Coll. Images, science, mouvement. Autour de Marey. Études, documents
Texte intégral
1En signalant dans le n° 40 de 1895 la naissance de la Société d’études sur Marey et l’image animée (SEMIA), j’avais souligné que cette association se proposait d’étendre son activité autour et au-delà de Marey, ainsi que son intitulé le suggère. En cela, elle se distingue des classiques associations des amis de…, occupées principalement à entretenir la mémoire de telle ou telle personnalité.
2Le petit ouvrage publié par L’Harmattan en collaboration avec la SEMIA confirme cette orientation. Il est hors de propos de le comparer aux monuments mareysiens dus à Marta Brown, Laurent Mannoni et Michel Frizot1, sans oublier la remarquable thèse de Laurent Mannoni soutenue en 2003 à l’Université Paris 3 – Sorbonne nouvelle. On y trouve certes des informations et des réflexions nouvelles sur Marey et son œuvre mais aussi, et surtout, des éléments contextuels qui aideront le lecteur à mettre en perspective historique les recherches sur l’enregistrement du mouvement et son analyse.
3L’ouvrage comporte deux parties, fort dissymétriques d’ailleurs par leur ampleur. La première est intitulée « Autour de Marey » et comprend huit articles, tandis que la seconde, « Technique : du daguerréotype à la cinématographie à grande vitesse », n’en comporte que deux, consacrés précisément à chacun de ces deux sujets.
4En dépit de son titre qui semblerait exclure Marey lui-même, on trouve dans la première partie deux articles consacrés à l’œuvre et à la vie privée de celui-ci : l’histoire de la Station physiologique du Bois de Boulogne, soigneusement défrichée par Jacques Malthête, et celle du domaine de la Folie (Saône-et-Loire) acquis par Marey en 1874, que nous retrace Véronique Rollet. Les autres articles s’attachent davantage à éclairer des travaux d’autres scientifiques, entrepris indépendamment ou en collaboration avec Marey.
5Thierry Pozzo, neurophysiologiste, nous propose une réflexion sur la perception visuelle du mouvement dans l’image fixe ou animée, sous ses aspects psycho-physiologiques.
6Giusy Pisano évoque la rencontre de la phonétique expérimentale avec la transcription graphique de la parole, menant à sa transmission, à son enregistrement et à sa reproduction. Il est intéressant de comparer, comme cet auteur nous le suggère, la situation du son à celle de l’image animée. Dans les deux cas, on a affaire à deux types de segments (ou, si l’on préfère, de séries causales) distincts, l’un d’ordre scientifique, l’autre d’ordre du spectacle. Il est clair aujourd’hui que ce sont des historiens ou des disciples de Marey qui ont fait de celui-ci le père du cinéma, malgré ses propres dénégations. Une telle vision qui tend à linéariser l’histoire du cinéma en établissant de fausses confluences est le résultat presque inévitable d’une approche monodisciplinaire ne prenant en compte, dans le cas présent, que la technique. Ce danger, que Marta Braun avait souligné, est d’autant plus grand qu’il conduit à de trompeuses évidences. On sait pourtant que l’enregistrement scientifique du mouvement ne s’est pas arrêté après Marey et possède sa propre histoire, son propre devenir, qui ne se confond pas avec celui du spectacle cinématographique. L’article de Patrick Mercier sur la cinématographie rapide et ultra-rapide en apporte la preuve en décrivant les développements actuels de ce segment, notamment en détonique (science ayant pour objet l’étude des explosifs). Comme l’indique cet auteur, les cadences de prises de vues sont passées en un siècle de 1 000 images/seconde à 10 milliards d’images/seconde, ouvrant la voie à des investigations jusqu’alors impossibles. Ajoutons qu’il existe actuellement au CNRS un Institut fédératif É.-J. Marey, basé à Marseille-Luminy, qui regroupe une demi-douzaine d’équipes travaillant notamment sur les aspects neurophysiologiques, psychiques, sociaux, biomécaniques du mouvement. Le domaine du son et de la parole semble un peu différent. Alors que Marey se limitait au domaine scientifique, Graham Bell, partant de préoccupations médicales, était lui-même conduit à inventer le téléphone. Faut-il y voir une plus grande facilité qu’auraient les chercheurs américains à lier la recherche scientifique aux applications industrielles et commerciales ?
7Laurent Mannoni nous fait découvrir deux chercheurs allemands à peu près inconnus en France, Wilhelm Braune et Otto Fischer, qui ont étudié la marche de l’homme en utilisant et en développant les principes méthodologiques mis au point par Marey. Leur livre, qui porte précisément le titre Der Gang des Menschen est sorti en cette année symbolique de 1895. Ces scientifiques avaient fixé des tubes de Gessler à éclairage clignotant sur le maillot noir d’un sujet et avaient procédé à une analyse tridimensionnelle des enregistrements photographiques de sa marche, prolongeant en cela les travaux de Marey. Cette mise en lumière des recherches de ces deux scientifiques allemands, outre son intérêt propre, a le mérite de nous confirmer que des préoccupations analogues apparaissent généralement au cours de la même période dans les pays parvenus à un stade de développement technologique et industriel similaire.
8Thierry Lefebvre, profitant de sa culture médicale, tire de l’oubli les travaux d’enregistrement graphique et cinématographique du cardiologue René Lutembacher.
9Au fil des articles de ce chapitre, nous saisissons mieux à quel point l’œuvre de Marey, loin d’être isolée, fait partie d’un long « phylum » de recherches méthodologiques concernant l’exploration fonctionnelle de l’être vivant et faisant appel pour cela à diverses formes de visualisation.
10Dans un second article, Thierry Lefebvre nous montre comment les films de vulgarisation scientifique ont croisé, à la fin des années vingt, les préoccupations des cinéastes d’avant-garde. Dans une perspective assez proche, Béatrice de Pastre, responsable de la cinémathèque Robert Lynen de la Ville de Paris, étudie, à propos du film de vulgarisation scientifique la Sangsue, les dispositifs et les procédés de « mise en scène » employés par le réalisateur. Elle souligne la parenté de ces derniers avec ceux mis en œuvre dans des films de fiction (à commencer par le Nosferatu de Murnau) et d’avant-garde (le Ballet mécanique de Fernand Léger).
11J’ai déjà évoqué la seconde partie de l’ouvrage consacrée à la technique. Si l’article sur la cinématographie à grande vitesse a pleinement sa place dans ce livre, en revanche je m’interroge sur l’opportunité de celui de Marie-Sophie Corcy sur le daguerréotype. Non que cette excellente historienne ait démérité en quoi que ce soit et son article confirme d’ailleurs ses qualités de rigueur et de précision. Mais je regrette qu’elle n’ait pas placé son propos dans la perspective des travaux sur l’enregistrement du mouvement, laissant au lecteur le soin d’opérer lui-même cette démarche.
12On l’aura compris, ce petit livre apporte beaucoup et je ne saurais trop louer la SEMIA de son approche pluridisciplinaire sans laquelle il ne saurait y avoir de recherche véritablement moderne. Laissons de côté quelques regrets d’ordre technique, en particulier la relégation des notes en fin d’article, ce qui n’en facilite guère la lecture. La diversité des articles a sans doute posé des problèmes à la SEMIA qui a dû flanquer le titre de l’ouvrage de deux sous-titres. En fait, le plan quelque peu fragile de l’œuvre se serait beaucoup mieux accommodé du cadre d’une revue (ou des actes d’un colloque) que de celui d’un livre dont on attend davantage de structuration et d’unité. Cette remarque d’ordre formel n’entache nullement la qualité de cette publication et l’importance de son apport scientifique qui me font en conseiller vivement la lecture.
Notes
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Jacques Meusy, « Coll. Images, science, mouvement. Autour de Marey. Études, documents », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 43 | 2004, 117-120.
Référence électronique
Jean-Jacques Meusy, « Coll. Images, science, mouvement. Autour de Marey. Études, documents », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 43 | 2004, mis en ligne le 15 janvier 2008, consulté le 18 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/1895/1652 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1895.1652
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