Navigation – Plan du site

Accueil189543ActualitéIvo Blom, Jean Desmet and the Ear...

Actualité

Ivo Blom, Jean Desmet and the Early Dutch Film Trade

Amsterdam University Press, 2003, 474 pages, illustrations noir et blanc et couleurs, broché ou relié. Site Web de l’éditeur : www.aup.nl (en anglais).
Jean-Jacques Meusy
p. 120-123

Texte intégral

1Le « côté cour » du cinéma, je veux parler de son aspect industriel et commercial, a été longtemps délaissé par les historiens français, en dépit des efforts précurseurs d’un Georges Sadoul. Notre pays a pris, de ce point de vue, beaucoup de retard sur les États-Unis. Si l’exploitation fait aujourd’hui l’objet de quelques travaux, en revanche la distribution demeure le parent (très) pauvre.

2À la faible motivation des chercheurs s’ajoute l’insuffisance des sources. À ma connaissance – tant mieux si je me trompe et toute information à ce sujet sera la bienvenue – nous ne possédons pas d’archives des principaux distributeurs des années dix et vingt, comme Louis Aubert et l’Agence générale cinématographique (AGC) ou, plus modestement, de Paul Hodel, A. Bonaz, Géo Janin, Charles Helfer, etc. C’est donc une chance inespérée que les archives d’un exploitant-distributeur des Pays-Bas, Jean Desmet, soient parvenues jusqu’à nous et que le Nederlands Film Museum en ait fait l’acquisition en 1957.

3Amsterdam n’était pas une « plaque tournante » du commerce du film, à la différence de Bruxelles et, bien sûr, de Londres, Berlin et Paris. Ce petit pays n’étant qu’un très modeste producteur, ses exploitants devaient se fournir dans une de ces capitales où étaient établis de nombreux négociants en films ainsi que les représentants des grandes firmes mondiales.

4Jean Desmet (1875-1956) travailla principalement dans la période charnière des années dix qui vit la sédentarisation de nombreux ambulants, aux Pays-Bas comme en France. Pendant une dizaine d’années, il avait exploité sur les champs de foire, des orgues de Barbarie, une « Roue de la fortune », un « Toboggan canadien » lorsqu’il se lança en 1907 dans le cinéma ambulant, avec son « Imperial Bio ». Le cinéma allait connaître une véritable explosion dans toute l’Europe occidentale et, cette année-là, apparut à Amsterdam le premier cinéma sédentaire du pays.

5Ce n’est qu’en mars 1909 que Desmet ouvrit son premier cinéma à Rotterdam, le Cinéma Parisien, tout en continuant encore quelque temps l’exploitation foraine. Il ne s’agit donc pas véritablement d’un précurseur et sa carrière n’en est que plus représentative de l’essor général du cinéma et des pratiques commerciales d’alors. Ce Cinéma Parisien n’a constitué que le début de son activité d’exploitant qui allait l’amener à posséder un réseau de neuf établissements à travers le pays. Lorsqu’il ne plaçait pas un gérant à leur tête, il faisait appel aux membres de sa famille, ses frères et sa sœur Rosine notamment.

6En 1910, Desmet se lançait dans la « distribution ». En fait, comme le reconnaît Ivo Blom, auteur du présent ouvrage, ce terme n’a été employé qu’après la Première Guerre mondiale. Il ne recouvre qu’imparfaitement les activités de marchand et loueur de films tel qu’elles se pratiquaient alors dans le cadre d’un marché ouvert. Plus qu’en France où le développement du cinéma a amené très tôt une spécialisation des fonctions et le système des concessions exclusives, la « distribution » apparaissait alors au Pays-Bas comme le prolongement logique du métier d’exploitant. Plusieurs parmi les concurrents de Desmet s’étaient faits également négociants en films et n’hésitaient pas à commercer entre eux lorsqu’ils désiraient se procurer tel ou tel film pour leur(s) salle(s) de cinéma.

7Desmet s’est d’abord fourni sur le marché libre de Berlin où il était aisé de se procurer des programmes complets de seconde main. Par la suite, il a traité aussi avec divers « distributeurs » de Bruxelles, de Paris ou de Londres. Il lui arrivait aussi d’acquérir les droits exclusifs d’un film pour les Pays-Bas auprès des grandes firmes ou de « distributeurs » possédant des droits étendus à ce pays. La double activité de Desmet le plaçait d’ailleurs dans une situation contradictoire. En tant que fournisseur de films, il avait intérêt à ce que le nombre de cinémas augmente fortement dans le pays mais, en tant qu’exploitant, la concurrence de nouvelles salles ne pouvait que lui nuire.

8La guerre rendit difficile l’approvisionnement sur les marchés étrangers et le commerce avec les Indes Orientales Néerlandaises (Indonésie actuelle). Par la suite, la création à l’étranger de grosses sociétés comme l’Ufa, qui possédaient leur propre réseau de distribution dans la plupart des pays européens, réduisit le champ d’activité des négociants indépendants. À partir de 1916, l’activité cinématographique de Desmet déclina et il commença à vendre plusieurs de ses établissements tout en en rachetant, il est vrai, quelques autres. Mais il s’orienta surtout vers des opérations financières, acquérant notamment des parts dans de nouvelles sociétés d’exploitation assorties de solides garanties. Il ne chercha pas à se battre pour conserver une place importante dans le commerce des films et à s’adapter, si cela était possible, aux nouvelles donnes. Il faut reconnaître toutefois qu’il tenta à plusieurs reprises de devenir le concessionnaire exclusif de grandes firmes étrangères mais que, étonnamment, il n’y parvint jamais. Il poursuivit longtemps après la guerre la location, devenue de plus en plus épisodique, des anciennes copies qu’il possédait et qui étaient souvent en mauvais état.

9Malgré plusieurs incendies dans ses cinémas, Desmet laissa derrière lui un fonds considérable, sans doute unique en Europe. D’après Ivo Blom, ce fonds est en effet constitué d’archives commerciales qui couvrent un mur entier du Nederlands Film Museum, de plus de 900 films, de milliers d’affiches et de programmes ! Nombre de films ne sont parvenus jusqu’à nous que grâce à cette collection exceptionnelle.

10Le présent ouvrage s’appuie sur les minutieuses recherches dont Ivo Blom avait exposé les résultats dans sa thèse (voir compte-rendu dans Cinémathèque n° 3, printemps-été 1993). D’emblée, celui-ci tient à nous préciser qu’il n’a pas cherché à publier un inventaire de ce fonds pas plus qu’une biographie de Jean Desmet au sens habituel du terme, mais plutôt une biographie de l’Homo economicus. Il y parvient brillamment au cours de 436 pages de texte. Comme il a voulu dégager des problématiques, il a opté pour un plan d’ouvrage mixte, à la fois chronologique et thématique, ce qui conduit à d’inévitables répétitions. Celles-ci, outre leur valeur pédagogique, ont le mérite de faciliter une consultation ponctuelle de l’ouvrage qu’autorisent deux index détaillés, l’un général, l’autre pour les titres de films.

11On pourrait regretter qu’Ivo Blom n’ait pas davantage hiérarchisé les innombrables faits qu’il relate. Sans doute a-t-il été quelque peu victime de la richesse exceptionnelle de ce corpus et n’est-il pas toujours parvenu à renoncer à certaines informations de moindre importance. L’art de l’historien, lorsqu’il expose les résultats de ses recherches à un public élargi à des non-spécialistes, est, à cet égard, comparable à celle de l’arboriculteur qui n’hésite pas à sacrifier nombre de petites branches pour mettre en valeur la structure générale de l’arbre. En tout cas, le lecteur historien qui se servira de cet ouvrage comme d’une source ne se plaindra pas que l’auteur ait mis à sa disposition une si abondante documentation.

12J’ai été un peu gêné par le rejet à la fin de l’ouvrage de l’appareil de notes. Je n’ignore pas que certains éditeurs rechignent, pour des raisons techniques, à faire figurer les notes sur les pages correspondantes, mais cela complique leur lecture. L’illustration, noir et blanc et couleurs, présente un grand intérêt et témoigne de la richesse, à cet égard aussi, de la collection Desmet.

13Pour conclure, cet ouvrage s’adresse à tous les historiens du cinéma et pas seulement aux spécialistes des Pays-Bas. Il fournit en effet un tableau exceptionnel de la circulation des films en Europe, dans une période particulièrement importante. La rigueur dont fait preuve Ivo Blom concourt à faire de son ouvrage un livre de référence indispensable.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Jacques Meusy, « Ivo Blom, Jean Desmet and the Early Dutch Film Trade »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 43 | 2004, 120-123.

Référence électronique

Jean-Jacques Meusy, « Ivo Blom, Jean Desmet and the Early Dutch Film Trade »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 43 | 2004, mis en ligne le 15 janvier 2008, consulté le 18 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/1662 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.1662

Haut de page

Auteur

Jean-Jacques Meusy

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search