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Actualité

Natacha Aubert, Un cinéma d’après l’antique. Du culte de l’Antiquité au nationalisme italien / Hervé Dumont, L’Antiquité au cinéma. Vérités, légendes et manipulations

Paris, L’Harmattan, 2009, préface de Michèle Lagny, 334 p. / Préface de Jean Tulard, Paris-Lausanne, Nouveau monde-Cinémathèque suisse, 2009, 648 p.
François Albera
p. 170-175
Référence(s) :

Natacha Aubert, Un cinéma d’après l’antique. Du culte de l’Antiquité au nationalisme italien, Paris, L’Harmattan, 2009, préface de Michèle Lagny, 334 p.

Hervé Dumont, L’Antiquité au cinéma. Vérités, légendes et manipulations, préface de Jean Tulard, Paris-Lausanne, Nouveau monde-Cinémathèque suisse, 2009, 648 p.

Texte intégral

1Deux ouvrages sortent simultanément sur l’Antiquité au cinéma : celui de Natacha Aubert, thèse soutenue à Paris 3 qui se concentre sur une période et propose une interprétation de la « vague » de films « d’après l’antique » qui se développe dans le cinéma italien entre 1900-1930, et le livre somme d’Hervé Dumont – qu’il appelle, par antiphrase, un « opuscule » (648 pages grand format), l’Antiquité au cinéma. Vérités, légendes et manipulations qui embrasse toute la production de 1895 à 2008. Cette coïncidence de parution et les différences entre les deux ouvrages devraient inciter les historiens, les « érudits » et les amateurs de ce « genre » à passer de l’un à l’autre, confronter leurs méthodes et leurs approches, croiser leurs questions et leurs réponses concernant un objet qui manifestement fascine depuis toujours par des biais différents allant de la reconstitution historique à l’amour des « hommes forts » (Cf. le compte rendu du Cinema ritrovato 2009 à Bologne dans ce même numéro mais la consultation de Google sur internet édifie en un clin d’œil sur la faveur dont il bénéficie de l’université à la cinéphilie fétichiste). Bien que son sujet soit bien délimité dans le temps (1910-1920) et l’espace (le cinéma italien), Aubert dans son introduction, comme Lagny, dans sa préface, commencent d’ailleurs toutes deux par l’évocation de la sortie, « à l’aube du XXIe siècle, en 2000 » de Gladiator, d’Alexandre et de Troie en 2004, sans compter les films de télévision et les jeux video. Elles s’inscrivent ainsi toutes deux dans la « logique » qu’a choisie Hervé Dumont qui embrasse toute l’histoire du cinéma et dans tous les pays… Aubert y revient en outre dans la conclusion. Pourtant, dit la préfacière, on n’assiste pas pour autant avec ces films récents à la renaissance d’un « genre » dont elle situe l’existence dans les années 1910-1920 puis 1960. Les guillemets s’imposent dans l’usage de ce mot car Aubert s’attache précisément à discuter la dénomination la plus familière, celle de « péplum » qui naît à la fin des années 1950 en France pour désigner des productions italiennes populaires, divertissantes (mais, sauf erreur le mot est déjà usité auparavant hors du cinéma, au théâtre) qu’on a eu tendance à appliquer à tous les films « à l’antique », qu’ils soient des années 1910 (c’étaient alors des films de prestige), qu’ils soient américains ou autres. Le terme, en outre, n’a pas d’équivalents dans les autres langues que le français, ou plutôt découpe un ensemble qui n’est pas le même ailleurs, ni en anglais (« Epic film »), ni en italien (« film storico »). « C’est a posteriori que les films à sujets antiques ont fini par constituer un genre reconnu » dit encore Aubert (p.198). Quoi qu’il en soit c’est à l’origine et à la première phase de ce « genre », appréhendé dans le seul cinéma italien, qu’elle développe une double perspective : la construction des images de l’antique à laquelle ces films procèdent et la détermination idéologique dont le contexte sociopolitique les affecte. Méthodologiquement, avance-t-elle, la limitation du corpus est le seul moyen d’étudier précisément « l’usage que les acteurs de la production font de l’Antiquité dans leurs films » (p.18). Après avoir brossé un tableau de la place de ces films dans la production italienne (chiffres et graphiques à l’appui), l’auteur s’intéresse à la question des sources. « Chaque film ou presque, écrit-elle, peut être relié à une source littéraire antérieure » (p.49) : romans, pièces de théâtre, opéra. On retiendra que ces sources sont toujours étrangères, « le dédain pour la littérature nationale », héritage de l’Italie d’avant l’unification, régnant. Il y a ensuite les sources iconographiques (peinture). Puis on étudie la réception critique de ces films non seulement en Italie mais aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne. Enfin on analyse de près un petit nombre de films (les trois versions des Derniers jours de Pompéi, Jules César et Cabiria sont confrontés ainsi que quelques autres cas d’école), avant de livrer une filmographie année par année qui occupe cent pages de l’ouvrage et comporte des reproductions de bonne qualité (c’est donc possible dans l’édition française et même à L’Harmattan !). La signification de ce « recours à l’antique » dans une Italie récemment unifiée, l’appel à l’identification avec un passé glorieux, l’image donnée à l’extérieure d’une Italie forte et conquérante, le nationalisme latent qui est repris par le fascisme ensuite, ce sont autant de thèmes qui sont devenus des classiques de l’approche de type « Histoire et cinéma ». En s’attachant avec précision (Lagny parle de « méticulosité ») à l’étude documentaire du corpus choisi, l’ouvrage de Natacha Aubert, peut-on espérer, interdira les approximations et les commentaires faciles sur ce sujet. On peut en revanche regretter que sur certains aspects, Aubert (qui a suivi, dit-elle, les cours de Gaudreault) ne soit pas plus vigilante, par exemple sur l’usage du terme « critique » (suc- cessivement « balbutiante », « éblouie », « engagée », « lassée ») pour désigner les articles de presse ou dans le recours à un supposé « langage cinématographique » à ses débuts (p.122), enfin en demeurant dans la problématique des « sources » (voir plus haut), elle ne donne guère la mesure de la situation intermédiale du cinéma dans la période choisie et surtout – dans le cas de l’iconographie antique – de la chaîne de reprises, copies, vulgarisations d’une imagerie de masse (Brunetta en avait montré maints exemples s’agissant des films à l’antique), dont le cinéma fait partie.

2Le cinéma « art de masse », c’est bien le postulat d’Hervé Dumont dans son ouvrage (et album : relevons la qualité iconographique en noir et en couleur, sa variété et sa quantité), l’Antiquité au cinéma dont l’objet est la « représentation » de l’Antiquité au cinéma, à la télévision et en video (2200 titres répertoriés) plutôt que l’histoire du cinéma. En un sens, son entreprise quelque peu herculéenne (ce volume n’étant que le premier d’une Encyclopédie du film historique en quatre parties – viendront Moyen Âge et Renaissance, Absolutisme et XIXe siècle) n’est pas sans lien avec le courant des cultural studies.

3L’organisation de l’ouvrage se conforme à une chronologie générale et y range les films selon leur sujet historique ou préhistorique et non selon leur époque de production. « Coup » singulier, l’Antiquité ici commence à la Préhistoire, suivie des Hébreux (les films bibliques), de l’Égypte des Pharaons, de la Mésopotamie et de l’Asie mineure avant d’en venir à la Grèce (mythologique, « troyenne », historique), à Rome (de Romulus à César, impériale) et à l’Antiquité tardive (jusqu’à Byzance) avec en sus les Royaumes mythiques imaginaires (de Conan au Seigneurs des anneaux). On ne discutera pas ce choix – il en est certainement d’autres (plus communément on situe l’Antiquité entre la préhistoire et le Moyen âge) et la notion varie selon les continents (Amérique, Asie). Ce classement chronologique et par sujets permet à l’auteur d’exposer ce qu’on retient de ces époques (« imaginaire collectif »), comment cette image évolue et d’examiner comment le cinéma s’en empare, soulignant dans les introductions à chaque sous partie les lacunes ou les impasses sur des moments, des épisodes (l’anéantissement de Mycènes, la peste d’Athènes en 430 avant notre ère) ou des personnages (Solon, Thémistocle jamais évoqués) ou encore les « manipulations » historiques – comme cette « anticipation » de l’esclavage dans l’Égypte des pharaons ou le respect de la lettre des récits bibliques dans les films américains – en reliant les films et leurs choix au contexte politique et idéologique du moment (nationalisme, fascisme, guerre froide…). Il permet enfin au lecteur de voir défiler les différentes versions d’un même mythe, d’un même épisode, d’un même personnage du début du XXe siècle au début du XXIe, de la France, l’Italie ou les États-Unis à la Grèce ou la Roumanie. Cela rapproche l’ouvrage de certaines expositions thématiques centrées sur une figure récurrente en peinture (par exemple « Cléopâtre dans le miroir de l’art occidental » [Genève 2004]).

4On retiendra que, pour sa part, loin de récuser le terme (tardif, il en convient) de péplum, Dumont l’étend à tous les films en costumes (y compris, on l’a vu, les peaux de bêtes) pour y voir moins un genre qu’une « catégorie de films particip[ant] des genres les plus divers » : grandes fresques historiques ou nationalistes, biographies filmées, cinéma religieux, fantastique, catastrophe, d’aventures et d’expédition, mélodrame, comédie musicale, films de propagande, adaptations littéraires, parodie, burlesque, érotique ou pornographique. S’il énumère quelques « conventions narratives » (linéarité du récit, rareté des flash-backs ou de retours dans le passé du passé – ce qui est paradoxal si l’on songe à la structure de l’Odyssée par exemple et de bon, nombre de « sources » de ces films –, extériorisation des conflits, etc.), il retient avant tout l’exigence du « spectaculaire » : gigantisme des décors, importance quantitative des figurants, « clous » (course de chars, effondrement de temple, éruption volcanique…). On ne manquera de trouver des contre-exemples en puisant à même les filmographies commentées qui suivent l’introduction où sont évoquées ces questions de méthode et exposée cette problématisation : qu’il s’agisse du Socrate de Rossellini ou d’Othon de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet bien sûr, mais aussi bien Le Troiane de Cottafavi voire le Retour d’Ulysse de Calmettes-Le Bargy… Mais on admettra pourtant cette définition entée sur une tendance dominante ou simplement « attendue » ce qui rend les « exceptions » – finalement assez nombreuses (choix esthétiques ou pauvreté de moyens) – d’autant plus intéressantes car elles forment un négatif de cette dominante et souvent polémiquent avec elle. D’où le malaise que l’on ressent devant des appréciations restrictives sinon prescriptives dans certaines notices visant l’« élitisme » culturel. Ainsi Il Vangelo secondo Matteo de Pasolini, d’abord crédité de « dénon[cer] l’hypocrisie du cinéma biblique à la sauce hollywoodienne » en ne devant rien à la reconstitution, aux « clichés » et au « pompiérisme de tant de fresques religieuses » au profit d’une « sécheresse documentaire, une intensité et une humilité empreintes de poésie », est, in fine, accusé d’« esthétisme idéologisant », de « religiosité pour bourgeois cultivés » : « ceux qui méprisent le cinéma populaire, donc les péplums » (pp. 419-420). De même « pénalise »-t-on volontiers çà et là les films adoptant un autre parti que le spectaculaire en leur reprochant de ne s’adresser qu’aux « puristes » (p. 511) ou aux « aficionados » (p. 231). L’auteur n’a pas voulu exclure ces films de sa nomenclature – qui vise à l’exhaustivité – bien qu’ils ne correspondent pas aux critères définissant la « catégorie » du péplum qu’il s’est donnés, mais ils ne les intègrent pas vraiment à son corpus tel que l’éclaire son introduction. L’ampleur du corpus déclenche d’ailleurs d’autres questions d’inclusion et d’exclusion : pourquoi faire figurer l’Olympia de Riefenstahl en raison de son prologue et non le Mépris de Godard avec ses statues antiques et ses rushes d’une Odyssée fragmentaire mais largement commentée dans les dialogues ?

5Dans le cas de Dumont comme dans celui d’Aubert, on se prend à regretter que cette riche évocation ne soit pas plus souvent reliée à ses antécédents, non seulement les sources littéraires directes (toujours mentionnées) mais les « séries culturelles » antérieures ou contemporaines, picturales et surtout provenant de l’imagerie de masse (gravures, plaques de lanterne magique, illustrations populaires) et des spectacles de scène du XIXe siècle (René-Charles Guilbert de Pixerécourt, « le Corneille des Boulevards » fut le théoricien et le praticien de ces drames historiques spectaculaires et Dumont qui connaît bien Dumas sait qu’en son temps on mit en scène des « machines » de longue durée sur la scène [Cf. les études de Charles Grivel]).

6En arrière-fond de l’examen de la conception qu’on se fait d’une époque donnée, de sa reconstitution (critère décisif : il s’agit de films qui ne peuvent « que » reconstituer le passé, le cinématographe n’ayant pu en être le témoin « direct »), sa perception ou interprétation, son instrumentalisation, sa déformation (consciente ou non) et sa trans- mission, il y a l’évaluation de la place de l’Antiquité dans la culture populaire contemporaine. Plus : la progressive disparition des « humanités » dans l’enseignement, l’éviction des cours de latin-grec, l’amenuisement, dans les programmes d’histoire, de la part accordée depuis la Renaissance (relayée par la Révolution française) à Athènes et Rome, fait que le cinéma (au sens large) est devenu le principal vecteur de connaissance ou de méconnaissance de ces époques (avec, nettement en dessous, la bande dessinée) (pp. XVI-XVII), supplantant les synthèses à la Fustel de Coulanges ou les séries de « vies quotidiennes » (dans la Rome antique, etc.). Or le type de médiatisation qu’il propose comporte certaines particularités telles que l’« actualisation » et la « familiarisation » dont il serait vain – l’auteur y insiste – de déplorer les effets (balance à trouver entre « authenticité » et « efficacité narrative », libertés par rapport au savoir historique ou archéologique, adaptation des vêtements aux critères contemporains, etc.) qui ne sont pas moins propres au médium que le sont ceux de l’opéra ou du roman historique à la Dumas (p. XXVIII). Dumont comme Aubert évoquent, à cet égard, l’hostilité que nourriraient les professeurs, les « sorbonagres », à l’endroit des péplums. Cela a sans aucun doute été vrai mais l’est-ce encore ? Précisément parce que le cinéma et la télévision sont devenus les principaux vecteurs de la représentation de l’Antiquité ne voit-on pas au contraire de plus en plus d’érudits s’intéresser au « genre » – à commencer par les deux auteurs dont nous parlons qui sont des universitaires et qui ont tous deux une formation en histoire ? Là encore une incursion sur Internet persuadera en un clin d’œil de la faveur du péplum dans la littérature académique, les cours d’université y consacrés, etc. Dumont souligne le fait qu’il n’est plus, depuis les années 1940-1950, de films historiques hollywoodiens (ou autres : la Guerre du feu d’Annaud jugé « très supérieur au roman de Rosny » – ce que je conteste pour ma part) sans un aréopage de conseillers scientifiques (architectes, historiens, archéologues, préhistoriens, paléontologues) dont les instructions sont suivies ou non en fonction des exigences esthétiques que se donnent producteurs, réalisateurs et techniciens (p. XXIX). C’est incontestable et c’est d’ailleurs pourquoi il peut paraître « touchant » de voir des spécialistes de l’Antiquité, loin de les rejeter, reconnaître à ces films une part de « vérité » (pour reprendre un des termes du sous-titre du Dumont)… qu’y ont mise leurs collègues d’outre-Atlantique et qui a la fonction de ce que Barthes appelait une « vaccine ». Comme de croire constater, dans ces productions qui sont des avatars d’une longue suite de vulgarisations des mythes ou des scènes historiques, une homologie avec ceux-ci qui est délibérément construite (Cf. Florence Dupont reliant Homère et Dallas).

7Le péplum a de l’avenir.

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Pour citer cet article

Référence papier

François Albera, « Natacha Aubert, Un cinéma d’après l’antique. Du culte de l’Antiquité au nationalisme italien / Hervé Dumont, L’Antiquité au cinéma. Vérités, légendes et manipulations »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 60 | 2010, 170-175.

Référence électronique

François Albera, « Natacha Aubert, Un cinéma d’après l’antique. Du culte de l’Antiquité au nationalisme italien / Hervé Dumont, L’Antiquité au cinéma. Vérités, légendes et manipulations »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 60 | 2010, mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 10 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/3884 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.3884

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François Albera

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