Navigation – Plan du site

Accueil189560ÉtudesUn cinéaste antifasciste à Paris ...

Études

Un cinéaste antifasciste à Paris : Slatan Dudow (1934-1939)

An anti-Fascist director in Paris: Slatan Dudow (1934-1939)
Mélanie Trugeon
p. 64-91

Résumés

Réfugié à Paris après l’arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne, le metteur en scène de théâtre et cinéaste bulgare Slatan Dudow poursuit son travail militant sur scène, à la radio et sur les écrans dans la capitale française jusqu’à son expulsion en 1939-1940 où il trouve alors refuge en Suisse. À partir d’un riche fonds d’archives déposé aux Archives Nationales, inexploité à ce jour, cet article retrace les conditions et les aléas de cette activité artistique et politique, en particulier à partir des échanges épistolaires de Dudow et de Bertolt Brecht (réfugié au Danemark) – dont il crée à partir les Fusils de la Mère Carrar notamment –, ainsi qu’avec les organismes culturels ouvriers qui distribuent ses films (Kuhle Wampe et Seifenblasen).

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Voir Gilbert Badia, Jean-Baptiste Joly, Jean-Pierre Mathieu, Jacques Omnes, Jean-Michel Palmier, Hé (...)
  • 2 Depuis Forster et Heine, l’exil en France apparaît aux artistes comme une promesse de liberté. Il s (...)
  • 3 Selon Bernard Eisenschitz (le Cinéma allemand, Paris, Nathan Université, 1999, p. 69). Gilbert Badi (...)
  • 4 La RKK était divisée en sept départements – littérature, théâtre, arts plastiques, musique, cinéma, (...)

1En 1933, après l’arrivée au pouvoir de Hitler, plus de 60 000 émigrés quittent l’Allemagne1 ; la majorité d’entre eux se rend en France (25 à 30 000)2. Parmi ces émigrés se trouvent avant tout des militants politiques, des juifs et, appartenant à l’une et l’autre de ces deux catégories, un important contingent d’artistes : écrivains, peintres et cinéastes. Au sein des métiers du cinéma, ce sont plus de mille personnes qui prennent le chemin de l’exil3. Le 22 septembre 1933, la création par le ministère de la Propagande et de l’Éducation du peuple de la Reichkulturkammer (RKKChambre de culture du Reich)4, présidé par le ministre lui-même, Joseph Goebbels, avait immédiatement eu pour effet l’exclusion de tout artiste juif, communiste ou « dégénéré » de la vie artistique puisqu’il fallait y être inscrit pour avoir le droit d’exercer. Les proscrits se réfugient donc dans les pays limitrophes et – pour certains d’entre eux – constituent des réseaux antifascistes, trouvant inégalement l’appui de partis et de syndicats nationaux d’extrême gauche dans les pays d’accueil.

  • 5 Sur la vie et l’itinéraire de Dudow, voir la seule monographie en français qui lui soit consacrée : (...)
  • 6 Correspondance Duda Film, Archives Nationales, Paris, dépôt AB/XIX/3562/6. Cette archive fait parti (...)
  • 7 Sa rédaction, à partir d’un mémoire en histoire de l’Université de Paris X, a bénéficié de l’aide d (...)

2À l’instar de ces émigrants allemands, Slatan Dudow, metteur en scène de théâtre et cinéaste marxiste engagé dans l’action politique, se trouve contraint à l’exil5. Réfugié à Paris de 1934 à 1939 puis en Suisse de 1939 à 1945, Dudow s’est vu confisquer ses archives par la police française, alors qu’il se trouvait menacé d’expulsion après la déclaration de guerre. Bénéfice inattendu de cette mesure coercitive, un fonds Dudow est maintenant déposé aux Archives Nationales qui permet de retracer les activités du cinéaste et metteur en scène durant cette période à travers sa correspondance privée – en particulier avec Brecht – et commerciale6. C’est essentiellement sur les ressources de ce fonds que la présente étude se fonde7.

Sofia-Berlin-Moscou-Paris

  • 8 Kommunistische Partei Deutschlands (KPD) : Parti communiste allemand.
  • 9 Internationale Arbeiterhilfe : Secours rouge international.
  • 10 Voir Francis Courtade, Pierre Cadars, Histoire du cinéma nazi, Paris, Losfeld, 1972, p. 17.
  • 11 Cf. en particulier les débats qui se tiennent au sein du LEF autour de la question du matériau, de (...)

3Slatan Dudow (1903-1963) se rattache à la communauté des intellectuels et artistes allemands de gauche, mais son engagement politique est antérieur à son arrivée en Allemagne et antérieur à la guerre de 1914-1918 qui détermina la radicalisation politique des milieux artistiques et culturels allemands. Grâce à son père, cheminot et militant, il est confronté dès son enfance aux combats du parti social-démocrate des Travailleurs de Bulgarie ; avant de s’enthousiasmer pour la révolution d’Octobre, il prend part à des meetings et rassemblements à Sofia (notamment la grève générale des cheminots en 1919) et accentue son engagement après la Grande guerre. Après la mort de son père en 1919, il se rend à Berlin, en 1922, pour suivre des études d’architecture, mais s’oriente vers le théâtre. Il suit les cours de Max Hermann à l’Institut d’études théâtrales, travaille parallèlement chez Erwin Piscator et avec Leopold Jessner et Jürgen Fehling. Il assiste au tournage de Metropolis, se rend, en 1929, à Moscou où il suit le travail de Meyerhold, rencontre Eisenstein et Trétiakov. En 1929, sa rencontre avec Victor Blum, producteur de documentaires au sein du mouvement ouvrier pour le Volksfilmverband et la Weltfilm affiliés à la Prometheus, le conduit à devenir assistant de production et lui permet de commencer sa carrière de cinéaste. Il participe à la réalisation d’une série de documentaires commandés par le KPD8, les jeunesses communistes ou l’IAH9 tels que Hunderttausend unter roten Fahnen [Des centaines de milliers sous les drapeaux rouges] ainsi que Rotsport marschiert [Sport rouge en marche] et Sprengt die Ketten [Brisez les chaînes]. Ces documentaires sont aussitôt interdits par la censure mise en place dès la fin de l’année 1930 par le gouvernement de Thuringe afin de lutter contre toute création ne relevant pas de la « culture allemande »10. Loin d’être découragé, Dudow ne tarde pas à se lancer dans une série de courts métrages traitant de la vie du travailleur berlinois – sous le titre de Wie lebt der Berliner Arbeiter ? Le premier de la série, Wie der Berliner Arbeiter wohnt [Comment se loge l’ouvrier berlinois], aborde, sous l’angle du logement, la question du chômage, endémique à Berlin en raison de la crise économique. Dans ce premier film, où il est à la fois scénariste, metteur en scène, caméraman et monteur, Dudow s’efforce de dénoncer les difficultés matérielles des chômeurs berlinois et d’en expliquer les origines. Il filme des scènes d’expulsion avec une caméra cachée et fixe les visages des expulsés pour les opposer ensuite, par le montage, à des gros plans de policiers. Le court métrage est d’emblée interdit. Ce type de film où il introduit la réalité brute à titre de matériau artistique de base est, pour lui, le moyen de renouveler le cinéma de fiction dans le droit-fil des débats qui se tiennent alors en URSS dans les milieux d’avant-garde11.

  • 12 Anna Gmeiner, collabora plus tard avec Georg-Wilhelm Pabst pour Kameradschaft [la Tragédie de la mi (...)
  • 13 Sur ce film, sa réception et ses démêlés avec la censure, voir 1895, n° 47, décembre 2005 (« Cas d’ (...)

4À son retour de Moscou, Dudow avait fait la connaissance de Brecht dont il devint proche : après une première collaboration avec Hanns Eisler sur la pièce d’Anna Gmeiner, Heer ohne Helden [Armée sans héros]12, qu’il met en scène en janvier 1930, il monte Die Maßnahme [la Décision] en 1931, toutes deux à Berlin. Avec Brecht, Hanns Eisler et Ernst Ottwalt, il réalise ensuite Kuhle Wampe, long métrage social et politique, dernière production de la Prometheus, qui subira les foudres de la censure à sa sortie (1932)13. Puis il entreprend le tournage de Seifenblasen [Bulles de savon]. Le film évoque l’impossibilité pour un employé « petit-bourgeois » qui a perdu son emploi de recouvrer un travail, malgré une lettre de recommandation de son ex-employeur, et sa chute progressive jusqu’au plus bas de l’échelle sociale et humaine. C’est une satire du petit-bourgeois allemand qui croyait, en 1933, le temps de l’espérance arrivé en dépit de l’effrayante réalité.

5Après la nomination de Hitler comme chancelier en janvier 1933 qui ouvre la voie à la prise de pouvoir par les nazis deux mois plus tard, Dudow est brièvement incarcéré dans un camp de concentration en tant que membre du KPD, mais, du fait de sa nationalité bulgare, il est relâché et échappe à l’inscription sur la « Liste noire ». Le 3 octobre 1933, cependant, il reçoit un avis d’expulsion de la préfecture de police de Berlin accompagné de son passeport bulgare. Il n’est plus autorisé à résider en Allemagne que jusqu’à la fin du mois. Cumulant plusieurs des raisons suffisantes pour figurer sur la « Liste noire » des corrupteurs du « Volk » allemand, il fait maintenant partie des « éléments étrangers » à éradiquer du cinéma afin d’en effectuer sa purification. Une purification qu’avait ébauchée dès la fin des années 1930 le gouvernement de Thuringe, au moyen de son arrêté d’avril « Contre la civilisation nègre, Pour la nation allemande », et que la « révolution » nationale-socialiste allait amplifier.

  • 14 Petite maison de production anglaise qui avait un siège à Berlin (Y. Aubry, op. cit., p. 407).

6Ses amis lui conseillent de quitter l’Allemagne sur le champ, mais Dudow entend achever le tournage de Seifenblasen, entamé discrètement dans un atelier désaffecté du quartier « rouge » de Wedding à Berlin, avec l’aide de la Davis Film14. Il fait appel à un avocat, le Dr Freiherr Von Brandstein, afin d’obtenir la levée de son arrêté d’expulsion et obtient une prolongation de séjour d’une année.

7Le tournage se poursuit mais les autorités de censure de la Reichsfilmkammer, ayant eu vent du film, ordonnent une enquête au moment même où Dudow s’apprête à effectuer le montage final. Avec l’aide de sa femme Charlotte et de Heinz Lüdecke, critique de cinéma du Rote Fahne [le Drapeau rouge], Dudow parvient à expédier une copie de son film à Bruxelles à bord d’un avion néerlandais, puis à se cacher chez Lüdecke, qui vit lui-même dans la clandestinité, avant de s’enfuir peu de temps après pour la France par une filière clandestine, pour échapper à l’expulsion en Bulgarie.

  • 15 La France des années trente rompt assez rapidement avec son image de terre d’asile. Par les effets (...)
  • 16 Voir Walter Benjamin, Correspondance, Paris, La Fabrique, 2002 (Lettre de Weisengrund-Adorno à Benj (...)

8Dès son arrivée à Paris, le 6 novembre 1934 (sa femme arrivera le 11 novembre 1935), et jusqu’à son expulsion en 1939-40, il se consacre, par-delà les difficultés économiques et politiques qui l’assaillent comme tout réfugié antifasciste15, au travail de création et de diffusion artistiques entrepris en Allemagne, qu’il destine désormais à mettre en garde les peuples européens à l’endroit du régime national-socialiste. Durant ces quatre ans, il déploie une intense activité théâtrale et cinématographique et participe à la « communauté » disparate des réfugiés allemands où il rencontre, notamment, Walter Benjamin et Siegfried Kracauer, tout en correspondant avec Adorno16.

  • 17 Brecht rejoint Svendborg au Danemark, Eisler le quartier de Truhlarska à Prague, avant qu’ils se re (...)
  • 18 Prévert, alors engagé dans le groupe d’agit-prop « Octobre », avait rédigé peu avant des sketches o (...)
  • 19 L’article restera cependant inédit, tout comme un autre intitulé « Théâtre, film et télévision » (p (...)

9À la différence d’un Thomas Mann que sa renommée internationale met à l’abri de problèmes financiers, sa situation matérielle oscille continûment entre un équilibre relatif et la misère, selon que ses projets théâtraux ou cinématographiques trouvent ou non un écho. Membre actif du collectif artistique constitué autour du film Kuhle Wampe [Ventres glacés] – regroupant notamment Brecht, Eisler et Ottwalt –, il demeure, depuis Paris, au cœur de ce collectif. Celui-ci, en dépit de son éclatement géographique dû à l’exil de ses membres en divers lieux17, constitue le point d’ancrage de toutes ses activités avant qu’il ne s’insère, en tant que professionnel du cinéma, dans quelques organismes internationaux afin de promouvoir ses films. Si la crise économique et ses répercussions sur le cinéma place, de fait, le cinéaste dans une situation plus épineuse que celle d’un écrivain antifasciste, en restreignant son activité cinématographique à la seule diffusion de Kuhle Wampe et de Seifenblasen, Dudow est toutefois loin de s’y résigner. Cumulant les tâches et passant d’un milieu artistique à l’autre à des fins politiques, il est, en exil, plus prolifique et plus pragmatique qu’il ne l’a jamais été. Il commence par achever Seifenblasen en le sonorisant en français avec la collaboration de Jacques Prévert18 pour le texte des dialogues et d’Armand H. Bernard pour la musique, sous le titre Bulles de savon. En contact par la suite avec Jean Renoir, alors investi dans des tâches militantes au sein de Ciné-Liberté, il suit le tournage de la Marseillaise et écrit un article à son sujet19.

Le débat avec Brecht. La Société Diderot

  • 20 Schutzverband Deutscher Schriftsteller (Association de défense des écrivains allemands) qui organis (...)
  • 21 Cf. Lettre de F.W. Wagner, président de la fédération, à Dudow du 13 mars 1936 (Correspondance Duda (...)
  • 22 En 1937, il participe à Paris au IIe Congrès international pour la défense de la culture que l’Asso (...)
  • 23 Cette correspondance qui documente les échanges entre Brecht ou Margarethe Steffin [Grete], sa coll (...)

10Établi avec sa femme Charlotte à Paris, ses papiers en règle depuis le 13 mars 1936, Dudow rejoint d’emblée les divers organismes actifs de l’émigration allemande que sont le SDS20 et la Fédération des émigrés21, et participe à leurs manifestations22 de manière à obvier à l’isolement et la marginalisation, avant la mise en place, en collaboration ou non avec son collectif artistique, de ses projets d’agitation et de mobilisation contre le national-socialisme. Sa complicité avec Brecht, née de leur rencontre, à la fin de l’automne 1929, fondée sur des affinités politiques et une conception commune de l’art engagé et transformateur, se renforce par-delà les frontières. Si la question de la place à attribuer à la forme de l’œuvre d’art constitue entre eux un point de divergence, Brecht accordant plus que Dudow une place de choix à la théorisation du théâtre engagé, ils poursuivent conjointement de nombreux projets artistiques en exil grâce à un échange épistolaire régulier23, mettant plus encore en avant la nécessité de changement soulignée depuis Kuhle Wampe.

11Le passage ci-dessous de la Décision exprime bien la base qui leur est commune :

  • 24 Bertolt Brecht, Maßnahme (la Décision – dans Théâtre complet, Tome 2, Paris, l’Arche, 1998, p. 237)

Cependant votre rapport nous montre ce qu’il faut faire Pour changer le monde : De la colère et de la ténacité. De la science et de l’indignation, L’initiative rapide, la réflexion profonde, La froide patience, la persévérance infinie, La compréhension du particulier et la compréhension du général : C’est seulement en étant instruit de la réalité que nous pouvons Changer la réalité.24

  • 25 « Ci-joint un bref procès-verbal de création d’une Société Diderot qui pourrait constituer une bonn (...)

12Le projet de Brecht de constituer une « Société Diderot » (à laquelle il propose de participer à Eisenstein, Trétiakov, Renoir notamment25) fixe en quelque sorte une part de ces divergences entre les deux hommes. Suite à la lecture du procès-verbal suivant la création de la Société (rédigé par Brecht), Dudow s’en démarque quelque peu par une approche de l’art plus concrète et plus militante. Sa tâche, soutient-il, ne doit pas seulement consister en un développement des théories artistiques antérieures mais aussi en une diffusion de nouvelles théories s’imprégnant de la réalité contemporaine. Dudow envisage cette « société » comme extensible et comme devant être un facteur de ralliement intellectuel : « La tâche de la société Diderot paraît aussi importante dans le fait de faire apparaître, développer ou propager de nouvelles méthodes artistiques ayant plus de prise sur le monde qui nous entoure. » 

13Pour plus d’efficacité, Dudow recommande d’une part de spécifier la dénomination de la société :

  • 26 Lettre 55 non datée de Dudow à Brecht (Correspondance Duda-Film, Archives nationales, op. cit.).

Pourquoi la Société Diderot ? Pensez-vous à Diderot l’encyclopédiste, à l’auteur de théâtre ou au théoricien du théâtre ? Pour moi, le nom m’est indifférent, il ne s’agit que d’une enseigne. Mais l’artiste de passage voudrait savoir, lui, où il va rentrer. À quoi correspond votre enseigne ?26

14D’autre part, il importe selon lui de prévoir la parution d’une brochure à l’instar du journal du SDS Der Deutsche Schriftsteller, dans laquelle seraient imprimés les articles des différents adhérents afin de favoriser le recrutement d’artistes dans la société.

  • 27 Lettre 5 du 10 mai 1937 (Correspondance Duda-Film, Archives nationales, op. cit.).

Je vois la Société Diderot entrer pratiquement en activité si, dès le départ, elle se donne une tâche directe. Afin de mettre par écrit ce qui est pensé, il faut donner à ceux qui pensent la possibilité attractive qu’ils soient publiés. Sinon, je ne vois aucune contribution nous être apportée. Le plus important est de s’assurer de la parution de la petite brochure pour que le plan, que je considère comme très important et très authentique, ne se volatilise pas dans l’air.27

  • 28 Ibid., p. 114.
  • 29 Ibid.

15La société Diderot doit en ce sens se poser comme front culturel et nécessairement comme front de ralliement d’antifascistes par le biais de la culture, elle ne doit par conséquent en aucun cas se faire doctrinaire du point de vue de la création. Dans la ligne de Piscator, Dudow souhaite unir l’art et la politique, « mais avec moins d’art et davantage de politique »28, dit-il, et pour faire de l’art non plus seulement « l’instrument de la lutte des classes »29 – tel que le conçoit Piscator – mais celui d’une guerre réelle et radicale :

  • 30 « Denn die Werke gelangen zu den Adressaten nicht durch ihre kunstlerischen Mitteln (gemeint sind d (...)

Il me semble que le procès-verbal met trop l’accent sur la question purement artistique. C’est une erreur. La tâche de la Société Diderot doit être plus grande, plus large et réduire le rôle purement artistique, sinon demeure le danger de réitérer l’erreur des anciens artistes avancés […] Car les œuvres n’atteignent pas les destinataires grâce aux moyens artistiques (on veut dire par là les moyens avancés) mais en dépit d’eux. On pourrait dire aussi qu’une œuvre d’art moderne ne produit pas d’effets parce qu’elle utilise des moyens d’expression artistique avancés mais en dépit de cela.30

  • 31 Lettre de Brecht du 21 avril 1937. Correspondance Duda-Film, Archives nationales, op. cit.

16À la remarque de Brecht selon laquelle « Il faudrait y ajouter que l’avant-garde a de l’avenir, sous peine de devenir une arrière-garde »31, Dudow suggère de ne pas chercher à instaurer une nouvelle avant-garde :

  • 32 Lettre de Dudow non datée à Brecht, Correspondance Duda-Films, Archives nationales, op. cit. Derriè (...)

Il faut enterrer l’avant-garde et je dirais même qu’il n’est pas opportun d’en créer une autre. […] Je pense que l’art d’avant-garde est déjà devenu un art d’« arrière-garde » car l’art d’avant-garde doit devenir obligatoirement d’arrière-garde s’il veut rester une avant-garde. Les différentes avant-gardes développées avant, pendant et après la guerre devaient obligatoirement aboutir à une impasse.32

De l’usage de la radio et du théâtre comme arts de « contre-propagande »

17Avant qu’il n’entame, avec Brecht, son combat en faveur de la démocratie par la voie théâtrale, Dudow se lance, dès novembre 1937, dans un projet de création de cinq pièces radiophoniques consacrées au cheminement d’un personnage ordinaire surnommé « Flüstermaxe » [Celui qui chuchote], qui symbolise la résistance allemande souterraine intra muros :

  • 33 « Er ist ein Kind des Dritten Reiches, hat zwar keine genaue Adresse, aber man kann ihn überall fin (...)

C’est un enfant du IIIe Reich qui n’a pas d’adresse exacte car on peut l’imaginer partout. Il peut tout aussi bien habiter Hambourg que Berlin, la Ruhr que la Silésie… Il est présent là où il y a quelque chose à chuchoter. Il va chercher le charbon, il transforme le lait en beurre… Personne ne peut lui faire quoi que ce soit, il est un adepte de la force par la joie, il travaille dans la défense aérienne… Il salue chaque inconnu qui se tient debout, la main levée en lançant un « Heil Hitler » car cela fait des années qu’il n’a pas dit bonjour. Il a adopté le bon comportement et le bon ton. Personne ne peut lui faire quoi que ce soit car, si à l’intérieur, il est rouge, à l’extérieur, il est brun. On doit chuchoter le plus longtemps et le plus souvent possible jusqu’à ce qu’on ait réuni tous les Flüstermaxe et que survienne le jour où l’on n’ait plus besoin de chuchoter.33

  • 34 Ibid.
  • 35 Lettre de Dudow à Brecht du 23 novembre 1937 (ibid.).

18Ce projet, auquel Brecht se rallie aussitôt, est destiné à inciter l’auditeur à s’identifier au personnage de fiction, individu semblable à lui-même, et par-là même à suivre un type d’agissement ne relevant plus de l’héroïsme mais de la citoyenneté. Si, dans les trois premiers disques, Dudow projette de situer son personnage imaginaire en Espagne, pays alors emblématique du combat pour la liberté, les deux derniers disques, eux, illustrent des thématiques brechtiennes élaborées à partir de la pièce Anna ou les sept péchés capitaux et d’une autre restituant le déroulement d’un procès34. Vecteurs des thèmes propres à la lutte contre le fascisme et en faveur de la liberté, les pièces radiophoniques se distinguent du théâtre brechtien par leur pragmatisme foncier. S’adressant aux masses comme à l’élite, d’une durée maximale de six à huit minutes35, une seule chose importait pour Dudow : l’effet collectif produit.

  • 36 « Er soll noch einfacher in der Formulierungen sein und die technischen Schwierigkeiten unter denen (...)

À [l’intention de] Brecht : qu’il simplifie la formulation et relève les difficultés techniques pendant l’écoute. Comme tu le sais, le temps qu’on nous mettra à disposition à la radio est tellement précieux que les conditions peuvent nous sembler trop dures […]. D’autre part, on doit le moins possible employer de dialecte, ce qui signifie qu’on peut en utiliser un peu.36

19De fait, il propose d’insérer un hymne populaire, à l’instar du fameux chant de la solidarité [Solidaritätslied] de sorte qu’il puisse être aisément propagé à travers les pays.

  • 37 « Es wâre sehr schön, wenn Brecht Zeit und Lust hätte und daraus etwas ähnliches wie das Solidaritä (...)

Ce serait très bien si Brecht avait le temps et l’envie de faire, pour le Flüstermaxe, quelque chose d’aussi simple et bon que le « Chant de la solidarité » afin que ça puisse devenir populaire. Car on trouve encore dans des journaux illégaux des vers du chant de la solidarité.37

  • 38 Gilbert Badia et al., les Bannis de Hitler…, op. cit., p. 374.

20Ce premier projet de mobilisation contre le IIIe Reich fut aussitôt relayé et fortifié, entre les années 1937 et 1939, par la mise en place régulière de différentes soirées de théâtre antifasciste sur la scène parisienne au point que le projet de créer à Paris un théâtre allemand permanent est formé à l’occasion d’une des mises en scène de Dudow38 :

  • 39 « Wir sind dabei eine Art Deutsche Volksbühne - Paris zu gründen, die zum Ziele hat, die Zuschauer (...)

Nous sommes en train de fonder une sorte de Volksbühne allemande [théâtre du peuple] à Paris qui a pour finalité de réunir public et fonds économique pour les prochains spectacles.39

  • 40 « Die Laterne », cabaret créé en 1934 par une troupe dirigée par Hans Altmann, Günter Ruschin, Wern (...)
  • 41 Lettre non datée (Correspondance Duda-Film, Archives nationales, op. cit.).
  • 42 En 1934, les mesures concernant les demandes de régularisation et de recherche de travail des étran (...)
  • 43 Les Fusils de la Mère Carrar ou « comment la Mère Carrar en vient à consentir à donner des fusils p (...)
  • 44 Petit théâtre de 300 places environ, datant de 1912, situé au square Rapp dans le 7e arrondissement (...)
  • 45 Ce film satirique, qui a plutôt mauvaise presse chez les commentateurs de Clair, fut présenté à Mos (...)

21Tandis que Brecht se consacre depuis Svendborg à la rédaction des textes, toujours dans l’échange de commentaires et de propositions avec Dudow, ce dernier s’attache, en dépit de la précarité des moyens matériels et humains et des conditions politiques qui se détériorent, à monter, mettre en scène et diffuser les créations théâtrales dans des cabarets antifascistes tel que « Die Laterne » [la Lanterne]40, devenu, selon lui, le repère (et le repaire) de l’émigration allemande41. Durant les années bienveillantes du Front Populaire42, il entreprend avec Brecht un travail d’incitation au combat qui se veut transparent dans la dénomination même des créations. Recourant dans un premier temps au leitmotiv de la résistance au franquisme à travers les représentations, les 16 et 17 octobre 1937, de Die Gewehre der Frau Carrar [les Fusils de la Mère Carrar 43] à la salle Adyar44, suivies de la projection du Dernier Milliardaire de René Clair45 et d’un récital de chansons de Brecht entonnées par la comédienne Hélène Weigel, les auteurs jouent, en février 1938, sur les résonances belliqueuses du titre avec le fameux Fünf Jahre Hitlerherrschaft [Cinq ans de domination hitlérienne]. Préfigurant le futur 99 %, ce spectacle était composé d’une succession de scènes du théâtre de Brecht dépeignant la vie des Allemands sous Hitler, où Hélène Weigel jouait le rôle principal.

  • 46 « Die Ausstellung Fünf Jahre Hitler, die wir in Paris gemacht haben, hat sehr grossen Erfolg. Am ve (...)

La représentation de Fünf Jahre Hitler que nous avons donnée à Paris a rencontré un grand succès. Dimanche, 500 personnes ont été dans l’obligation de retourner chez elles. Goebbels y a répondu, lui aussi, avec une propagande plus intense. La plupart des journaux allemands ont émis de gros articles contre la représentation et l’ambassadeur a protesté auprès du Ministre des Affaires étrangères. C’est ainsi que la représentation a été un succès.46

22Le 26 mars 1938, la mobilisation en faveur de la démocratie à travers l’évocation de la résistance au franquisme est remise à l’honneur avec une nouvelle mise en scène des Fusils de la Mère Carrar :

  • 47 « Die Gewehre der Frau Carrar sollen am Sonnabend den 26.3.38 in jidisch in Paris herauskommen. Ges (...)

Les Fusils de la Mère Carrar doit sortir samedi 26 mars 1938 en yiddish à Paris. Hier, Mme Blumenthal est venue me voir et m’a demandé de l’aider car elle craint que la manière dont ils l’ont conçue ne soit pas la bonne. Initialement, il était prévu que je dirige la mise en scène, au moins au début et vers la fin des représentations. Mais Mme Blumenthal a trouvé notre représentation trop froide et trop peu espagnole, c’est pourquoi elle voulait y introduire un peu de tempérament espagnol. Ce soir, je vais assister pour la première fois à une répétition. Je m’attends à tout. Peut-être a-t-on introduit des corridas et des danses en castagnettes.47

  • 48 Cf. Keith Holz, Wolfgang Schopf, Allemands en exil, Paris 1933 -1941. Ecrivains, hommes de théâtre, (...)

23Ces créations théâtrales sont documentées grâce aux clichés de Josef Breitenbach qui, sur la demande de Brecht rencontré durant l’automne 1937 à Paris lors d’une représentation de l’Opéra de quat’sous, en photographie toutes les étapes48.

  • 49 Le gouvernement Daladier fait adopter de nouveaux décrets en mai 1938 visant à préserver la paix av (...)
  • 50 La circulaire du 14 avril 1938 implique un contrôle plus rigoureux des publications étrangères et d (...)
  • 51 Lettre non datée de Brecht à Dudow (Correspondance Duda Film, Archives Nationales, op. cit.).
  • 52 Lettre non datée de Brecht à Dudow (ibid.).
  • 53 Ibid. Jeu de mots entre Hacke (talon) et Haken (crochet), Hakenkreuz désignant la svastika ou croix (...)
  • 54 Ce titre est donné en référence au plébiscite autrichien de l’Anschluss. La pièce est créée en alle (...)
  • 55 Le Schwarze Korps du 7 juillet 1938 lui répond par un article très virulent soulignant « l’imprégna (...)

24Avec l’entrée en fonction du gouvernement Daladier le 14 avril 1938, faisant planer sur les antifascistes des menaces d’assignation à résidence, de refoulement et d’expulsion, Dudow, dont les papiers ne sont plus en règle depuis mars49, ne bénéficie plus dès lors de la même liberté d’expression et est contraint, afin de prévenir une éventuelle intervention des autorités, de mettre en scène des créations à la tonalité plus neutre en apparence50. Ainsi, si le présumé Deutschland, ein Greuelmärche [Allemagne, un conte des atrocités]51 devenu par la suite Deutsche Herrschau [Parade militaire allemande]52 ou Hackenkreuzzug [La croisade des talons]53 ayant lieu les 21, 22 et 25 mai, est finalement baptisé, par pragmatisme, 99 %, ein Zyklus aus der deutschen Gegenwart [99 %, un cycle du présent allemand]54 à l’initiative de Dudow, il n’en est pas moins un nouveau succès du théâtre antifasciste en France ayant des répercussions directes dans les journaux du IIIe Reich55.

  • 56 « Man beschäftigt sich sehr mit den Stücken als auch mit der Darstellung. Es scheint eine der wirku (...)

La représentation a eu un grand succès et est sujette à de très nombreuses discussions. Il paraît que c’est un des soirs du théâtre de l’émigration les plus efficaces. […] Nos amis ont enfin compris ce à quoi on peut parvenir par une telle manifestation et à quel point on peut ébranler par le succès. Ils proposèrent eux-mêmes de monter une pièce pour le prochain hiver, de la commencer à Paris et ensuite l’envoyer jouer en Amérique, à New York, à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1939. On est en train de vouloir bien nous soutenir.56

  • 57 Cf. son exposé dans l’immédiat après-guerre : Slatan Dudow, « La responsabilité sociale du cinéaste (...)
  • 58 « Demande au Maître où en est la parution du Flüstermaxe dans Das Wort. […] On emmènera le Flüsterm (...)

25Parallèlement à son activité de metteur en scène et dans un souci de multiplier les moyens d’action contre le régime nazi, se posant à l’égard de la société française en tant qu’artiste militant et responsable57, Dudow échafaude, dès 1938, une dramaturgie militante et grotesque tendant, à l’instar du modèle brechtien, à mettre à nu les racines sociales du fascisme. Aux alentours du mois de mars 1938, il achève Die Prüfung [la Preuve], adaptation théâtrale du roman de Willi Bredel décrivant le camp de concentration Fuhlsbüttel (Hambourg) – dans lequel Bredel avait été emprisonné peu après l’arrivée des nazis au pouvoir – et s’efforce par-là d’interpeller la société française sur la réalité nazie. Il transcrit par la suite l’histoire de son personnage, le Flüstermaxe créée au départ pour le projet des pièces radiophoniques, et la fait publier dans l’hebdomadaire du KPD, Deutsche Volks-Zeitung (DVZ, édité à Prague et Paris de 1936 à 1939) en attendant son édition dans la revue Das Wort 58, afin de donner une portée nouvelle à ce symbole de la résistance souterraine. En juillet 1938, Dudow élabore une comédie burlesque présentant un personnage manquant sans cesse le « moment opportun » intitulée Die verpasste Gelegenheit [l’Occasion manquée] :

  • 59 Lettre de Dudow à Brecht du 6 juillet 1938 (lettre 43, ibid.).

Je travaille sur un nouveau manuscrit dont le titre provisoire est Die verpasste Gelegenheit. Vous vous souvenez de la phrase de Lénine : « Le 6 est trop tôt, le 8 trop tard, le 7 est le bon moment ». J’aimerais écrire une comédie au sujet d’un type qui rate toujours le bon moment.59

  • 60 Le Lâche (ibid.) met en scène un employé subalterne petit-bourgeois, Johannes Krauthahn qui, bien q (...)

26Ce n’est toutefois qu’à travers son ultime tragicomédie, Der Feigling [le Lâche]60, terminée peu de temps avant son arrêté d’expulsion en 1939, que Dudow dénonce avec le plus de force l’apolitisme borné et l’idéologie de soumission en mettant en évidence leur incidence sur le développement du fascisme.

L’extension du combat antifasciste au cinéma

  • 61 H. Herlinghaus, Slatan Dudow, op. cit., p. 13.
  • 62 « Actuellement, c’est très compliqué pour moi de décider d’un prix car le cours du change a changé (...)
  • 63 En janvier 1937, il est victime de la faillite de la société new-yorkaise Garrison Films, qui survi (...)
  • 64 Lettre de Dudow à M. Stern de Garrison Film Distributors du 16 janvier 1937 (Correspondance Duda Fi (...)

27Si le cinéaste se consacre intensément à l’activité théâtrale durant son exil parisien, il n’en délaisse pas pour autant le cinéma en dépit de la crise qui l’affecte. Refusant à son arrivée en France des offres de travail dans la production du cinéma français (comme assistant de production)61, il entend mettre la priorité sur la diffusion et la production de ses films politiques. Bien que victime des fluctuations de l’économie mondiale62 et notamment de la banqueroute à laquelle furent sujettes certaines des sociétés étrangères chargées de diffuser ses films63, il s’efforce de s’insérer dans différents groupes d’action en Europe, en conciliant tant bien que mal l’exportation de ses films à un coût abordable et la contribution à ses propres besoins, afin de favoriser la propagation de ses œuvres antérieures et d’envisager la production de ses nouveaux scénarios. S’engageant depuis Paris dans la diffusion de Seifenblasen et de Kuhle Wampe au nom du collectif de Kuhle Wampe – devenu seul détenteur des droits du film à l’avènement du national-socialisme suite à la disparition des maisons de production allemandes Prometheus, Neue deutsche Verlag et Roensch64 –, il tisse progressivement des liens étroits avec des sociétés de production et de diffusion de films implantées dans l’Europe entière et aux États-Unis.

  • 65 Il paraît cependant peu probable que Dudow soit à l’origine du titre français, Ventres glacés, qui (...)
  • 66 Lettre de Dudow à M. Ashel du 28 janvier 1937 (Correspondance Duda Film, ibid.).
  • 67 Lettre de Dudow à Buslon du 10 février 1937 (Correspondance Duda Film, ibid.).

28Kuhle Wampe, dont la version originale allemande date de 1932, est post-synchronisé en français par ses soins pour mieux atteindre le public et en raison de l’importance des dialogues65. Seifenblasen, sonorisé en France et intitulé Bulles de savon, sera diffusé essentiellement en version muette pour les centrales d’éducation ouvrières, mais comporte néanmoins des versions françaises sonores sous-titrées en direction de la Grande-Bretagne et des États-Unis (Soap Bubbles). Dudow travaille ainsi en collaboration avec des laboratoires cinématographiques telle que la société GM Film de M. Ashel (dans le XIXe arrondissement) pour les copies 16mm sous-titrées en anglais66. Pour obtenir une traduction anglaise de qualité, il fait appel à M. Buslon de la Kino Film Society à qui il envoie les dialogues67 : « Les sous-titres doivent être nécessairement en accord complet avec l’esprit du film », écrit à ce sujet Madame Robson de la société Fleet Cinema.

  • 68 L’exploitation de ses films se trouve liée étroitement à la conjoncture. Alors que l’année 1937 fai (...)

29La modestie des organismes avec lesquels le cinéaste collabore réduit cependant l’envergure de son combat antifasciste qui subit les effets de la conjoncture68 et se heurte progressivement aux réticences d’un public las d’un cinéma par trop réaliste.

  • 69 Lettre du 1er avril 1936 de la Films Society Limited à Dudow (Correspondance Duda Film, ibid.).
  • 70 Les programmes de la Film Society (voir infra note 84) mentionnent la séance de Soap Bubbles du 8 m (...)
  • 71 Le 3 février 1937, M. Handel de la société Kino Films Limited achète les droits de diffusion en 16m (...)
  • 72 « Notre travail consiste à développer l’appréciation de films culturels comportant un message socia (...)
  • 73 Alors que la société Fleet Cinema avait acheté les droits du film en novembre 1937, elle souhaite d (...)

30En janvier 1936, Dudow noue également des liens avec des sociétés françaises : la CITAC (Compagnie internationale de transactions artistiques et cinématographiques), alors chargée de la distribution de Kuhle Wampe en région parisienne, et la société Albatros d’Alexandre Kamenka qui l’avait racheté et diffusé. Le long métrage est particulièrement célébré au cours de l’année 1938, notamment dans les milieux de travailleurs, le « Chant de la solidarité » jouant en faveur de cette exaltation. En Grande-Bretagne, Dudow prend contact dès 1936 avec la Film Society69 avant d’être mis en relation avec l’Académie du cinéma puis le Forum du cinéma du fait de l’enthousiasme suscité par la portée sociale de Seifenblasen70. Projeté également par les sociétés Kino Film Limited71 et Fleet Cinema72 en 1937, Kuhle Wampe connaît une exploitation moins aisée, car on considère qu’il correspond peu à la situation britannique, mais en 1938, en raison de la conjoncture, les possibilités d’exploitation de Seifenblasen se restreignent également73.

  • 74 Friedrich Wolf le mit rapidement en relation avec M. Pauker travaillant également dans une société (...)
  • 75 « La représentation à New York a été un échec et toutes les autres villes des États-Unis ont refusé (...)

31Aux États-Unis, les nouveaux contrats signés dès 1937 avec la société Garrison Films, en attendant le développement d’autres relations74, sont peu encourageants. Kuhle Wampe ne suscite pas un grand enthousiasme. Dès février 1937, le secrétaire de Garrison Film, M. Landy met ainsi en évidence l’absence totale de vente et de recettes du film75. Seifenblasen connaît également une exploitation mitigée, ne pouvant pas à l’époque être placé dans quelque cinéma que ce soit.

  • 76 Organisation émanant du Parti socialiste suisse.
  • 77 « Les possibilités d’exploitation dans les lieux cités seront au début modestes, mais ce sera peut- (...)

32Si ces liens contribuent à donner une certaine résonance à ses œuvres, ils ne permettent pas pour autant une extension de l’action du cinéaste, qui demeure ponctuelle et relativement isolée. En Europe, la propagation de ses idéaux est surtout rendue possible par le biais des centrales d’éducation ouvrières, sorte de réseau européen d’organisations de travailleurs dans lequel il s’inscrit par l’intermédiaire de M. Neumann de la Schweizerische Arbeiterbildungszentrale à Berne (Centrale suisse d’éducation ouvrière, SABZ / CSEO)76. Malgré ses moyens réduits77, Neumann, trouvant, dans les films de Dudow, un écho significatif aux idées défendues par les centrales, le met aussitôt en relation avec d’autres centrales implantées en Belgique (la Maison du Peuple de Bruxelles), en France (auprès du Parti Socialiste SFIO), en Tchécoslovaquie (l’Allgemeiner Angestellten-Verband de Reichenberg), en Suède (l’Arbeitarnas Bildmingsförbung de Stockholm) et en Norvège (l’Arbeideners Oplysningsforbung d’Oslo). Seifenblasen rencontre ainsi d’emblée un engouement général de la part des responsables de ces organismes.

  • 78 Lettre de l’Ardneders Oplysningsforbung à Dudow, ibid.

33Cependant le film rencontre une certaine résistance aux États-Unis, ne trouvant pas de salles, et il connaît l’échec en Norvège du fait de sa non-adéquation avec le public norvégien, selon la société Arbeideners Oplysningsforbung78.

34En revanche, en Grande-Bretagne et dans les diverses centrales d’éducation ouvrières, il est accueilli avec enthousiasme, son thème social se trouvant en adéquation avec la demande des organisateurs et du public populaire. Dans le Times du 9 mars 1935, on lit que le programme de la Film Society présente, entre autres titres, un intéressant film allemand intitulé Soap Bubbles, mélange de comédie et de pathos. Ainsi, en Grande-Bretagne en date du 3 février 1937, M. Handel, de la société Kino Film Limited, achète les droits de Soap Bubbles en 16mm avec sous-titrage pour l’Empire britannique, considérant que ce film est plus simple à commercialiser que Kuhle Wampe. M. Buslon, qui lui succède, souhaite organiser un spectacle public au sein d’un théâtre réservé pour une quinzaine de jours, afin de présenter la copie 35mm dans les provinces de Glasgow, de Birmingham, etc. En plaçant Soap Bubbles en tête du programme, il s’agit de lui assurer une visibilité des plus larges. Le 2 juillet 1937, la Film Society réserve, elle aussi, deux locations du film, l’une pour Edimbourg le 10 janvier 1938 et l’autre pour Glasgow le 28 février 1938.

35Au sein des centrales d’éducation ouvrières, le film suscite un grand intérêt. En janvier 1937, la société Filmstudiegroep de M. Laterveer aux Pays-Bas acquiert une copie pour des projections ultérieures et s’apprête à l’expédier à La Haye afin d’en permettre la diffusion. En novembre, les centrales de Zurich et de Reichenberg commandent chacune une copie du film en 16mm. Enfin, le film est projeté à Bruxelles durant cinq semaines.

36Kuhle Wampe connaît également un certain succès dans ce cadre, notamment en Belgique et en Suisse, où il est projeté, avant février 1937, à plusieurs reprises dans un cinéma à Zurich sous l’intitulé « l’Allemagne avant Hitler ».

37Cette relative amélioration de sa situation conduit Dudow à proposer à Brecht de travailler à un film avec lui :

  • 79 Lettre de Dudow à Brecht du 24 février 1938 (Correspondance Duda-Film, op. cit.).

J’essaie à nouveau de m’attaquer au cinéma. Les perspectives ne sont pas mauvaises. Tout compte fait, le marché français est ouvert à certaines choses. Avez-vous quelque chose à proposer ? Comme les possibilités sont trop incertaines, je ne peux vous demander de préparer quelque chose de nouveau. Mais si vous avez une heure à perdre en écrivant une histoire, je me réjouirais et je proposerais votre exposé aux gens avec lesquels je suis en négociation ici.79

  • 80 Albrecht Betz, Exil et engagement, op. cit., p. 376.

38À la fin du même mois, Dudow tient une conférence intitulée « De l’avant-garde au film social français » dans une soirée où sont projetés des films de René Clair, Alberto Cavalcanti, Jean Renoir, Jean Vigo80.

  • 81 Alors que la société Monopole-Film N.V. réclamait le film en janvier 1938, elle ne manifeste plus a (...)
  • 82 La Filmgilde de Zurich, écrit le 29 août 1938 : « Le film est bon mais aucune solution n’est donnée (...)

39Mais l’aggravation des événements sur la scène internationale, l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne nazie en mars 1938 et les menaces sur la Tchécoslovaquie et la Pologne qui font peser le risque d’une guerre mondiale, se répercutent directement sur l’exploitation des films militants et compromettent les projets de Dudow. Seifenblasen rencontre un échec manifeste en Belgique, aux Pays-Bas81 et en Suisse82.

  • 83 Lettre de Dudow à Brecht du 30 mai 1938 (ibid.).

40En mai 1938, il est la proie de réelles difficultés financières et sollicite alors Brecht de manière insistante afin qu’il fasse éditer sa pièce consacrée à son Flüstermaxe dans Das Wort, pour lui obtenir de quoi survivre83.

41Le renforcement des tensions, plus marqué encore en 1939 après la signature des accords de Munich et avec l’invasion de la Tchécoslovaquie en mars, conduit à l’interruption de la diffusion de Seifenblasen en Suisse à partir de mai 1939.

L’aggravation de la situation et un nouvel exil

  • 84 La France manifesta jusque dans le cinéma son obsession de la paix et de rapprochement avec l’Allem (...)

42Durant ses dernières années de séjour en France, Dudow a donc accentué encore sa volonté de lutte contre le régime nazi mais ses nouveaux scénarios clairement antifascistes vont de plus en plus à l’encontre de la politique engagée par la France84.

  • 85 Lettre 129 de Dudow à Brecht du 19 novembre 1937 (Correspondance Duda-Film, op. cit.).
  • 86 Lettre 103 de Dudow à Mr Buslon le 12 août 1937 (ibid.).
  • 87 Ivor Montagu (1904-1984), militant communiste, critique de cinéma, monteur et producteur (pour Hitc (...)
  • 88 Lettre d’Ivor Montagu à Dudow du 1er mai 1937 (Correspondance Duda Film, Archives Nationales, op. c (...)
  • 89 Lettre à Ivor Montagu du 26 avril 1937 (ibid.).
  • 90 Lettre de Dudow à M. Neumann du 15 mai 1939 (ibid.).

43En 1937, il écrit un nouveau scénario intitulé Die Kriege und ihre Waffen [les Guerres et leurs armes]. C’est un film de nature historique qui s’achève sur les propos de Roosevelt lors de son discours de Chicago85. En présentant ce scénario, en avril 1937, à M. Handel de la société Kino Film Limited à Londres (« Je vous envoie un exemplaire de mon scénario “la guerre et ses armes” pour que vous puissiez trouver une exploitation à ce film »86) il est introduit auprès du fondateur de la London Film Society, Ivor Montagu87 qui lui propose de soumettre le synopsis au comité « International Peace Company », avant de s’engager à trouver l’argent nécessaire88 suite aux doutes émis par Dudow à l’endroit de ce comité89. Il cherche encore à associer les différentes centrales d’éducation ouvrières et de garantir la mise en place du projet, et le soumet, en novembre 1937, à M. Neumann de la Schweizerische Arbeiterbildungszentrale (SABZ / CSEO) à Berne, lui proposant, en contrepartie d’un soutien financier pour la production, la cession des droits d’exploitation pour la Suisse. La CSEO ayant décliné la proposition, probablement pour des raisons financières90, les propositions d’Ivor Montagu n’aboutissant pas, aucune suite n’est finalement donnée à ce scénario. Mais le projet ressurgit en mai 1939 sous le nom de Die Welt in Waffen [le Monde en armes] :

  • 91 Il s’agit vraisemblablement de la société Kino Film Limited à Londres (Lettre à Brecht du 15 mai 19 (...)

J’ai lu dans un journal l’annonce d’un film intitulé Die Welt in Waffen qui traite du même thème [que mon projet]. Je croyais au départ qu’il s’agissait d’un plagiat mais en fait, il s’agit d’une firme avec laquelle j’ai longtemps débattu du film et qui a participé à la production.91

44Le scénario a en effet subi des modifications, la partie historique étant entièrement supprimée. Dudow apprend que la maison de production envisage de faire deux versions du film, l’une pacifiste et l’autre guerrière. Ne pouvant ni aboutir à un accord avec la firme, ni la poursuivre en justice faute d’argent, Dudow est contraint d’abandonner son projet.

  • 92 Ce scénario évoque les différents événements ayant eu lieu en Allemagne depuis le 30 janvier 1933 ( (...)
  • 93 À la première soumission du scénario à la Warner, il semble qu’il fut bien accueilli dans une persp (...)
  • 94 M. Landy de Garrison Films évoque, dans sa lettre du 1er avril 1939, la lassitude du public vis-à-v (...)
  • 95 Neumann de la Centrale suisse d’éducation ouvrière le mentionne dans une lettre du 2 juin 1939 à Du (...)

45Il en va de même pour son ultime scénario consacré à l’Allemagne nazie, Die Hand, die nicht grüssen durfte92 [la Main qui n’avait pas le droit de saluer], pour lequel il recherche également des financements peu de temps avant son arrêté d’expulsion en septembre 1939. Il fait, cette fois, appel d’abord à M. Pauker de Plays, aux États-Unis, en février 1939, envisageant d’effectuer le tournage là-bas avec comme principal interprète Paul Muni. Cependant, en dépit des appréciations favorables qu’il rencontre93, le fait que sa thématique antinazie soit expressément énoncée ne rend pas envisageable sa réalisation pour le mois de juin94. Se tournant à nouveau vers ses relations européennes et en particulier, vers M. Neumann de la CSEO bernoise, Dudow est confronté à des résistances idéologiques similaires, le Conseil fédéral helvétique, ne pouvant tolérer la projection d’un film imprégné d’un discours antifasciste95. À Paris, des négociations entamées en mars 1939 avec la firme Albatros n’aboutissent pas non plus et conduisent Dudow à recontacter la Davis Film en Grande-Bretagne qui s’efforce, de son côté, de soumettre le scénario à un producteur intéressé afin de requérir une participation de 2000 £. Finalement, Dudow étant « interdit de tournage » en France, en raison des restrictions de travail frappant les réfugiés et les étrangers, le projet échoue et le cinéaste rompt les liens l’unissant au marché français.

Épilogue

46Ainsi, si dans les années 1934-1939, en s’appuyant sur un réseau de centrales d’éducation ouvrières et de collectifs artistiques, Slatan Dudow contribua à diffuser ses idées antinazies depuis Paris, en Europe et aux États-Unis, principalement par les voies théâtrale et cinématographique, et participa ainsi activement à la lutte menée en exil par les antifascistes allemands, son action n’en fut pas moins nettement entravée du fait même de son statut de réfugié politique en France, de sa situation d’exilé et de la conjoncture de crises économique et sociopolitique conduisant in fine à un rapprochement franco-allemand. En raison de la radicalité de son engagement marxiste, ayant pris à Paris la forme d’une résistance antifasciste pluridisciplinaire et transnationale, Dudow se confronta, comme beaucoup d’autres résistants allemands, à l’éloignement des uns, l’indifférence des autres et la désaffection de plus en plus fortement marquée du public pour un art réaliste et militant.

47Comme ses compagnons d’infortune, il voit ainsi se réduire progressivement ses possibilités d’expression et de mise en garde contre les dangers du régime hitlérien à mesure même que ce danger grandit et que s’approche « l’échéance » du conflit mondial. La France – du moins ses dirigeants car la gauche et l’extrême gauche n’aura cessé depuis 1933 d’appeler à lutter contre le fascisme, le danger de guerre, la complaisance envers les ligues factieuses dans le pays –, sourde aux avertissements et préférant rêver d’un compromis illusoire avec l’Allemagne, jette ainsi dans le désarroi ces milliers de réfugiés désormais confrontés à l’absurde, quand ce n’est pas au désespoir qui conduit plusieurs d’entre eux au suicide ou à la déchéance.

  • 96 Lettre à Brecht du 19 avril 1939 (ibid.).
  • 97 Lettre à Brecht du 10 juin 1939 (ibid.).
  • 98 W. Benjamin, Correspondance, op. cit., p. 300.

48Dudow manque une première fois d’être expulsé au mois d’avril 1939. La police frappe à sa porte et découvre que ses papiers d’identité sont périmés depuis un an et demi. Il est alors convoqué à la Préfecture et retenu longuement sous la menace d’une expulsion immédiate. Grâce à l’intervention de quelques personnalités dont Léon Pierre-Quint qui, le 5 avril 1939, fait une déclaration sur l’honneur pour se porter garant de Dudow, celui-ci réussit à demeurer en France, se trouvant désormais dans l’obligation de faire refaire ses papiers96. Tributaire du bon vouloir des autorités, il ne parvient à régler la question de son séjour qu’en juin 1939 pour ce qui le concerne, tandis que la situation de sa femme demeure en suspens97. Alors qu’il est lui-même préoccupé par le moyen d’émigrer aux États-Unis, Walter Benjamin, écrit à Margarete Steffin en juin 1939, n’avoir « même pas vu Dudow depuis longtemps » et que « Kracauer [lui] a dit qu’il n’allait pas bien »98.

49En septembre 1939, dès lors que la France et l’Angleterre ont déclaré la guerre à l’Allemagne, les difficultés s’aggravent encore pour Dudow, car les exilés antifascistes que l’on avait progressivement contraints au silence sur la menace nazie sont désormais traités par les autorités en « ressortissants d’un pays ennemi ». En tant que Bulgare, Dudow échappe cependant à l’internement administratif qui frappe nombre d’émigrés antifascistes allemands et, dès le 6 septembre 1939, il se rend avec sa femme à la Préfecture de police de Paris pour obtenir des visas de sortie pour la Bulgarie. Celui de sa femme lui étant refusé, ils sont assignés en résidence à Paris, en attente d’être expulsés, et à cette occasion, les archives du cinéaste sont confisquées par la police.

  • 99 Herman Greid (1892-1975), acteur à Weimar (notamment avec Helene Weigel), directeur d’une troupe d’ (...)
  • 100 Lettre de Brecht à Dudow du 12 septembre 1939 (Correspondance Duda-film, op. cit.).

50Dudow fait alors appel à Brecht pour obtenir un visa pour le Danemark. Ce dernier lui propose de chercher plutôt à obtenir un visa pour la Suède où le comédien et metteur en scène allemand émigré en Suède, Herman Greid, serait susceptible de l’accueillir99. Hormis Greid, Brecht avoue avoir peu d’espoir, en raison de ses maigres relations, de trouver quelqu’un dans le domaine du cinéma qui puisse offrir un travail à son ami. Concernant Charlotte Dudow, il insiste sur la nécessité d’avoir des papiers bulgares (ce qui est le cas) pour avoir une chance d’obtenir un permis de travail en Suède (en vue d’un travail domestique), des papiers allemands ne pouvant le permettre100. La lettre d’invitation de Greid arrive peu après à Dudow afin d’être présentée au consulat de Suède :

  • 101 Lettre de Greid à Dudow du 13 septembre 1939 (ibid.).

Je ne peux imaginer que vous puissiez encore, dans la situation actuelle, tant étudier que travailler étant donné que la branche du film doit être totalement entravée par le développement de la guerre. Ici, pour l’instant, c’est différent. Si la guerre impose au cinéma différents types de restriction, en gros la production continue de fonctionner. N’auriez-vous pas envie de venir voir comment ça marche ici ?101

  • 102 Ni la date exacte du départ de Slatan et Charlotte Dudow, ni les conditions de leur passage en Suis (...)
  • 103 Chez Henschel, Berlin, 1947, 1950.
  • 104 [Serge Lang, dir.], Cinéma d’aujourd’hui, op. cit., pp. 53-65.
  • 105 Hanns Eisler écrira la musique de deux des films qu’il y réalisera (Unser täglich Brot [Notre pain (...)
  • 106 « J’ai envoyé les Deux Fils à Dudow, à Berlin » (Brecht, Journal de travail, 1938-1955, op. cit., p (...)

51Greid suggère à Dudow d’affirmer ne pas pouvoir poursuivre son travail dans le cinéma à Paris ni en Bulgarie du fait de l’absence d’industrie cinématographique dans ce pays. Finalement le couple se réfugie en Suisse où il réside durant toute la guerre, dans le canton du Tessin102. Dudow y écrit les comédies Der leichtgläubige Thomas, Das Narrenparadies, Der Weltuntergang (publiées plus tard en RDA sous le pseudonyme de Stefan Brodwin103). En 1945, après sa participation, en septembre, au Congrès de Bâle – où il fait une intervention remarquable sur la responsabilité du cinéaste104 –, Slatan Dudow rejoint la partie orientale de l’Allemagne (zone d’occupation soviétique puis RDA) où il travaille pour la DEFA105. Dès 1947, Brecht, en route vers l’Allemagne (via la Suisse où il monte une première version de son Antigone à Coire), lui envoie une nouvelle, écrite en 1946, à partir d’une idée de film notée dans son Journal de travail le 12 mai 1945, Die zwei Söhne [les deux fils]106. Mais ce film, qui se plaçait dans le droit-fil du combat antifasciste d’avant-guerre des deux hommes, ne se fera pas.

Haut de page

Notes

1 Voir Gilbert Badia, Jean-Baptiste Joly, Jean-Pierre Mathieu, Jacques Omnes, Jean-Michel Palmier, Hélène Roussel, les Bannis de Hitler - Accueil et lutte des exilés allemands en France, 1933-1939, Paris, Études et Documentation internationales, Presses universitaires de Vincennes, 1984, p. 16. La commission de la SDN pour les réfugiés les estime à 100 000 à la fin de 1935.

2 Depuis Forster et Heine, l’exil en France apparaît aux artistes comme une promesse de liberté. Il s’agit en effet du pays d’accueil envisagé le plus spontanément, bien que le Reich comporte des frontières avec d’autres pays. Via la mémoire des émigrations continues de centaines d’Allemands durant le XIXe siècle, dont la fameuse émigration d’avant la révolution de 1848, la France correspond, dans l’imaginaire collectif, au pays de la Révolution et à une terre d’asile et de liberté. S’ajoute à ce phénomène l’illusion de la brièveté de la dictature nazie. Cependant un Joseph Roth a bien exprimé la différence radicale qui existe entre la situation passée des émigrés et celle faite à ceux qu’il préfère appeler des « expulsés » (voir « La littérature allemande expulsée » dans Nasza Opinja [Lemberg], 7 mars 1937, trad. franç. dans Une heure avant la fin du monde, Paris, Liana Levi, 2003, pp. 93-99).

3 Selon Bernard Eisenschitz (le Cinéma allemand, Paris, Nathan Université, 1999, p. 69). Gilbert Badia rapporte une statistique de la Préfecture de police de Paris réalisée sur 7 195 réfugiés entre le 20 avril et le 7 novembre 1933 révélant que l’on compte parmi eux 114 acteurs, 28 chefs d’orchestre, 42 musiciens, 9 metteurs en scène, 67 journalistes, 49 écrivains (G. Badia et al., les Barbelés de l’exil. Étude sur l’émigration allemande et autrichienne (1938-1940), Paris, Maspero, 1979, pp. 18-21).

4 La RKK était divisée en sept départements – littérature, théâtre, arts plastiques, musique, cinéma, presse, radio – présidé chacun par une personnalité nommée par le ministre de la Propagande et de l’Éducation du peuple. La Chambre du cinéma eut successivement pour président Fritz Scheuermann, Oswald Lehnich et Carl Froelich. Chaque département était subdivisé en sections détaillant l’ensemble des professions afférentes (ainsi en musique non seulement les compositeurs et les instrumentistes, mais les facteurs d’instruments, les administrateurs, les marchands de musique, les chorales, les groupes folkloriques, etc.)

5 Sur la vie et l’itinéraire de Dudow, voir la seule monographie en français qui lui soit consacrée : Yves Aubry, « Slatan Dudow », Anthologie du Cinéma, n° 58, supplément à l’Avant-Scène du Cinéma, n° 107, Paris, 1970. Fondé en partie sur une monographie plus ancienne en allemand (Hermann Herlinghaus, Slatan Dudow, Theater und Film, Berlin [DDR], Henschelverlag. 1965) et sur des travaux publiés en RDA dans les années 1950-1960, cet ouvrage souffre de nombreuses lacunes ou imprécisions.

6 Correspondance Duda Film, Archives Nationales, Paris, dépôt AB/XIX/3562/6. Cette archive fait partie du fonds « Documents isolés et papiers d’érudits aux Archives Nationales (site de Paris) » dans une série dévolue aux « dossiers relatifs aux étrangers » (AB XIX).

7 Sa rédaction, à partir d’un mémoire en histoire de l’Université de Paris X, a bénéficié de l’aide du secrétariat de rédaction.

8 Kommunistische Partei Deutschlands (KPD) : Parti communiste allemand.

9 Internationale Arbeiterhilfe : Secours rouge international.

10 Voir Francis Courtade, Pierre Cadars, Histoire du cinéma nazi, Paris, Losfeld, 1972, p. 17.

11 Cf. en particulier les débats qui se tiennent au sein du LEF autour de la question du matériau, de l’opposition « joué-non-joué » (voir « Le LEF et le cinéma » (Novy Lef, n° 11-12, 1927, pp. 50-70) et « Ciné-plateforme » (Novy Lef, n° 3, 1928 pp. 34-37) (trad. franç. dans la revue Documentaires, n° 22-23, « Mai 1968, tactiques politiques et esthétiques du documentaire », dirigé par David Faroult et Hélène Fleckinger, décembre 2009, pp. 41-70).

12 Anna Gmeiner, collabora plus tard avec Georg-Wilhelm Pabst pour Kameradschaft [la Tragédie de la mine,1931] qui comporte des éléments tirés de Heer ohne Helden, puis sur le Don Quichotte (1933).

13 Sur ce film, sa réception et ses démêlés avec la censure, voir 1895, n° 47, décembre 2005 (« Cas d’école »).

14 Petite maison de production anglaise qui avait un siège à Berlin (Y. Aubry, op. cit., p. 407).

15 La France des années trente rompt assez rapidement avec son image de terre d’asile. Par les effets conjugués de la crise économique mondiale et d’un rapprochement avec l’Allemagne amorcé en juillet 1937 (accord économique suivi des visites de von Papen puis von Ribbentrop à Paris et du projet de « placer la politique européenne sur des bases nouvelles et plus saines » [voir la lettre de von Papen à Neurath du 11 novembre 1937 cité par G. Badia et al., les Barbelés de l’exil, op. cit., p. 85]), il s’opère un durcissement à l’égard des réfugiés allemands et on laisse se développer un climat xénophobe et antisémite. Les réfugiés antifascistes, d’abord accueillis avec une certaine chaleur, sont considérés comme des « gêneurs », des « indésirables » (Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur), puis des « suspects », avant d’être des « ennemis potentiels » au moment de la déclaration de guerre. Ils sont alors internés dans divers camps du Sud de la France (Voir Gilbert Badia et al., les Barbelés de l’exil, op. cit., et le témoignage de Werner Prasuhn dit Claude Vernier, Tendre exil. Souvenirs d’un réfugié antinazi en France, Paris, Maspero, 1983 ; engagé à son arrivée par Jean Renoir pour jouer dans la Grande Illusion, travaillant chez Charles Dullin au théâtre, lié à Prévert, Desnos, Barrault, Prasuhn se voit sans cesse convoqué par la Préfecture et menacé d’expulsion).

16 Voir Walter Benjamin, Correspondance, Paris, La Fabrique, 2002 (Lettre de Weisengrund-Adorno à Benjamin du 22 septembre 1937 : « J’ai écrit à Dudow en détails ; peut-être t’a-t-il donné lui-même la lettre. J’ai aussi envoyé la lettre, along with Dudow’s essay, à Max [Horkheimer] et j’ai juste entendu de lui aujourd’hui dire qu’il les avait envoyés tous deux à NY. Autant que Dudow est concerné, je suis aussi extrêmement pessimiste au sujet de notre livre projeté bien que je n’aie exprimé aucun décision ferme dans la lettre ». Lettre de Benjamin à Adorno et Weisengrund-Adorno du 2 octobre 1937 : « Dudow était très content de votre lettre. Je voudrais vraiment l’introduire auprès de Max, mais je n’en ai pas eu le temps »).

17 Brecht rejoint Svendborg au Danemark, Eisler le quartier de Truhlarska à Prague, avant qu’ils se retrouvent tous deux aux États-Unis ; Ottwalt émigre à Moscou où il est arrêté en 1943 et disparaît dans un camp. La collaboration de Dudow, Brecht et Eisler sur la pièce Die Maßnahme [la Décision] poursuit les trois hommes durant toute la durée de leur exil. En 1943, la division du FBI de Los Angeles, dans les nombreuses fiches qu’elle consacre à Brecht et Eisler, mentionne à plusieurs reprises Dudow (pourtant en Europe) du seul fait de cette collaboration. (Cf. la fiche du 3 mars 1943 concernant Eisler [« alien ennemy control »] où il est mentionné que « Hanns Eisler collaborated with Bertolt Brecht and S. Dudow in writing a play entitled, “Die Massnahme” [“The Disciplinary Measure”] »… [p. 2] La pièce, traduite en annexe du document, connaît sans doute ici sa première version anglaise… Il est indiqué, en outre : « Undeveloped ideas Will attempt to identify S. Dudow who collaborated with Subject [ =Eisler] and Brecht » [p. 7]. Dans le dossier concernant Brecht [3 mars 1943, file 100-18112, p. 1 et 10 février 1944, p. 7], s’agissant de ses « activités en Europe, de 1930 à 1940 », on signale à nouveau la collaboration des trois hommes à la pièce en question qui sera au centre de l’interrogatoire de Brecht devant le Comité des activités anti-américaines en 1947 [voir le site du FBI en ligne : http://foia.fbi.gov/brecht]).

18 Prévert, alors engagé dans le groupe d’agit-prop « Octobre », avait rédigé peu avant des sketches ou mimodrames consonnant avec Bulles de savon tels le Chômeur ou le Camelot, qu’interprétait le danseur Pomiès (voir Michel Fauré, le Groupe Octobre, Paris, Bourgois, 1977, pp. 142-144). À la même époque (1933), il a travaillé avec Hanns Eisler pour des chansons (Deux chansons [« Le pauvre cheval » et « Vie de famille (“Y en a qui meurent de faim”) »]) et un projet de film (Dolina, que devait réaliser en Tchécoslovaquie Georg M. Höllering, directeur de production de Kuhle Wampe. (voir Manfred Grabs, Hanns Eisler. Ein Handbuch. Kompositionen – Schriften – Literatur, Leipzig, VEB Deutscher Verlag für Musik, 1984, pp. 57, 73, 180).

19 L’article restera cependant inédit, tout comme un autre intitulé « Théâtre, film et télévision » (perdus ou non repérés à ce jour). Dudow sollicite en vain Brecht pour qu’il les fasse publier l’un et l’autre dans Das Wort, mensuel littéraire de l’émigration allemande créé par Brecht, Lion Feuchtwanger et Willi Bredel à Sanary-sur-mer, dans le sud de la France et publié à Moscou de juillet 1936 à mars 1939 (Lettre à Brecht du 16 décembre 1937. Correspondance Duda Film, Archives Nationales, op. cit.).

20 Schutzverband Deutscher Schriftsteller (Association de défense des écrivains allemands) qui organise conférences, soirées culturelles, expositions.

21 Cf. Lettre de F.W. Wagner, président de la fédération, à Dudow du 13 mars 1936 (Correspondance Duda Film, op. cit).

22 En 1937, il participe à Paris au IIe Congrès international pour la défense de la culture que l’Association internationale des écrivains pour la défense de la culture (AIEDC) organise à la fois à Madrid et Valence en Espagne (du 4 au 8 juillet) et à Paris (les 16 et 17 juillet), Brecht – qu’il héberge – avait participé au 1er Congrès en juin 1935 (sur ce dernier, voir la publication des diverses interventions dans Sandra Teroni, Wolfgang Klein (dir.), Pour la défense de la culture. Les textes du Congrès international des écrivains. Paris, juin 1935, Dijon, EUD, collection « Sources », 2005) et il s’est rendu à Madrid. Sur l’ensemble de ces phénomènes et leurs contradictions au sein de la « communauté » émigrée, voir Albrecht Betz, Exil et engagement. Les intellectuels allemands et la France, Paris, Gallimard, 1991.

23 Cette correspondance qui documente les échanges entre Brecht ou Margarethe Steffin [Grete], sa collaboratrice, depuis Svendborg au Danemark, et Dudow à Paris, de 1936 à 1939, révèle les contours de leur combat antifasciste à travers la mise en place de différentes soirées dans le milieu de l’émigration (Voir également le Journal de travail (1938-1955) de Brecht qui s’en fait l’écho à plusieurs reprises – traduction française, Paris, L’Arche, 1976).

24 Bertolt Brecht, Maßnahme (la Décision – dans Théâtre complet, Tome 2, Paris, l’Arche, 1998, p. 237).

25 « Ci-joint un bref procès-verbal de création d’une Société Diderot qui pourrait constituer une bonne base (pas trop rigide non plus) pour l’évolution ultérieure de la théorie. […] J’espère que vous y adhérez. […] Je me suis également adressé à Doone et Auden en Angleterre, à Burian à Prague, à Hordahl Grieg, Per Knutzen et Lindbergh en Scandinavie, Renoir et [Moussinac] en France. Et Mackleash à New York. J’ai discuté de cette affaire avec le meilleur peintre de décors de l’avant-garde à New York, Max Corelik. Piscator et Eisler en feront également partie. Les propositions supplémentaires sont les bienvenues. » (Lettre 4, non datée, de Brecht à Dudow, Correspondance Duda Film, Archives nationales, op. cit.) [notre traduction comme dans toutes les traductions de l’allemand ultérieures. M. T.].

26 Lettre 55 non datée de Dudow à Brecht (Correspondance Duda-Film, Archives nationales, op. cit.).

27 Lettre 5 du 10 mai 1937 (Correspondance Duda-Film, Archives nationales, op. cit.).

28 Ibid., p. 114.

29 Ibid.

30 « Denn die Werke gelangen zu den Adressaten nicht durch ihre kunstlerischen Mitteln (gemeint sind die Fortschrittlichen) sondern trotz dieser. Man könnte auch sagen, ein modernes Kunstwerk gelangt zu seiner Wirkung nicht weil, sondern obwohl die fortschrittliche kunstlerische Darstellungs methoden anwendet. » (lettre à Brecht du 10 mai 1937. Correspondance Duda-Film, Archives Nationales, op. cit.).

31 Lettre de Brecht du 21 avril 1937. Correspondance Duda-Film, Archives nationales, op. cit.

32 Lettre de Dudow non datée à Brecht, Correspondance Duda-Films, Archives nationales, op. cit. Derrière ce débat se tient à la fois la divergence au sein des écrivains et artistes exilés entre la politique de Volksfront préconisée par Heinrich Mann et le maintien d’une position antifasciste radicale et la stratégie d’alliance que préconisaient Hanns Eisler et Ernst Bloch signant en 1937 un article intitulé « Art d’avant garde et front populaire » (Neue Weltbühne [Prague], 9 décembre 1937 [trad. franç. dans Travail théâtral, n° 28-29, juillet-décembre 1977, pp. 26-30]). Dudow, en l’occurrence, exprime un point de vue convergent avec celui d’Eisler et Bloch.

33 « Er ist ein Kind des Dritten Reiches, hat zwar keine genaue Adresse, aber man kann ihn überall finden. Er ist sowohl in Hamburg als auch in Berlin, an der Ruhr, in Schlesien usw.. Er ist überall da, wo es etwas flüstern gibt. Er bringt die Kohle und Licht, er verwandelt die Kohle ans Licht, er verwandelt die Milch in Butter usw… Ihm kann keiner was, denn er ist in der Arbeitsfront, in Kraft durch Freude, im Luftschutz usw… er begrüsst jeden den er nicht stehts mit erhoberner Hand und mit Heil Hitler, denn bei ihm hat es seit Jahren keinen guten Tag gegeben… Er hat den feinen Griff und den rechten Ton, ihm kann keiner was, denn er ist nach aussen braun und nach ihnen rot. Der Schlussvers soll mit folgendem Inhalt enden ; man muss solange und sooft flüstern, bis man alle Flüstermaxe vereint hat und der Tag kommt wo man nicht mehr zu flüstern braucht. » Dudow lettre à Grete du 22 décembre 1937 (Correspondance Duda Film, Archives Nationales, op. cit).

34 Ibid.

35 Lettre de Dudow à Brecht du 23 novembre 1937 (ibid.).

36 « Er soll noch einfacher in der Formulierungen sein und die technischen Schwierigkeiten unter denen der Hörer es aufnehmen muss, besonders stark berücksichtigen. Wie du weisst, die Zeit, die man uns im Radio zur Verfügung stellt ist so kostbar, dass die Arbeitsbedingungen einem zu hart erscheinen können, aber dafür sind nicht unsere Freunde, sondern die Zeiten daran schuld. Ausserdem soll man möglichst wenig Dialect verwenden, das will nicht heissen gar keinen » (Lettre 16 de Dudow à Grete du 22 décembre 1937, ibid.).

37 « Es wâre sehr schön, wenn Brecht Zeit und Lust hätte und daraus etwas ähnliches wie das Solidaritäts- Lied, ebenso einfach und gut macht, damit es populär werden kann. Denn man findet auch jetzt noch in illegalen Zeitungen Verse aus der Solidaritäts-Lied als Moto usw » (ibid.). C’est pour Kuhle Wampe que ce chant est composé par Brecht (parole) et Eisler (musique) où il sert de leitmotiv (« Solidaritätslied »).

38 Gilbert Badia et al., les Bannis de Hitler…, op. cit., p. 374.

39 « Wir sind dabei eine Art Deutsche Volksbühne - Paris zu gründen, die zum Ziele hat, die Zuschauer zusammen zu fassen, damit auch die wirtschaftliche Grundlage für das weiter spielen da ist. » (Lettre de Dudow à Brecht du 21 janvier 1938, Correspondance Duda-Film, Archives Nationales, op. cit.). Cf. Brecht dans son Journal en date du 15 août 1938 : « Le montage, si farouchement proscrit, résulte ici d’une correspondance avec Dudow, qui avait besoin de quelque chose pour la petite troupe prolétarienne de Paris. C’est donc le théâtre prolétarien en exil qui maintient le théâtre en activité ! » (op. cit., p. 19).

40 « Die Laterne », cabaret créé en 1934 par une troupe dirigée par Hans Altmann, Günter Ruschin, Werner Zacharias.

41 Lettre non datée (Correspondance Duda-Film, Archives nationales, op. cit.).

42 En 1934, les mesures concernant les demandes de régularisation et de recherche de travail des étrangers se durcissent en raison des retombées de la crise mondiale et de l’affaire Stavisky ; la situation s’améliore sur le plan administratif et artistique avec le premier gouvernement de Front Populaire.

43 Les Fusils de la Mère Carrar ou « comment la Mère Carrar en vient à consentir à donner des fusils pour engager la lutte contre le franquisme ». Ce manifeste antifasciste décrit le drame d’une femme de pêcheur qui s’engage aux côtés des Républicains après que son fils aîné a été assassiné par des franquistes. La pièce, jouée en allemand, était interprétée par Helene Weigel (venue de Copenhague) et des comédiens réfugiés à Paris (Steffi Spira, Hans Altmann, Werner Florian, S. Schidloff, Werner Hain [Claude Vernier]). Voir le témoignage de C. Vernier (op. cit., pp. 96-97). Des extraits d’une lettre de Brecht à Dudow de juillet 1937 concernant la mise en scène de cette pièce sont cités dans le recueil Bertolt Brecht, Über die bildenden Künste, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1982, p. 96 : il y préconise un recours à la composition de « tableaux vivants », à des stases, à une discontinuité (qu’on peut relier à son intérêt pour la photographie qui fixe des moments de gestus [avec Joseph Breitenbach – voir ci-dessous note 48 – puis Roger Pic – dont Roland Barthes commenta les photos dans « Sept photos modèles de “Mère Courage” », 3e trim. 1959] : « Den Stil der Aufführung denke ich mir sehr einfach. Die Figuren plastisch vor gekalkten Wänden, die einzelnen Gruppierungen sehr sorgfältig durchkomponiert wie auf Gemälden. Nichts Zappliges, alles ruhig, überlegten Realismus. Die Details mit Humor, das Ganze überhaupt ja nicht zu drückend. Gute Zäsuren » [« Style de la représentation très simple. Personnages en relief devant des murs blanchis à la chaux, chaque groupe particulier composé soigneusement comme des tableaux. Rien de nerveux, tout calme, réalisme réfléchi. Les détails avec humour, l’ensemble absolument oui rien de trop appuyé. Bonnes césures. »]

44 Petit théâtre de 300 places environ, datant de 1912, situé au square Rapp dans le 7e arrondissement, non loin de la Tour Eiffel, dans lequel on pouvait projeter des films.

45 Ce film satirique, qui a plutôt mauvaise presse chez les commentateurs de Clair, fut présenté à Moscou au premier festival du film en février 1935 où il remporta le deuxième prix (voir l’Humanité du 7 mars 1935, p. 6 et Jay Leyda, Kino. Histoire du cinéma russe et soviétique, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1979 [1960], p. 374) ; il fut utilisé comme film d’agitation dans les années 1930 en raison de sa dénonciation de l’argent-roi et des palinodies des dirigeants politiques. Son insuccès critique (et public) convainquit René Clair de quitter le terrain de la satire politique.

46 « Die Ausstellung Fünf Jahre Hitler, die wir in Paris gemacht haben, hat sehr grossen Erfolg. Am vergangenen Sonntag mussten ca. 500 Menschen nach Hause gehen, weil sie nicht mehr rein kommen konnten. Endlich hat Goebbels sich auch für uns als guter Propagandist bewährt. Sämtliche deutschen Zeitungen haben grosse Artikel gegen die Ausstellung gebracht, der Botschafter hat bei dem Aussenminister protestiert und so wurde die Ausstellung ein Erfolg » (Lettre de Dudow à Grete du 13 février 1938, Correspondance Duda-Film, Archives nationales, op. cit.).

47 « Die Gewehre der Frau Carrar sollen am Sonnabend den 26.3.38 in jidisch in Paris herauskommen. Gestern war Frau Blumenthal bei mir und bat mich ihr zu helfen, weil sie Angst hat, dass es nicht so geht wie sie es gemacht hatte. Ursprünglich war vereinbart, ich soll die Regie führen, wenigstens am Anfang und gegen den Schluss der Proben. Die Blumenthal fand aber unsere Aufführung zu kalt und zu wenig spanisch, deswegen wollte sie ein wenig spanisches Temperament hineinbringen. Heute Abend sehe ich mir eine Probe zum ersten Mal an. Ich mache mich auf alles gefasst. Vielleicht hat man ein paar Stierkämpfe und ein paar Castaniettentänze eingelegt » (Lettre de Dudow à Grete du 18 mars 1938, ibid.).

48 Cf. Keith Holz, Wolfgang Schopf, Allemands en exil, Paris 1933 -1941. Ecrivains, hommes de théâtre, compositeurs, peintres photographiés par Josef Breitenbach, Paris, Autrement, 2003 et l’exposition « Josef Breitenbach, Visages de l’exil. Munich, Paris, New York, 1933 – 1945 » (Mémorial de la Shoah, Paris, du 18 mai au 11 septembre 2005).

49 Le gouvernement Daladier fait adopter de nouveaux décrets en mai 1938 visant à préserver la paix avec l’Allemagne (sic) en rendant plus draconiennes les conditions de séjour des étrangers en France et les soumettant directement à l’arbitraire des autorités. Cf. ces mots de Walter Benjamin adressés à Gretel Adorno le 1er novembre 1938 : « le rapprochement entre l’Allemagne et la France, qui tient le devant des efforts actuels, va devoir, je le crains, éloigner les uns des autres – directement ou indirectement – les rares Français et Allemands qui sont proches. On attend un “statut des étrangers” pour la fin de la semaine. Entre-temps je m’affaire à ma naturalisation avec précaution mais sans illusions. Si auparavant les chances de succès étaient douteuses, désormais c’est aussi l’utilité de ce succès qui fait problème. » (Correspondance 1929-1940, Tome 2, Paris, Aubier-Montaigne, 1979, p. 266).

50 La circulaire du 14 avril 1938 implique un contrôle plus rigoureux des publications étrangères et des créations artistiques des antifascistes ayant une activité politique en France.

51 Lettre non datée de Brecht à Dudow (Correspondance Duda Film, Archives Nationales, op. cit.).

52 Lettre non datée de Brecht à Dudow (ibid.).

53 Ibid. Jeu de mots entre Hacke (talon) et Haken (crochet), Hakenkreuz désignant la svastika ou croix gammée.

54 Ce titre est donné en référence au plébiscite autrichien de l’Anschluss. La pièce est créée en allemand salle d’Iéna le 21 mai 1938.

55 Le Schwarze Korps du 7 juillet 1938 lui répond par un article très virulent soulignant « l’imprégnation juive » du spectacle et tournant en dérision le fait que la dénonciation d’une Allemagne prétendue devenue barbare déclenche des rires.

56 « Man beschäftigt sich sehr mit den Stücken als auch mit der Darstellung. Es scheint eine der wirkungsvollsten Theaterabende der Emigration zu sein. […] Unseren Freunde haben endlich eingesehen, was man durch so eine Veranstaltung erreichen kann und besonders durch den Erfolg bewegt, schlugen sie selbst vor, wir sollen uns für den nächsten Winter einen Spielplan aufbauen, ihn in Paris starten und dann damit nach Amerika zu der grossen Weltausstellung 1939 nach New York fahren. Man will uns dabei sehr unterstützen. » (Lettre de Dudow à Grete du 30 mai 1938, Correspondance Duda-Film, Archives Nationales, op. cit.).

57 Cf. son exposé dans l’immédiat après-guerre : Slatan Dudow, « La responsabilité sociale du cinéaste », dans [Serge Lang, dir.] Cinéma d’aujourd’hui. Congrès international du cinéma à Bâle, Genève-Paris, Trois Collines, Cahiers de Traits 10, 1946), pp. 53-65.

58 « Demande au Maître où en est la parution du Flüstermaxe dans Das Wort. […] On emmènera le Flüstermaxe dans une maison d’édition du pays. Une parution est aussi prévue dans le DVZ, seulement je préfèrerais dans Das Wort pour des raisons financières. » (Lettre 40 de Dudow à Grete du 30 mai 1938, Correspondance Duda Film, Archives nationales, op. cit).

59 Lettre de Dudow à Brecht du 6 juillet 1938 (lettre 43, ibid.).

60 Le Lâche (ibid.) met en scène un employé subalterne petit-bourgeois, Johannes Krauthahn qui, bien qu’ayant décelé les agissements criminels d’un collègue, redoute de maintenir sa plainte pourtant justifiée et de la soutenir publiquement, notamment devant le juge, au vu de l’éventualité que ce collègue accède prochainement au poste de directeur.

61 H. Herlinghaus, Slatan Dudow, op. cit., p. 13.

62 « Actuellement, c’est très compliqué pour moi de décider d’un prix car le cours du change a changé de même que les coûts de production et le budget, ce qui fait que le prix de la copie seule a augmenté entre-temps d’environ 40 % » (« Es ist für mich jetzt sehr schwer die Preise zu bestimmen, denn nicht nur das Verhältnis der Valuta hat sich verändert sondern auch die Preise sowohl die der Herstellung als auch die der Haushalts. Z.B. die Kopie Preise allein sind inzwischen um ca.. 40 % gestiegen. ») (Lettre de Dudow à M. Neumann de la Centrale d’éducation ouvrière suisse du 16 septembre 1937, Correspondance Duda Film, Archives Nationales, op. cit.).

63 En janvier 1937, il est victime de la faillite de la société new-yorkaise Garrison Films, qui survient à la suite d’une forte campagne de presse à son encontre et vaut des procès à la société, engendrant dès lors de fortes dépenses, la perte d’un grand nombre de clients et la vente aux enchères de tous les films dont elle disposait, parmi lesquels Kuhle Wampe. (Lettre du 5 janvier 1937, Correspondance Duda Film, ibid.).

64 Lettre de Dudow à M. Stern de Garrison Film Distributors du 16 janvier 1937 (Correspondance Duda Film, ibid.).

65 Il paraît cependant peu probable que Dudow soit à l’origine du titre français, Ventres glacés, qui procède d’une traduction « forcée » d’un nom de lieu (Kuhle pris pour Kühle). Cf. les reportages en Allemagne de Daniel Guérin en 1932, publiés dans le Populaire, puis en volume sous le titre la Peste brune (Spartacus, 1936, repris dans Sur le fascisme. La peste brune. Fascisme et grand capital, Paris, Maspero, 1968, 1973, rééd. La Découverte, 2001) dont des passages inédits sont disponibles sur internet : « Kuhle Wampe, au bord du Müggelsee, est un camp de chômeurs berlinois. Il vient alors d’inspirer au metteur en scène communiste Slatan Dudow, en collaboration avec Bertold Brecht, un film retentissant et magnifique, qui lui vaut, en cet été 1932, un flot ininterrompu de visiteurs. » (www.matierevolution.fr/spip.php?article682).

66 Lettre de Dudow à M. Ashel du 28 janvier 1937 (Correspondance Duda Film, ibid.).

67 Lettre de Dudow à Buslon du 10 février 1937 (Correspondance Duda Film, ibid.).

68 L’exploitation de ses films se trouve liée étroitement à la conjoncture. Alors que l’année 1937 faisait encore miroiter des possibilités d’exploitation, l’année 1938, marquée par les Accords de Munich, l’année 1939 par l’invasion de la Tchécoslovaquie (en mars), les pogroms de la Nuit de Cristal (les 9 et 10 novembre) et l’invasion de la Pologne (le 1er septembre 1939) déclenchant l’entrée en guerre de l’Angleterre et de la France contre l’Allemagne (3 septembre), compromettent toute activité cinématographique pour Dudow.

69 Lettre du 1er avril 1936 de la Films Society Limited à Dudow (Correspondance Duda Film, ibid.).

70 Les programmes de la Film Society (voir infra note 84) mentionnent la séance de Soap Bubbles du 8 mars 1936 et publie une notice sur le film (reprint the Council of the London Film Society, The Film Society programmes 1925-1939, introduction de George Amberg, New York, Arno Press, 1972).

71 Le 3 février 1937, M. Handel de la société Kino Films Limited achète les droits de diffusion en 16mm de Seifenblasen avec le sous-titrage. M. Buslon, lui succédant, souhaite quant à lui diffuser le long métrage Kuhle Wampe en 35mm dans les provinces de Glasgow et de Birmingham. Le 2 juillet 1937, il réserve ainsi deux locations du film, une pour le 10 janvier 1938 à Edimbourg et une autre pour le 28 février 1938 à Glasgow (ibid.).

72 « Notre travail consiste à développer l’appréciation de films culturels comportant un message social » écrit Madame Robson, de Fleet Cinema, à Dudow dans une lettre du 2 novembre 1937 (ibid.).

73 Alors que la société Fleet Cinema avait acheté les droits du film en novembre 1937, elle souhaite désormais soit les mettre en vente, soit que Dudow se charge lui-même de trouver un client. De même, la Kino Films qui avait manifesté un certain intérêt pour Kuhle Wampe en avril 1938, cesse dès le mois de mai de solliciter Dudow, réitérant l’argument communément utilisé selon lequel le film ne convient pas au public anglais (ibid.).

74 Friedrich Wolf le mit rapidement en relation avec M. Pauker travaillant également dans une société cinématographique aux États-Unis afin qu’il puisse, là aussi, obtenir de nouvelles opportunités d’exploitation et de soutien de ses films, notamment de conseils concernant ses nouveaux manuscrits datant de 1939 (lettre du 24 février 1939, ibid.).

75 « La représentation à New York a été un échec et toutes les autres villes des États-Unis ont refusé le film pour des raisons politiques » écrit M. Landy de Garrison à Dudow dans une lettre du 14 avril 1937 (ibid.). Il figure cependant dans l’Educational Film Catalogue de 1937 (dans la rubrique « Laboring Classes » [n° 331.8]), avec l’indication qu’il est « produit par Th. Dudow-Praesens-film, Paris » (op. cit., p. 38). Cette dernière information témoigne des rapports de représentations mutuelles qu’assumaient les maisons Praesens (Zurich-Bruxelles) et Albatros (Paris) qui s’étaient noués à la faveur de la distribution française du film d’Eisenstein et Tissé, Frauennot-Frauenglück (1929-1930) (voir F. Albera, « Frauennot-Frauenglück » dont l’annexe retrace les relations entre les deux maisons via leur correspondance, dans Rémy Pithon (dir.), Cinéma suisse muet, Lumières et ombres, Lausanne, Antipodes /Cinémathèque suisse, 2002).

76 Organisation émanant du Parti socialiste suisse.

77 « Les possibilités d’exploitation dans les lieux cités seront au début modestes, mais ce sera peut-être profitable si vous offrez aux organisations ci-dessus des copies du film Seifenblasen en format réduit » (Lettre de Neumann à Dudow du 9 février 1937, Correspondance Duda-Film, op. cit.).

78 Lettre de l’Ardneders Oplysningsforbung à Dudow, ibid.

79 Lettre de Dudow à Brecht du 24 février 1938 (Correspondance Duda-Film, op. cit.).

80 Albrecht Betz, Exil et engagement, op. cit., p. 376.

81 Alors que la société Monopole-Film N.V. réclamait le film en janvier 1938, elle ne manifeste plus aucun intérêt pour lui dès le mois de juin, le film, selon elle, ne correspondant désormais plus à la demande. (Correspondance Duda-Film, op. cit.).

82 La Filmgilde de Zurich, écrit le 29 août 1938 : « Le film est bon mais aucune solution n’est donnée au problème à la fin. Il laisse une impression triste. Nous voulons maintenant trouver un autre film qui traite du même problème mais d’une autre façon et organiser ensuite une manifestation avec un rapport parlant. » (ibid.).

83 Lettre de Dudow à Brecht du 30 mai 1938 (ibid.).

84 La France manifesta jusque dans le cinéma son obsession de la paix et de rapprochement avec l’Allemagne par des accords de collaboration cinématographique signés par Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, et Johannes Graf von Welczek, ambassadeur du Reich : ainsi, les films allemands pouvaient entrer en France et les films réalisés en France devaient quant à eux manifester une certaine neutralité.

85 Lettre 129 de Dudow à Brecht du 19 novembre 1937 (Correspondance Duda-Film, op. cit.).

86 Lettre 103 de Dudow à Mr Buslon le 12 août 1937 (ibid.).

87 Ivor Montagu (1904-1984), militant communiste, critique de cinéma, monteur et producteur (pour Hitchcock notamment), animateur de ciné-clubs, cinéaste, avait créé la London Film Society en 1925 avec Sidney Bernstein. Il participa au Congrès international du cinéma indépendant de La Sarraz en 1929, accompagna Eisenstein, Tissé et Alexandrov – qu’il avait rencontrés en Suisse – à Hollywood et traduisit de nombreux articles d’Eisenstein.

88 Lettre d’Ivor Montagu à Dudow du 1er mai 1937 (Correspondance Duda Film, Archives Nationales, op. cit.).

89 Lettre à Ivor Montagu du 26 avril 1937 (ibid.).

90 Lettre de Dudow à M. Neumann du 15 mai 1939 (ibid.).

91 Il s’agit vraisemblablement de la société Kino Film Limited à Londres (Lettre à Brecht du 15 mai 1939. Ibid.).

92 Ce scénario évoque les différents événements ayant eu lieu en Allemagne depuis le 30 janvier 1933 (lettre de Dudow à M. Pauker du 24 février 1939, ibid.). Y. Aubry résume ce scénario satirique fondé sur l’impossibilité de faire le salut nazi de la part d’un mutilé de la Grande guerre : doit-il en être dispensé ? saluer de la main gauche ? de sa prothèse ? (Slatan Dudow, op. cit.).

93 À la première soumission du scénario à la Warner, il semble qu’il fut bien accueilli dans une perspective commerciale. (Lettre de M. Pauker à Dudow du 26 juin 1939, ibid.).

94 M. Landy de Garrison Films évoque, dans sa lettre du 1er avril 1939, la lassitude du public vis-à-vis des films réalistes : « Ici, les gens ne veulent plus voir d’horreur. Ils en savent assez et trouvent qu’un film moins réaliste est un meilleur moyen de propagande » (ibid.).

95 Neumann de la Centrale suisse d’éducation ouvrière le mentionne dans une lettre du 2 juin 1939 à Dudow (ibid.)

96 Lettre à Brecht du 19 avril 1939 (ibid.).

97 Lettre à Brecht du 10 juin 1939 (ibid.).

98 W. Benjamin, Correspondance, op. cit., p. 300.

99 Herman Greid (1892-1975), acteur à Weimar (notamment avec Helene Weigel), directeur d’une troupe d’agit-prop à Düsseldorf, s’était réfugié en URSS après l’arrivée de Hitler au pouvoir avant de s’installer en Suède où il collabore à plusieurs reprises avec Brecht, créant notamment, en 1938, les Fusils de la Mère Carrar à Stockholm. Il rédigeait parallèlement un traité d’éthique marxiste qui aiguise l’ironie de Brecht dans son Journal de travail, 1938-1955 (op. cit.).

100 Lettre de Brecht à Dudow du 12 septembre 1939 (Correspondance Duda-film, op. cit.).

101 Lettre de Greid à Dudow du 13 septembre 1939 (ibid.).

102 Ni la date exacte du départ de Slatan et Charlotte Dudow, ni les conditions de leur passage en Suisse ne sont à ce jour connus. Il a vraisemblablement lieu avant la défaite française et la promulgation des lois de l’armistice par lesquelles la France s’engageait à livrer les antifascistes à l’Allemagne. Brecht ne fait allusion à la situation de Dudow dans son Journal qu’à la date du 19 septembre 1940 : « Dudow lui aussi s’est échappé de Paris, mais avec une pleurite grave, semble-t-il. Il est en Suisse sans la moindre ressource. Ce qui est fâcheux, c’est que je ne peux rien lui envoyer. » (op. cit., p. 127). Selon Hervé Dumont (dont la thèse portait sur le Schauspielhaus de Zurich de 1921 à 1938, [Lausanne, Pierre Favre, 1973] et qui avait fait des recherches infructueuses sur le séjour de Dudow en Suisse), il est vraisemblable que l’équipe du Schauspielhaus à Zurich – Oskar Wälterlin (direction), Leopold Lindtberg, Therese Giehse, le décorateur Teo Otto, la Suisse Mathilde Danegger, Jo Mihaly, Karl Paryla, Wolfgang Langhoff et Wolfgang Heinz (ces trois derniers travaillèrent beaucoup pour la DEFA après-guerre) –, tous liés à Brecht sous une forme ou une autre, soient venu en aide à Dudow et cherché à le protéger. Langhoff et Paryla dirigeaient la cellule communiste du Schauspielhaus, qui comportaient aussi Danegger, Mihaly, Otto. Ils étaient aussi co-fondateurs du comité national « Freies Deutschland » et actifs dès 1944 pour susciter la renaissance en Suisse du « Schutzverbandes Deutscher Schriftsteller » (SDS) interdit jadis par Goebbels. Cette association pour la défense des écrivains allemands (dont faisait partie Thomas Mann), alliée aux « Freunde des Neuen Deutschland » (auxquels appartenait par exemple Max Frisch), a financé un journal rédigé par les écrivains germanophones internés dans les camps de travail suisses (Über die Grenzen (au delà des frontières)) auquel Slatan Dudow, ainsi que les gens du Schauspielhaus, mais aussi Brecht, Friedrich Wolf, Berthold Viertel, etc. ont collaboré et qui était illustré par Hans Erni. Sans doute les comédies dramatiques Der Feigling [le lâche], Der leichtgläubige Thomas [Thomas le crédule], Das Narrenparadies [le paradis des fous] et Der Weltuntergang [la Fin du monde] avaient probablement été promises au Schauspielhaus.

103 Chez Henschel, Berlin, 1947, 1950.

104 [Serge Lang, dir.], Cinéma d’aujourd’hui, op. cit., pp. 53-65.

105 Hanns Eisler écrira la musique de deux des films qu’il y réalisera (Unser täglich Brot [Notre pain quotidien], 1949 et Frauenschicksale [Destins de femmes], 1952).

106 « J’ai envoyé les Deux Fils à Dudow, à Berlin » (Brecht, Journal de travail, 1938-1955, op. cit., p. 445). La nouvelle, évoquée dans le Journal (ibid., p. 426), publiée en 1949, est traduite en français dans B. Brecht, Nouvelles, Paris, Presses Pocket n° 3091, 1989, pp. 190-199.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Mélanie Trugeon, « Un cinéaste antifasciste à Paris : Slatan Dudow (1934-1939) »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 60 | 2010, 64-91.

Référence électronique

Mélanie Trugeon, « Un cinéaste antifasciste à Paris : Slatan Dudow (1934-1939) »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 60 | 2010, mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 10 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/3867 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.3867

Haut de page

Auteur

Mélanie Trugeon

Actuellement en charge de la Coordination Colombie à Amnesty International et participant à la préparation de la saison du Mexique en France pour 2011, a soutenu une Maîtrise en histoire contemporaine à Paris X (mémoire sur Slatan Dudow), un mastère 2 professionnel en direction et conception de projets culturels à Paris III à l’issue duquel elle a rejoint le Tarmac de la Villette. Elle achève actuellement un mastère 2 recherche en études latino-américaines à l’Institut des Hautes Etudes d’Amérique Latine. Elle a publié « Le documentaire latino-américain », Nouveaux Espaces Latinos,n° 253, mai-juin 2009.

Currently in charge of the “Columbia” section of Amnesty International and is working on the preparation of the “Mexico season” in France for 2011. She holds an MA in Contemporary History from the University of Paris X and an MA in Cultural Project Management from the University of Paris III. She is currently completing an MA in Latin-American Studies at the Institut des Hautes Études d’Amérique Latine. She has published “Le documentaire latino-américain”, Nouveaux Espaces Latinos, 253, May-June 2009.

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search