Les décorateurs du cinéma muet en France
Résumés
Les premiers décors de cinéma sont créés par des peintres formés dans les ateliers de décoration théâtrale. L’industrialisation du cinéma crée, avant la Première Guerre mondiale, un nouveau métier qui devra bientôt maîtriser le domaine des effets spéciaux. Dans les années 1920, le décor de cinéma devient un véritable enjeu esthétique et professionnel que cherchent aussi à investir architectes et décorateurs d’intérieurs.
Plan
Haut de pageTexte intégral
1Comme tous les autres métiers apparus avec le cinématographe, la profession de décorateur s’est constituée, au tournant du siècle, par diversification et spécialisation des savoir-faire développés au service d’autres pratiques cousines. Dans le cas des décors nécessités par les premières fictions filmées en studio, ce transfert de compétences s’est opéré comme naturellement par emprunt au monde du théâtre, voire aux peintres des toiles employées comme fonds dans les ateliers des photographes. C’est là la thèse unanimement défendue depuis l’origine par tous les historiens du cinéma, et rien n’autorise aujourd’hui à la mettre en doute. Il reste à se demander ce que, précisément, le décor de cinéma a hérité de celui du théâtre, de quelle façon il a commencé à s’en détacher pour affirmer son originalité, et comment s’est progressivement établie une « corporation » des décorateurs de cinéma distincte de celle(s) des décorateurs de théâtre. Tout conduit à penser que c’est entre 1904 et 1906 que sont posées pour dix ans les règles de fonctionnement d’un corps de métier des peintres décorateurs de cinéma, qui connaîtra une mutation radicale après la Première Guerre mondiale avant d’affronter le passage au cinéma parlant.
Les sources
- 1 Médiathèque de la Cinémathèque française, Fonds CRH, CRH105-B5.
- 2 Fonds CRH, CRH24-B1 et CRH44-B2.
- 3 Fonds CRH, CRH28-B1, CRH33-B2, CRH36-B2, CRH37-B2 et CRH44-B2.
- 4 Fonds CRH, CRH75-B4.
2Avant d’aller plus loin, faisons le recensement des sources dont nous disposons. Il sera suffisamment bref pour qu’on comprenne que les informations sont rares et terriblement parcellaires. Si les archives et les documents publicitaires d’époque des principales sociétés françaises de production sont riches d’information concernant les studios des premiers temps, leur organisation et leur équipement, il n’en va pas de même pour le personnel qui y travaille, et singulièrement pour les artisans de décoration, rarement évoqués et presque toujours de façon anonyme. On glane cependant quelques bribes d’information dans les entretiens réalisés après la Seconde Guerre mondiale par la Commission de recherche historique de la Cinémathèque française, particulièrement avec les décorateurs Hugues Laurent1, Robert-Jules Garnier2, Henri Ménessier3 et Francis Jourdain4, mais les approximations de souvenirs y sont trop flagrantes (les entretiens ont lieu plus de trente ans après les faits) pour qu’on puisse les considérer sans une extrême précaution.
- 5 Cette biographie de Laurent doit beaucoup à ses propres souvenirs, mais aussi aux informations comm (...)
3Il faut faire une place à part aux souvenirs de Laurent, qui demeurent de très loin la source la plus précieuse dont nous disposons sur la période précédant la Première Guerre mondiale. Laurent, né en 1885, est engagé comme décorateur par les studios Pathé en 1904, après des études à l’École municipale des arts appliqués Germain-Pilon. Après la pause de deux ans imposée en 1906 par son service militaire, il retrouve le théâtre, puis il rejoint en 1912 la société Éclair et son studio du parc Lacépède à Épinay. Mobilisé d’août 1914 au printemps 1919, il passe dans les studios de la rue du Mont, à Épinay toujours, dont Éclair vient de racheter le bail à l’Autrichien Menchen. Lorsque ces installations sont reprises en 1929 par la firme hollandaise Tobis pour créer le premier studio français équipé pour le cinéma sonore, Laurent y devient le responsable de la fabrication des décors. En 1941, il rejoint le studio de Saint-Maurice pour y jouer le même rôle. Après la guerre, il crée encore les décors de quelques films, jusqu’en 1951, et surtout s’investit considérablement dans l’enseignement du décor à l’IDHEC, où il a pour élèves les principaux futurs décorateurs de la Nouvelle Vague, comme Bernard Évein, Jacques Saulnier, François de Lamothe ou Pierre Guffroy. Après sa retraite de l’école en 1966, l’IDHEC publiera une synthèse de son enseignement sous la forme de trois volumes multigraphiés à caractère de catalogues des éléments architecturaux et décoratifs utiles pour le cinéma5.
- 6 Fonds CRH, CRH 105-B5.
- 7 Hugues Laurent, « Le décor de cinéma et les décorateurs », Bulletin de l’Afitec, n° 16, 1957, pp. 3 (...)
- 8 René Prédal, « Hugues Laurent : un demi-siècle d’évolution du décor de cinéma », l’Avant-Scène Ciné (...)
- 9 Cote VK-110325.
4Passionné par tous les aspects de son métier, Laurent est à la fois, dans les années 1950, acteur lucide de son évolution et mémorialiste de son histoire. D’un côté, respecté de toute la profession, il préside pendant longtemps la commission Studio-Décors de la Commission supérieure technique ; de l’autre, conscient d’incarner une mémoire vivante qui réclame d’être fixée, il partage volontiers ses souvenirs des toutes premières années du cinématographe. Il ne semble pas avoir participé directement aux travaux de la Commission de recherche historique, mais on trouve dans les dossiers de la CRH un document manuscrit (« Souvenirs sur la maison Pathé Frères des années 1904-05 et 06 »)6 qui est sans doute une première version d’un texte essentiel sur « Le décor de cinéma et les décorateurs », publié en 1957 par le Bulletin de l’Association française des industries techniques et cinématographiques, qui a fourni la base de toutes les recherches ultérieures sur la question7. Une vingtaine d’années plus tard, il est interrogé dans sa retraite de Mougins (Alpes-Maritimes) par René Prédal qui publie en 1977 dans l’Avant-Scène cinéma un long article copieusement illustré reprenant et complétant sensiblement le texte précédent8. Dans les années qui suivent, il est filmé chez lui par Philippe Esnault pour le fonds documentaire « L’image et la mémoire ». Il y redit pour l’essentiel ses propos antérieurs. Trois heures de rushes vidéo de cet entretien sont conservées par le département de l’Audiovisuel de la BnF9.
5On ne sait si ce document a fait l’objet d’un montage ou d’une exploitation. Hugues Laurent est mort en 1991 à l’âge de 105 ans.
6Pour les sources écrites et les témoignages enregistrés, c’est tout ce dont nous disposons : la somme des souvenirs de Laurent et, ailleurs, des bribes difficiles à recouper tant elles sont disparates et parfois contradictoires. S’y ajoutent les films eux-mêmes, qui fournissent bien des informations inattendues sur la mise en œuvre des décors, pour peu qu’on prenne la peine de les regarder avec un minimum d’attention. Enfin, une autre source très riche d’information est constituée par les photographies de tournage et, plus encore, par les quelques peintures exécutées après la dernière guerre par des décorateurs tels que Ménessier, Amédée Prévost ou Gaston Dumesnil à la demande d’Henri Langlois. Leur souci d’exhaustivité documentaire est évident, tout comme celui de rendre la réalité lisible pour un œil non prévenu, mais on ne peut oublier qu’elles ont été réalisées tardivement, à partir de souvenirs probablement fragiles. On est frappé cependant, à regarder la représentation par Dumesnil d’Une prise de vues au 1er théâtre-studio Pathé Frères, 43 avenue du Bois à Vincennes en 1903, d’une part par la coïncidence presque absolue de cette image du tournage du Guillaume Tell (1903) de Lucien Nonguet avec ce que nous voyons aujourd’hui dans le film, d’autre part par l’abondance des détails « secondaires » (une charte des équivalences photographiques des gris pendue au mur, un dispositif réglable pour signaler la bordure du cadre utile, le caisson obscur sur rails réservé aux trucages) qui nous informent, avec une précision qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, sur les conditions pratiques d’un filmage en studio à cette époque.
L’héritage du théâtre
7Tous les témoignages recueillis par la CRH s’accordent pour dire que c’est des rangs des décorateurs de théâtre que sont issus ceux des premiers films. Encore faut-il, pour mesurer cet héritage, garder en mémoire les deux réalités que recouvre à cette époque la notion de « décorateur de théâtre ».
8Le xixe siècle a vu le triomphe sur la scène des spectacles fastueux qui, à grand renfort de machineries complexes, multipliaient changements à vue, vols des comédiens dans les cintres, murs qui s’écroulent et naufrages sur des mers en furie. De tels décors associent deux pratiques très différentes. D’une part la conception et la mise en œuvre de ce qu’on appellerait aujourd’hui les « effets spéciaux », qui supposent, au-dessus et au-dessous du cadre de scène, des espaces de manœuvre et de stockage représentant, en haut comme en bas, au moins la hauteur du plateau proprement dit (avec ce que cela implique corollairement de dizaines de machinistes). D’autre part la partie strictement décorative constituée de toiles peintes, du mobilier et des accessoires. Les toiles peintes peuvent occuper toute la largeur de la scène et devenir toile de fond figurant souvent une perspective qui prolonge le décor jusqu’à l’infini. Elles peuvent aussi être clouées sur des châssis de formes variées qui dissimulent les accès aux coulisses et servent à représenter les ciels ou les accidents du sol.
9Les premiers studios de cinéma ne peuvent guère prétendre rivaliser avec les soixante mètres de hauteur totale de la cage de scène de l’Opéra de Paris, ni même avec les proportions plus modestes des principaux théâtres de féerie. Le studio de Méliès, par exemple, ne dispose que d’une fosse fermée de 3 mètres de profondeur sous la scène tandis que la hauteur totale de la scène jusqu’à la naissance du toit est limitée à 4,50 mètres. C’est assez dire que, s’il prend fantaisie au cinéaste d’utiliser toute la hauteur de la scène, comme il lui arrive parfois, il ne dispose plus au-dessus d’elle de la ressource d’utiliser sa modeste machinerie autrement qu’en plaçant les treuils de levage à l’extérieur du bâtiment, ainsi qu’il est réputé l’avoir fait à l’occasion.
- 10 Et non à Montreuil, comme je l’ai moi-même écrit dans mon ouvrage le Décor au cinéma, Paris, Cahier (...)
10La soumission des studios primitifs au modèle proposé par le théâtre est flagrante dans la représentation par Ménessier du tout premier studio Pathé à Vincennes10 en 1902 : une scène rudimentaire posée sur un plancher en pleine campagne, en avant d’un modeste hangar, mais une scène bordée sur ses deux côtés par des châssis de coulisses qui recréent pour l’appareil de prises de vues l’organisation de la scène théâtrale.
11C’est la même disposition de la scène qu’on retrouvera dans les deux studios bientôt inaugurés par Pathé rue du Sergent-Bobillot à Montreuil, en 1904, et rue du Bois à Vincennes, en 1905, sensiblement améliorée dans ce dernier cas par son transfert à l’étage qui permet d’installer sous la scène les trappes et les services. Dans chacun de ces deux studios, l’atelier de fabrication des décors est attenant à la scène ou situé sous elle, même si, pendant la phase initiale de construction à Montreuil, il se trouve installé loin de là, dans un local loué par Pathé à cet effet rue de Paris à Vincennes, qui ne semble pas avoir été utilisé pour les prises de vues.
- 11 Alice Guy, Autobiographie d’une pionnière du cinéma (1873-1968), Paris, Denoël / Gonthier, 1976, p. (...)
12Paradoxalement, le premier studio véritablement doté des perfectionnements techniques du théâtre est édifié au moment où, de ce point de vue, l’évolution des films menace de le rendre bientôt obsolète. Mise en service à la fin de 1905, la grande halle de tournage du studio Gaumont de la rue des Alouettes peut s’enorgueillir de ses 34 mètres de hauteur de scène, desservis par deux services de ponts volants, et de ses deux sous-sols superposés sous un plancher truffé de trappes. Elle appartient déjà à un cinéma dépassé et Alice Guy en critique vertement, dans son livre de souvenirs, une soumission aux normes de l’architecture théâtrale qui va jusqu’à incliner les planchers de scène vers l’avant, comme on le fait dans les plus grandes salles11.
- 12 Manuel Charpy, « La comédie à demeure dans le Paris du xixe siècle », dans Florence Gherchanoc (dir (...)
- 13 Léon Barsacq, le Décor de film, Paris, Seghers, 1970, p. 17.
13Le décor du cinéma des premiers temps, c’est donc la toile peinte plutôt que la machinerie, et les premiers décorateurs viennent des ateliers des artistes qui alimentaient en images la société de la seconde moitié du xixe siècle : « Quantité de peintres en décor proposent des toiles peintes de paysages, des vues de villes ou d’intérieurs. Butel et Valton, Dupouy et plus d’une vingtaine d’autres fournissent aussi bien les panoramas, les studios de photographies que les théâtres, publics comme privés. »12 Ces ateliers sont ceux des Auguste-Alfred Rubé et Marcel Moisson, Philippe Chaperon et ses fils, Eugène Carpezat, Amable, Butel et Valton, Lucien Jusseaume, Marcel Jambon et Alexandre Bailly, A. Ménessier, Eugène Ronsin et d’autres encore, où plusieurs dizaines d’apprentis et d’assistants s’affairent pour exécuter les savantes perspectives des décors peints en trompe-l’œil et fournir aussi bien les grandes scènes nationales et internationales que des salles plus modestes et la décoration de spectacles éphémères. « De ces ateliers vont sortir », pour reprendre la formule de Léon Barsacq, « tous les décorateurs de cinéma qui, pendant une vingtaine d’années, exécuteront, seuls ou presque, les décors de films en France. »13
- 14 Le recoupement de cette chronologie est parfois contradictoire et, pour tout simplifier, le musée d (...)
- 15 Entretien avec Ferdinand Zecca, Fonds CRH, CRH 36-B2, p. 7.
14Le recrutement de ces décorateurs se fait donc, presque naturellement, à partir des amitiés d’atelier. Ainsi Maurice Fabrège, peintre décorateur de l’atelier Butel et Valton, fait-il entrer chez Pathé après lui Albert Colas, Vasseur et Gaston Dumesnil, élèves du même atelier, qui deviendront les décorateurs attitrés du studio de Vincennes. Ils y rejoignent Henri Ménessier, élève de l’atelier Gabin et neveu d’A. Ménessier, décorateur de théâtre lui-même. Au départ du jeune Ménessier à la fin de 1903 pour le service militaire, il est remplacé par Hugues Laurent, peintre décorateur au théâtre de la Gaîté-Lyrique, et par Rivière14. Seule exception attestée chez Pathé, c’est au peintre Vincent Lorant-Heilbronn, cousin de madame Pathé et élève de Georges Antoine Rochegrosse, que sont confiés les décors de plusieurs réalisations prestigieuses de Lucien Nonguet et d’Albert Capellani. Peut-être la place importante réservée aux décorateurs chez Pathé n’est-elle pas étrangère au fait que Ferdinand Zecca, responsable de la production, avait un père chef machiniste au théâtre des Funambules puis à celui de la Porte Saint-Martin, et qu’il se vante d’avoir « fait » lui-même tous ses décors, « même au début »15.
15Pour Gaumont, Laurent se souvient que,
- 16 Hugues Laurent, op. cit., p. 4.
dès 1900, l’atelier Moisson […] brossait de petits fonds de scène d’environ 4x3 mètres, peints en camaïeu ton sépia, qui représentaient en général une place publique, une serre, etc. Ils furent exécutés par Charmoy. Ces fonds étaient livrés et équipés au bout d’un petit jardin très bien entretenu, situé à Belleville, dans la ruelle des Sonneries, sous une sorte de véranda qui était adossée à un mur en briques dont les côtés étaient pleins jusqu’à hauteur d’appui, au-dessus vitrés en verre dépoli. […] Ce fut le premier plateau organisé de la maison Gaumont. Pendant les vacances scolaires, ainsi que certains après-midi que l’école Germain-Pilon accordait aux élèves décorateurs, j’allais livrer ces fonds avec un garçon d’atelier, les équiper et faire les retouches en cas de besoin.16
- 17 Fonds CRH, CRH52-B2, p. 22.
- 18 Alice Guy, op. cit., p. 73.
16Georges Hatot se souvient lui aussi de ce studio primitif, construit « comme un théâtre » par Raymond Pagès, chef machiniste au Théâtre-Antoine : « C’était le contraire du cinématographe. Le plafond et les cintres, ça empêchait la lumière de passer. »17 Et Alice Guy ajoute que ce premier studio Gaumont disposait d’un décorateur « futuriste » du voisinage, peintre d’éventails de son état, qui prêtait la main pour installer les « rideaux désuets » achetés au théâtre de Belleville ou à la Porte Saint-Martin18.
- 19 Sur l’installation de Ménessier et de Carré aux États-Unis, on consultera avec profit Richard Kosza (...)
17À l’occasion de son emménagement dans le nouveau studio de la rue des Alouettes, Gaumont engage Ménessier qui recrute à son tour Garnier, fils de l’architecte de l’Opéra de Paris et décorateur de théâtre dans l’atelier d’Amable. L’année suivante, lorsque Ménessier quitte Gaumont pour Éclipse, c’est Garnier qui prend, à vingt-deux ans, la direction technique des décors. Il restera dans la maison trente-deux ans et donnera leur chance à Benjamin Carré, autre élève d’Amable, ainsi qu’à Jean Perrier, formé lui aussi dans un atelier de décors théâtraux. Carré suivra à la fin de 1912 Ménessier aux États-Unis19. Perrier restera pour devenir un des meilleurs décorateurs de sa génération.
18Méliès, pour sa part, décorateur expérimenté lui-même, s’est adjoint pour les décors de son studio de Montreuil un nommé Claudel, spécialisé dans les machineries, puis Colas qui, lorsqu’il préfère rejoindre Pathé, est remplacé par Lecointe.
L’émergence d’une profession
- 20 Laurent Le Forestier, Aux sources de l’industrie du cinéma. Le modèle Pathé – 1905-1908, Paris, L’H (...)
19Laurent débute chez Pathé au début de 1904 pour un salaire horaire de 1,50 franc, payable en or à la fin de chaque semaine. Celle-ci fait soixante heures, ce qui porte son salaire mensuel aux alentours de 360 francs, bien plus que les 200 francs des opérateurs débutants, mais proche sans doute de la rémunération forfaitaire des metteurs en scène, évaluée par Laurent Le Forestier aux environs de 3 000 à 4 000 francs par an20. Les perspectives d’évolution salariale sont d’autant plus limitées qu’il n’y a pas de hiérarchie à l’intérieur du groupe des décorateurs de Pathé :
- 21 Hugues Laurent, cité par René Prédal, op. cit., p. 30.
À l’intérieur du studio, le travail des décorateurs était collectif. Par exemple, l’un d’entre eux disait : « Je me charge des décors de l’Assassinat de Coligny », mais, s’il fallait lui donner un coup de main pour finir dans les temps, les autres venaient l’aider. Il n’y avait pas de chef décorateur et d’exécutants sous ses ordres. Tous avaient le même statut de décorateur, assurant toutes les étapes de la conception à la réalisation, y compris peinture et montage final.21
- 22 Ibid., p. 35.
20Plutôt que linéairement, à l’intérieur de la même entreprise, l’amélioration des revenus des décorateurs semble se faire surtout par crochets successifs qui les font passer d’une maison à l’autre. En témoigne l’itinéraire de Ménessier qui, recruté en 1901 ou 1902 par Pathé, disparaît à la fin de 1903 au service militaire jusqu’à sa réapparition chez Gaumont en 1905, avant de passer chez Éclipse et de s’exiler en 1912 (après quelles autres aventures ?) pour les États-Unis. Ou celui de Dumesnil, qui déserte Pathé en 1906 pour accompagner Gaston Velle dans les studios de la Cinès à Rome, et réapparaît en 1911 pour superviser l’équipe d’Éclair à Épinay, dirigée avant lui par Colas puis Personne. Lorsque, l’année suivante, Dumesnil propose de nouveau à Laurent de venir l’y rejoindre, Laurent est payé 1,70 franc de l’heure (et une bonification de 20 centimes au mètre carré réalisé) comme chef d’atelier chez Paul Paquereau, qui fournit en toiles peintes les principaux théâtres parisiens22.
21Si le travail des premiers décorateurs du cinéma reproduit presque exactement celui des décorateurs de théâtre, il s’en éloigne pourtant en plusieurs aspects. Le plus important est certainement le renoncement à la couleur imposé aux peintres par les aléas de l’interprétation photographique des teintes. Là encore, c’est Laurent qui nous informe avec le plus de détail sur les moyens utilisés pour tenter de contrôler le rendu des couleurs :
- 23 Ibid., p. 33
Jusque vers 1920, les décors étaient peints en gris ou en sépia avec de la peinture à la colle appelée aussi « peinture à la détrempe », à base de blanc de Meudon en vrac ou de blanc d’Espagne en pain ou en poudre. On établissait une « gamme » de sept, huit ou neuf tons allant du blanc au noir ou du blanc à la terre d’ombre brûlée, cette gamme étant tenue normale, claire ou foncée suivant le décor à réaliser.23
- 24 Le détail est cité, sans référence, dans l’article « Décor » de Maurice Bessy et Jean-Louis Chardan (...)
22La règle était-elle absolue ? On ne le sait plus aujourd’hui puisque les témoignages qui nous sont parvenus obligent à concilier ce que les uns nous disent des toiles peintes de théâtre louées ou achetées pour les films dans des ateliers spécialisés avec ces camaïeux brossés spécialement pour le cinéma, mais on se souvient que, comme les opérateurs, les décorateurs faisaient usage d’un viseur bleu, étalonné pour la pellicule employée, afin de tenter de préjuger des valeurs que prendrait l’image photographiée24.
- 25 Hugues Laurent, cité par René Prédal, op. cit., p. 31.
23Rapidement aussi, le cinéma répugne à se satisfaire des trompe-l’œil familiers au théâtre. Dans les tout premiers films comme sur les scènes du tournant du siècle, les accessoires et meubles n’exigeaient de réalité que s’ils jouaient un rôle dans l’action et le décorateur pouvait se contenter dans le cas contraire d’en peindre une image qui simulerait adroitement les reliefs. Passé 1905 ou 1906, ce type de trompe-l’œil disparaît – au moins dans les décors intérieurs – au profit d’un espace de représentation envahi par une foule d’accessoires qui prétendent attester sa réalité et où les reliefs commencent à apparaître, grâce à l’emploi de moulures appliquées sur la toile peinte. Le cinéma, ici, n’innove pas réellement et il se contente d’appliquer les préceptes réalistes illustrés dès les années 1880 par le Théâtre libre d’André Antoine. Mais il le fait sous la pression d’une caméra avide de scruter les détails et de multiplier les points de vue. La première conséquence pratique de cette tendance est de déplacer l’enjeu du travail des décorateurs, de moins en moins peintres et de plus en plus constructeurs et ensembliers à la fois. Cette évolution est favorisée par le fait que les nouveaux studios édifiés par les grandes sociétés de production possèdent de vastes magasins de stockage permettant d’entreposer meubles, accessoires et châssis entoilés de diverses dimensions prêts à être réemployés. C’est la fin d’une période héroïque où Pathé payait 5 francs par jour un accessoiriste pour transporter jusqu’au studio les accessoires nécessaires dans la caisse de son triporteur25.
24Parallèlement, les décorateurs voient s’élargir leur compétence au champ des effets spéciaux et doivent inventer pour eux des solutions nouvelles, proprement cinématographiques, pour lesquelles l’expérience du théâtre ne leur sert plus à rien. Laurent en donne quelques exemples. Pour le film Roman d’amour, réalisé par Lorant-Heilbronn en 1904, il fallait construire un décor de nuit représentant une partie du canal Saint-Martin, avec une porte d’écluse et sa passerelle.
- 26 Ibid., p. 34.
À cette époque les plateaux n’étaient pas équipés pour être alimentés en eau. On tourna donc la difficulté en utilisant une bâche d’environ 9 mètres sur 9, enduite de goudron de Norvège, que l’on monta sur un bâti en chevron de 70 millimètres de section, à une hauteur d’environ 90 centimètres. Les bords de la bâche débordant le bâti permettaient à un septain d’être passé alternativement sur tout le périmètre, dans les œillets de la bâche et dans les forts pitons fixés au sol du plateau. La bâche remplie d’eau jusqu’aux bords, sa couleur étant foncée, on ne pouvait juger de sa profondeur et le décor s’y reflétait facilement. La porte de l’écluse avec son chemin en planches traversait la bâche obliquement, les escaliers de la passerelle étaient praticables. Quand l’employé du gaz passait, avec sur l’épaule sa canne et son chalumeau à soufflerie pour éteindre le candélabre à réverbère peint en trompe-l’œil, l’effet de changement de lumière était obtenu au tirage du positif, la scène étant ensuite virée au bleu.26
25Pour un film identifié par Laurent comme la Chasse à la baleine mais dont on ne retrouve aucune trace dans les catalogues Pathé,
- 27 Charles Lucien Lépine est un des metteurs en scène de Pathé, chargé également, selon Laurent (Bulle (...)
- 28 Bulletin de l’Afitec, op. cit. p. 10.
les prises de vues devaient montrer l’animal dans ses évolutions entre deux eaux et en surface, rejetant par ses évents la vapeur d’eau provenant de sa respiration. La baleine avait été modelée, dans un mouvement, par M. Lépine lui-même27, elle avait environ 15 à 20 centimètres de longueur. Un bassin d’environ 2 x 2,20 x 0,20 m de profondeur avait été construit en zinc et placé dans un bâti en bois. Il était peint de différents tons verts, assez foncés dans le fond pour éviter que l’on sente sa profondeur réelle. Le sillage de la baleine était guidé par un bâti à rainure en T inversé placé au fond du bassin et peint des mêmes tons. La baleine placée dans l’eau émergeait d’à peu près la moitié. Elle avait été équilibrée après plusieurs essais. Trois fins œilletons placés sous le corps de l’animal recevaient trois fils invisibles : un pour le mouvement avant et les deux autres pour les mouvements de côté. La baleine était creuse et avait dans la tête une poche reliée à un tube en caoutchouc relié sous le ventre à un autre tube au bout duquel était une poire qui, par une pression, servait à rejeter par les évents l’eau dans laquelle on avait mélangé une poudre fournie par Ruggieri. Le fonctionnement était une réussite. Il est évident que les répétitions étaient assez longues et les prises de vues délicates. L’appareil exécutait certaines prises au ralenti et certaines autres à allure accélérée. Les mouvements de l’eau, très difficiles à obtenir pour les mettre à l’échelle, étaient bien meilleurs dans les prises accélérées et projetées normalement28.
26Pour l’Accident de chemin de fer, filmé parallèlement au précédent,
- 29 Il faut comprendre ici « en volume ».
- 30 Bulletin de l’Afitec, op. cit., p. 10.
On avait acheté « Au paradis des enfants », magasin de jouets qui était situé au coin de la rue du Louvre et de la rue de Rivoli, une locomotive, des wagons et des voies très minutieusement confectionnés. La locomotive fonctionnait à l’alcool à brûler. Une maquette plastique29 et peinte, dans le genre de celles que l’on confectionne aujourd’hui avait été réalisée à l’échelle du train et le pont enjambait une large rivière. L’accident se produisait vers le milieu du pont dont le parapet se brisait et un ou deux wagons restaient suspendus dans le vide. Évidemment, tous les documents étaient des dessins et des photographies de l’accident réel et d’autres accidents.30
27Ces films nous sont inconnus, mais on ne saurait manquer de les rapprocher des réalisations antérieures de Méliès, lequel figure aussi une baleine facétieuse rejetant de l’eau par ses évents (le Royaume des fées, 1903) et un accident de chemin de fer au moyen de jouets d’enfant (le Voyage à travers l’impossible, 1904). Le studio Pathé de Montreuil n’était pas très éloigné de celui de Méliès et les équipes de décoration se rencontraient souvent. Laurent est prompt pourtant à souligner que
- 31 Ibid., p. 7.
des échanges de vues se faisaient à propos des trucages et des recherches. Cependant il existait un « esprit maison » qui les empêchait de dévoiler entièrement leurs expériences. Zecca, lui, était toujours à l’affût de ce qui pouvait sortir de chez Méliès, il parlait souvent avec les décorateurs des derniers trucages sortis et, à la suite de ces conversations où chacun prenait beaucoup d’intérêt, l’imagination enflammée de Zecca enfantait toujours un film nouveau.31
- 32 Voir à ce sujet la correspondance de Richard Cantinelli à Henri Lavedan dans Alain Carou et Béatric (...)
28Pendant ces années d’émergence de leur profession nouvelle, les peintres décorateurs de cinéma ne prétendent pas plus au droit de voir leur contribution signée de leur nom qu’ils ne le feraient dans un des ateliers de décoration théâtrale où ils se sont formés. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la seule exception à cette généralisation de l’anonymat sera celle du Film d’Art. Cette société s’établit en 1908 dans son studio de Neuilly et les décors de sa première production, la Main (réalisateur inconnu), sont simplement empruntés à Pathé32. Mais la belle affiche pour l’Assassinat du duc de Guise (1908) d’André Calmettes et Charles Le Bargy fait largement connaître que les décors en ont été confiés à Émile Bertin, un des plus en vue des jeunes décorateurs de théâtre du moment, tandis que les meubles viennent de la maison Leonardi. C’est que, à ses débuts au moins, en 1908 et 1909, plutôt que de constituer sa propre équipe permanente de décorateurs, Le Film d’Art préfère s’adresser directement aux grands ateliers parisiens et demander les décors du Retour d’Ulysse, de l’Enfant prodigue, de Dans l’Hellade ou des Paysans à Lucien Jusseaume, Marcel Jambon ou Alexandre Bailly. Souvent même, les noms des décorateurs sont mentionnés sur les affiches, alors que n’y apparaît pas celui des metteurs en scène. L’affiche du Légataire universel précise ainsi que « les meubles viennent de la maison Krieger » tandis que le nom du réalisateur Calmettes est ignoré. Déjà s’amorce, avec cette pratique, l’utilisation du cinéma comme vitrine promotionnelle des décorateurs de la vie mondaine qui se développera dans les années 20.
Années 1920 : la révolution des techniques
- 33 C’est la date sur laquelle s’accorde la plupart des entretiens réalisés par la CRH, tout comme Laur (...)
29Le renouveau du métier de décorateur de cinéma en France après la Grande Guerre se fait plus lentement que dans d’autres pays qui lui indiquent les voies à suivre, en termes techniques aussi bien qu’esthétiques. L’exemple vient d’abord de l’Italie qui, la première, a osé des constructions monumentales et riches de détails, rendues possibles par le recours au staff, un mélange de plâtre et de fibres végétales qu’on peut sculpter et patiner pour lui donner tous les aspects possibles. On commence à peine, en France, vers 191333, à expérimenter avec le contreplaqué pour assurer aux décors le minimum de rigidité qui leur faisait défaut quand les Italiens montent déjà les décors imposants de Quo Vadis ? (1910) de Guazzoni ou de Cabiria (1914) de Pastrone. Après l’Italie, ce sont les États-Unis et les formidables décors d’Intolérance (1916) de Griffith, puis du Robin des Bois (1922) de Dwan qui encouragent l’esprit d’émulation. Henri Diamant-Berger, producteur-réalisateur de Vingt Ans après, s’enorgueillit en 1922 du travail de Robert Mallet-Stevens pour les décors :
- 34 Cinémagazine, n° 39, 29 septembre 1922, pp. 380-381. Il s’agit d’un reportage du journaliste Guilla (...)
Vous avez vu ce que j’ai fait à Billancourt pour le Te Deum ? Sur 12 000 m2 de terrain, j’ai fait édifier 43 façades de maisons réparties en 11 rues. Ce qui, avec la façade grandeur nature des 3 portails de Notre-Dame représente 7 800 m2 de décors construits et édifiés en quelques jours, pour être démolis de suite et céder la place à ceux que l’on est en train de bâtir pour quelques scènes du vieux Paris d’une part, et surtout pour celle […] de l’exécution de Charles ii devant le palais de Whitehall.34
30Cependant ses décors, même spectaculaires, demeurent modestes comparés à ce qui se fait outre-Atlantique, et on n’y retrouve pas le raffinement de détails de ses meilleurs concurrents étrangers. Le retard national est réel, donc, mais les producteurs français travaillent à le combler et la nécessaire diversification des techniques apportée par le recours à d’autres matériaux que le bois et la toile entraîne fatalement celle des corps de métier impliqués dans la fabrication des décors, en même temps que la redéfinition du décorateur comme celui qui conçoit et supervise l’ensemble plutôt que comme l’homme à tout faire qu’il était avant la guerre.
- 35 Juan Arroy, « Les décors de cinéma. Leur évolution. Ce qu’on appelle stylisation et expressionnisme (...)
31La remise en question des vieilles façons de faire n’est pas moins importante sur le plan purement esthétique. Depuis le départ de Maurice Tourneur pour les États-Unis, la critique française est demeurée attentive à sa production, mais ce n’est que rétrospectivement, et de façon peut-être chauvine, qu’elle reconnaîtra dans les audaces picturales de certains de ses décors les prémisses des stylisations expressionnistes. Juan Arroy, par exemple, dressant en 1925 un tableau de l’évolution du décor de film, fait de la Bruyère blanche, Prunella ou l’Oiseau bleu, tous réalisés par Tourneur en 1918, les premiers maillons d’une recherche de l’expressivité qui passe aussi, entre autres, par le Griffith du Lys brisé (1919), par certains films allemands et par ceux de L’Herbier ou de Delluc pour aboutir au Voleur de Bagdad (1924) de Walsh. Est-il nécessaire d’ajouter qu’il y fait une place à part au Cabinet du docteur Caligari (1919) et à son expressionnisme « qui déforme la réalité et ne se justifie que dans des cas spéciaux : folie, ivresse, fantaisie, fantastique, horrifique et surtout le rêve »35 car
- 36 Ibid.
sa déformation continue des choses enlève toute illusion chez le spectateur et il ramène le cinéma au théâtre, aux décors, aux toiles de fond, à tout ce dont il a eu tant de peine à s’affranchir ?36
32À partir du moment, en effet, où le film de Robert Wiene est montré en France en 1922, il exacerbe le débat qui s’était déjà instauré dans la critique autour des questions du décor et c’est toujours vers lui qu’on reviendra pour illustrer les possibles excès du refus du réalisme.
Le décor au centre des débats
33Tout au long des années 1920, la presse spécialisée française s’intéresse comme jamais auparavant à l’évolution du décor de cinéma et elle en profite pour questionner le rôle des décorateurs. Dès 1920, par exemple, Louis Delluc s’interroge, à l’occasion de sa critique du Secret de Rosette Lambert de Raymond Bernard :
- 37 Louis Delluc, « Le secret de Rosette Lambert », Paris-Midi, 26 octobre 1920. Cité dans Louis Delluc (...)
Un intéressant essai de décoration a été fait par R. Mallet-Stevens, qui a du talent et du goût, et aussi le tort de croire que le blanc et noir de l’écran doit être obtenu par de la matière noire et blanche, mais il en reviendra, j’en suis tranquille. Ce qu’il faut signaler ici, c’est l’inconvénient qu’il y a à faire décorer tout un film par le même peintre. Cela donne l’impression que tout se passe dans le même immeuble, dans les mêmes milieux. Surtout, l’importance du peintre nuit à celle du metteur en scène dans ces cas-là. On croit assurer ainsi au film plus d’unité. Il vaut mieux laisser au metteur en scène le soin de chercher et de trouver cette unité avec les éléments variés, différents, contradictoires même, qu’il a choisis.37
Et Moussinac de renchérir l’année suivante :
- 38 Léon Moussinac, « Intérieurs modernes au cinéma », Cinémagazine, n° 6, 25 février-3 mars 1921, pp. (...)
Raymond Bernard a chargé Mallet-Stevens du soin de composer les intérieurs du Secret de Rosette Lambert et, ce faisant, il a péché par manque de mesure et a versé dans l’excès contraire, car il nous paraît inadmissible de reconnaître dans tous les intérieurs de tous les acteurs du drame la personnalité du même décorateur. Faute grave que de confier à un seul artiste le soin de composer tous les décors : il lui est en effet impossible s’il est original – et il doit l’être – de se faire oublier. Il doit marquer de sa personnalité tout ce qu’il fait.38
- 39 Les décors de Messidor (1897) d’Émile Zola et Alfred Bruneau sont ainsi conçus et exécutés par Rubé (...)
34L’argument surprend aujourd’hui, et on ne peut le comprendre que si on garde en mémoire la tradition du théâtre, et surtout de l’opéra, qui confiait souvent les divers actes d’une même œuvre à des décorateurs différents en fonction de leurs talents particuliers39. Il éclaire en tout cas le choix de Marcel L’Herbier de demander, quatre ans plus tard, les décors de l’Inhumaine à quatre artistes différents.
35Dans un article de 1922 qui ne mentionne pas l’existence du décorateur, Moussinac déplace l’objet de ce débat sur le décor. Ce qu’il souligne, cette fois, c’est le vieux conflit « entre réalisme et symbolisme » ravivé par le Cabinet du docteur Caligari :
- 40 Léon Moussinac, « À propos du décor de cinéma », Cinémagazine, n° 11, 17 mars 1922, p. 332.
Il y a, dans le film allemand, des parties qui ne sont pas du cinéma mais du théâtre ou de la peinture : du théâtre quand, le jeu des lumières étant insuffisant, on a l’impression de se promener avec les acteurs parmi des murs de toile et des cadres de carton ; de la peinture quand nous apparaît une petite ville exactement peinte sur un fond, ni mieux ni plus mal que dans un tableau de chevalet, mais avec le charme des couleurs en moins. Au contraire, chaque fois que la lumière baigne le décor et lui prête si bien ses valeurs que le décor semble vivre, nous participons pleinement à l’émotion et à la beauté des images.40
36On pourrait croire que ces débats n’intéressent que marginalement notre propos tant l’existence des décorateurs des films y est ignorée au profit d’une réflexion plus générale sur la fonction du décor. Il n’en est rien car ce qui se joue en fait c’est une tentative de confiscation des décors de films par les décorateurs d’intérieur ou, dans une moindre mesure, les architectes. Le décor, en tout état de cause, est bien présent désormais dans la conscience du public, ainsi que l’attestent les nombreux reportages sur les décors en construction qui vont se multiplier dans des revues comme Cinémagazine, et la place faite aux déclarations des décorateurs les plus en vue. Comme le prouve aussi le court métrage promotionnel présenté par Diamant-Berger pour annoncer Vingt Ans après, dans lequel on voit les équipes fabriquer en studio puis monter sur un terrain de Billancourt le grand décor du parvis de Notre-Dame.
Le décor, entre ensembliers et architectes
37Avec cette conscience nouvelle d’un « art » du décor se pose la question des artistes qui vont le mettre en œuvre. Les premiers à comprendre qu’associer leur nom au cinéma, c’est se garantir une promotion beaucoup plus large que celle qu’ils trouvent dans les revues spécialisées, sont les décorateurs d’intérieur qui connaissent alors un véritable âge d’or. Francis Jourdain, par exemple, qui a ouvert après la guerre une boutique de décoration d’intérieur et de meubles, se souvient pour la CRH :
- 41 Fonds CRH, CRH 75-B4, p. 1. Le film cité de Delluc est très certainement Fumée noire (1920).
C’est là que j’ai connu Louis Delluc. Il est venu un jour au magasin et m’a demandé de lui prêter des meubles pour le film qu’il était en train de tourner, Fumée d’opium peut-être… C’est ainsi que je suis entré en rapport avec le cinéma et que je franchis, pour la première fois, la porte d’un studio. Ma première impression a été fort décevante. J’ai trouvé un plateau sans décor, rien de préparé, rien de prévu. Il fallait faire quelque chose avec ça. Je me rappelle d’un panneau que j’ai retourné, lambris en l’air, et sur le fond uni duquel j’ai peint des motifs décoratifs. Enfin, en une heure de temps, nous avons bricolé un décor, Louis Delluc et moi, et il a tourné. Par la suite, je lui ai encore prêté des meubles pour ses films, mais je ne sais plus lesquels. Germaine Dulac est venue aussi « Chez Francis Jourdain » pour meubler et décorer certains de ses films. Tous ces metteurs en scène d’avant-garde avaient très peu d’argent et ma collaboration était toute bénévole. Moi, cela m’intéressait et, heureusement, mes commanditaires voyaient dans ces prêts un intérêt publicitaire, à condition que le nom de la boutique figurât sur le générique du film.41
- 42 Éric Le Roy, « Donatien : furtif voyageur du cinéma français », Archives, n° 58-59, avril 1994, p. (...)
- 43 Léonce Perret, « Comment j’ai tourné Koenigsmark », Cinémagazine, n° 36, 7 septembre 1923, p. 330.
38Hormis ces contributions occasionnelles, Jourdain n’a pas de relation professionnelle avec le cinéma et il faudra attendre 1934 pour qu’il signe, par amitié pour Jean Vigo, les décors bien plus quotidiens de l’Atalante. Dès 1918, L’Herbier avait demandé les décors de Rose France à Donatien, ancien décorateur de théâtre qui possédait à Paris une boutique de décoration proposant « des matières précieuses, des fleurs, des fourrures, des fers forgés, des étoffes, des bibelots et, pareillement nés de son talent, des meubles Art Nouveau »42. Contrairement à Jourdain, Donatien persistera dans le cinéma et, tout en continuant de diriger sa boutique, il signera, comme décorateur et / ou comme réalisateur, une trentaine d’autres films jusqu’en 1932. Ce ne sont là que deux exemples. On pourrait en citer d’autres encore, tels que Michel Dufet, célèbre créateur de mobilier, à qui L’Herbier demande, en même temps qu’à Claude Autant-Lara, les décors du Carnaval des vérités (1921), Djo-Bourgeois, décorateur ensemblier réputé, qui signe en 1924 les décors de la Galerie des monstres de Jaque Catelain ou la maison André Groult, responsable de « la décoration ultra-moderne » des intérieurs du Koenigsmark (1923) de Perret, alors que le reste est dû à Ménessier, décorateur habituel du cinéaste43.
39Dans cette rencontre des arts appliqués et du cinéma, les illustrateurs ne sont pas en reste et Georges Lepape, fameux illustrateur de mode, partage la responsabilité des décors de Rose France avec Donatien avant de collaborer avec Garnier pour ceux de Villa Destin (1920), de L’Herbier encore. Sans doute son rôle demeure-t-il limité à des décors précis, selon l’usage de L’Herbier à cette époque. Il n’en va pas de même avec l’illustrateur et affichiste Manuel Orazi qui, chargé par Jacques Feyder d’imaginer son Atlantide (1921), accompagne le cinéaste en Algérie pendant plusieurs mois pour y édifier ses décors décadents, avant de prouver avec Crainquebille (1923) que Feyder et lui sont parfaitement capables d’assagir leur imagination pour la soumettre aux exigences du réalisme.
40Cependant, si l’on excepte Donatien, le cinéma ne constitue qu’une activité marginale pour des créateurs dont la notoriété est si bien établie qu’ils n’ont pas besoin de cette publicité supplémentaire. Leur contribution, en tant que décorateurs, s’interrompt rapidement et ils ne seront plus bientôt que des fournisseurs du mobilier moderne toujours demandé par des décorateurs de métier.
41Il n’en ira pas autrement avec les architectes qui, menés par Mallet-Stevens, membre parmi les plus actifs du Club des Amis du Septième Art de Canudo, revendiquent un temps une vocation quasi naturelle à annexer le cinéma. Mallet-Stevens n’a guère encore de réalisations architecturales à son crédit (sa première construction, la villa des Noailles à Hyères, date de 1923), mais ses propositions théoriques connaissent un large écho et ses décors de films (pour le Secret de Rosette Lambert, mais aussi pour les Trois Mousquetaires et Vingt Ans après, pour le Miracle des loups de Raymond Bernard, pour l’Inhumaine) l’ont placé au premier rang des décorateurs de films quand il plaide, en 1925, la disparition des purs décorateurs de films au profit des architectes. Pour lui, qui récuse au passage la tentation de confier les décors des films aux décorateurs ensembliers, architecture moderne et cinéma sont liés par une série d’échanges qui tiennent autant de l’artistique (les avancées de l’un favorisant l’évolution de l’autre et réciproquement) que du pratique (le cinéma familiarise le public avec l’architecture moderne qui tire, pour sa part, profit de matériaux et de techniques élaborés pour le cinéma) :
- 44 Robert Mallet-Stevens, « Architecture et cinéma », les Cahiers du mois, n° 16-17, septembre-octobre (...)
Dans un avenir proche, l’architecte sera le collaborateur indispensable du metteur en scène. […] En France, nous en sommes encore à l’ère du décorateur de théâtre mais on sent le besoin d’architecture et déjà nous pouvons voir quelques décors « construits ». Les Américains pour leurs meilleurs films ont fait appel à des architectes, l’art l’a emporté sur la mode. Un décor est plus une composition de murs, de plans, qu’un arrangement ingénieux de coussins et de tissus à fleurs. Le côté « décoratif » du décor disparaît de plus en plus pour laisser la place à la construction sobre et unie ; l’ornement, l’arabesque, c’est le personnage mobile qui les crée.44
Et il conclut :
- 45 Ibid., pp. 97-98.
L’exposition actuelle des Arts décoratifs va marquer le point de départ d’une ère nouvelle pour l’architecture ; le public qui ignorait l’architecture moderne en a vu quelques exemples et il y prend goût. […] Le cinéma bien compris doit être un instrument de propagande infiniment supérieur à une exposition aussi fréquentée qu’elle soit.45
- 46 Son prénom est plus souvent donné comme « Ivan » dans la presse de l’époque et c’est encore « Ivan (...)
42Mallet-Stevens a tort et ce ne sont pas des rangs des architectes que surgiront finalement les décorateurs français de cinéma. Lui-même signe en 1928 son dernier décor de film pour le Tournoi de Renoir avant de se consacrer exclusivement à l’architecture. Quant aux autres architectes authentiques qui auraient pu répondre à ses vœux – ils ont alors nom Alberto Cavalcanti, Jacques Colombier ou Lucien Aguettand – c’est à l’architecture qu’ils préféreront renoncer pour vouer toute leur activité au cinéma. Dès le premier tiers des années 1920, le Russe Alexandre Lochakoff impose avec ses créations résolument originales pour la compagnie Albatros une conception des décors de films qui ne se réclame plus ni du théâtre ni de l’architecture, mais d’un art entièrement nouveau spécifiquement conçu pour la caméra et n’hésitant pas à recourir à toutes les ressources des trucages46. Dans sa foulée et celle de Mallet-Stevens apparaissent les deux véritables fondateurs du décor de cinéma en France : le Français Jean Perrier, élève de Garnier et de Mallet-Stevens, qui va imposer son nom avec ses décors pour les films de Raymond Bernard, et le Russe Lazare Meerson, qui prend en 1925 la succession de Lochakoff à Albatros pour y devenir le décorateur inspiré des films de René Clair et de Jacques Feyder. Avec eux, le décor de cinéma français connaît sa véritable révolution : celle de l’émergence d’un métier nouveau, crédité enfin comme tel dans les génériques, celui des « décorateurs » de films qui, indifféremment formés dans les écoles d’architecture, des Beaux-Arts ou des Arts appliqués, choisissent de se consacrer uniquement au cinéma. Certains insisteront ensuite pour se voir identifiés comme « architectes-décorateurs », mais ce sera un débat des années 1930. Dans cette décennie, sur le modèle américain, se sépareront les fonctions de celui qui conçoit les décors (le décorateur en France, l’art director aux États-Unis) et de celui qui en dirige la décoration intérieure (l’ensemblier ici, le set decorator là-bas).
Notes
1 Médiathèque de la Cinémathèque française, Fonds CRH, CRH105-B5.
2 Fonds CRH, CRH24-B1 et CRH44-B2.
3 Fonds CRH, CRH28-B1, CRH33-B2, CRH36-B2, CRH37-B2 et CRH44-B2.
4 Fonds CRH, CRH75-B4.
5 Cette biographie de Laurent doit beaucoup à ses propres souvenirs, mais aussi aux informations communiquées à l’auteur par le décorateur Max Douy, qui les avait collectées au moment de la reconstitution de la carrière de Laurent en vue de son admission à la retraite. Douy a publié un essai de filmographie de Laurent dans le dossier de presse de l’exposition « Hommage aux décorateurs du cinéma français » organisée en 1984 à Boulogne-Billancourt par l’Association artistique et culturelle d’images internationales
6 Fonds CRH, CRH 105-B5.
7 Hugues Laurent, « Le décor de cinéma et les décorateurs », Bulletin de l’Afitec, n° 16, 1957, pp. 3-10.
8 René Prédal, « Hugues Laurent : un demi-siècle d’évolution du décor de cinéma », l’Avant-Scène Cinémathèque, n° 10, supplément à l’Avant-Scène Cinéma, n° 192, 15 septembre 1977, pp. 27-41.
9 Cote VK-110325.
10 Et non à Montreuil, comme je l’ai moi-même écrit dans mon ouvrage le Décor au cinéma, Paris, Cahiers du cinéma / L’Étoile, 2003, p. 21.
11 Alice Guy, Autobiographie d’une pionnière du cinéma (1873-1968), Paris, Denoël / Gonthier, 1976, p. 70.
12 Manuel Charpy, « La comédie à demeure dans le Paris du xixe siècle », dans Florence Gherchanoc (dir.), la Maison, lieu de sociabilité, dans des communautés urbaines européennes, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Le Manuscrit, 2006, p. 193.
13 Léon Barsacq, le Décor de film, Paris, Seghers, 1970, p. 17.
14 Le recoupement de cette chronologie est parfois contradictoire et, pour tout simplifier, le musée du Cinéma de la Cinémathèque française détient deux dessins de décor pour Pathé datés de 1908 et signé d’A. Ménessier, lequel n’est nulle part mentionné parmi les décorateurs de la maison.
15 Entretien avec Ferdinand Zecca, Fonds CRH, CRH 36-B2, p. 7.
16 Hugues Laurent, op. cit., p. 4.
17 Fonds CRH, CRH52-B2, p. 22.
18 Alice Guy, op. cit., p. 73.
19 Sur l’installation de Ménessier et de Carré aux États-Unis, on consultera avec profit Richard Koszarski, Fort Lee : The Film Town, Rome, John Libbey, 2004, pp. 107-108, et Kevin Brownlow, « Ben Carré », Sight and Sound, vol. 49, n° 1, hiver 1979-80, pp. 46-50.
20 Laurent Le Forestier, Aux sources de l’industrie du cinéma. Le modèle Pathé – 1905-1908, Paris, L’Harmattan / AFRHC, 2006, p. 93.
21 Hugues Laurent, cité par René Prédal, op. cit., p. 30.
22 Ibid., p. 35.
23 Ibid., p. 33
24 Le détail est cité, sans référence, dans l’article « Décor » de Maurice Bessy et Jean-Louis Chardans, Dictionnaire du cinéma et de la télévision, volume II, Paris, Pauvert, 1966, p. 30.
25 Hugues Laurent, cité par René Prédal, op. cit., p. 31.
26 Ibid., p. 34.
27 Charles Lucien Lépine est un des metteurs en scène de Pathé, chargé également, selon Laurent (Bulletin de l’Afitec, op. cit., p. 7) de « diriger » les deux studios de Montreuil et de Vincennes. Il désertera Pathé en 1906 pour rejoindre en Italie la société Rossi et Cie.
28 Bulletin de l’Afitec, op. cit. p. 10.
29 Il faut comprendre ici « en volume ».
30 Bulletin de l’Afitec, op. cit., p. 10.
31 Ibid., p. 7.
32 Voir à ce sujet la correspondance de Richard Cantinelli à Henri Lavedan dans Alain Carou et Béatrice de Pastre (dir.), 1895, n° 56, « Le Film d’Art et les films d’art en Europe, 1908-1911 », décembre 2008, p. 67.
33 C’est la date sur laquelle s’accorde la plupart des entretiens réalisés par la CRH, tout comme Laurent, qui mentionne l’Aiglon (1913) d’Émile Chautard comme un des premiers décors à avoir utilisé ce matériau pour un décor de salon (cité par René Prédal, op. cit., p. 33).
34 Cinémagazine, n° 39, 29 septembre 1922, pp. 380-381. Il s’agit d’un reportage du journaliste Guillaume Danvers.
35 Juan Arroy, « Les décors de cinéma. Leur évolution. Ce qu’on appelle stylisation et expressionnisme du décor de cinéma », Cinémagazine, n° 10, 6 mars 1925, p. 451.
36 Ibid.
37 Louis Delluc, « Le secret de Rosette Lambert », Paris-Midi, 26 octobre 1920. Cité dans Louis Delluc, Écrits cinématographiques II / 2 : le cinéma au quotidien, Paris, Cinémathèque française / Cahiers du cinéma, 1990, pp. 207-208.
38 Léon Moussinac, « Intérieurs modernes au cinéma », Cinémagazine, n° 6, 25 février-3 mars 1921, pp. 6-7.
39 Les décors de Messidor (1897) d’Émile Zola et Alfred Bruneau sont ainsi conçus et exécutés par Rubé et Moisson (acte I), Chaperon et fils (acte II), Amable (acte III) et Jambon et Bailly (acte IV). Lucien Jusseaume est réputé être le premier décorateur de son temps à avoir assuré seul les décors d’une œuvre entière, sans doute pour Fidélio de Beethoven représenté à l’Opéra-Comique en 1898 (cf. Adolphe Appia, Œuvres complètes, volume 2, Lausanne, L’Âge d’homme, 1986, p. 363).
40 Léon Moussinac, « À propos du décor de cinéma », Cinémagazine, n° 11, 17 mars 1922, p. 332.
41 Fonds CRH, CRH 75-B4, p. 1. Le film cité de Delluc est très certainement Fumée noire (1920).
42 Éric Le Roy, « Donatien : furtif voyageur du cinéma français », Archives, n° 58-59, avril 1994, p. 1.
43 Léonce Perret, « Comment j’ai tourné Koenigsmark », Cinémagazine, n° 36, 7 septembre 1923, p. 330.
44 Robert Mallet-Stevens, « Architecture et cinéma », les Cahiers du mois, n° 16-17, septembre-octobre 1925, p. 96.
45 Ibid., pp. 97-98.
46 Son prénom est plus souvent donné comme « Ivan » dans la presse de l’époque et c’est encore « Ivan » qu’indiquent des génériques comme celui du Quinzième Prélude de Chopin (1922) de Tourjansky. On peut suspecter dans ce dernier cas qu’il s’agit, comme souvent, d’une précision ajoutée par le restaurateur à partir des informations dont il pouvait disposer. Les recherches inédites de Lenny Borger ont établi avec certitude le véritable prénom de Lochakoff : Alexei Vladimirovitch.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Jean-Pierre Berthomé, « Les décorateurs du cinéma muet en France », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 65 | 2011, 90-111.
Référence électronique
Jean-Pierre Berthomé, « Les décorateurs du cinéma muet en France », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 65 | 2011, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/4437 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.4437
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page