore certains principes développés par la « nouvelle histoire du cinéma », de réduire les significations historiques du film et de ses copies. Ce qu’ils nous disent d’une histoire de la circulation internationale des bandes durant les premières années du cinéma, d’une histoire des modalités de coloriage, d’une histoire des pratiques de remontage à des fins d’adaptation culturelle se trouve purement et simplement effacé, au profit de la seule valorisation esthétique (la « belle » copie). S’il est sans doute encore trop tôt pour analyser de quoi cette restauration est le nom, disons déjà qu’elle incarne le parfait symptôme de la dialectique qui caractérise le patrimoine cinématographique à l’ère de la « perfectibilité numérique » : un élargissement de l’audience des films restaurés, au risque d’un rétrécissement de leur signification. Dominique Païni reconnaît que « restaurer un film c’est accroître l’éloignement de l’original »14… qui, au plan « matériel », est de toute façon une notion utopique. De fait, il apparaît que les restaurations de ce type accroissent surtout l’éloignement par rapport à ce que furent le hic et le nunc. Plus exactement, en composant une nouvelle version à partir de diverses sources fort disparates, on agrège des hic et des nunc incompatibles qui créent des objets uchroniques.

46On remarquera juste, pour conclure, que la chose ne manque pas de piquant à l’heure où l’on réédite Méliès (Georges Méliès, la Vie et l’œuvre d’un pionnier du cinéma, édition établie et présentée par Jean-Pierre Sirois-Trahan, Paris, les Éditions du Sonneur, 2012), au motif que les précédentes éditions de ce texte ne furent pas assez scrupuleuses et dénaturèrent (bien que légèrement : quelques titres ajoutés, par exemple) le manuscrit original. Si Méliès est donc dorénavant mieux édité que restauré, espérons néanmoins que les questions philologiques soulevées par ce dossier ne resteront pas lettre morte.

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Annexe

DOCUMENTS

1. Ce que restaurer veut dire : le Voyage dans la Lune (Lobster Films / Georges Méliès, 2011) i

par Roland Cosandey et Jacques Malthête

Dans notre domaine, l’année 2011 est à marquer d’une pierre blanche. À l’exception d’une poignée de vues Lumière, jamais encore un film appartenant à l’héritage européen du cinéma n’avait été célébré à pareille échelle. Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès réaffirmé comme l’icône même du cinéma, de Cannes en Pordenone, de Scorsese en groupe AIR, assure à l’obus fiché dans l’œil de l’astre fin de siècle une présence quasi universelle.

Le culte commença Salle Pleyel en 1929. Méliès s’y prêta de bonne grâce, voyant là un des moyens d’obtenir la reconnaissance qu’il revendiquait depuis quelques années. Cette ambition ne l’empêchait pas de considérer que cette bande ne représentait pas vraiment ce pourquoi il tenait tant à être reconnu comme cinéaste parmi les pionniers.

De ce culte, les historiens établiront un jour l’alternance des phases et la composition des serviteurs. Ils s’interrogeront peut-être sur l’écart, apparemment impossible à combler, entre la connaissance effective que l’on a de l’œuvre de Méliès et la réduction persistante de sa production à ce film moindrement représentatif. Ils examineront certainement à quelle vision du cinéma il se prêta chaque fois et qui s’en firent les interprètes.

Dans notre domaine, l’année 2011 est à marquer d’une pierre noire. Jamais peut-être la remise en circulation d’un film ancien n’a été accompagnée d’une telle confusion sur le sens du mot restauration.

Laisser dire qu’avec ce Voyage dans la Lune en couleurs, on a découvert un film oublié ou perdu est facile. L’idée même de la trouvaille est trop attrayante pour qu’une fois suggérée tout le monde n’en fasse pas son miel, du journaliste d’agence au critique spécialisé.

Et penser que l’importance de la somme investie dans la remise en circulation d’un film aussi premier, aussi fragile, aussi emblématique finalement, soit une garantie d’excellence, la chose vient sans peine, tant qu’on ne s’interroge pas sur l’usage publicitaire qui est fait des chiffres – 400 000 euros pour 13 375 images, précise-t-on, mais pour dire quoi ? – et sur le produit lui-même.

Pourquoi est-il si difficile à des archives d’appeler un chat un chat, voire de l’exiger, dès lors qu’elles sont nommément impliquées dans une entreprise de cette sorte ? Pourquoi des lieux comme Le Giornate del cinema muto ou Il Cinema ritrovato n’engagent-ils pas le débat, plutôt que de couvrir de leur prestige une remise en circulation que leur complaisance permet de faire passer pour ce qu’elle n’est précisément pas, c’est-à-dire une restauration dans les règles de l’art ?

Pourquoi ne dit-on pas de cet artefact qu’il provient en partie d’une copie dont on sait bien qu’elle ne sort pas du laboratoire de Méliès, passage de l’Opéra à Paris, mais qu’il s’agit très vraisemblablement d’un tirage piraté à l’époque, à l’image floue et granulée, et que ses coloris y furent posés à une date inconnue par d’autres petites mains que celles qui œuvraient vers 1902 pour la marque Star Film ?

Les lacunes de cette copie apocryphe ont été comblées par des emprunts faits à une deuxième copie d’époque, appartenant à Madame Madeleine Malthête-Méliès. Celle-ci est authentique et en bel état, bien qu’un « défaut » la dépare : elle est en noir et blanc.

Qu’à cela ne tienne, le défaut a été rectifié. Les prélèvements ont été laborieusement masqués par l’adjonction d’un coloriage numérique aux teintes non seulement très criardes – alignées sur les teintes du nitrate lacunaire, elles aussi exagérément rehaussées par un traitement numérique –, et sans qu’aient été reproduits ni le tremblé ni le débordement typiques des coloris appliqués au pinceau.

Les interventions sont radicales. Elles n’épargnent ni le cadre de l’image d’origine, raboté, ni les particularités matérielles de celle-ci. La « restitution » efface la double origine du matériel, gomme la teinte primitivement jaune de la copie en couleurs – une caractéristique fort probablement associable au piratage d’origine –, supprime enfin les traces originelles de retouche liées principalement aux trucages, qui font partie intégrante du style de Méliès comme de ses contemporains.

Pourquoi faire accroire que LA copie en couleurs du film de Méliès fut découverte à la Filmoteca de Catalunya, et ne pas dire qu’elle appartient à un fonds de 250 boîtes déposé anonymement en 1993 et qu’il s’agit du versement d’un lot de copies anciennes ayant circulé régionalement, en Catalogne, au début du XXe siècle ? Celle du Voyage dans la Lune présente un type de perforations américaines qui ne correspondent pas aux perforations Méliès originelles et il est clair, encore une fois, que ce nitrate espagnol n’est pas un tirage de première génération, comme on doit savoir qu’il est loin d’être la ruine complète que les images promotionnelles de son traitement donnent à voir. Enfin, d’autres copies de ce film fameux, les unes colorées, les autres en noir et blanc, peuplent depuis longtemps les archives, en France, en Hollande, au Royaume-Uni, aux États-Unis...

Pourquoi ne s’offusque-t-on pas du fait que des archives publiques se sont vues dépossédées d’une copie qui tire son sens du territoire où elle fut utilisée, transmise et déposée – ce sont bien les couleurs du drapeau espagnol qu’on y voit peintes, non celles du drapeau français ? Est-il insignifiant que ces mêmes archives n’ont pas été consultées sur l’usage de cette copie et ne disposent aujourd’hui d’aucune documentation à son sujet ?

Outre cette pratique alarmante, serions-nous en présence d’un faux historique et artistique ? Nous sommes en tout cas devant un objet qu’aucune archive digne de ce nom ne saurait, à nos yeux, cautionner comme restauration, car sa fabrication n’obéit à aucun des principes destinés à éviter que l’œuvre, dans sa forme nécessairement nouvelle, dénature les éléments dont elle procède et que soit empêchée toute recherche sérieuse à partir de la copie restaurée.

Dans son livre si fidèlement adapté par Scorsese, l’Invention de Hugo Cabret, Brian Selznick avertit le lecteur qu’il a fait œuvre de fiction et que si « le cinéaste Georges Méliès a réellement existé, la personnalité qu [’il] lui prête est née de [s] on imagination ».

Pourquoi ne pas reconnaître aussi, dans ce Voyage dans la Lune que l’on prétend ressusciter dans toutes ses nuances, une invention d’aujourd’hui ?

Et si cette invention a une légitimité, celle-ci est à chercher ailleurs. C’est celle de tous les « miracles » analogues qui jalonnent l’histoire du cinéma. Ils se résument à la remise en circulation spectaculaire d’une production ancienne, « améliorée » pour le confort supposé du public contemporain, établissant avec lui un commerce neuf.

Ce nouveau commerce ne manque évidemment pas d’intérêt comme tel. Mais il ne va pas sans véhiculer des valeurs auxquelles les archives ont le devoir d’opposer leurs propres principes. Au nom d’une sorte de prépotence technique déguisée en respect (il suffit d’aller voir comment les sites d’évaluation de DVD ont salué l’édition en Blu-ray de ce Voyage dans la Lune), ce sont ces valeurs qui autorisent l’adjonction de sons et de couleurs aux images d’archives, pour qu’elles soient « plus vraies », à l’exemple d’une fameuse série télévisuelle comme Apocalypse. La Deuxième Guerre mondiale (France 2, 2009).

Avec le temps, Méliès est définitivement devenu l’inventeur du cinéma et le Voyage dans la Lune le cinéma même. Pourtant, si grande que soit la plus-value symbolique que représente l’interprétation numérique de cette œuvre-là pour ceux qui l’ont réalisée comme pour ceux qui l’ont soutenue, on prendra acte de cette version comme il faut prendre acte, parmi d’autres, de la Sorcellerie à travers les âges de Christensen devenu sonore en 1968, du Metropolis de Lang revu par Moroder en 1984, de l’œuvre de Vigo réaccordée aux oreilles de 2001 : en disant d’abord, et clairement, ce qu’il en est.

S’agissant de nommer, faisons un pas de plus. On se souvient du fameux cas de Life of an American Fireman, étudié naguère. Quand les cinémathèques appliqueront la norme catalographique permettant enfin de saisir les variantes, combien de jolis monstres muséaux sortiront-ils des boîtes ? Quand elles feront enfin état des informations documentant leurs propres tirages – encore faudrait-il qu’elles aient établi des dossiers de restauration... –, de combien de gestes irréversibles, de films améliorés, de copies rectifiées ferons-nous le constat ?

Le nombre importe moins, dans ce débat, que les raisons et la manière, les circonstances et les décideurs. Ce serait l’esquisse d’une véritable histoire de la transmission.

Dans un domaine que l’on sait historiquement et matériellement déterminé par la variation et la reproduction, considérer que la variante est la norme, soumettre le régime des auteurs au régime des copies, ce serait instaurer une position qui rende toutes les autres possibles plutôt que de les exclure.

2. Lettre à Carl Vincent sur le Voyage dans la Lune (1937)ii

par Georges Méliès

Orly, le 11 février 1937
Cher Monsieur,
[…] J’ai été convoqué, hier, au Cinéma Marignan, Champs-Élysées, par la Société de la Cinémathèque française. J’ai eu la surprise et le plaisir d’y voir projeter, pour la presse, un exemplaire tout neuf de mon vieux « Voyage dans la Lune ». On a retrouvé à New York le négatif de ce film et c’est la Société Kodak de Rochester qui en a exécuté le positif. Or, ici, en France, on n’avait pu retrouver que des morceaux de ce film, en bien mauvais état d’ailleurs, de sorte que cela a causé une bonne surprise à tout le monde et le succès a été très vif. On y a projeté aussi une autre de mes féeries, « La Fée Carabosse », mais celle-là en couleur, en très bon état, et que l’on vient de récupérer. Succès également très accentué.

J’ai commenté, moi-même, les deux films pendant la projection, avec mon habituelle manière humoristique et gaie. Enfin, l’exemplaire du « Voyage dans la Lune », qui provient du Musée de New York (possesseur du négatif), m’a été offert en hommage et est en ma possession, ce qui me permettra, à l’occasion, de le faire participer à des séances de films anciens. C’est un film de 1902, le premier ayant une certaine importance de durée, quand on en était encore aux films de 40 à 50 mètres. Comme il avait été surcopié, sans vergogne, par cinq maisons américaines, Essanay, Edison, Lubin de Philadelphie, Vitagraph, et Carl Laemmle, et comme ceux-ci avaient inondé, à l’époque, de copies tous les Cinémas du monde, cet acte de piraterie m’empêcha de réaliser un bénéfice, mais eut pour effet de me faire une réclame considérable. À quelque chose malheur est bon ! En tout cas, c’est ce qui fait que le film est resté célèbre dans les annales cinématographiques et qu’on en parle encore, après trente-cinq ans, en le citant comme un chef-d’œuvre. Erreur d’ailleurs, j’ai fait beaucoup mieux par la suite, mais c’était le premier film s’évadant délibérément du documentaire ou des vues à poursuite, pour se lancer dans la fantaisie.

Le musée de New York ayant entre les mains nombre de mes négatifs volés pendant la guerre dans la maison de cette ville, la Cinémathèque compte bien pouvoir se procurer des positifs des plus importantes de ces pièces. Ce serait une vraie résurrection, alors que je croyais toute ma production définitivement anéantie !

Meilleure santé et tous mes compliments.
G. Méliès

3. La copie espagnole du Voyage dans la Lune : un objet à restitueriii

En 1993, la Filmoteca de Catalunya reçut d’un collectionneur anonyme une copie nitrate en couleur du fameux Voyage dans la Lune de Georges Méliès (1902). En 1999, M. Serge Bromberg, de Lobster Films (Paris), obtint cette copie de M. Anton Giménez, alors directeur de la Filmoteca, décédé en 2010. La présentation publique du film de Méliès tel que Lobster Films l’a reconstitué en la combinant à une autre source eut lieu lors du Festival de Cannes en mai 2011.

Soulignons d’emblée qu’il faut distinguer deux aspects dans ce cheminement, la nature de la collaboration entre les deux parties et l’évaluation scientifique du travail mené par Lobster Films.

Le texte publié par Roland Cosandey et Jacques Malthête dans la tribune libre du Journal of Film Preservation (n° 87, octobre 2012) expose clairement pourquoi un tel travail, mené avec le soutien du Groupama Gan et de la Fondation Technicolor, ne peut être considéré comme une restauration dans les règles de l’art. La Filmoteca de Catalunya partage cette analyse et considère le film remis ainsi en circulation comme une forme de re-création, à la manière dont peut l’être le Metropolis de Giorgio Moroder.

Quant à l’accord entre Lobster Films et la Filmoteca de Catalunya, M. Bromberg explique lui-même, à la page 182 du livre la Couleur retrouvée du Voyage dans la Lune, que M. Giménez avait accepté de lui prêter la copie parce qu’il pensait que rien, dans l’état où elle était, ne pouvait être entrepris pour la sauver.

Gentlemen’s agreement adopté en dernier recours, cette collaboration, qui n’a pas fait l’objet d’une convention formalisée, prit la forme d’un échange, M. Bromberg ayant offert en contrepartie le tirage moderne d’un film de Chomón.

À voir les photos illustrant le livre et le documentaire figurant dans le DVD, on peut conclure que la copie nitrate a été sauvée. C’est une nouvelle qui ne peut que réjouir une institution comme la nôtre, vouée à la conservation du patrimoine cinématographique.

Les travaux effectués avec cette copie nitrate provenant de sa collection étant terminés, la Filmoteca de Catalunya a demandé formellement que celle-ci lui soit rendue, quelle que soit la condition dans laquelle elle se trouve après traitement. Nous en avons expressément demandé la restitution par une lettre datée 12 juillet 2012, dans laquelle nous faisions savoir à M. Bromberg que nous cessions toute collaboration avec Lobster Films. Nous nous proposions aussi de lui retourner le tirage du film de Segundo de Chomón. À ce jour, fin janvier 2013, notre lettre reste sans réponse.

La Filmoteca de Catalunya est une institution publique relevant de la Generalitat de Catalogne. Elle est chargée de la préservation de l’héritage cinématographique sur le territoire de la région et cette mission est fondée sur deux lois, 9 / 1993 et 20 / 2010. À ce titre, elle ne peut céder ce qu’elle préserve à un tiers. La loi l’autorise seulement de prêter temporairement des copies à des fins de conservation ou de restauration.

La Filmoteca de Catalunya est membre de la Fédération internationale des archives du film depuis 1992. Son statut de membre permanent implique des devoirs qui sont en partie stipulés dans le code d’éthique élaboré par la FIAF.

Ce texte énonce en préambule que « les archives de films et les archivistes sont les gardiens du patrimoine mondial des images animées. Il leur appartient de protéger ce patrimoine et de le transmettre à la postérité dans les meilleures conditions possibles et dans la forme la plus fidèle possible à l’œuvre originale.

Les archives du film ont un devoir de respect à l’égard des originaux qu’elles conservent, aussi longtemps que ces documents sont en bon état. Lorsque les circonstances rendent nécessaires le transfert des originaux sur un nouveau support, les archives ont le devoir de respecter le format des originaux.

[…] Les archives du film reconnaissent que leur devoir premier est de conserver les collections dont elles ont la charge, de les rendre en permanence accessibles à la recherche, l’étude et la projection publique, à condition que ces activités n’aillent pas à l’encontre de la bonne conservation des collections ».

(Voir : http://www.fiafnet.org /~fiafnet / fr / members / ethics. html)

L’importance que l’on donne au Voyage dans la Lune pourrait laisser penser que nous survalorisons l’objet physique original, que nous cultivons un fétichisme de la copie d’époque. Mais le film de Méliès n’est pas une copie isolée. La principale raison pour laquelle nous réclamons sa restitution, c’est qu’elle fait partie d’une collection de plus de deux cents titres, dont sept autres productions du grand Méliès. Ces films forment un corpus d’une grande importance pour l’étude des origines de l’industrie cinématographique à Barcelone.

La connaissance des premières années du cinéma a été considérablement enrichie par la prise en compte d’ensembles comme la Collection Corrick (Australie), Sagarminaga (Espagne) ou Desmet (Hollande). Une histoire de cette période ne peut être menée en isolant tel ou tel « classique », si prestigieux soit-il. L’approche d’une collection homogène – quand c’est sous cette forme que les films nous sont parvenus – permet de comparer et de saisir un contexte global, qui inclut laboratoires, distribution, exploitation, public…

La Filmoteca de Catalunya souhaite récupérer la copie nitrate originale et la préserver dans ses propres lieux, là où elle doit être conservée de droit. M. Bromberg l’a empruntée à M. Gimenez, qui croyait naïvement qu’il était impossible d’en faire quelque chose. Nous sommes heureuses de constater qu’elle n’a pas seulement été en grande partie sauvée, mais qu’elle a même rendu possible la spectaculaire remise en circulation du Voyage dans la Lune par Lobster Films.

Maintenant que ce projet a été mené à bien, cette copie nitrate doit retrouver sa seule place légitime. Nous pourrons enfin l’étudier comme archivistes et en permettre l’éventuelle consultation aux chercheurs et aux étudiants.

Mariona Bruzzo, directrice des collections films
Rosa Cardona, conservatrice
Filmoteca de Catalunya, Barcelone

4. Le vandalismeiv

par Henri Langlois

Pour pouvoir montrer une œuvre ancienne, il faut d’abord qu’elle existe.
C’est-à-dire qu’il faut l’avoir conservée.

Pour pouvoir la conserver, il faut d’abord l’avoir collectionnée : le vandalisme consiste à l’oublier, et que la tâche primordiale pour une cinémathèque est dans la collection. C’est-à-dire dans la recherche et la prise en charge par elle des films non encore sauvegardés. [p. 3]

[…] d’autres cinémathèques, avant guerre, avaient des crédits importants et pouvaient beaucoup sauver : pourquoi n’y ont-elles pas réussi ? Parce qu’alors on pensait à choisir alors qu’il aurait fallu penser tout conserver.

Nous aussi, à l’époque, nous avions cru que notre tâche consistait à collectionner ce qui nous paraissait être les meilleurs films, comme on collectionne des œuvres d’art.

Or, c’était une position monstrueuse en raison du contexte qui fait qu’un tableau de Renoir existe même s’il n’est pas aux mains de la Tate Gallery, du Frick Museum ou exposé au Jeu de Paume. Alors qu’un Méliès ou un Griffith, ne se trouvant pas aux mains d’une cinémathèque, avaient peu de chances de survivre.

D’ailleurs, plus les cinémathèques avançaient dans leur travail, plus elles développaient leurs connaissances, plus reculaient les bornes de cette terra incognita qu’était le passé de l’art cinématographique, plus nous nous rendions compte à quel point le recul modifiait déjà les notions acquises.

À chaque instant nous prenions plus conscience de notre ignorance et, avec elle, de nos responsabilités.

C’est pourquoi nous en sommes arrivés à concevoir très vite qu’il fallait s’efforcer de tout conserver, de tout sauver, de tout maintenir, de renoncer à jouer à l’amateur de classiques. [pp. 9-10] […]

Il y a quelques semaines, le comité de sélection des films à conserver d’une importante et très sérieuse cinémathèque, discuta le plus froidement du monde, pendant trois quarts d’heure s’il convenait ou non de sauvegarder Man of Aran.

Que de temps perdu !

Les plus terribles, dans notre métier, ce sont les « Diafoirus ». [p. 10] […]

Ainsi Diafoirus, ignorant totalement que l’art muet est essentiellement plastique et photographique envoie à la fonte, sans regret, les merveilleuses copies d’époque, devenues à ses yeux inutiles, puisqu’il les a fait contretyper. […] [p. 11]

[Tout conserver

À la question de savoir si actuellement la Cinémathèque française accepte tout, Langlois répond :]

Tout, absolument tout.
Si la Cinémathèque française faisait une sélection, où irions-nous ?
Comme la Bibliothèque nationale, nous prenons tout ce qu’on nous offre.

Nous ne sommes pas Dieu, nous n’avons pas le droit de croire à notre infaillibilité, d’ailleurs, d’après quel critère ?

Il y a l’art et il y a le document.
Il y a de mauvais films qui restent de mauvais films, mais qui, avec le temps peuvent devenir extraordinaires. De quel droit rejeter, par exemple, la Caserne en folie ? Pour moi, c’est une chose fabuleuse, un monument. Une sorte de monstre sacré qui résume en lui tout ce que fut un certain cinéma : plus le temps passera, plus il sera formidable.

Et puis il y a des films qui paraissent sans valeur et qui en ont, car le temps leur donne un style invisible aujourd’hui, d’autres qui paraissent ridicules et qui, dans quelques années, vont retrouver toute leur magie, même s’ils continuent à faire hausser les épaules de certains – les mêmes qui n’osent avouer tout haut la mauvaise opinion qu’ils ont de Gustave Moreau.

Voyez dans un autre domaine, dans le film de Nicole Vedrès, cette prise de vue anonyme, pleine aujourd’hui d’une vie extraordinaire. [p. 12]

[Et puis il faut conserver avant tout les négatifs originaux, soutient-il, c’est la base :]

[...] seule la survie du négatif original peut assurer la survie dans, toute sa beauté originale, de l’œuvre d’art cinématographique.

Assurer la survie le plus longtemps possible du négatif original, obtenir de pouvoir veiller sur lui, voilà quel est l’objectif le plus difficile et le plus essentiel. [p. 4]

[mais il faut conserver les films sous toutes les formes permettant de les sauver :]

Mieux vaut encore une copie usagée que rien du tout. [p. 12]

[Les positifs, y compris en mauvais état, doublés, etc. sont des pis-aller, dans la mesure où l’on n’a pas mieux. Le contretype est un moyen de rendre le film projetable, échangeable, ce n’est pas la panacée de la conservation.]

Tant qu’un film existe, on n’a pas le droit de renoncer à sa conservation. [p. 14]

[Les contretypes qu’on a pu faire en 1910 n’avaient pas la finesse des nôtres et de ceux à venir dans quarante ans.]

C’est pourquoi l’œuvre originale doit être conservée autant qu’il est possible et le plus longtemps possible et même indéfiniment. […] [p. 14]

Détruire les copies anciennes, non encore effectivement décomposées, est simplement la preuve qu’on ne comprend rien à l’essence même de l’art cinématographique. […] [p. 15]

Honte à ceux qui s’abritent derrière des principes de choix et de sélection pour s’esquiver de cette tâche, qui s’abritent derrière une fausse culture pour masquer la complicité de leur indifférence, de leur paresse, de leurs ambitions sociales, de leur sinistre satisfaction de soi. [p. 5]

5. La restauration en questionv

[…]
Dominique Païni : […] Restaurer les films participe évidemment d’un acte historique, philologique, un acte qui relève pleinement de ceux qui déjà depuis longtemps participent de la fonction des musées et de l’histoire de l’Art en général. Mais pour le cinéma c’est aussi un acte qui va au-delà, un acte qui, au fond, appelle une certaine audace. Aujourd’hui, restaurer les films, les reproduire, c’est aussi les produire une seconde fois. L’acte de restauration suppose qu’on les reporte sur des supports dits de sécurité. Et si on veut vraiment leur donner toute leur valeur historique et culturelle, c’est aussi les remettre dans le circuit de la vision pour le public. Les questions sont multiples : goût du public, muétude des films, la grande question de la couleur, oubliée pour une partie d’entre eux, la question de leur durée – leur brièveté suppose qu’il faut à nouveau les assembler comme ils l’étaient, dans les premiers temps, selon des principes de programme ou selon des alternances entre les films eux-mêmes et du spectacle. Donc quelles sont les formes nouvelles pour, à la fois, conjuguer l’intérêt de les remontrer en respectant de manière historique et quasi archéologique leur fonction initiale ? Que faire avec le cinéma, à la fois commerce, industrie et incontestablement quelque chose qui a participé à l’échelle du siècle, à une révolution profonde du regard. De ce point de vue, la Cinémathèque se pose exactement la même question que Lobster, dans la mesure où l’on doit tenter de conjuguer la nécessité, l’obligation quasi par vocation de permettre aux scientifiques, historiens, chercheurs, étudiants d’accéder aux œuvres telles qu’elles parviennent jusqu’à nous. En même temps, on sait que ce qui parvient jusqu’à nous, on n’est jamais sûr de ce que c’est : est-ce la bande parvenue jusqu’à nous car elle a reçu les faveurs du public ? Celle choisie par le metteur en scène, celle voulue par le producteur ? Ce matériau, il faut le restituer dans son état le plus originel possible pour les chercheurs, scientifiques, historiens… Et il faut aussi, ce qui n’est pas toujours évident à conjuguer, redonner un circuit spectaculaire, un circuit divertissant à ces films qui le méritent. Le spectateur contemporain a une « alphabétisation audiovisuelle » plus grande que le public du cinéma des premiers temps. La question des intertitres pose problème. Faut-il en remettre, les refaire, les garder tous, ne pas les garder, les transformer ? La question est de réfléchir sur les droits que se donnent les archives, quelles libertés. Quel est l’équilibre juste entre l’accès scientifique et l’incontestable nécessité de remettre ces films dans le circuit du spectacle ? Car c’est servir ces films que de les réinscrire comme spectacle, que de faire rire, émouvoir, émerveiller à nouveau en les adaptant à la sensibilité d’aujourd’hui. Cette dialectique très compliquée, chacun peut la résoudre comme il le peut, mais elle reste un décalage, une ouverture entre ces deux points de vue, qu’il s’agit d’investir, de réfléchir et d’expérimenter. L’intégrisme archiviste ou antiquaire me paraît une attitude réductrice. [...]

Serge Bromberg : Moi, j’ai un avis, comment dire, objectif, pragmatique. Nous avons la grande chance justement que restaurer un film soit une œuvre de reproduction. Une fois qu’on a le négatif on a la possibilité de le reproduire à quelques réserves près, autant de fois que nécessaire. Il est donc tout à fait imaginable que d’un point de vue muséal, pour les historiens et pour la consultation, on fasse une reproduction à l’identique de ce qui nous est parvenu. Maintenant il est clair que le large public qui peut être intéressé par ces images-là, peut ne pas avoir envie d’avoir des images décomposées, des cartons instables voire manquants. À partir du moment où le programmateur présente le film en mentionnant qu’il s’agit d’une version retouchée, ou en tout cas interprétée en fonction de ses goûts et de ses connaissances, le montreur d’images essaie, dans le pur respect de l’œuvre originale, de mettre les films à la portée du spectateur, sans s’embarrasser d’un discours trop sophistiqué. Car les films ont en général pour but premier de transporter un rêve, une illusion, un plaisir, une « magie cinéma » ! Ensuite, charge au chercheur, s’il décide d’aller plus loin, de consulter auprès des organismes spécialisés les éléments de tirage, conformes au matériel tel que parvenu dans les archives. Je pense que les restaurateurs doivent aussi penser à cela : séparer l’orthodoxie technique du restaurateur de la responsabilité qu’a le montreur d’images de ne pas décevoir son public. [...]

Dominique Païni : [...] J’ai tendance à penser que, indépendamment de permettre la consultation pour les chercheurs de la totalité des matériels retrouvés, j’assume pleinement, pour en rester à la question des intertitres, de supprimer un intertitre de sorte que le film gagne en rythme ou en capacité d’intéresser le spectateur, au nom des lois narratives qu’il a intériorisées aujourd’hui. C’est néanmoins un vrai problème, car aujourd’hui le spectateur réagit avec des critères nés dans les années trente, en particulier le goût de la fluidité narrative. Or, on s’aperçoit que dès les années vingt c’était pareil : souvent le carton, soit dans raréfaction, soit dans son insertion, avait une fonction pour rendre fluide la narration. Avec les recherches des historiens du cinéma, on s’aperçoit aussi, en particulier dans le cinéma des années dix, qu’il n’y avait pas, au contraire, une telle crainte de la rupture et beaucoup plus de goût qu’on ne le croie pour la brutalité du récit interrompu par un intertitre. Alors c’est vrai, il y a là quelque chose qui est de l’ordre de la trahison. [...]

Serge Bromberg : Il y a un petit chouchou des cinémathèques, Charley Bowers. La plupart de ses films ont été retrouvés, en France, par la Cinémathèque de Toulouse. Il se trouve que pour l’édition de ces films dans les années vingt, le distributeur français, probablement payé au mètre de pellicule, a pris un malin plaisir à ajouter des cartons truffés de jeux de mots tous plus minables les uns que les autres et qui vraiment cassent le film. Nous avons retrouvé un de ses films, et nous n’avons pas hésité à couper ces cartons ; je le dis chaque fois que je les montre. Je crois que c’est servir le film que d’enlever ces cartons qui ont été ajoutés par quelqu’un qui n’avait rien à voir avec Bowers.

Dominique Païni : Il n’y a pas d’original pour l’art du film. L’art du film relève, pour reprendre la formule de Walter Benjamin, de « l’ère de la reproductibilité technique ». Le seul fait de contretyper un film est déjà une « trahison » : le contretypage produit un voile sur l’image, comparable à la vitre qui, aujourd’hui dans les musées, est posée sur des peintures, conçues, y compris grâce aux vernis, pour ne pas avoir de protection. Lorsqu’on regarde la copie « originelle », nitrate, on voit combien le piqué de l’image participe pleinement du travail des cinéastes, du travail avec les acteurs, la relation que les cinéastes avaient avec la réalité et la notion d’espace grâce à leur pellicule et à l’optique de l’époque. Quand je pense qu’on a parlé de la profondeur de champ à partir de Welles et quand on voit Zecca, quand on voit tous les « primitifs » pré-Feuillade, même dès les Lumière et Méliès, l’attention qu’ils avaient aux accidents de la réalité au fond du champ.

Serge Bromberg : Je ne suis pas du tout d’accord avec ce qui vient d’être dit sur le voile et le contretypage. Et je voudrais citer l’exemple des films de Méliès, pour lesquels on a très peu de négatifs originaux. La plupart des films sont des tirages positifs qu’on a contretypés. Lorsqu’on retrouve les négatifs originaux et qu’on les tire – ce qui vient de se passer récemment –, on obtient une image totalement différente de ce qu’on obtient si on part d’un positif tiré à l’époque et qu’on essaye de le contretyper. À partir d’un même négatif, les copies tirées sont donc différentes suivant les dates de tirage ! [...]

6. Un gala rétrospectifvi

par D. A. [Daniel Abric]

La semaine dernière a eu lieu, à la salle Gaveau, un grand gala en l’honneur de Georges Méliès qui fut l’un des premiers metteurs en scène français.

Les films de Méliès avaient été retrouvés par hasard dans une cave. Ils étaient dans un état lamentable. Pour pouvoir les représenter, il fallut les contretyper, c’est-à-dire faire de nouveaux négatifs d’après les vieux positifs, et faire un nouveau tirage ; puis on les recoloria au pochoir.

Et vraiment, le jeu en valait la chandelle. On ne peut s’imaginer ce qu’il y a d’invention, de génie burlesque dans des petits films (il est vrai qu’à son époque c’étaient de grands films), comme La conquête du Pôle ou Les quatre cents coups du Diable. Que d’innovations dans la technique, trucs aujourd’hui courants, mais qui alors n’avaient jamais servi, surimpressions, fondus enchaînés.

Quant aux scénarios, à la réalisation, ils sont d’une formule très curieuse qui n’a pas été suivie et que rien du cinéma d’aujourd’hui ne peut faire soupçonner. Qu’on imagine pourtant une action prise au domaine du fantastique, et soutenue au moyen de poupées et de dessins animés, auxquels viennent se mêler des personnages stylisés, qu’assistent des girls genre Mack Sennett. Car Méliès avait découvert les « girls » avant les Américains.

Espérons que cette exhumation de ses films lui sera utile et qu’un producteur intelligent lui fournira les moyens de réaliser encore quelques-unes de ces petites bandes, pleines d’invention, de gaîté et de malice.

7. Qu’avez-vous fait du cinéma ?vii

par André Imbert

Remercions ceux qui ont organisé le gala Méliès à la salle Pleyel. Nous avons vu, grâce à eux, quelques-uns des premiers films du cinéma français, des films de celui que l’on a appelé le créateur du spectacle cinématographique : Georges Méliès.

Nous avons souvent dit ici-même, combien, au début du cinéma, les films français possédaient de fantaisie et de mouvement, mais combien vite cette exubérance avait été étouffée par les pontifes du théâtre et du commerce.

Les films de Méliès sont peut-être les plus cinématographiques qui aient jamais été tournés. Dans le Voyage dans la Lune, dans les 400 coups du Diable, quelle imagination ! quelle fantaisie ! quel renouvellement perpétuel ! Les films américains les plus extravagants contiennent moins de trouvailles, moins de mouvement, que ces petits films du début du cinéma. Et tout cela amené avec tant de naturel que l’on s’intéresse à toutes les péripéties de ces voyages fantastiques.

Voilà un spectacle visuel.

Après la projection de ses films, Georges Méliès dit quelques mots. Modeste, il s’excusa presque des enfantillages de ses œuvres et demanda à ne pas comparer ces films faits à la naissance du cinéma, à l’aide de moyens de fortune, avec les films actuels bénéficiant de procédés techniques perfectionnés.

Nous avons comparé, au contraire. Nous avons comparé la fantaisie stupéfiante des films de Georges Méliès avec les mornes et prétentieuses images du cinéma actuel. Et lorsqu’on pense que Méliès devait presque tout créer, tout inventer, ses films n’en paraissent que plus étonnants.

D’ailleurs, ces films féeriques ne doivent pas faire oublier qu’il y eut aussi, jadis, un cinéma comique français. Il y eut ces fameux films-poursuites qui, avec leurs personnages épileptiques, mettaient les spectateurs en joie. À cette naïve époque on ignorait encore les moyens d’ennuyer le public avec de grands films solennels et de soi-disant intrigues psychologiques.

Et maintenant que, malgré l’avis de Georges Méliès, nous avons comparé, nous pouvons mieux comprendre ce que pourrait être le cinéma français, mieux comprendre ce qu’il est en réalité.

Que l’on vienne dire à présent : nous n’avons ni auteurs, ni vedettes, ni argent.

Ce sont vos auteurs, vos vedettes, votre argent qui ont tué le cinéma. Ce sont vos dancings, vos décors luxueux, qui le tuent.

Les opinions les plus diverses, les plus contradictoires, ont été émises sur le cinéma. Et de toutes ces opinions, il ne reste d’à peu près certain que ceci : il faut aborder le cinéma avec un cœur simple et dompter les images animées par un travail acharné.

Le manque de sincérité, la vanité, ces ennemis du cinéma que l’on essaye de dissimuler sous une apparente « sobriété », l’esprit mercantile, et finalement, le désordre général, ont amené le cinéma français à l’état que l’on connaît.

*

Cependant, ceux qui attendent un sursaut du cinéma français ont désormais lieu d’espérer. Maintenant que le cinéma parle, le théâtre, ainsi qu’il était facile de le prévoir, achève de l’envahir. Les auteurs dramatiques, les acteurs de théâtre, l’esprit théâtral, rendront vite complètement désespérée la situation du cinéma français. Alors viendra l’inévitable réaction. Alors, il faudra bien que prennent le gouvernail ceux qui ont la main assez ferme pour la tenir. Au moment du naufrage, il ne s’agit plus de paraître, ou de faire de l’esprit ; tous alors se groupent instinctivement auprès de ceux qui ont une âme forte.

Parce qu’ils auront un cœur pur, ils auront le droit, ces hommes nouveaux, de demander à ceux qui, depuis si longtemps, fabriquent des images inanimées et qui, maintenant, vont sonoriser toute la vanité française : qu’avez-vous fait du cinéma ?

8. L’envers du cinéma. Une rétrospectiveviii

par André Page

On parle depuis longtemps de créer officiellement une cinémathèque complète où il soit possible de retrouver tous les chefs-d’œuvre de l’écran depuis les premiers balbutiements jusqu’au dernier film en couleurs en passant par les films muets, sonorisés, parlants et en relief. Jamais cette nécessité ne s’était tant fait sentir à ceux qui s’intéressent à cette question qu’après la rétrospective du cinéma organisée la semaine dernière à la Cité Universitaire sous le patronage de notre confrère Cinémonde.

Cette rétrospective comprenait des films de 1895 à 1925 qui avaient été extraits des archives de la « Cinémathèque française ». On commença par une bande de M. Raoul Grimoin-Samson [sic] qui montra aux spectateurs comment a évolué l’image animée de Daguerre à Lumière en passant par Edison. Puis M. Georges Méliès, aujourd’hui âgé de soixante-seize ans, présenta sa Conquête du Pôle Nord [sic] qui, malgré son archaïsme – elle date de 1907 – est absolument irrésistible. Le mouvement, l’entrain, le rythme de ce film sont tels qu’on le voit avec un très grand plaisir. On vit encore un dessin animé français d’Émile Cohl, l’inventeur du genre. À propos de dessin animé français, signalons que bientôt nous allons en avoir un de M. Pierre Bourgoin, dont nous avons déjà parlé. Nous y reviendrons d’ailleurs la semaine prochaine.

Cette séance n’était d’ailleurs pas réservée aux films français : un Jules César italien, des passages du Kid de Charlie Chaplin, de la Naissance d’une nation de Griffith, des Niebelungen de Fritz Lang.

Quant à la période actuelle, elle fut représentée par une partie du film de Leni Riefenstahl : les Olympiades et par un film en couleur de Cavalcanti.

9. Inventions françaisesix

Anonyme

Combien pourrait-on citer d’inventions qui, nées en France, sont demeurées inaperçues, mais furent exploitées avec succès à l’étranger.

Pauvres inventeurs qui avez peiné toute votre vie, qui vous êtes ruinés, non seulement vous ne tirerez aucun profit de vos travaux, mais encore votre nom sombrera dans l’oubli.

Sic vos non vobis.

Les exemples abondent, nous nous bornerons aujourd’hui à parler de Georges Méliès.

Voici Georges Méliès qui dirigeait le Théâtre Robert-Houdin quand le 28 décembre 1895, les frères Lumière projetèrent leurs premiers films, au grand café, 12, boulevard des Capucines.

G. Méliès devina tout de suite quelles possibilités offrait l’invention. Il construisit un appareil, acheta un terrain à Montreuil, y édifia un atelier qui peut être considéré comme le premier studio.

Il imagina le procédé permettant le dédoublement d’un personnage sur une même image, le « fondu », le « fondu enchaîné », le « tour de manivelle », c’est-à-dire l’enregistrement d’une bande image par image, avec un temps d’arrêt pour modifier la position des objets.

Et ainsi il composa des films qui demandaient tout à la féerie, tel son fameux voyage dans la lune, d’une longueur inusitée de 280 mètres.

C’est précisément ce film dont les Américains tirèrent de nombreuses copies qui marqua le début des déboires de l’inventeur général [sic]. En effet, pour éviter le retour de la contre-façon dont il était victime, Méliès ouvrit une succursale à New-York, mais Edison ayant obtenu le monopole du visa des films, la succursale dut être fermée.

Méconnu en France, refusant des concours qui s’étaient offerts, Georges Méliès ne tira aucun profit de ses inventions et mourut pauvre au début de cette année, sur un lit d’hôpital.

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Notes

1 Paolo Cherchi Usai, « The Lindgren Manifesto : The Film Curator of the Future », donné à la Ernst Lindgren Memorial Lecture, British Film Institute’s National Film Theatre, BFI Southbank, Londres, 24 août 2010, publié dans le Journal of Film Preservation, n° 84, avril 2011, p. 4 (traduction avec le souvenir de la version française donnée par Cherchi Usai dans sa conférence).

2 Lettre de Georges Méliès à Carl Vincent, 11 février 1937, Turin, Museo nazionale del Cinema, fonds Carl Vincent.

3 Madeleine Malthête-Méliès, Méliès l’enchanteur, Paris, Hachette, 1973, p. 270. Selon l’auteure, c’est Al Abadie de Londres qui fait acheter une copie envoyée à New York, portée dans les laboratoires d’Edison à West Orange, contre- typée par les soins d’Arthur White – qui en réalise également pour son propre compte qu’il vend à la Vitagraph Company et au producteur Lubin de Philadelphie. À partir de janvier 1903 Méliès réalise deux négatifs pour chacun de ses films (p. 274).

4 Lettre de G. Méliès à C. Vincent, 24 février 1937, ibid.

5 Voir « Vingt-cinq ans de cinéma sous le signe de la jeunesse et de Cinémonde », Cinémonde, n° 454, 1er juillet 1937 ; « Le Tout-Paris a rendu un suprême hommage au cinéma d’hier », ibid., n° 456, 15 juillet 1937 ; Lucie Derain, « Le Gala de la Cinémathèque française à la Cité universitaire », la Cinématographie française, n° 974-975, 2-9 juillet 1937.

6 Référence, outre au livre de Dominique Païni Conserver, montrer (Yellow Now, 1992), à l’article du même, « Restaurer, conserver, montrer », dans coll., la Persistance des images, Paris, Cinémathèque française, 1996, pp. 5-11.

7 Ibid., p. 8.

8 Roland Cosandey, « L’inescamotable escamoteur ou Méliès en ses figures », dans Jacques Malthête et Michel Marie (dir.), Georges Méliès, l’illusionniste fin de siècle ?, Paris, Colloque de Cerisy / Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997, p. 48.

9 René Jeanne, « L’évolution artistique du cinématographe », dans coll., le Cinéma des origines à nos jours, Paris, Éditions du Cygne, 1932, p. 176.

10 Marcel Lapierre, « De Georges Méliès à Charlie Chaplin », les Primaires, n° 13, 1931, p. 840. Nous avons fait le choix de ne pas reproduire ce texte très long.

11 La récupération de Méliès par certains chroniqueurs à des fins « nationalistes » a été étudiée par Christophe Gauthier (« L’Invention des « primitifs » à l’orée du parlant : le cas Méliès », Cahiers parisiens-Parisian Notebooks, University of Chicago Center in Paris, volume 2, 2006, pp. 148-175).

12 René Jeanne, « Les faux du cinéma », Lectures pour tous, août 1937, p. 31. Seule la première page de ce texte de trois pages concerne Méliès.

13 Ibid.

14 « Restaurer, conserver, montrer », art. cit., p. 11.

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Note de fin

i Texte publié dans Journal of Film Preservation, n° 87, octobre 2012, pp. 7-10.

ii Turin, Museo nazionale del Cinema, fonds Carl Vincent.

iii Lettre adressée à 1895 revue d’histoire du cinéma, faisant écho à celle que la Filmoteca de Catalunya a envoyée en juillet 2012 à la société Lobster – sans réponse. Il s’agit par ailleurs d’une version améliorée d’une lettre que la Filmoteca a fait parvenir aux institutions membres de la FIAF le 4 février 2013.

iv « Entretien avec Henri Langlois par Éric Rohmer et Michel Mardore », Cahiers du cinéma, n° 135, septembre 1962, pp. 1-25. On a prélevé dans cet entretien un choix d’extraits, parfois une phrase seulement, les italiques condensant ou résumant certains passages (Réd.).

v Table ronde animée par Jacques Kermabon, reproduite sous ce titre dans Bref, n° 35, hiver 97/98, pp. 47-52.

vi L’Européen, n° 37, 1ère année, 25 décembre 1929, p. 8 (« Hebdomadaire économique, artistique et littéraire »).

vii Cinéa, Ciné pour tous, n° 148, 15 janvier 1930, p. 10.

viii Ric et Rac, n° 436, 9e année, 14 juillet 1937, p. 6 (« Grand hebdomadaire pour tous »).

ix La Voix du combattant, n° 988, 19ème année, 2 juillet 1938 (n. p.) (« organe officiel de la Fédération départementale des associations de mutilés, blessés, anciens combattants de la Grande guerre, leurs veuves, orphelins et ascendants », Gironde).

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Pour citer cet article

Référence papier

François Albera, Laurent Le Forestier et Benoît Turquety, « De la Terre à la Lune »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 69 | 2013, 95-135.

Référence électronique

François Albera, Laurent Le Forestier et Benoît Turquety, « De la Terre à la Lune »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 69 | 2013, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/4613 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.4613

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Benoît Turquety

Benoît Turquety Maître d’enseignement et recherche à la section Histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne. Auteur de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, « Objectivistes » en cinéma (2009), « Formes de machines, formes de mouvement » dans Ciné-dispositifs (2011). Ses dernières publications et contributions à des colloques portent sur les questions liées à l’historiographie des techniques cinématographiques.

Benoît Turquety is lecturer in the History and Aesthetics department of the University of Lausanne. Author of Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, « Objectivistes » en cinéma (2009), « Formes de machines, formes de mouvement » in Ciné-dispositifs (2011). His recent publications and conference papers deal with questions related to the historiography of film technologies.

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